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ne diraient cinq heures et un quart, cinq heures et trois quarts, cinq heures et demie ; ces expressions ou autres semblables sont contraires au style de l’Écriture, qui prend toujours la partie pour le tout, spécialement quand il s’agit des divisions du temps. C’est ainsi qu’en saint Luc nous lisons que le Sauveur gravit la montagne environ huit jours après[1], tandis que saint Matthieu et saint Marc nous disent que ce fut six jours après[2]. Remarquons ensuite que saint Jean atténue, autant que possible, son expression : car il ne dit pas : à la sixième heure, mais : « Vers la sixième heure. » S’il n’eût pas mis cette restriction et qu’il se fût contenté de dire : A la sixième heure, nous pourrions conclure, d’après le langage ordinaire de l’Écriture, qu’il a pris le tout pour la partie, en sorte que ce fût après la cinquième heure écoulée et la sixième commencée qu’eut lieu le crucifiement du Seigneur et qu’aussitôt la sixième heure achevée, quand Jésus fut suspendu à la croix ; les ténèbres dont parlent saint Matthieu saint Marc et saint Luc, couvrirent la face de la terre[3].

42. Examinons maintenant pourquoi saint Marc, après avoir raconté le partage des vêtements par la voie du sort, ajoute : « C’était la troisième heure et ils le crucifièrent. » Il venait déjà de dire : « Et ceux qui le crucifiaient partagèrent ses vêtements[4]. » Les autres évangélistes remarquent également que ce fut après le crucifiement que les bourreaux se partagèrent les vêtements. Si donc saint Marc eût voulu préciser l’heure où tout cela se passait, il se serait contenté de dire : « Or il était alors la troisième heure. » Pourquoi ajoute-t-il : « Et ils le crucifièrent ? » Ne voulait-il pas, par une sorte de récapitulation, alors surtout que l’on savait fort bien, dans toute l’Église, à quelle heure Jésus avait été suspendu à la croix, dissiper d’avance jusqu’à l’ombre même de toute erreur et réfuter jusqu’aux plus faibles apparences du mensonge ? A savait que ce ne furent pas les Juifs, mais les soldats qui en réalité suspendirent Jésus-Christ à la croix, comme l’atteste saint Jean ; mais il a voulu prouver que les véritables bourreaux furent plutôt ceux qui demandèrent à grands cris la mort et le crucifiement, que ceux qui par les devoirs de leur état préfèrent leur ministère à cette œuvre coupable. Ce fut donc à la troisième heure que les Juifs demandèrent le crucifiement, et dès ce moment ce crime était moralement accompli ; d’autant plus qu’ils ne voulaient pas paraître tremper eux-mêmes dans cette affaire, et que ce fut dans le but de se justifier de toute apparence de complicité qu’ils remirent le Sauveur entre les mains de Pilate. Saint Jean est formel à ce sujet ; voici ses paroles : « Quelle accusation présentez-vous contre cet homme ? Ils répondirent : Si ce n’était pas un malfaiteur, nous ne te l’aurions pas livré. Pilate leur dit : Prenez-le vous-mêmes et jugez-le selon votre loi. Les Juifs répliquèrent : il ne nous est permis d’ôter la vie à une personne[5]. » Le crime qu’ils ne voulaient pas paraître avoir commis eux-mêmes, saint Marc nous dit qu’ils l’avaient commis dès la troisième heure ; et, en effet, c’est justice de dire que le véritable meurtrier du Sauveur ce fut la langue des Juifs et non la main des soldats.

43. Maintenant dira-t-on que ce ne fut pas à la troisième heure que les Juifs commencèrent à vociférer leurs cris de mort ? Ce serait pousser la haine contre l’Évangile jusqu’à la folie, à moins qu’on puisse découvrir une autre solution. Car on n’est pas en mesure de prouver qu’il n’était pas alors la troisième heure ; d’où il suit qu’il est plus sage de croire à la parole véridique d’un évangéliste qu’aux interprétations contentieuses des hommes. Comment me prouver, dis-tu, qu’on était à la troisième heure ? Je réponds : c’est parce que je crois à la parole des évangélistes ; si lu y crois aussi, montre-moi qu’il a pu se faire que le Sauveur fut crucifié à la sixième et à la troisième heure. Quant à la sixième, saint Jean ne nous laisse pas l’ombre d’un doute à ce sujet ; quant à la troisième, elle est fixée par saint Marc. Si tu acceptes ces deux témoignages, montre-moi comment ils peuvent être vrais l’un et l’autre, et alors je me renferme dans un heureux silence. Ce que j’aime, en effet, ce n’est pas mon opinion, mais la véracité de l’Évangile. Je souhaite, du resté, que l’on trouve plusieurs solutions à cette question ; mais, jusqu’à ce qu’elles soient découvertes, sache te contenter avec moi de celle que je te présente. À défaut d’autres, elle suffit abondamment ; nous choisirons quand nous en aurons trouvé plusieurs, seulement ne, conclus pas qu’aucun des quatre évangélistes puisse être convaincu de mensonge, ou même d’erreur ; il jouit d’une autorité trop sainte et trop élevée.

  1. Luc. 9, 28
  2. Mat. 17, 1 ; Mrc. 9, 1
  3. Mat. 27, 45 ; Mrc. 15, 33 ; Luc. 23, 44
  4. Mrc. 15, 24
  5. Jn. 18, 29-31