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sa bouche » a peut-être pour but, en retardant un peu le commencement du discours, d’indiquer qu’il sera plus long ; à moins qu’on n’y voie une allusion à ce qui se lit souvent dans l’ancienne loi, que Dieu ouvrait la bouche des prophètes, tandis que lui-même ici ouvre la sienne.

3. Que dit donc le Sauveur ? Bienheureux les pauvres d’esprit, parce qu’à eux appartient le royaume des cieux. » Nous lisons, à propos de l’ambition des choses temporelles : « Tout est vanité et présomption d’esprit[1]. » Or présomption d’esprit veut dire audace et orgueil ; on dit en effet vulgairement des orgueilleux qu’ils ont l’esprit haut, magnus spiritus, et avec raison, puisque le mot spiritus veut dire aussi vent ; comme nous lisons dans un psaume : « le feu, la grêle, la neige, la glace, l’esprit de la tempête[2]. » Et qui ignore qu’on donne aussi aux orgueilleux le nom d’enflés, comme qui dirait bouffis par le vent ? A quoi revient encore le mot de l’Apôtre : « La science enfle, mais la charité édifie[3]. » C’est pourquoi on a raison d’entendre ici par pauvres d’esprit les hommes humbles et craignant Dieu, c’est-à-dire qui n’ont point l’esprit qui enfle. Or la béatitude ne pouvait absolument avoir un autre principe, puisqu’elle doit arriver à la souveraine sagesse, et que « la crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse[4] » tandis qu’au contraire, « l’orgueil est donné comme le commencement de tout péché[5]. » Que les orgueilleux ambitionnent donc et aiment les royaumes de la terre ; mais « heureux les pauvres d’esprit, parce qu’à eux appartient le royaume des cieux. »


CHAPITRE II.
EXPLICATION DES AUTRES BÉATITUDES.

4. « Bienheureux ceux qui sont doux, parce qu’ils posséderont la terre en héritage. » Cette terre, je pense, est celle dont parle le Psalmiste Vous êtes mon espérance, mon partage sur la terre des vivants [6]. » Le Seigneur entend ici un héritage solide, ferme, perpétuel, où l’âme trouve par ses lieuses affections le lieu de son repos, comme le corps le trouve dans la terre ; y puise son aliment, comme le corps l’emprunte à la terre ; et c’est le repos et la vie des saints. Or, les hommes doux sont ceux qui cèdent aux injustices, n’opposent point de résistance au mal, mais en triomphent par le bien[7]. Donc que ceux qui sont privés de cette vertu se querellent, qu’ils se disputent lesbiens terrestres et passagers ; mais « bienheureux ceux qui sont doux, parce qu’ils posséderont la terre en héritage » et cet héritage, personne ne les en dépouillera.

5. « Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu’ils seront consolés. » Le deuil est la tristesse causée par la perte des choses que l’on aime. Or ceux qui se convertissent à Dieu, perdent par là même tout ce qu’ils aimaient dans le monde ; car leur jouissance n’est plus où elle était autrefois, et jusqu’à ce que les biens éternels soient l’objet de leur affection, ils éprouvent une certaine tristesse. Ils seront donc consolés parle Saint-Esprit ; appelé pour cela Paraclet, c’est-à-dire Consolateur ; en sorte qu’en perdant les joies du temps ils goûtent celles de l’éternité.

6. « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés. » Le Sauveur désigne ici ceux qui sont épris du bien vrai et immuable. Ils seront donc rassasiés de cette nourriture dont le Seigneur a dit : « Ma nourriture est de faire la volonté de mon Père » en quoi consiste proprement la justice, et de cette eau dont le même Sauveur a dit : « Pour quiconque en boira, elle deviendra en lui une fontaine d’eau jaillissante jusque dans la vie éternelle[8]. »

7. « Bienheureux les miséricordieux, parce qu’ils obtiendront miséricorde. » Il appelle bienheureux ceux qui viennent au secours des malheureux, parce qu’en retour ils seront eux-mêmes délivrés du malheur.

8. « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu. » Qu’ils sont donc insensés ceux qui cherchent Dieu des yeux du corps, quand on le voit des yeux du cœur, ainsi qu’il est écrit : « Cherchez-le dans la simplicité de votre cœur[9] ! » Car un cœur pur n’est autre chose qu’un cœur simple ; et de même que la lumière ne peut être perçue que par des yeux purs, ainsi Dieu ne peut être vu si ce qui peut le voir n’est pur lui-même.

9. « Bienheureux les pacifiques ; parce qu’ils seront appelés enfants de Dieu. » La perfection est dans la paix, qui exclut tout combat ; c’est pourquoi les pacifiques sont appelés enfants de Dieu, parce qu’en eux rien ne résiste à Dieu, et que les enfants doivent ressembler à leur Père. Or ceux-là sont pacifiques en eux-mêmes qui maîtrisent tous les mouvements de leur âme et

  1. Ecc. 1, 44 selon les Septante.
  2. Psa. 148, 3
  3. 1Co. 8, 1
  4. Sir. 1, 16
  5. Ib. 10, 15
  6. Psa. 141, 6
  7. Rom. 12, 21
  8. Jn. 4, 34.14
  9. Sag. 1, 1