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a donné le trône où il doit régner toujours[1] : c’est ainsi qu’il est le médiateur de Dieu et des hommes pour intercéder en notre faveur[2]. Nous ne voyons personne qui ait 'suivi saint Luc en qualité d’abréviateur, comme saint Marc a suivi saint Matthieu. Et ce n’est peut-être point sans quelque mystère. La dignité royale, en effet, réclame l’honneur d’un cortège ; aussi celui qui s’était appliqué à mettre en relief la royauté de Jésus-Christ a-t-il vu quelqu’un se joindre à lui pour l’accompagner et le suivre pas à pas dans son discours. Au contraire, le grand-prêtre entrait seul dans le saint des saints ; c’est pourquoi l’Évangéliste saint Luc, dont le but était de faire connaître le sacerdoce de Jésus-Christ, n’a eu personne à sa suite pour reprendre en quelque manière et abréger sa narration.

CHAPITRE IV. DIVINITÉ DE JÉSUS-CHRIST.

7. Cependant les trois évangélistes dont nous venons de parler se sont arrêtés, pour ainsi dire, aux faits transitoires que présente le côté sensible et humain de la vie de Jésus-Christ. Mais saint Jean a surtout considéré dans Notre-Seigneur la divinité qui le rend semblable au Père ; et en écrivant son Évangile c’est ce qu’il a voulu principalement faire ressortir dans la mesure qu’il a jugée suffisante pour des hommes. Ainsi, il s’élève bien au-dessus des trois autres : on croit voir ces derniers suivre sur la terre Jésus-Christ comme homme, et saint Jean franchir l’enveloppe nébuleuse qui recouvre toute la terre et arriver au ciel pur, où le regard de son esprit plein d’assurance et de subtilité va découvrir en Dieu même le secret de l’éternelle génération du Verbe par qui toutes choses ont reçu l’être ; là il apprend que le Verbe s’est fait chair pour habiter parmi nous[3]; en ce sens que le Fils de Dieu s’est uni la nature humaine et non qu’il s’est changé en elle : car si le Verbe avait pris la chair sans garder immuable sa divinité, il ne dirait pas : « Moi et mon Père nous sommes un[4] », puisque le Père et la chair ne peuvent pas être une même nature. Seul l’Apôtre saint Jean a rapporté ce témoignage que Notre-Seigneur rend de lui-même. Seul encore il a reproduit ces autres paroles du divin maître : « Qui m’a vu, a vu mon Père[5] ; » et celles-ci : « Afin qu’ils soient un comme nous sommes un[6] ; » et celles-ci encore : « Toutes les choses que fait le Père, le Fils les fait semblablement[7]. » Enfin tous les passages qui révèlent aux intelligences droites la divinité qui rend Jésus-Christ est égal au Père, seul pour ainsi dire, saint Jean les a présentés, dans son Évangile. On dirait qu’en reposant sur la poitrine du Seigneur, comme il avait coutume de le faire quand il mangeait avec lui[8], il a puisé plus abondamment et plus familièrement à cette source le secret de l’essence divine de son auguste maître.

CHAPITRE V. LA CONTEMPLATION ET L’ACTION. – SAINT JEAN ET LES AUTRES ÉVANGÉLISTES.

8. Il y a deux vertus proposées à l’âme humaine : la vertu active et la vertu contemplative. Avec l’une on marche, avec l’autre on atteint le but : avec l’une on travaille à purifier le cœur et à se rendre capable de voir Dieu, avec l’autre on goûte en liberté la vue de Dieu. L’une a pour objet les préceptes qui règlent la conduite de cette vie passagère, et l’autre la science de la vie éternelle. Ainsi l’une opère, l’autre se repose ; car l’expiation des péchés est le propre de la vertu active, et la lumière d’une conscience pure celui de la vertu contemplative. Ainsi durant les jours de notre mortalité celle-là consiste dans les œuvres d’une bonne vie, celle-ci plus particulièrement dans la foi ; et à l’égard d’un bien petit nombre c’est la vue en énigme et comme en un miroir, c’est la vision en partie de l’immuable et éternelle vérité[9]. On trouve ces deux vertus figurées dans les deux épouses de Jacob, Lia et Rachel. J’en ai discouru suivant le cadre que je m’étais tracé, et autant qu’il m’a paru nécessaire, dans mon ouvrage contre Fauste le Manichéen[10]. Lia est un terme hébreu dont le sens présente l’idée de travail, et Rachel est un mot qui signifie vue du principe. » De là on peut comprendre avec un examen attentif, que les trois premiers Évangélistes, en s’attachant à retracer les faits temporels de la vie de Notre-Seigneur et de celles de ses paroles dont le but spécial est de former les mœurs et de régler la conduite dans le siècle présent, ont surtout relevé par leurs discours la vertu active ; tandis que saint Jean, qui ne raconte pas, à beaucoup près, en si

  1. Luc. 1, 32-33
  2. 1Ti. 2, 5
  3. Jn. 1, 1,3-14
  4. Id. 10, 30
  5. Id. 14, 9-10
  6. Jn. 18, 22
  7. Id. 5, 19
  8. Id. 13, 23
  9. 1Co. 13, 12
  10. Liv. 22, 62