Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome V.djvu/187

Cette page n’a pas encore été corrigée

par la renommée, le jetaient dans le trouble, et lui donnaient lieu de se demander quel pouvait être celui dont il apprenait de si grandes merveilles, après avoir fait couper la tête à Jean-Baptiste. Mais après avoir parlé du martyre de Jean, saint Marc rapporte que les disciples envoyés par Jésus revinrent près de lui, et lui rendirent compte de ce qu’ils avaient fait et enseigné ; qu’ensuite, et lui seul parle de ceci, Jésus leur dit de se reposer un peu à l’écart ; qu’il monta sur. une barque et se rendit avec eux dans un autre lieu ; qu’une foule nombreuse informée de leur départ s’y trouvait déjà quand ils arrivèrent ; que le Sauveur ayant pitié de cette foule, l’enseigna longuement et que, l’heure étant déjà bien avancée, il nourrit tous ceux qui étaient là avec cinq pains et deux poissons[1]. Les quatre évangélistes ont tous rapporté ce miracle. Saint Luc même, après avoir plus haut, et à l’occasion dont nous avons parlé, raconté ce qui regarde l’emprisonnement de Jean-Baptiste[2] ; joint ici d’une manière immédiate à ce qu’il vient de dire de l’hésitation d’Hérode touchant la personne du Seigneur, les faits relatés par saint Marc ; savoir, que les Apôtres revinrent près de Jésus, lui rendirent compte de ce qu’ils avaient fait, et que, les prenant avec lui, le Sauveur se retira à l’écart dans un lieu désert ; qu’il y vit arriver une foule considérable, à qui il parla du royaume de Dieu et dont il guérit les malades. C’est après cela qu’il raconte aussi le miracle des cinq pains opéré vers le déclin du jour[3].

94. Quant à saint Jean, qui diffère beaucoup des trois autres, en ce qu’il s’arrête plus aux discours qu’aux actions merveilleuses de Notre-Seigneur, il dit d’abord que Jésus quittant la terre de Juda prit de nouveau le chemin de la Galilée, ce qui doit s’entendre du voyage qu’y fit Jésus, au rapport des trois autres évangélistes, lorsque Jean eut été mis en prison ; après avoir rappelé cela, il rapporte ce que dit le Seigneur en traversant le pays de Samarie et en rencontrant la Samaritaine près du puits de Jacob ; il ajoute qu’au bout de deux jours le Sauveur se remit en marche pour venir en Galilée ; qu’il se rendit à Cana où précédemment il avait changé l’eau en vin, et qu’il guérit alors le fils d’un officier[4]. Il ne parle pas des autres actions ni des autres discours que les autres évangélistes attribuent à Jésus pendant son séjour en Galilée : mais, ce que n’a relevé aucun d’eux, il dit que le jour de la grande fête des Juifs il se rendit à Jérusalem, et y guérit miraculeusement cet homme qui, depuis trente-huit ans malade, n’avait personne pour le descendre dans la piscine où trouvaient leur guérison ceux qui souffraient de quelque infirmité. Il rappelle ensuite un long discours de Jésus-Christ à cette occasion ; puis il nous le montre passant à l’autre bord de la mer de Galilée, c’est-à-dire du lac de Tibériade, et suivi d’une grande multitude ; allant ensuite sur une montagne et s’y reposant avec ses disciples ; c’était aux approches de la fête de Pâque pour les Juifs, et c’est alors qu’ayant levé les yeux et voyant une foule très-considérable, il la nourrit avec cinq pains et deux poissons[5], ce que rapportent également les autres évangélistes. Il a donc omis sûrement les faits qui conduisent ceux-ci au récit du miracle dont nous parlons. Mais ces derniers ayant de même gardé le silence sur des choses relatées par lui, on voit que tous sont arrivés au récit de ce miracle comme par des chemins différents ; eux en marchant à-peu-près du même pas, et lui en volant en quelque sorte à la poursuite de ce qu’il y avait de plus relevé dans les discours du Seigneur, et en redisant ce qu’ils omettent, il s’est rencontré avec eux pour retracer la multiplication des cinq pains et pour reprendre bientôt son essor vers des régions supérieures.

CHAPITRE XLVI. ENCORE DU MIRACLE DES CINQ PAINS.

95. Saint Matthieu, poursuivant son récit, arrive ainsi au fait même de ce miracle. « Or le soir étant venu, les disciples s’approchèrent de Jésus et lui dirent : Ce lieu-ci est désert et il est déjà bien tard ; renvoyez-le peuple, afin que tous aillent dans les villages acheter de quoi manger. Mais Jésus leur dit : Il n’est pas nécessaire qu’ils y aillent ; donnez-leur vous-mêmes à manger », et le reste, jusqu’à l’endroit où nous lisons : « Le nombre de ceux qui mangèrent fut de cinq mille hommes, sans compter les femmes et les petits enfants[6]. » Arrêtons-nous donc à bien examiner ce fait que nous trouvons dans les quatre récits[7], et où on prétend voir entre eux quelque opposition ; et faisons remarquer, afin qu’on s’en souvienne pour tout

  1. Mrc. 6, 30-44
  2. Luc. 3, 20
  3. Ib, 9, 10-17
  4. Jn. 4, 3,5,43-54
  5. Jn. 5-6, 13
  6. Mat. 14, 15-21
  7. Mrc. 6, 34-44 ; Luc. 9, 12-17