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Et il leur dit beaucoup de choses en paraboles, leur parlant de cette sorte : » et le reste, jusqu’à l’endroit où nous lisons : « Tout docteur bien instruit de ce qui regarde le royaume des cieux, est semblable à un père de famille qui tire de son trésor des choses nouvelles et des choses anciennes[1]. » Le texte de saint Matthieu insinue que ceci arriva aussitôt après ce qui vient d’être rapporté de la mère et des frères de Jésus, et que l’ordre du récit ne diffère pas de celui des faits : « En ce jour-là, dit en effet l’Évangéliste pour passer d’un objet à l’autre, Jésus étant sorti de la maison, vint s’asseoir près de la mer, et une foule nombreuse se réunit autour de lui. » Qu’est-ce à dire : « En ce jour-là ? » À moins que jour ne signifie ici temps, comme dans plusieurs passages des livres saints, l’expression indique assez clairement ou qu’il s’agit d’un fait qui suivit d’une manière immédiate, ou qu’il ne se fit pas grand-chose dans l’intervalle. Du reste saint Marc suit le même ordre[2]. Si saint Luc, après avoir raconté ce qui regarde la mère et les frères de Jésus, rapporte autre chose, la transition qu’il emploie n’a rien d’opposé à l’enchaînement indiqué par saint Matthieu[3]. Ainsi donc, il n’y a pas l’ombre de contradiction ni dans les paroles que les trois évangélistes prêtent à Jésus-Christ ni, bien moins encore, dans ce que saint Matthieu seul lui attribue. Je ne vois pas non plus que, pour l’ordre même, un évangéliste soit en opposition avec un autre, quoiqu’il présente les choses un peu différemment, suivant en partie la suite des faits, en partie aussi la suite de ses souvenirs.

CHAPITRE XLII. JÉSUS DANS SA PATRIE.

89. On lit ensuite dans saint Matthieu : « Après que Jésus eut achevé ces paraboles, il partit de là, et, venant en son pays, il les instruisait dans leurs synagogues », et le reste, jusqu’à cet endroit : « Or il ne fit que peu de miracles parmi eux à cause de leur incrédulité[4]. » Le texte n’oblige pas de regarder ce fait comme ayant eu lieu immédiatement après les paraboles qui précèdent. D’ailleurs saint Marc en relate un autre et le même que saint Luc, à la suite de ces paraboles, et sa transition même porte à croire qu’aux paraboles a succédé d’une manière immédiate non pas ce qui vient dans le récit de saint Matthieu, mais ce que disent saint Marc et saint Luc, de la barque sur laquelle dormait Jésus et du miracle de l’expulsion des démons au pays des Géraséniens[5] ; deux faits que saint Matthieu a exposés plus haut quand le souvenir lui en est revenu[6]. Voyons donc si pour ce que dit le Seigneur, et pour ce qui fut dit dans sa patrie, saint Matthieu est d’accord avec saint Marc et saint Luc. Car pour saint Jean, c’est dans des circonstances bien différentes[7] qu’il place des traits analogues à ceux que rappellent ici les trois autres évangélistes.

90. Or, le récit de saint Marc est ici presque absolument le même que celui de saint Matthieu. Toute la différence, c’est que Jésus y est appelé charpentier et fils de Marie par ses compatriotes[8]; tandis que selon saint Matthieu on l’appelait le fils du charpentier. Mais cela ne doit pas nous surprendre. Il put à la fois être appelé charpentier et le fils du charpentier ; puisque s’ils le croyaient charpentier, c’est qu’ils le regardaient comme le fils d’un charpentier. Mais saint Luc expose le même fait avec beaucoup plus de détails ; et nous le trouvons dans son récit un peu après ce qui regarde le baptême et la tentation du Seigneur ; et sans aucun doute il relate d’avance ce qui arriva plus tard, à la suite de beaucoup d’autres choses. Ceci nous donne lieu de faire une remarque très-importante pour cette grande question de l’accord des Évangélistes, que nous avons entrepris de résoudre avec l’aide de Dieu : C’est que ce n’est pas pour avoir ignoré ni les faits ni leur enchaînement naturel qu’ils en ont omis quelques-uns ou qu’ils ont suivi de préférence l’ordre de leurs souvenirs. Cette remarque est justifiée avec éclat par le texte de saint Luc ; car sans avoir fait nulle mention des miracles de Jésus à Capharnaüm, il rapporte, ce que nous examinons maintenant, comment les compatriotes du Sauveur admiraient sa vertu merveilleuse et méprisaient la bassesse de sa naissance. D’après lui en effet Jésus leur parlait ainsi : « Vous me direz, sans doute : Médecin, guéris-toi toi-même ; ces grandes choses faites à Capharnaüm et dont le bruit est arrivé jusqu’à nous, fais-les ici encore, dans ta patrie », et cependant le même saint Luc n’a jusque-là rien raconté des prodiges opérés à Capharnaüm. Comme le passage n’est pas long, mais très-facile à comprendre.

  1. Mat. 13, 1-52
  2. Mrc. 4, 1-34
  3. Luc. 8, 22
  4. Mat. 13, 53-58
  5. Mrc. 4, 35 ; 5, 17 ; Luc. 8, 22-37
  6. Mat. 8, 23-34
  7. Jn. 6, 42
  8. Mrc. 6, 1-6