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sur cet instrument. Qu’est-ce que ne point chanter ? Ne point opérer de bonnes œuvres. Cela ne suffit point ; agir avec tristesse n’est point chanter encore. Quand est-ce que l’on chante ? Quand on fait le bien avec allégresse. Car l’allégresse est dans le chant. Que dit en effet l’Apôtre ? « Que Dieu aime celui qui donne avec joie[1] ». Quoi que tu fasses, fais-le avec joie, ton action alors sera bonne et bien faite : une œuvre faite avec tristesse vient de toi ; mais tu ne la fais point ; tu portes le psaltérion plutôt que tu ne chantes. « Sur le psaltérion à dix cordes, avec des chants sur le luth » ; c’est-à-dire, dans tes paroles et dans tes actions. « Avec des chants », c’est la parole ; « sur le luth », c’est l’action. Te contenter du chant, c’est la parole mais sans luth ; agir sans chanter, c’est n’avoir que la guitare. Donc et parle bien, et agis bien, si tu veux avoir des chants avec le luth.
6. « Vous m’avez comblé de joie, Seigneur, à la vue de vos merveilles ; l’œuvre de vos mains m’a fait tressaillir[2] », Vous comprenez ce que dit le Prophète. Si je mène une vie pure, c’est à vous que je le dois, c’est vous qui m’avez formé : si je fais quelque bonne action, l’œuvre de vos mains me fera tressaillir. Ainsi l’a dit l’Apôtre : « Nous sommes son ouvrage, créés dans les bonnes œuvres[3] ». Si Dieu ne te formait au bien, tu ne connaîtrais que le mal dans tes œuvres. « Dire le mensonge, en effet, c’est parler de soi-même[4] ». Ainsi dit l’Évangile. Or, tout péché est un mensonge, car nous appelons mensonge tout ce qui est contre la loi et contre la vérité. Que dit donc l’Évangéliste ? « Quiconque dit le mensonge, dit ce qui lui est propre », c’est-à-dire que le péché est l’œuvre qui vient de nous. Écoutez maintenant le contraire de cette parole. Si l’homme qui dit le mensonge parle de lui-même, il suit de là que celui qui dit la vérité la dit par l’esprit de Dieu. Aussi est-il écrit ailleurs « Dieu seul est véridique, et tout homme est faillible[5] ». Toutefois ce passage ne veut point dire : Va, mens à loisir, parce que tu es un homme ; cela signifie au contraire : Comprends que tu es homme et sujet à l’erreur : pour être véridique, bois la vérité au sein de Dieu, afin de la répandre au-dehors, et d’être véridique toi-même. Comme tu ne saurais avoir la vérité de toi-même, il te faut la boire à sa source. T’éloigner de la lumière, c’est te jeter dans les ténèbres : il en est de même de la pierre qui n’a en elle-même aucune chaleur, qui la tire du soleil ou du feu, et qui se refroidit quand on l’en éloigne ; ce qui prouve qu’elle n’a aucune chaleur naturelle, qu’elle empruntait sa chaleur au soleil ou au feu : de même t’éloigner de Dieu, c’est le froid pour toi, comme t’approcher de Dieu c’est la ferveur : ainsi dit l’Apôtre : « Soyez fervents en esprit[6] ». Que dit-il encore, à propos de la lumière ? Si tu approches de Dieu, tu seras dans la lumière aussi le Psalmiste a-t-il dit : « Approchez de lui, et vous serez dans la lumière, et votre face n’aura point à rougir[7] ». Comme donc tu ne saurais faire aucun bien sans la lumière de Dieu, et la ferveur de l’Esprit-Saint, lorsque ta vie est régulière, bénis le Seigneur, et afin de ne point t’enorgueillir, tiens en toi le langage de l’Apôtre : « Qu’as-tu que tu n’aies reçu ; et si tu as reçu, pourquoi te glorifier comme si tu n’avais point reçu[8] ? » Ainsi donc le Prophète nous apprend à faire au Seigneur une confession digne, quand il nous dit : « Seigneur, vous m’avez rempli de joie dans vos créatures, et l’œuvre de vos mains me fait tressaillir ».
7. Que dire de ceux qui vivent dans l’impiété et qui sont florissants ? Ces pensées troublent l’esprit d’un homme qui perd le repos. Il voit qu’il a passé tous les jours de sa vie dans les bonnes œuvres, et que néanmoins il est dans la misère, qu’il est dans la pauvreté, que peut-être il a faim, il a soif, il est dans la nudité, peut-être en prison, nonobstant le bien qu’il fait, tandis que celui qui l’a condamné à la prison est un homme d’iniquité, et néanmoins dans la joie ; alors dans son cœur se glisse une pensée détestable contre Dieu ; et il dit : O Dieu, à quoi bon vous servir, à quoi bon obéir à vos paroles ? Je n’ai point ravi le bien d’autrui, je n’ai commis ni larcin ni homicide, je n’ai convoité le bien de personne, je n’ai porté aucun faux témoignage, je n’ai outragé ni mon père ni ma mère ; jamais je n’ai adoré les idoles, ni pris en vain le nom du Seigneur, mon Dieu ; je me suis abstenu de tout péché. Il énumère ainsi les dix codes, ou les dix commandements de la loi[9] ; il sonde sa conscience

  1. 2 Cor. 9,7
  2. Ps. 91,5
  3. Eph. 2,10
  4. Jn. 8,4
  5. Rom. 3,4
  6. Rom. 12,11
  7. Ps. 33,5
  8. 1 Cor. 4,7
  9. Exod. 20,1-17