Dictionnaire de théologie catholique/TROIS-CHAPITRES (AFFAIRE DES) VII. Les schismes consécutifs à la condamnation des Trois-Chapitres

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 191-194).

VII. Les schismes consécutifs a l’affaire des Trois-Chapitres.

Aussi bien la question des Trois-Chapitres avait amené dans tout l’Occident une extraordinaire effervescence. Depuis longtemps aucune controverse théologique n’avait autant fait courir de plumes, en Afrique surtout. Nous ne pouvons donner ici qu’un aperçu de cette histoire littéraire, renvoyant pour chaque auteur à la notice qui lui a été ou lui sera consacrée.

L’effervescence littéraire.

Au moment où la question a été posée à Rome pour la première fois, le diacre carthaginois, Fulgence Ferrand a été appelé à donner son avis et s’est énergiquement prononcé contre la condamnation. Cf. ci-dessus, col. 1890. Ferrand n’a pas dû survivre longtemps à cette consultation et n’a pas connu, sans doute, les palinodies successives des titulaires du Siège apostolique. — Pontien, un évêque africain dont le siège est inconnu a laissé une Epistola ad Justinianum imperatorem, P. L., t. lxvii, col. 995-998, qui pourrait remonter au début de la querelle. — Vérécundus, évêque de Junca, a fait partie du groupe de prélats convoqués à Constantinople et qui comprenait aussi Réparatus, Firmus, Primasius. Réfugié à Chalcédoine avec le pape Vigile, il y mourut avant la réunion du Ve concile. Les Excerptiones de gestis Chalcedonensis concilii, publiées par Pitra, Spicilegium Solesmense, t. iv, p. 166-191, témoignent de sa préoccupation de retrouver, dans les actes de Chalcédoine, la teneur exacte des jugements rendus sur le compte de Théodoret et d’Ibas. — Beaucoup plus importante est l’œuvre de Facundus d’Hermiane : Pro defensione Trium Capitulorum, en douze livres, commencé à Constantinople avant l’arrivée de Vigile (25 janvier 547), et certainement terminé avant le Judicatum du samedi saint 548 ; Responsio adressée à Justinien, qui ne s’est pas conservée, mais est mentionnée dans la préface de l’ouvrage précédent ; Contra Mocianum scholasticum, où Facundus qui, d’accord avec la majorité des Africains, s’est séparé de Vigile et des Orientaux, justifie cette attitude du reproche de schisme ; Epistola fidei catholicee in defensione Trium Capitulorum, adressée aux catholiques d’Afrique et qui, en termes très vifs, prend position contre les évêques qui abandonnent les Trois-Chapitres, contre Vigile et Pelage, les romani prsevaricatores. — Moins volumineuse, mais tout aussi caractéristique, l’œuvre de l’évêque Victor de Tunnunum, qui, exilé à l’étranger, ballotté de résidence en résidence, rédige une Chronique, allant jusqu’à la première année de Justin II (566), où il fait passer toutes ses préoccupations et toutes ses rancœurs. — De même ordre le Breviarium causas nestorianorum et eutychianorum du diacre de Carthage Libératus, composé après la mort du pape Vigile et qui, pour démontrer l’erreur de Justinien dans l’affaire des Trois-Chapitres, reprend de très haut l’histoire de l’agitation monophysite à laquelle, en fin de compte, avait cédé le basileus. — Primasius d’Hadrumète a composé, lui aussi, un livre sur les hérésies, qui n’est pas venu jusqu’à nous, mais qui était vraisemblablement orienté dans le même sens. — Des préoccupations historiques analogues ont inspiré le neveu de Vigile, le diacre romain Rusticus. Exilé en Thébaïde pour avoir publié, après la sentence du concile de 553, un libellus contre les décisions conciliaires, il compose, soit durant son exil, soit après son retour, une Disputatio contra acephalos, où il fait le procès des monophysites ; mais surtout, rentré à Constantinople, il se livre, sur les actes d’Éphèse et de Chalcédoine à un travail minutieux de traduction et de comparaison, ajoutant enfin aux actes officiels un nombre considérable de pièces qui éclairent l’histoire de ces années troublées. Ainsi naquit l’ouvrage qu’il a appelé lui-même le Synodicum ; la première partie, A. C. O., t. i, vol. iii, donne l’histoire du concile d’Éphèse, formée en juxtaposant des pièces relatives à cette assemblée ; la seconde, ibid., vol. iv, fournit les documents relatifs à l’Acte d’union de 433 et aux événements qui suivirent. Cf. ici, art. Nestorius, t. xi, col. 87-88. À la vérité le point de vue de Rusticus est faux ; préoccupé de désolidariser Théodoret d’avec Nestorius, il a fait sur la pensée de l’évêque de Cyr des contresens évidents, du moins a-t-il transmis sur les tragiques démêlés des années 430 et suivantes des pièces de tout premier ordre qui, à des gens moins prévenus que l’étaient ses contemporains, auraient pu révéler le sens exact des premières luttes christologiques. — Nous avons signalé plus haut l’ouvrage du diacre Pelage, le futur pape In defensione Trium Capitulorum.

