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de ce qu’il n’avait pas fait, ou s’il l’avait fait, il n’y avait trouvé qu’une occasion de reprocher insolemment à un autre une faute par lui-même commise. Ces maîtres ont expliqué la conduite des apôtres comme ils ont pu  ; et vous, comment l’expliquerez-vous  ? Vous avez sans doute quelque chose de meilleur à dire, puisque vous condamnez sur ce point le sentiment des anciens.

12. Vous m’écrivez dans votre lettre : « Ce n’est pas moi qui vous apprendrai comment on doit entendre ce que dit le même apôtre : Je me suis fait juif avec les juifs pour gagner les juifs[1], et le reste qui est dit par compassion de miséricorde et non point par dissimulation de tromperie. C’est ainsi que celui qui sert un malade se fait en quelque sorte malade comme lui ; il ne dit pas qu’il a la fièvre avec lui, mais il pense avec compassion à la manière dont il voudrait être servi s’il était à sa place. Saint Paul était Juif ; devenu chrétien, il n’abandonna point les sacrements que le peuple juif avait reçus en son temps et quand il fallait ; il en conserva la pratique lorsque déjà il était apôtre du Christ, afin de montrer que ceux qui les avaient reçus de leurs pères pouvaient les garder sans péril, même en croyant en Jésus-Christ, pourvu cependant qu’ils n’y missent pas l’espérance du salut ; car le salut, que représentaient les sacrements anciens, était arrivé par le Seigneur Jésus[2]. » Tout ce long discours dans une longue discussion, signifie que Pierre n’a point erré en pensant que les Juifs, devenus chrétiens, dussent observer la loi, mais qu’il s’est écarté de la ligne du vrai en forçant les Gentils à judaïser  ; en les forçant, sinon par l’autorité de son enseignement, du moins par la puissance de son exemple, et que Paul n’a rien dit de contraire à ce qu’il avait fait, puisqu’il s’est borné à reprocher à Pierre de forcer les gentils à judaïser.

13. Le fond de la question, ou plutôt le fond de votre pensée, c’est qu’après avoir embrassé l’Évangile du Christ, les Juifs font bien d’observer les préceptes de la loi, c’est-à-dire d’offrir des sacrifices comme Paul en a offerts, de circoncire leurs fils comme Paul a circoncis Timothée, et d’observer le sabbat comme l’ont observé tous les Juifs. Si cela est vrai, nous tombons dans l’hérésie de Cérinthe et d’Ebion qui, croyant en Jésus-Christ, furent anathématisés par les évêques, par cela seul qu’ils mêlaient à l’Évangile du Christ les cérémonies de la loi et qu’ils gardaient les choses anciennes en pratiquant les nouvelles. Que dis-je des Ebionites qui feignent d’être chrétiens  ? Il y a encore aujourd’hui parmi les Juifs et dans toutes les synagogues de l’Orient une hérésie, celle des minéens  ; les pharisiens, qui les condamnent, les appellent communément des nazaréens  ; ces hérétiques croient en Jésus-Christ fils de Dieu, né de la Vierge Marie  ; ils disent qu’il est celui qui a souffert sous Ponce Pilate, qui est ressuscité, et dans lequel nous-mêmes nous croyons  ; mais en voulant être en même temps Juifs et chrétiens, ils ne sont ni chrétiens ni Juifs. Je vous prie donc, vous qui croyez devoir panser la petite blessure que vous m’accusez d’avoir faite, et qui n’est qu’une piqûre, un point d’aiguille, comme on dit, je vous prie de songer à la blessure que vous faites vous-même avec la lance et, pour ainsi dire, de tout le poids d’un javelot. L’exposition des divers sentiments des anciens dans l’interprétation des Écritures, n’est pas un crime comme celui d’introduire de nouveau au cœur de l’Église une détestable hérésie. Et si nous sommes obligés de recevoir les Juifs avec leurs formes religieuses, s’il faut leur permettre d’observer dans les églises du Christ ce qu’ils observaient dans les synagogues de Satan, je le dirai hautement  : ce ne sont pas eux qui deviendront chrétiens, c’est nous qui deviendrons juifs.

14. Quel chrétien écoutera patiemment ce passage de votre lettre : « Paul était juif  ; devenu chrétien, il n’abandonna point les sacrements des juifs que ce peuple avait reçus à sa convenance et au temps qu’il fallait  ; il en conserva la pratique lorsque déjà il était apôtre du Christ, pour montrer que ceux qui les avaient reçus de leurs pères pouvaient les garder sans péril[3]. » Je vous supplie de nouveau  : écoutez en paix l’expression de ma douleur. Paul, devenu apôtre du Christ, observait encore les cérémonies des Juifs, et vous dites « qu’elles n’étaient point pernicieuses à ceux qui voulaient les garder comme ils les avaient reçues de leurs pères. » Moi je dirai au contraire, et je soutiendrai de ma libre parole contre le monde entier que les cérémonies des juifs sont pernicieuses et mortelles aux chrétiens, et que tout chrétien qui les observe, qu’il ait été auparavant juif ou gentil, est tombé dans le gouffre du démon. « Car le Christ est la fin de la loi pour justifier tout croyant, savoir le juif et le gentil[4] ; » le Christ ne sera pas la fin de la loi pour justifier tout croyant, si le juif est accepté. Et nous lisons dans l’Évangile : « La loi et les prophètes jusqu’à Jean-Baptiste[5]. » Et ailleurs : « C’est pourquoi les juifs cherchaient à le tuer, non-seulement parce qu’il violait le sabbat, mais parce qu’il disait que son Père était Dieu et qu’il se faisait égal à Dieu[6]. » Et encore : « Nous avons tous reçu de sa plénitude grâce pour grâce, parce que la loi a été donnée par Moïse ; « mais la grâce et la vérité nous ont été données par Jésus-Christ[7]. » À la place de la grâce de la loi qui a passé, nous avons reçu la grâce permanente de l’Évangile ; la vérité nous est venue par Jésus-Christ, au lieu des ombres et des figures de l’Ancien Testament. Dans le même sens Jérémie prophétise de la part de Dieu : « Voici que les jours arrivent, dit le Seigneur, et j’accomplirai une nouvelle alliance avec la maison d’Israël et la maison de Judas, non point comme l’alliance que je fis avec leurs pères au jour où je les pris par la main pour les tirer de la terre d’Égypte[8]. » Remarquez ce qu’il dit  : il ne promet pas la nouvelle alliance de l’Évangile aux gentils qui n’en avaient encore reçu aucune, mais

  1. I Cor. IX, 20.
  2. Ci-dessus, lettr. XL, 4.
  3. Ci-dessus, lett. XL, 4.
  4. Rom. X, 4.
  5. Matt. XI, 13 ; Luc, XVI, 16.
  6. Jean V, 18.
  7. Id. I, 16,17.
  8. Jérém. XXXI, 31,32.