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qui les a aimés jusqu’à répandre son sang pour eux, sachent comment ils seront flagellés quand ils seront avancés dans la piété. Cherchons un châtiment dans Moïse, et nous ne voyons presque rien dans l’Écriture, sinon qu’à la fin de sa vie Dieu lui dit : « Va sur la montagne, pour y mourir ». Or, il était vieux, quand Dieu lui dit : « Meurs » ; il avait eu de longues années, ne devait-il donc point mourir ? Où est le châtiment ? Prendrez-vous pour châtiment cette parole : « Tu n’entreras pas dans la terre promise[1] », où le peuple devait entrer ? Moïse était en cela une figure de plusieurs. Pour celui qui entrait dans le royaume des cieux, était-ce une grande peine de n’entrer point dans cette terre, promise pour un temps, ombre de l’avenir qui devait passer à son tour ? Beaucoup d’infidèles ne furent-ils pas admis dans cette terre ? Leur vie n’y fut-elle pas un désordre, un outrage contre Dieu ? Ne s’adonnèrent-ils pas à l’idolâtrie dans cette même terre ? Qu’était-ce pour Moïse de n’y pas entrer ? Moïse voulut être ici la figure de ceux qui étaient sous cette loi. Car ce fut Moïse qui donna la loi[2], et ce fut par là qu’il enseigna qu’ils n’entreraient point dans la terre promise, ces hommes qui s’obstineraient à demeurer sous la loi, refusant d’être sous la grâce. Cette parole donc adressée à Moise était une figure, et non un châtiment. Quelle peine que la moi-t pour un vieillard ? Quelle peine que n’entrer point dans cette terre où entrèrent des indignes ? Qu’est-il dit à propos d’Aaron ? Il mourut chargé d’années, et ses fils lui succédèrent dans le sacerdoce son fils devint grand prêtre après lui[3]. Où est le châtiment d’Aaron ? Samuel mourut aussi après une longue vieillesse, et laissa des enfants tour lui succéder[4]. Je cherche quelle vengeance fut exercée contre eux, et humainement parlant, je n’en trouve point ; mais à en juger sur la connaissance que j’ai de ce qu’endurent les serviteurs de Dieu, le Seigneur les affligeait chaque jour. Lisez ces afflictions, voyez-les, et vous, qui avancez dans la piété, profitez de ces afflictions. Chaque jour ils enduraient les contradictions du peuple, chaque jour encore l’iniquité des méchants ils étaient forcés de vivre avec ceux dont ils reprenaient tes désordres. Telle fut leur peine ; quiconque la trouve légère, n’a fait encore aucun progrès. Car tu souffres les injustices des autres à proportion que tu t’es purifié de la tienne. Quand, en effet, tu seras un bon grain, c’est-à-dire une bonne herbe qui croit d’une bonne semence, un fils du royaume commençant à donner du fruit, alors tu verras l’ivraie : « Quand l’herbe eut poussé et produit son fruit, l’ivraie parut aussi[5] ». À l’apparition de l’ivraie, tu verras que tu vis parmi les méchants. Tu voudrais en quelque sorte éloigner de toi les méchants, et séparer tout méchant de l’Église. Mais voici le Seigneur qui te répond « Laissez grandir l’un et l’autre jusqu’à la moisson, de peur qu’en voulant arracher l’ivraie, vous n’arrachiez aussi le froment[6] ». Ainsi donc, d’après l’arrêt de Dieu, il faut laisser croître l’ivraie, et d’après sa condition, le serviteur doit vivre parmi l’ivraie : tu ne saurais faire une séparation, il faut nécessairement la supporter. Vois combien de plaies dans ton cœur, quand tu es sain de corps au milieu des méchants. Vous me comprendriez quand vous aurez fait des progrès, et vous qui en avez fait vous me comprenez. Ce sont donc des maux qu’il faut tolérer ; et c’est peut-être à cela que l’on doit rapporter cette parole : « Le serviteur qui connaît la volonté de son maître, et qui ne l’exécute point, sera frappé de plusieurs coups[7] ». Bien souvent, en effet, plus nous connaissons la volonté de Dieu, et plus nos fautes nous apparaissent ; et plus ces fautes apparaissent, plus aussi nous nous abandonnons aux pleurs et aux sanglots. Nous comprenons combien il est juste que Dieu nous frappe, et quelle est notre imperfection, et alors s’accomplit en nous cette parole : « Multiplier la science, c’est multiplier la douleur[8] ». Plus tu auras de charité, et plus le péché t’affligera ; plus la charité grandira, plus la malice du méchant te sera à charge : non point à cause de la colère qu’il t’inspirera, mais à cause de ta compassion pour lui.
13. Vois ce que souffrait saint Paul, et ce qu’il souffrait chaque jour. « Outre les occupations extérieures » (il avait énuméré ce qu’il avait souffert, et il passe aux douleurs intérieures, en outre de ce qu’il souffrait au-dehors de la part des méchants qui persécutaient le Christ), « j’ai les assauts de chaque jour, et la sollicitude de toutes les Églises[9] ».

  1. Deut. 32,49-52
  2. Jn. 1,17
  3. Nb. 20,24-28 ; 33,38
  4. 1 Sa. 8,1 ; 25,1
  5. Mt. 13,26
  6. Id. 30
  7. Lc. 12,47-48
  8. Eccl. 1,18
  9. 2 Cor. 11,28