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5. Il nous engage ainsi à examiner si les humbles du ciel sont les humbles de la terre, ou bien s’il y a humilité dans le ciel et humilité sur la terre, pour fixer les regards du Seigneur notre Dieu. Si ces humbles sont les mêmes, je vois comment je dois les entendre d’après ces paroles de saint Paul : « Quoique nous vivions dans la chair, nous ne combattons pas selon la chair ; les armes de notre milice ne sont point charnelles, mais puissantes en Dieu[1] ». D’où leur vient la puissance, sinon de ce qu’elles sont spirituelles ? Dès lors que saint Paul, tout en vivant dans sa chair, combat d’une manière spirituelle, ne nous étonnons pas que Dieu regarde son humilité, et dans le ciel à cause de la liberté de son esprit, et sur la terre à cause de sa servitude corporelle. Car le même Apôtre dit ailleurs : « Notre conversation est dans le ciel[2] » ; lui qui dit encore : « Il me serait très avantageux d’être délié pour être avec le Christ, mais il est nécessaire pour vous que je demeure en la chair[3] ». Quiconque dès lors comprend et que la conversation de l’Apôtre soit dans le ciel, et qu’il demeure néanmoins ici-bas, doit comprendre aussi que Dieu habitant dans les saints les plus élevés, voit dans ces mêmes saints des esprits qui s’humilient devant lui, et dans le ciel, puisque, ressuscités par l’espérance en Jésus-Christ[4], ils goûtent les choses du ciel ; et sur la terre, puisqu’ils ne sont pas délivrés des liens de la chair, et ne peuvent être complètement à Jésus-Christ. Mais si le Seigneur notre Dieu voit une autre humilité dans le ciel, et une autre humilité sur la terre, je crois alors qu’il voit dans le ciel ceux qu’il a appelés, et en qui il habite, et sur la terre ceux qu’il appelle afin d’habiter en eux. Il possède les premiers tout absorbés dans les biens célestes, et il stimule les seconds qui rêvent encore les biens de la terre.
6. Mais comme il est difficile que l’on puisse appeler humbles ceux qui n’ont point encore pieusement courbé leurs épaules sous le joug suave du Seigneur, et que dans tout le psaume les saintes lettres nous avertissent d’appliquer aux saints cette expression d’humbles, on pourrait donner un autre sens que votre charité voudra bien examiner avec moi. Il me semble que les cieux signifient ici ceux qui seront assis sur des trônes pour juger avec le Seigneur[5], et que le nom de terre désigne ce grand nombre d’élus qui seront à droite, et applaudis à cause de leurs œuvres de charité, et reçus dans les tabernacles éternels par les amis qu’ils se sont faits eu cette vie mortelle, avec la monnaie de l’iniquité[6]. C’est à eux que l’Apôtre a dit : « Si nous avons semé parmi vous des biens spirituels, est-ce donc beaucoup de recueillir de vos biens terrestres[7] ? » Dieu donc regarde dans le ciel ceux qui sèment des biens spirituels, et sur la terre ceux qui rétribuent avec les biens du temps ; mais c’est l’humilité chez les uns, et l’humilité chez les autres. « Dans le ciel et sur la terre il regarde les humbles » car les uns et les autres ont compris ce qu’ils étaient par leur propre malice, et ce que Dieu les a faits par sa grâce. Car ce n’est pas seulement aux fidèles que le vase d’élection a dit : « Vous étiez autrefois ténèbres, maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur[8] » ; et encore : « C’est la grâce qui vous a sauvés par la foi, et cela ne vient pas de vous, c’est un don de Dieu, et qui ne vient pas des œuvres, afin que nul ne se glorifie » ; puis, s’unissant lui-même au commun des fidèles, il ajoute : « Nous sommes l’ouvrage de Dieu, créés dans les bonnes œuvres ». Il dit encore de lui en particulier, comme des autres que Dieu regarde du haut du ciel : « Nous étions, nous aussi, par nature enfants de colère comme les autres[9] ». Et ensuite : « Nous aussi, en effet, nous étions insensés et incrédules, égarés, asservis à toutes sortes de passions et de voluptés, agissant avec malignité et envie, digues d’être haïs et nous haïssant les uns les autres. Mais depuis que la bénignité et la tendresse de Dieu notre Sauveur a paru, il nous a sauvés, non à cause des œuvres de justice que nous avons faites, mais par sa miséricorde, en nous faisant renaître, par le baptême[10] ». Voilà ces actes d’humilité que Dieu voit du haut du ciel. Tels sont les hommes spirituels qui jugent de toutes choses[11], mais humbles toutefois, de peur que Dieu ne les abaisse et ne les juge. Et en parlant particulièrement de lui-même, l’Apôtre ne tient-il pas le même langage ? « Je ne suis pas digne d’être appelé apôtre, nous dit-il, parce que j’ai persécuté l’Église de Dieu[12] ;

  1. 2 Cor. 10,3-4
  2. Phil. 3,20
  3. Id. 1,23-24
  4. Col. 3,1
  5. Mt. 19,28
  6. Lc. 16,9
  7. 1 Cor. 9,11
  8. Eph. 5,8
  9. Id. 2,3-10
  10. Tit. 3,3-5
  11. 1 Cor. 2,19
  12. 1 Cor. 15,9