Toute cette activité littéraire témoigne de l’agitation des esprits. Il y faudrait joindre les correspondances qui de Constantinople venaient renseigner l’Occident, telles les lettres des clercs milanais ou des clercs romains, ci-dessus, col. 1896 au bas, sans parler des rapports oraux que des légations ne cessaient de véhiculer. Tout cela ne pouvait qu’exciter en Occident une effervescence qui finira par aboutir à des séparations plus ou moins durables.

L’agitation ecclésiastique en Afrique et en Gaule.

L’Afrique, dès le début de la controverse, avait été fort troublée. Nous avons signalé ci-dessus, col. 1897, les mesures drastiques prises par le gouvernement byzantin pour mater une opposition sans cesse renaissante. Quand les Africains amenés de force à Constantinople eurent été jugés et envoyés en exil, on s’occupa de donner un successeur à Réparatus de Carthage en la personne d’un certain Primosus qui eut beaucoup de mal à se faire reconnaître par les deux conciles de Proconsulaire et de Numidie. Pendant ce temps les prélats africains fidèles aux Trois-Chapitres étaient internés dans de lointains monastères et jusqu’au fond de l’Egypte. Il fallut du temps pour calmer cette agitation qui naturellement s’était encore amplifiée après 553. Elle dura jusqu’à la mort de Justinien (565). Son successeur, Justin II, eut la sagesse de ne pas persévérer dans la méthode de violence ; on évita dorénavant de demander des adhésions et des signatures. Avec les années l’apaisement se fit en Afrique, sans que l’on y ait reconnu, pour autant, les décisions du Ve concile. Les relations avec Rome étaient par ailleurs assez espacées et il ne semble pas que les successeurs de Vigile soient beaucoup intervenus.

