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TROIS-CHAPITRES. THEODORE DE MOPSUESTE

milieu du vie siècle, un procès posthume fut engagé à leur sujet ; cette action aboutit à une condamnation (553) ; elle amena, par contre-coup, de cruels déchirements dans l’Église et compromit momentanément le prestige du Siège apostolique. Elle avait été, d’ailleurs la conséquence directe d’une intervention plus indiscrète que jamais de l’État byzantin en matière dogmatique. A ces divers titres l’affaire des Trois-Chapitres mérite de retenir l’attention du théologien et d’autant plus qu’elle a amené l’Église à prendre, en matière de christologie, une position qui diffère assez notablement de celle de Chalcédoine. De cette affaire il a déjà été question à l’article Constantinople (IIe concile de), t. iii, col. 1231-1259. On en montrera surtout ici les tenants et aboutissants.

I. Le souvenir des auteurs des Trois-Chapitres

II. Les auteurs des Trois-Chapitres, au brigandage d'Éphèse de 449 et au concile de Chalcédoine de 451 (col. 1880).

III. L’agitation monophysite autour des Trois-Chapitres (col. 1884).

IV. L’intervention de Justinien (col. 1888).

V. Le pape Vigile à Constantinople (col. 1891).

VI. Le pape Vigile et le Ve concile (col. 1899).

VII. Les schismes consécutifs à la condamnation des Trois-Chapitres (col. 1911).

VIII. Conclusions (col. 1917).

I. Les auteurs des Trois-Chapitres et le souvenir laissé par eux.

Au sens premier, l’expression « Trois-Chapitres » désigne des écrits ou, plus exactement, des fragments d’écrits groupés sous trois rubriques distinctes : écrits de Théodore de Mopsueste, de Théodorct de Cyr, d’Ibas d’Édesse. Mais, de très bonne heure, le mot a été pris aussi pour désigner les personne ^ responsables de ces écrits ; pour incorrecte que soit cette appellation, elle n’a pas laissé de s’imposer. Nous allons exposer d’abord à quel titre les auteurs en question furent attaqués et les griefs que, dans certains milieux, l’on pouvait avoir contre eux.

Théodore de Mopsueste.

On a dit à l’art. Théodore de Mopsueste ce que signifiait l’œuvre littéraire de ce personnage, tant au point de vue de l’exégèse, qu’à celui de la théologie. Représentant fort en vue de l’École d’Antioche, il avait formulé et mis en pratique les principes mêmes de l’exégèse littérale en réaction contre l’allégorisme alexandrin. Sa théologie, d’autre part, tout spécialement en ce qui concernait l’étude de l’incarnation, s’était constituée en opposition avec les tendances qui s’étaient exprimées au mil ux dans Apollinaire de Laodicée, mais qui gardaient une emprise sur beaucoup de penseurs de Syrie et d’Egypte. Contre ce monophysisme plus ou moins conscient, plus ou moins larvé, Théodore avait formulé les règles fondamentales du dyophysisme, de In croyance dans le Christ aux deux natures divine et humaine ; tout spécialement il avait établi, avec une dialectique passionnée, en même temps qu’avec une parfaite connaissance de l’Écriture, l’existence en Jésus d’une vraie nature humaine, concrète, complète, agissante. Il avait été moins heureux quand il s’était agi d’exprimer, à plus forte raison d’expliquer le comment de l’unité du Christ. Encore que sa croyance en un seul Fils de Dieu, en un seul Seigneur Jésus-Christ, en un seul centre d’attribution dernier des activités de l’Homme-Du u fût très profonde et très sincère, encore qu’il eût pris pour affirmer sa foi des précautions fort méritoires, plusieurs de ses expressions ne laissaient pa— de paraître au moins étranges et sa pensée de fond elle-même donnait prise à la critique. L’union morale — cette expression traduisant assez mal la fnjvà<peia xoct eviSoxlav — dont il parlait, pour exclure toute explication susceptible de mettre en échec la coexistence’Us deux natures, était une formule mal venue et danprensc. Elle laissait prise au soupçon que son aatem admettait une distinction personnelle entre l’homme

Jésus-Christ et le Verbe divin qui l’avait animé, inspiré, soutenu, une distinction analogue à celle que l’on doit faire par exemple entre le prophète Isaïe et l’Esprit de Dieu qui le dirigeait. Quelques affirmations qu’il eût répétées là-contre, Théodore passerait inévitablement, surtout quand la théologie de l’union se serait précisée, pour le représentant de ce que nous appellerons le « dyoprosopisme », l’hérésie des deux personnes.

