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même en cette vie, comme nous croyons que les Apôtres y sont parvenus[1] ; » cela ne se doit pas entendre dans le sens que les Apôtres, durant leur vie, n’éprouvaient aucun mouvement de la chair contraire à l’esprit ; mais que l’on peut arriver jusqu’où nous croyons que les Apôtres sont parvenus, c’est-à-dire, dans la mesure de la perfection humaine aussi complète qu’elle peut être dans cette vie. Je n’ai pas dit : « On peut y arriver dans cette vie, car nous croyons que les Apôtres y sont arrivés, »mais « comme nous croyons que les Apôtres y sont arrivés ; » en sorte qu’on y arrive comme ils y sont parvenus, c’est-à-dire dans la perfection qu’ils, ont atteinte et qui est celle dont la vie présente est capable, non pas celle que nous espérons un jour posséder dans la paix parfaite quand nous dirons : « O Mort, où est ton aiguillon[2]? »

3. Ailleurs[3], en citant ce témoignage : « Dieu ne donne pas l’esprit en le mesurant[4] », je n’avais pas compris que ce passage ne s’appliquait avec vérité qu’à Jésus-Christ. En effet, si Dieu ne donnait pas son esprit aux autres hommes en le mesurant, Elisée n’en aurait pas demandé le double de ce qu’avait reçu Élie. En exposant cette parole : « Il ne sera pas enlevé un iota, pas un accent à la loi avant que toutes ces choses arrivent[5] », j’ai dit qu’on ne pourrait la comprendre que comme l’expression véhémente de la perfection[6]. Alors naturellement on peut me demander. si cette perfection peut s’entendre en ce sens qu’il soit vrai que personne, usant de son libre arbitre, ne puisse vivre ici-bas sans péché. Par qui en effet la loi peut-elle être accomplie jusqu’à un accent, sinon par celui qui observe tous les préceptes divins ? Or, dans ces préceptes il y en a un qui nous ordonne de dire : « Pardonnez-nous nos péchés comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés[7] », et cette prière, l’Église tout entière la dit et la redira jusqu’à la fin des siècles. Donc tous les préceptes sont regardés comme accomplis, quand tout ce qui ne se fait pas est pardonné.

4. Assurément ce que dit le Seigneur : « Quiconque violera un seul de ces moindres commandements, et enseignera ainsi », et le reste, jusqu’à ces mots : « Si votre justice n’est pas plus abondante que celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux[8];» je l’ai beaucoup mieux exposé dans mes discours postérieurs ; mais il serait trop long de le répéter en ce moment. Le sens donné ici à ces paroles[9], c’est que ceux qui disent et qui font, ont une justice plus grande que celle des scribes et des pharisiens. Car Notre-Seigneur dit des pharisiens et des scribes : « Ils disent et ils ne font pas[10]. » Nous avons aussi beaucoup mieux compris dans la suite la parole : « Celui qui se met en colère contre son frère [11]. » Les manuscrits grecs ne portent pas : « sans cause », comme je l’ai mis, quoique le sens soit le même. En effet j’ai dit qu’il fallait considérer ce que c’est que de se mettre en colère contre son frère ; or, ce n’est pas se mettre en colère contre son frère que de s’irriter du péché de son frère ; celui-là donc qui s’irrite non contre le péché, mais contre son frère, se met en colère sans cause.

5. De même lorsque j’ai écrit : « C’est du père et de la mère, et des autres liens du sang qu’il faut comprendre cette parole, pour haïr en eux ce que le genre humain tire de la naissance et de la mort [12]; » il semble que j’ai voulu dire que ces liens naturels ne dussent pas exister au cas où l’homme n’ayant pas péché, personne n’eût été soumis à la mort ; ce sens-là, je l’ai réprouvé plus haut. Il y aurait eu, en effet, des parentés et des alliances, même si le péché originel n’eût pas été commis, et que le genre humain eût crû et se fût multiplié sans mourir. C’est ce qui doit servir à résoudre autrement cette question : pourquoi Dieu nous a ordonné d’aimer nos ennemis[13] tandis qu’ailleurs il nous a ordonné de haïr nos parents et nos enfants[14] ? Elle ne doit pas en effet être résolue comme nous l’avons fait ici, mais comme nous l’avons souvent fait postérieurement, à savoir : nous devons aimer nos ennemis pour les gagner au royaume de Dieu, et haïr nos parents, s’il nous en éloignent.

6. Semblablement, le précepte qui interdit à un mari de répudier sa femme, si ce n’est pour cause de fornication, je l’ai discuté ici avec le soin le plus scrupuleux[15]. Mais quelle est la fornication pour laquelle le Seigneur permet la répudiation ? Est-ce celle qui se compte parmi les crimes honteux, ou celle

  1. Liv. 1, C. 4, n. 12
  2. 1Co. 15, 55
  3. Liv. 1, C. 6, n. 17
  4. Jn. 3, 34
  5. Mat. 5, 18
  6. Liv. 1, C. 8, n.20
  7. Mat. 6, 12
  8. Id. 5, 18-20
  9. Liv. 1, C. 20, n. 21.
  10. Mat. 23.
  11. Id. 5, 22
  12. Liv. 1, C. 15, n. 41
  13. Mat. 5, 44
  14. Luc. 14, 26
  15. Liv. 1, C. XII