La Gaule devait leur donner un peu plus de préoccupation. Du temps de Vigile déjà, l’évêque d’Arles, Aurélien, s’était inquiété de ce qui se passait à Constantinople et avait envoyé un émissaire aux informations. Ci-dessus, col. 1895. Ainsi faisait aussi la cour du roi Childebert I er, d’où partit une légation complète pour la capitale ; certainement l’envoi dé cette mission trahissait les soucis de l’épiscopat gaulois, qui croyait en péril les décisions de Chalcédoine. Les jugements successifs et contradictoires de Vigile ne durent point passer inaperçus. Ceux de Pelage non plus, en sorte que l’évêque Sapaudus, qui avait remplacé Aurélien sur le siège d’Arles ne se pressa pas de demander à Rome le pallium, symbole de sa juridiction comme vicaire du pape au-delà des Alpes. Ce fut Pelage lui-même qui lui écrivit d’abord. Jaffé, n. 940. 4 juillet 556 ; cf. n. 941, 16 septembre. Sur les entrefaites le roi Childebcrt avait envoyé aux renseignements à Rome. Une longue lettre lui fut adressée le Il décembre. Jaffé, n. 942. Pelage y expliquait que, dans les Gaules, des gens semaient la défiance contre lui ; tout ce que l’on disait sur ses hésitations dans la foi était faux : il anathématisait quiconque s’écartait ou s’écarterait ne fût-ce qu’en un mot, en une syllabe, des enseignements du pape Léon et de Chalcédoine. Cf. aussi Jaffé, n. 943, à Sapaudus dans le même sens. Le pape comptait sur l’évêque d’Arles pour dissiper tous les malentendus ; il lui renouvelait sa délégation de vicaire apostolique et s’efforçait de s’appuyer sur lui pour renforcer sa propre autorité dans les Gaules. Mate, dans la pratique, l’Église de < régions ne reconnais’nit guère la primauté pontificale. L’action de Sapaudus, si tant est qu’elle s’exerça, ne put couper court aux bruits fâcheux qui circulaient sur l’orthodoxie de Pelage. Le roi Childebert revenait à la charge au printemps de. 557, sans aucun doute à la suite de quelque intervention épiseopalo, et exigeait du pape une profession rie fol expresse. Tout humiliante pour le Siège apostolique que fût cette démarche, Pelage dut s’y résigner ; il envoya à la cour franque une déclaration où il condamnait la doctrine de l’unique nature, recevait les décisions des quatre conciles et 1rs décrets de ses prédécesseurs et, répétant les paroles qu’il avait prononcées à Saint-Pierre de Rome, comptait comme orthodoxes ceux que les anciens papes avaient reçus et tout spécialement Théodoret et Ibas. Jaffé, n. 946 ; cf. n. 908. Mais il ne devait pas s’en tirer à si bon compte. La propagande partie jadis de Constantinople sous sa propre impulsion contre la proscription des Trois-Chapitres avait agi trop profondément dans les Gaules. Il fallut bien qu’il en vînt à une démarche catégorique et désavouât comme pape ce qu’il avait fait jadis comme diacre. C’est ce qu’il expliqua, vers 559, dans une longue lettre à Sapaudus, où il essayait de retirer ce qu’il avait écrit, à une époque où il n’avait pas encore compris toute la signification de sa démarche. Se référant aux exemples de Cyprien et d’Augustin qui n’avaient pas hésité à se rétracter, il reconnaissait maintenant, avec un grand nombre d’évêques d’Orient, d’Illyricum et d’Afrique, qu’il avait longtemps résisté à la lumière ; mais, comme eux, il voyait à présent où se trouvait la vérité. Tous les évêques de ces contrées, presque sans exception, étaient avec lui et, dans des conciles provinciaux, avaient publié la vraie foi. C’était dire que le consentement ultérieur de l’Église ratifiait tellement quellement ce qui s’était fait jadis de façon plus ou moins irrégulière à Constantinople. Jaffé, n. 978. L’agitation se calma peu à peu dans les Gaules, elle n’était pourtant pas terminée à la fin du vie siècle.

La révolte ouverte en Italie. Le schisme d’Aquilée.

Les difficultés en Gaule n’étaient rien à côté de celles que l’affaire des Trois-Chapitres faisaient surgir en Italie. Dans ce pays, d’ailleurs, il faut distinguer d’une part l’Italie au sud de l’Apennin, faisant partie du ressort métropolitain du pape, auquel se rattachaient aussi la Corse, la Sicile et la Sardaigne, et d’autre part l’Italie du nord qui se groupait, ecclésiastiquement autour des deux métropoles d’Aquilée et de Milan.