Il paraît que, de son vivant même, certaines appréhensions s’étaient formulées à ce sujet. Dans la lettre qu’il écrivait à Nestorius à l’automne de 430 pour engager celui-ci à se conformer aux ordres du pape Célestin, Jean d’Antioche rappelait à son collègue de Constantinople l’exemple qu’avait donné Théodore. Vivement attaqué pour avoir, au cours d’une prédication, exprimé des doutes sur la légitimité du titre de « théotocos » donné à la vierge Marie, il n’avait pas hésité à rectifier ultérieurement les expressions qui avaient pu surprendre. Epist., i, 3, P. G., t. lxxvii, col. 1453. On ne connaît pas d’autres incidents dans la carrière de l’évêque de Mopsueste, qui mourut dans la paix de l’Église et a dû être inscrit régulièrement aux diptyques de sa communauté. D’ailleurs la « tragédie » de Nestorius, qui débuta presque au lendemain du trépas de Théodore, allait, pour quelques années, détourner l’attention vers un autre point de l’horizon. Il est incontestable pourtant que l’archevêque de Constantinople ne faisait que reprendre, mais avec moins de doigté, avec moins de sens catholique aussi, la christologie de Théodore, laquelle recueillait, aussi bien, tous les suffrages du « diocèse d’Orient ». Bientôt, laissant de côté la personne de Nestorius et les incartades par lesquelles celui-ci risquait de compromettre irrémédiablement la christologie antiochienne, la controverse mettait aux prises la doctrine cyrillienne, monophysite dans son expression, sinon dans ses tendances profondes, et le dyophysisme si vaillamment soutenu par Théodore. Quand, à l’hiver de 430-431, les « anathématismes » cyrilliens éclatent, comme une bombe, en Orient, c’est bien de la doctrine de Théodore que s’inspirent ceux qui, à la demande de Jean d’Antioche, réfutent les douze capitula de Cyrille. Les deux principaux lutteurs, Théodoret et André de Samosate, sentent bien que c’est la doctrine de l’évêque de Mopsueste qui est attaquée et nul des « Orientaux » n’aurait l’idée qu’elle pût être mise en question. A Éphèse, après le coup de force du 22 juin, c’est bien de la pensée de Théodore que s’inspirent les mêmes Orientaux groupés autour de Jean d’Antioche. Toutefois le nom même de l’évêque de Mopsueste n’est pas jeté dans le débat, pas plus, d’ailleurs, qu’il ne l’est par les cyrilliens. Dans la fameuse Actio Charisii, Mansi, t. iv, col. 1341 sq., le concile présidé par Cyrille et les légats romains examine et condamne bien une Expositio ftdei depravata que l’on donnera plus tard comme un symbole fabriqué par Théodore, mais, sur le moment même, le nom de l’évêque de Mopsueste n’est pas prononcé, soit prudence, soit ignorance de la responsabilité de celui-ci par rapport à cette pièce. A la vérité, Marina Mercator venait déjà d’attribuer ou allait bientôt attribuer à Théodore, en qui il voyait un des auteurs de l’hérésie pélagienne, la pièce en question. Cf. Collectio Palatina, pièces n. 15 et sq. dans A. C. O., t. i vol. v, p. 23 sq. ; cf. P. L., t. xlviii, col. 213 sq. (où la pièce n’est pas à sa place). Mais pour l’instant, cette accusation ne franchit pas les limites du monde monastique à qui s’adressait Marius.

C’est seulement après l’Acte d’union » de 433 et après le semblant de paix rétabli entre l’Orient et l’Egypte, que les cyrilliens commencent à s’apercevoir de la parenté de Théodore et de Nestorius. Celle-ci n’échappait certainement pas aux Antiocliicns, dont plusieurs, quand Il s’agira de souscrire à la condamna-