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ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez[1] ». Après nous avoir donné tous ces avis, comme nous pouvons soupçonner de pareilles intentions chez ceux dont nous voyons les œuvres de justice sans voir leurs desseins, le Sauveur ajoute : « Ne jugez point, de peur d’être jugés[2] ». C’est pourquoi, après avoir dit : « Éloignez de moi l’opprobre que je soupçonne », le Prophète ajoute : « Parce que vos jugements sont pleins de douceur » ; c’est-à-dire, parce que vos jugements sont vrais. Quiconque aime la vérité, proclame la douceur de ce qui est vrai. Quant aux jugements des hommes sur les secrets des cœurs, ils ne sont point doux à cause de leur témérité. Il appelle donc son opprobre celui qu’il soupçonne dans les autres ; car l’Apôtre l’a dit : « En se comparant eux-mêmes à eux-mêmes[3] », ils se jettent dans l’erreur, et l’homme en effet soupçonne facilement chez les autres ce qu’il sent en lui. C’est pourquoi le Prophète supplie le Seigneur d’éloigner de lui cet opprobre qu’il sentait en lui-même et qu’il soupçonnait chez les autres, afin de ne point ressembler au diable qui avait soupçonné les motifs cachés du saint homme Job. Il ne croyait point que Job servît Dieu gratuitement, et demanda le pouvoir de le tenter, afin de trouver en lui la faute qu’il lui reprochait[4].
5. Mais, il n’y a que l’envie qui soupçonne le mal chez les autres ; dans son impuissance à dénigrer une bonne action, car ce qui est extérieur s’affirme de soi-même, elle s’en prend à l’intention qui est secrète, et ne s’affirme point ; quiconque dès lors peut la soupçonner mauvaise, parce qu’il ne voit pas ce qui se dérobe, et qu’il porte envie à ce qui est évident. À cette inclination perverse, qui nous porte à soupçonner chez les autres un mal que nous ne voyons point, il faut opposer la charité qui n’est point jalouse[5], et que le Seigneur nous recommande si particulièrement quand il dit : « Je vous donne un commandement nouveau, c’est de vous aimer les uns les autres[6] » ; et encore : « Tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres ». Et au sujet de l’amour de Dieu et du prochain, « toute la loi », nous dit-il, « est renfermée dans ces deux commandements, ainsi que les Prophètes[7] ». Aussi le Prophète, contrairement à ce soupçon, dont il veut être délivré, dit-il à Dieu : « Voilà que j’ai désiré vos commandements, vivifiez-moi dans votre justice[8] ». Voilà que j’ai désiré de vous aimer de tout mon cœur, de toute mon âme, de tout mon esprit, et mon prochain comme moi-même ; « vivifiez-moi dans votre justice », et non dans la mienne, ou plutôt comblez-moi de celte charité que j’ai désirée. Soutenez-moi dans l’accomplissement de ce que vous recommandez, donnez-moi vous-même ce que vous m’ordonnez. « Vivifiez-moi dans votre justice » ; car j’ai en moi de quoi mourir, mais ce n’est qu’en vous que je trouve de quoi vivre. « Votre justice, c’est le Christ qui nous a été donné par Dieu comme notre sagesse, notre justice, notre sanctification et notre rédemption ; afin que, selon qu’il est écrit, celui qui se glorifie ne se glorifie que dans le Seigneur[9] ». C’est en lui que je trouve votre loi que je désire, afin que vous me donniez la vie dans votre justice, ou plutôt en lui-même. Car c’est lui qui est le Verbe Dieu, et le Verbe s’est fait chair, afin d’être aussi mon prochain[10].

  1. Mt. 6,25
  2. Id. 7,1
  3. 2 Cor. 10,12
  4. Job. 1,9-11
  5. 1 Cor. 13,4
  6. Jn. 13,31-35
  7. Mt. 12,40
  8. Ps. 118,40
  9. 1 Cor. 1,30-31
  10. Jn. 1,40