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coutume, nous avons alors à nous réjouir du salut de plusieurs, comme je l’ai dit ; ils bénissent Dieu avec nous et lui rendent grâce d’avoir ainsi guéri les malades et ranimé les faibles, au moyen des rois de la terre qui, selon les divines promesses, devaient servir le Christ.

4. Tous ceux qui nous épargnent ne sont pas nos amis, ni tous ceux qui nous frappent, nos ennemis. Les blessures d’un ami sont meilleures que les baisers d’un ennemi[1]. Mieux vaut aimer avec sévérité que tromper avec douceur. Il est plus utile à celui qui a faim de lui ôter le pain si, tranquille sur sa nourriture, il néglige la justice, que de le lui rompre pour le séduire et le déterminer à l’iniquité. Celui qui lie un frénétique et qui secoue un léthargique, les tourmente tous les deux, mais il les aime tous les deux. Qui peut plus nous aimer que Dieu ? Et cependant il ne cesse de mêler à la douceur de ses instructions la terreur de ses menaces. Les adoucissements par lesquels il nous console sont souvent accompagnés du cuisant remède de la tribulation ; il éprouve par la faim les patriarches même pieux et religieux[2] ; il poursuit par de sévères châtiments la rébellion de son peuple et ne délivre pas l’Apôtre de l’aiguillon de la chair, malgré sa prière trois fois renouvelée, pour achever la vertu dans la faiblesse[3]. Aimons nos ennemis, parce que cela est juste ; Dieu l’a ordonné pour que nous soyons les enfants de notre Père qui est aux cieux, qui fait luire son soleil sur les bons et les méchants, et fait pleuvoir sur les justes et les injustes[4]. Mais tout en le louant de ces dons, songeons aux épreuves qu’il n’épargne pas à ceux qu’il aime.

5. Vous pensez que nul ne doit être forcé à la justice, et vous lisez pourtant que le père de famille a dit à ses serviteurs : « Forcez d’entrer tous ceux que vous trouverez[5] ; » vous lisez que Saul, appelé depuis Paul, fut poussé à la connaissance et à la possession de la vérité par une grande violence du Christ a croyez-vous par hasard que l’argent ou tout autre bien de ce monde soit plus cher aux hommes que cette lumière du jour que nous recevons par les yeux ? Renversé par une voix du ciel[6], il ne recouvra point cette lumière tout à coup perdue, si ce n’est quand il fut incorporé à la sainte Église. Et vous croyez qu’il ne faut user d’aucune violence envers l’homme pour le tirer du mal de l’erreur, quand vous voyez Dieu même, qui nous aime plus utilement que personne, autoriser cette violence par des exemples certains, et que vous entendez le Christ nous dire : « Personne ne vient à moi si le Père ne l’attire[7] ! » Cela se fait dans le cœur de tous ceux qui se convertissent à Dieu par la crainte de la divine colère. Ne savez-vous pas que parfois le voleur répand de l’herbe pour attirer le troupeau hors du bercail, et que parfois le berger ramène avec le fouet les brebis errantes ?

6. Est-ce que Sara, par le pouvoir qui lui en avait été donné, ne maltraitait pas une servante rebelle ? Sa générosité avait permis qu’Agar devînt mère, et elle ne la haïssait point ; mais Sara domptait salutairement en elle l’orgueil[8]. Vous n’ignorez pas que ces deux femmes, Sara et Agar, et que leurs deux fils, Isaac et Ismaël, représentent les spirituels et les charnels. Quoique nous lisions que la servante et son fils eurent gravement à souffrir de la part de Sara, cependant l’apôtre Paul nous dit qu’Isaac fut persécuté par Ismaël ; « mais, ajoute-t-il, de même qu’alors celui qui était selon la chair, persécutait celui qui était selon l’esprit, ainsi arrive-t-il maintenant[9] ; » il montre à ceux qui peuvent le comprendre que l’Église catholique, par l’orgueil et l’impiété des charnels, souffre bien plus la persécution que ceux dont elle s’efforce de procurer la conversion par les craintes et les peines temporelles. Tout ce que fait donc la vraie et légitime mère, quelque âpreté, quelque amertume qu’on y trouve, ce n’est pas le mal rendu pour le mal ; c’est le bien de la règle appliqué contre le mal de l’iniquité, non avec de nuisibles sentiments de haine, mais avec les salutaires inspirations de l’amour. Quand les bons et les mauvais font et souffrent les mêmes choses, ce ne sont pas les actions et les souffrances, mais les causes mêmes qui établissent la différence entre eux. Pharaon écrasait le peuple de Dieu par de durs travaux ; Moïse infligeait au même peuple, coupable d’impiété, de durs châtiments[10]  ; ils firent les mêmes choses, mais non dans un même but ; l’un était enflé d’orgueil, l’autre enflammé d’amour. Jézabel tua les prophètes, Élie

  1. Prov. XXVII, 6.
  2. Gen. XII, 26 ; XLII ; XLIII.
  3. II Cor. XII, 7-9.
  4. Matth. V, 45.
  5. Luc, XIV, 23.
  6. Act. IX, 3-7.
  7. Jean, VI, 44.
  8. Gen. XVI, 5.
  9. Gal. IV, 29.
  10. Exod. V, 9 ; XXXII, 27