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juge pas celui qui mange[1]. » Il aurait gardé alors, entre ceux qui jeûnent et ceux qui mangent le samedi, cette prudente mesure par laquelle on évite les scandales ; il aurait mis son jeûne à l’abri du mépris de celui qui mange, et n’aurait pas jugé celui qui ne fait pas comme lui.

21. « Pierre même, dit-il, le chef des apôtres, le portier du ciel, le fondement de l’Église, après avoir triomphé de Simon (le magicien), image du démon qui n’est vaincu que par le jeûne, enseigna cette doctrine aux Romains, dont la foi est annoncée à toute la terre. » Mais les autres apôtres prêchèrent-ils sur ce point dans tout l’univers contrairement à Pierre ? Pierre et ses condisciples vécurent ensemble en bon accord ; que la bonne harmonie subsiste aussi parmi ceux que Pierre a « plantés » dans la foi et qui jeûnent le samedi, et qu’elle subsiste aussi parmi ceux que ses condisciples ont « plantés, » et qui dînent ce jour-là. C’est en effet l’opinion de plusieurs à Rome, opinion que beaucoup de Romains aussi tiennent pour fausse, que l’apôtre Pierre, devant combattre un dimanche avec Simon (le magicien), jeûna la veille avec toute son Église à cause du danger de cette grande tentation, et qu’après son heureux et glorieux triomphe il maintint cette coutume du jeûne, coutume suivie par quelques Églises d’Occident. Mais si, comme le dit l’auteur, Simon (le magicien) était la figure du diable, ce n’est pas seulement un tentateur du samedi ou du dimanche, mais un tentateur de tous les jours ; et cependant on ne s’arme pas du jeûne contre lui chaque jour, puisqu’on ne l’observe jamais le dimanche ni durant les cinquante jours qui suivent Pâques, ni, en divers pays, les jours solennels consacrés aux martyrs et toutes les autres fêtes : le démon toutefois est vaincu, pourvu que nos yeux se tournent vers le Seigneur et que nous le conjurions de délivrer lui-même « nos pieds du piège qui les menace[2] ; » pourvu aussi que nous rapportions le manger et le boire, enfin toutes nos actions à la gloire de Dieu, et que « nous ne donnions occasion de scandale ni aux Juifs, ni aux Gentils, ni à l’Église de Dieu[3]. » C’est à quoi songent peu ceux dont le manger ou le jeûne sont des occasions de scandale, et qui, par leur intempérance, quelle qu’elle soit, préparent des joies au démon et non pas des défaites.

22. Si on répond que le jeûne du samedi, enseigné à Rome par Pierre, l’a été à Jérusalem par Jacques, à Ephèse par Jean, et en d’autres lieux par d’autres apôtres, mais que cette pratique délaissée en d’autres contrées, ne s’est maintenue qu’à Rome ; et si l’on réplique, au contraire, que quelques pays de l’Occident, où se trouve Rome, n’ont point conservé la tradition des apôtres quant au jeûne, et que cette tradition s’est conservée fidèlement en Orient, d’où l’on a commencé à prêcher l’Évangile, nous tombons dans une querelle interminable qui engendre des disputes loin de mettre un terme aux questions. Que la foi de l’Église universelle garde donc l’unité qu’elle a dans ses membres, lors même qu’il s’y mêlerait diverses pratiques qui n’atteignent en aucune manière la vérité de la foi ; car « toute la beauté de la fille du roi est au dedans[4] ; » la variété de sa robe représente la diversité des usages de l’Église ; aussi il est écrit que cette fille du roi est « vêtue de couleurs diverses avec des franges d’or. » Mais il ne faut pas que ces variétés de la robe dégénèrent en querelles qui la déchirent.

23. « Enfin, dit le dissertateur, si le juif, en observant le samedi, repousse le dimanche, comment un chrétien observera-t-il le samedi ? Ou bien soyons chrétiens, et célébrons le dimanche ; ou bien soyons juifs, et « observons le samedi, car nul ne peut servir deux maîtres[5]. » À l’entendre parler, ne croirait-on pas qu’il y a un Seigneur pour le samedi et un autre Seigneur pour le dimanche ? Il ne prend pas garde à ce qu’il a rappelé lui-même : « Le Fils de l’homme est le maître du sabbat[6]. » En voulant que nous soyons aussi étrangers au samedi que les juifs le sont au dimanche, n’est-ce pas comme s’il disait que nous ne devons pas recevoir la loi et les prophètes, parce que les juifs ne reçoivent pas l’Évangile ni les apôtres ? Vous comprenez que penser ainsi c’est mal penser. « Mais, dit l’auteur avec l’Apôtre, toutes les choses anciennes ont passé et se sont renouvelées dans le Christ[7]. » Cela est vrai. C’est pourquoi nous ne cessons pas – le travail le samedi comme les juifs, quoique, en mémoire même du repos de ce jour, nous relâchions les liens du jeûne, tout en conservant la sobriété et la tempérance chrétiennes. Et si quelques-uns de nos frères ne croient pas que le repos du samedi doive

  1. Rom. XIV, 3
  2. Psa. XXIV, 15
  3. I Cor. X, 32
  4. Psa. XLIV, 1-4
  5. Mat. VI, 24
  6. Luc, VI, 5
  7. II Cor. V, 17