1. Les ressorts métropolitains de Rome et de Ravenne.

Encore que l’autorité du pape fût considérable, presque absolue, dans cette région, des mouvements de protestation très vifs ne laissèrent pas d’y éclater. Six évêques de la Tuscie annonaire faisaient, dès le début du pontificat de Pelage, parvenir à Rome une motion où ils déclaraient avoir rayé le pape des diptyques. Pelage leur fit savoir qu’il les considérait comme schismatiques ; ce lui fut d’ailleurs une occasion de réitérer une profession de foi qui mettait hors de doute son attachement à la foi chalcédonienne. Jaffé, n. 939. En Emilie les adversaires du pape faisaient circuler une lettre de Pelage, encore diacre, exprimant les mêmes sentiments qui maintenant poussaient les Églises d’Italie à se détacher de Rome. « Cette lettre est un faux », déclarait Pelage ; il avait seulement écrit pour se défendre contre Vigile qui voulait l’excommunier un Refutatorium, ci-dessus, col. 1910, et les six livres /n defensione Trium Capilulorum, où il ne tenait pas, d’ailleurs, les propos schismatiques qu’on lui prêtait. Jaffé, n. 972. On ne sait ce que répondirent les évêques d’Emilie. Mais on retrouve un peu plus tard Maximilien, l’un des prélats de Tuscie ; comme il persistait dans son agitation séparatiste, le pape fit appel contre lui au bras séculier et fit saisir son temporel. Jaffé, n. 1024-1026. Non moins d ure me nt sévit-il contre Paulin de Fossombrone, qui, d’ordre du gouvernement, fut relégué dans un monastère. De cette pot it c fronde Pelage eut assez facilement raison : d’ailleurs à la suite de la guerre gothique beaucoup ri’évêchés étaient vacants, Il fut aisé d’y installer ries titulaires loyalistes. Il en fut à peu près de tllflu dans le n ssott de Ravenne, dont le titulaire, Agn< l’n, dévoué au pape et à l’empereur, réussit à rallier non sans quelque peine à Pelage l’ensemble de MB sufîragants.

2. Les ressorts de Milan et d’Aquilée.

Au contraire les deux métropoles de Milan et d’Aquilée allaient bientôt causer à Pelage et à ses successeurs les plus cruels déboires.

L’évêque de Milan, Dacius était mort à Constantinople en 552, avant les dernières sentences portées par Vigile. Le gouvernement byzantin le fit remplacer par Vitalis, qui, en dépit de cette désignation, était partisan des Trois-Chapitres. Quand Pelage, sur qui il avait cru pouvoir compter, devint pape en reniant ses convictions antérieures, Vitalis se sépara de lui, d’accord en cela avec son collègue d’Aquilée qui lui avait donné la consécration. Et quand celui-ci mourut, vers 557, ce fut l’évêque déjà schismatique de Milan qui consacra le nouvel évêque d’Aquilée, Paulin. De ce chef toute l’Italie du nord se séparait de l’obédience de Pelage. Celui-ci le prit de très haut et, quand Paulin assuma le titre de patriarche et fit mine de se mettre à la tête des évêques de Vénétie et d’Istrie, le pape se tourna vers le représentant de Narsès, le patrice Jean, en contestant non seulement les droits et titres de l’évêque d’Aquilée, mais la validité même de son ordination. Jafîé, n. 983. Paulin le prit de plus haut encore et excommunia le patrice ; le pape eut le chagrin de voir le frère de ce dernier, le patrice Valérien, au lieu de soutenir Jean avec énergie, intervenir comme médiateur. Pelage, en effet, aurait voulu que Jean agît d’autorité et procédât contre l’évêque récalcitrant. Jafîé, n. 1011, 1012. Valérien, au rebours, agit de telle sorte que les évêques de la région se serrèrent davantage autour de Paulin. C’était aux yeux de Pelage un scandale ; le bras séculier, disait-il, devait intervenir, arrêter les deux faux évêques de Milan et d’Aquilée et les diriger sur Constantinople. Quant aux évêques de la région qui pouvaient encore avoir des scrupules au sujet des Trois-Chapitres, qu’on les adressât à Rome, où les réponses pertinentes leur seraient données. Paulin avait parlé de réunir ses évêques en synode pour délibérer sur l’attitude à prendre par rapport aux décisions du Ve concile. C’était intolérable. « Jamais il n’avait été permis, jamais il ne le serait, qu’un synode particulier se rassemblât pour juger un concile général. Si quelque doute s’élevait au sujet d’un concile général les explications devaient être demandées aux sièges apostoliques [ad apostolicas sedes, est-ce une faute pour apostolicam sedem ?] Quant aux récalcitrants il ne restait plus qu’à les faire rentrer dans l’ordre par le pouvoir séculier. » Jafîé, n. 1018. C’est la première fois que, dans le registre de Pelage, il est fait appel à l’autorité du Ve concile. En même temps Pelage insistait auprès de Narsès pour qu’il sévît contre les schismatiques. Jaffé, n. 1019 ; cf. n. 1038. Mais Narsès était pour une politique d’apaisement. Il ne fit rien dans le sens demandé et le schisme s’installa dans l’Italie du Nord. Telle quelle la situation se maintint pendant une quinzaine d’années, sous les pontificats de Pelage I effet de Jean III (560-573).

