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de ce nom le sein d’Abraham où l’on ignore les tentations, où l’on trouve le repos après toutes les misères de cette vie ? Là aussi règne une lumière vive et propre à ce séjour ; de l’abîme de tourments et de ténèbres où il est plongé, le riche peut la voir malgré un intervalle immense, et reconnaître à sa clarté le pauvre qu’il avait autrefois dédaigné.
66. Si donc on dit ou on croit que les enfers sont situés sous la terre, c’est que l’on y montre en esprit, par des représentations de la réalité, à toutes les âmes qui ont mérité l’enfer, en péchant par amour pour la chair, ce qui d’ordinaire frappe la chair et l’enfonce dans la matière. D’ailleurs le mot enfer dérive en latin de l’adverbe infra (inférieurement). Or, de même que les lois de la pesanteur font tomber les corps d’autant plus bas qu’ils sont plus lourds ; de même au point de vue moral, plus une chose est triste, plus elle est basse. Cela explique pour quoi en grec le mot qui désigne l’enfer vient, diton, de la tristesse qui règne dans ce séjour [1]. Cependant notre Sauveur, après sa mort, n’a pas dédaigné de visiter ces tristes lieux, afin d’en faire sortir ceux qu’il en jugeait dignes dans sa justice souveraine. En disant donc au bon larron : « Tu seras aujourd’hui avec moi dans le Paradis[2] » il ne promet point à son âme l’enfer Où les méchants sont punis, mais le séjour du repos, comme le sein d’Abraham ; d’ailleurs il n’est aucun espace où ne soit le Christ, puisqu’il est la Sagesse qui « atteint « partout à cause de sa pureté[3]; » ou encore le Paradis, soit qu’il se confonde avec le troisième ciel, soit qu’il s’élève au-dessus, dans une région où fut ravi l’Apôtre. Il est aussi possible qu’on ait désigné sous ces noms divers le séjour où résident les âmes des bienheureux.
67. Si donc on entend par le premier ciel, l’espace matériel qui s’étend au-dessus de la terre et des eaux ; par le second, l’image du ciel conçu par l’esprit, tel, par exemple, que celui d’où Pierre vit en extase descendre une nappe chargée d’animaux[4]; par le troisième enfin la région immatérielle où pénètre l’intelligence dégagée de tous liens, de tout commerce avec la chair purifiée de toute souillure, et où il lui est donné de voir et d’entendre, dans une vision ineffable, et dans la charité du Saint-Esprit, l’essence même de Dieu, le Verbe divin par qui tout a été créé, il est permis de croire que c’est là le troisième ciel où fut ravi l’Apôtre[5], le paradis supérieur peut-être et, s’il faut le dire, le Paradis des Paradis. Car, si l’âme juste trouve un motif de joie en voyant le bien dans toute espèce de créature, peut-il y avoir une joie plus haute que celle qui liait à la vue du Verbe, le créateur de l’univers ?

CHAPITRE XXXV. LA RÉSURRECTION EST NÉCESSAIRE POUR ACHEVER LE BONHEUR DES AMES JUSTES.


68. On va peut-être se demander ici quelle nécessité il y a pour les âmes justes de reprendre leurs corps par la résurrection, puisqu’elles n’ont pas besoin du corps pour goûter la félicité souveraine. La question est trop difficile pour que je puisse la traiter ici complètement ; cependant il est incontestable que l’intelligence humaine, soit dans une extase qui l’arrache à ses sens, soit dans la vision que, dégagée de la chair, elle contemple au-dessus de toutes les représentations corporelles, après la mort ; il est incontestable, dis-je, qu’elle est incapable de voir l’essence divine aussi parfaitement que les Anges. Sans exclure une raison plus profonde, je crois qu’elle a un penchant trop naturel pour gouverner le corps. Ce penchant l’arrête en quelque sorte dans son essor, et l’empêche de tendre avec toute son activité au plus haut des cieux, tant qu’elle n’a pas pour enveloppe ce corps qu’elle doit gouverner pour sentir ses inclinations satisfaites. Si le corps était difficile à gouverner, « comme cette chair qui se corrompt et pèse sur l’âme[6] » et qui naît par la propagation du péché, l’âme éprouverait un obstacle plus insurmontable encore à contempler le haut des cieux : il a donc fallu d’abord la soustraire complètement à l’organisme, afin de lui montrer comment elle pourrait s’élever jusqu’à cette vision sublime. Puis, quand le corps sera devenu spirituel, grâce à la résurrection, et que l’âme sera « l’égale des anges » elle aura atteint la perfection à laquelle tend sa nature ; elle pourra tour-à-tour obéir et commander, donner et recevoir la vie, au sein d’un bonheur ineffable qui de son fardeau ici-bas fera un instrument de gloire.

  1. Ades a-dus, sans plaisir
  2. Lc. 22, 43
  3. Sag. 12, 24
  4. Act. 10, 11-12
  5. 2 Cor. 12, 2-4
  6. Sag. 1, 10, 15