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traitement égal. Et maintenant si vous désirez que son nom ne soit plus lu avec les noms de ses collègues, afin de ne pas donner des prétextes, selon les paroles de l’Apôtre, aux gens qui en cherchent[1] et qui ne veulent pas entrer au sein de l’Église, ce ne sera pas mon fait, mais le fait de ceux pour qui on prendra cette mesure. Que perdra l’homme que l’ignorance humaine supprimera de ces tablettes, si une conscience mauvaise ne l’efface pas du livre des vivants ?

5. C’est pourquoi, mes frères, vous qui craignez Dieu, souvenez-vous de ce qu’a dit l’apôtre Pierre : « Le démon votre ennemi rôde autour de vous comme un lion rugissant, cherchant quelqu’un qu’il puisse dévorer[2]. » Il s’efforce de souiller la réputation de celui qu’il ne peut dévorer après l’avoir séduit pour le mal, afin qu’il succombe, si c’est possible, sous le mépris des hommes et sous les coups des langues mauvaises, et soit ainsi précipité dans sa gueule. Si le démon n’a pas pu souiller la renommée d’un innocent, il essaye de lui persuader de mal juger de son frère, et l’enlace dans ces soupçons malveillants pour l’entraîner avec lui. Et qui pourra jamais compter ni même comprendre toutes ses ruses et tous ses pièges ? Pour éviter les trois écueils qui appartiennent plus particulièrement à l’affaire présente et pour que vous ne vous laissiez point aller aux mauvais exemples, voici comment Dieu vous parle par l’Apôtre : « Ne vous attachez pas à un même joug avec les infidèles, car que peut-il y avoir de commun entre la justice et l’iniquité, et quelle union pourrait-il exister entre la lumière et les ténèbres[3] ? » Et dans un autre endroit : « Ne vous laissez point séduire : les mauvais entretiens corrompent les bonnes mœurs. Soyez sobres, ô justes, et ne péchez point[4]. » Voici maintenant ce que Dieu dit par le Prophète, afin que vous ne succombiez pas sous le coup des langues qui déchirent : « Écoutez-moi, vous qui connaissez le jugement, vous, mon peuple, qui portez ma loi dans votre cœur : ne craignez point les outrages des hommes, ne vous laissez pas abattre par leurs calomnies, ne comptez pas pour beaucoup d’être méprisés par eux ; car le temps les consumera comme un vêtement et les rongera comme la teigne ronge la laine : mais ma justice de demeure éternellement[5]. » Et pour que vous ne périssiez point en élevant malignement de faux soupçons contre les serviteurs de Dieu, souvenez-vous de ce passage de l’Apôtre : « Ne jugez rien avant le temps ; attendez que le Seigneur vienne et qu’il éclaire ce qui est caché dans les ténèbres ; alors il mettra au grand jour les pensées de l’âme, car Dieu donnera à chacun la louange qui lui est due[6]. » Et encore ceci : « À vous le jugement de ce qui se voit, mais au Seigneur notre Dieu de juger de ce qui est caché[7]. »

6. Il est manifeste que ces choses n’arrivent pas dans l’Église sans attrister gravement les saints et les fidèles ; toutefois nous sommes consolés par Celui qui atout prédit et qui nous a exhortés à ne pas nous laisser refroidir par l’abondance de l’iniquité, mais à persévérer jusqu’à la fin pour que nous puissions être sauvés ; car, en ce qui me concerne, s’il y a en moi quelque amour pour le Christ, qui d’entre vous s’affaiblit sans que je m’affaiblisse moi-même ? qui est scandalisé sans que je brûle[8] ? N’ajoutez pas à mon affliction en tombant dans de faux soupçons ou dans les péchés d’autrui ; n’ajoutez pas à mes peines, je vous en conjure, pour que je ne dise pas de vous : « Ils ont aggravé la douleur de mes blessures. » Quant à ceux qui se réjouissent de mes douleurs exprimées jadis par le Psalmiste dans ses prophétiques paroles sur le corps du Christ : « Ceux qui étaient assis à la porte m’insultaient, et ceux qui buvaient le vin me raillaient par leurs chansons[9] ; » quant à ces hommes, dis-je, on les supporte plus facilement ; nous avons appris néanmoins à prier pour eux et à leur vouloir du bien. Pourquoi, en effet, sont-ils assis à la porte, et que cherchent-ils ? ils veulent, lorsqu’un évêque, un clerc, un moine ou une religieuse vient à faillir, les envelopper tous dans une réprobation commune ; ils répètent et soutiennent qu’il en est ainsi de tous, mais seulement qu’on ne le sait pas pour tous. Si une femme mariée est convaincue d’adultère, ces gens-là ne chassent pas pour cela leurs épouses et n’accusent pas leurs mères ; mais s’ils entendent dire quelque chose de vrai ou de faux sur le compte de ceux qui font profession de vie religieuse, ils se remuent, se retournent, se donnent beaucoup de peine pour en faire

  1. II Cor. XI, 12.
  2. II Pierre, V, 8
  3. II Cor. VI, 14
  4. I Cor. XV, 33, 34
  5. Isa. LI, 7, 8
  6. I Cor. IV, 5
  7. Ibid. V, 12-13
  8. II Cor. XI, 29
  9. Ps. LXVIII, 27, 13.