3. Ralliement de Milan à Rome. Renforcement du schisme d’Aquilée.

Les complications amenées par l’invasion lombarde auraient bientôt leur répercussion sur l’état religieux de l’Italie du nord. Entrés par les Alpes juliennes au printemps de 568, les Lombards sont maîtres de Milan en septembre 569, et Pavie devient leur capitale en 571. Le titulaire du siège de Milan, Honorât, n’avait pas attendu leur arrivée ; il franchit l’Apennin et vint s’installer à Gênes, en territoire byzantin, avec une partie de ses clercs, gouvernant de là, tant bien que mal, ce qui restait d’évêques dans son ressort. Il mourut en 572. Son successeur, Laurent, plus perméable à l’influence byzantine, consentit à se rendre à Rome et à formuler une déclaration très explicite d’obéissance au Siège apostolique. Cela ne veut pas dire que tous les évêques du ressort milanais aient fait aussitôt leur soumission à Rome ni que toute tension ait cessé dans l’Italie subalpine. On y resta fort longtemps chatouilleux sur la question des Trois-Chapitres. Une curieuse lettre de saint Colomban s’est conservée qui en dit long sur cet état d’esprit. Quand celui-ci en 612-615 séjournait à Bobbio, il s’adressa au pape Boniface IV (608-615), pour le supplier de réunir un concile libre qui en finirait une bonne fois avec les soupçons d’hérésie qui continuaient à peser sur le Saint-Siège. Cf. P. L., t. lxxx, col. 274. Mais, somme toute, à partir du milieu du viie siècle les difficultés étaient à peu près apaisées.

Il en allait tout autrement dans le ressort d’Aquilée. Ici encore, devant l’invasion lombarde, beaucoup d’évêques avaient fui et s’étaient réfugiés dans les nombreuses îles du fond de l’Adriatique. C’est à Grado que s’installa Paulin, qui, depuis 570 ou environ, se parait du titre de patriarche d’Aquilée. Inaccessible aux Lombards, cette région des îles vénitiennes devait rester longtemps encore sous la domination byzantine. Mais celle-ci avait toutes raisons de se montrer tolérante vis-à-vis des dissidents, depuis surtout que Justin II avait remplacé Justinien. En 579 le patriarche Élie fondait à Grado la cathédrale Sainte-Euphémie, mise ainsi sous le patronage de la jeune martyre qui avait protégé, en 451, les délibérations de Chalcédoine ; c’est là qu’il réunit peu après en concile les évêques d’Istrie et de Vénétie. Vainement le pape Pelage II (579-590) essaya-t-il de rallier ces dissidents. Trois lettres successives leur furent adressées, où le pape exposait sa foi, répondait à leur argumentation, montrait, à grand renfort d’extraits de Théodore, que celui-ci était hérétique, que la lettre à Maris ne pouvait être considérée comme faisant partie des actes du grand concile et que Théodoret avait lâché bien des expressions répréhensibles. Jafîé, n. 1054-1056 ; texte dans P. L., t. lxxii, col. 706 sq., édition plus récente dans A. C. O., t. iv, vol. ii, p. 105-132. Cf. art. Pelage II, t.xii, col. 670 sq. Rien n’y fit. De guerre lasse, Pelage II fit appel au bras séculier, demandant à l’exarque Smaragde d’expulser Élie. Molestés, les schismatiques s’adressèrent à la cour de Constantinople. Voir leur lettre à l’empereur Maurice, dans Baronius, an. 590, n. 28, et mieux dans A. C. O., ibid., p. 132-135. Le basileus, désireux d’éviter des complications religieuses, donna l’ordre à l’exarque de laisser Élie en paix. Ibid., p. 136.

Pourtant, à quelque temps de là, Smaragde trouva le moyen de faire veniràRavenne le successeur d’Élie, Sévère, et le contraignit à accepter la communion de l’archevêque de cette ville et donc, au moins indirectement, celle de Rome. Mais, quand il revint dans ses lagunes, Sévère fut mal accueilli par les siens. Cela ne l’engagea guère à prêter l’oreille aux sollicitations du pape saint Grégoire, Jafîé, n. 1203, cꝟ. 1198, qui, rebuté lui aussi, fit en fin de compte appel aux services de l’exarque. L’empereur Maurice intervint pourtant à nouveau en faveur des schismatiques. Toutefois l’action de saint Grégoire ne laissait pas de désagréger peu à peu le bloc des dissidents. Sévère était mort en 607, l’intervention du gouvernement de Ravenne parvint à faire nommer comme patriarche un personnage favorable à l’union avec Rome. Ce fut, dans le patriarcat schismatique, le signal d’un nouveau schisme. Les défenseurs obstinés des Trois-Chapitres passèrent sur la terre ferme et, dans les ruines d’Aquilée, se rassemblèrent en un synode qui élit comme patriarche un moine nommé Jean. De ce moment il y aura dans la région deux patriarcats l’un à Grado, qui s’unit à Rome, l’autre à Aquilée qui demeura schismatique ; ce dernier avait sous son obédience les évêques en territoire lombard, Grado au contraire les diocèses de Vénétie et d’Istrie toujours soumis aux Byzantins. Le retour de Grado à l’allégeance romaine ne fut d’ailleurs pas définitif. Vers 625, un défenseur des Trois-Chapitres, Fortunatus, parvint à s’y faire élire comme patriarche ; il finit d’ailleurs par passer sur le continent et devint le titulaire schismatique d’Aquilée. Ainsi les deux parties de l’ancien patriarcat d’Aquilée tendaient à se ressouder. Le pape Honorius, intervint avec vigueur. Primogénius, un sous-diacre régionnaire romain qu’il envoya sur place, fut élu et consacré. Cf. Jafîé, n. 2016. Désormais le schisme avait dit son dernier mot à Grado et dans toute la région byzantine.

Sur le continent il persévérerait encore jusqu’à la fin du vu 8 siècle. La soumission à Rome du patriarcat d’Aquilée fut l’une des conséquences de la conversion des Lombards ariens au catholicisme. Celle-ci eut lieu au milieu de ce siècle-là, sous le roi Aripert (653-661), sans que l’on puisse donner là-dessus de grands détails. Une quarantaine d’années plus tard, le petit-fils d’Aripert, Cunipert (688-700) s’employa à faire cesser le schisme qui, dans une partie de son royaume, divisait les tenants du Credo de Nicée. Par ses soins un concile fut réuni à Pavie où discutèrent les évoques de l’obédience romaine et les schématiques d’Aquilée. On finit par s’entendre : des légats furent envoyés par Damien, évêque de Pavie, au pape Serge I er (687-701), lui expliquant les points qui restaient à débattre ; des messagers d’Aquilée se rendirent aussi à Rome. Le pape leur donna, paraît-il, les apaisements convenables ; à leur retour à Aquilée le patriarche fit sa soumission à Rome : Hujus lemporibus (de Serge) Aquileiensis Ecclesiæ archiepiscopus et synodus qui (sic) sub eo est, qui sanctum V uniuersalem (sic) concilium utpote errantes suscipere diffidebant ejusdem beatissimi papæ monilis alque doctrinis instructi confessi sunt eumdemque venerabilem concilium satisfacli suscepcruid. Et qui prius sub erroris vitio tenebantur, doctrina apostolicie Sedis intuminati cum pace consonantes veritati ad propria relaxati sunt. Liber pontij., éd. Duchesne, t. i, p. 376 ; et cf. art. Serge I er, t. xiv, col. 1915. Bède qui n’a pas très bien saisi l’affaire écrit : « Un synode réuni à Aquilée, ob imperitiam fidei V universale concilium suscipere difjidit, mais les instructions qui lui furent données par le pape Serge l’amenèrent à s’y rallier avec toutes les autres Églises du Christ. » De temporum ralione, 66, P. L., t. xc, col. 569. Peu importe d’ailleurs que ce soit à Pavie, à Rome ou à Aquilée qu’aient été fournies les explications. Le concile de 553, condamnant les Trois-Chapitres était maintenant reçu dans toute l’Église latine, comme il l’était, depuis longtemps, dans toute l’Église grecque.