Dictionnaire de théologie catholique/TROIS-CHAPITRES (AFFAIRE DES) VIII. Conclusions

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 194-197).

VIII. Conclusions. —

Cette longue et pénible affaire des Trois-Chapitres pose un certain nombre de questions. Les unes roulent autour du problème christologique, les autres autour de la question du magistère infaillible de l’Église.

Relativement aux questions christologiques.

La solution donnée par le Ve concile à l’affaire des Trois-Chapitres a-t-elle amené, dans le développement de la christologie, un changement essentiel ? Pour répondre à cette question, il convient d’examiner successivement le point de vue de l’histoire et celui de la théologie même.

1. Du point de vue de l’histoire.

Le Ve concile, si on envisage historiquement les choses, peut difficilement échapper au reproche d’avoir fait à la tendance monophysite des concessions regrettables. Rendue* nécessaires pour des raisons politiques plus que religieuses, ces concessions, bien loin de désarmer l’opposition faite au concile de Chalcédoine n’ont abouti qu’à la renforcer. En dépit des assurances données pu les plus modéré- dis monophysites, le Ve concile n’a pas réussi à refaire l’unité religieuse de l’Orient. Cinquante ans plus tard il faudra que le même gouvernement qui a cru rallier les monophysites par la condamnation des Trois-Chapitres improvise de nouvelles formules destinées à favoriser l’union. Ce seront les formules monénergistes et monothélites dont on sait quelles crises douloureuses elles ont amenées dans l’Église.

Ceux qui en 533 réclamèrent ces concessions justifiaient leurs demandes par l’éternelle accusation portée par les monophysites contre Chalcédoine, ce concile « nestorien » ; ceux qui les acceptèrent emboîtèrent trop aisément le pas à leurs partenaires. Sans doute n’osèrent-ils pas confesser ouvertement le t nestorianisme du grand concile, du moins convinrent-ils, dans leurs actes, que le nestorianisme y trouvait un point d’appui. Rien de plus significatif que de voir agiter, par certains, dès les premières décades du vie siècle, le spectre du nestorianismus redivivus. Il l’a été par les moines scythes, aussi bien que par Léonce de Byzance — si tant est que ce dernier n’ait pas été l’un des moines scythes. Visiblement l’accusation de « nestorianisme » a été dirigée contre les chalcédoniens très authentiques qu’étaient les acémètes de Constantinople. Quand on a voulu justifier, à quelque temps de là, la proscription des auteurs des Trois-Chapitres, on a prétendu qu’une propagande recommençait en faveur de leurs écrits. C’est la même accusation que, sitôt après Éphèse et l’Acte d’union, avaient lancée Proclus et Cyrille. Elle était moins justifiée encore au vie siècle qu’au siècle précédent. Il faut avoir le courage de nier cette résurrection, à Constantinople, au temps de Justin I effet de Justinien, d’un « nestorianisme » quelconque. Il restait du moins ceci, c’est qu’en certains couvents de la capitale on s’intéressait, tant au point de vue de l’histoire qu’à celui du dogme, aux productions des vieux docteurs antiochiens et aux écrits de tous ordres qu’avait fait surgir le grand conflit de 431 — c’est au couvent des acémètes que Rusticus se documentera. — De la lecture de ces écrits se dégageait sans doute l’impression qu’une théologie était possible, assez différente de celle qui, pour l’instant, s’élaborait sous la plume de Léonce de Byzance. Pour faire bref, appelons cette théologie des acémètes celle de YHomo assumplus, réservant à celle de Léonce le titre de doctrine de VU nus de Trinitate incarnatus. Au vrai, les deux systèmes théologiques expriment chacun l’un des aspects de l’ineffable mystère de l’Homme-Dieu ou du Dieu fait homme. Il n’y avait pas à les opposer l’un à l’autre, bien plutôt convenait-il d’en faire la synthèse. Retenons du moins qu’il était inexact, du point de vue de l’histoire, de crier si fort, vers les années 530, au péril nestorien.

Le vrai péril, c’était le monophysisme et la protection avérée qu’il trouvait, au Sacré Palais même, en la personne de Théodora. Vers lui finira par pencher Justinien lui-même et l’on ne saurait oublier qu’un des derniers actes du basilcus sera pour imposer comme doctrine officielle le monophyissme sous la forme de l’aphtartodocétisme de Julien d’Halicarnasse. Cf. Évagrc le Scolastique, H. E., t. IV, c. xxxix, P. G., t. lxxxvi b, col. 2781. Et, pour ne pas descendre si bas, il paraît bien que la pensée de Théodore Askidas, le principal conseiller de Justinien dans cette affaire des Trois-Chapitres, tendait vers le monophysisme sévérii n. C’est bien ce qu’avait remarqué Pelage, du temps qu’il était apocrisiaire à Constantinople ; c’est ce que remarquera Vigile lui-même. En définitive l’affaire de* Trois-Chapitres, vue du point de vue de l’histoire, apparaît bien comme un essai de revanche du monophysisme.

2. Du point de vue de la théologie.

Gel estai R-t-il abouti ? En d’autre* Urnus 1rs décisions du Y’concile ont-elles été des concessions au monophysisme, ont-elles favorisé un retour offensif de celui-ci ? Pour répondre à cette question, il faut commencer par reconnaître que les sentences du concile de 553 ont définitivement dégagé le concile de Chalcédoine de toute compromission avec la doctrine antiochienne. Celle-ci, nous l’avons dit de reste (voir surtout l’art. Théodore deMopsueste, col. 255 sq.), avait des parties extrêmement solides, tout spécialement l’affirmation des deux natures concrètes, complètes et agissantes, dont l’ineffable union constitue la personnalité unique de l’Homme-Dieu. Elle avait surtout attiré l’attention sur les activités humaines qui se révélaient en celle-ci, sur l’intime parenté que créaient ces « énergies » entre l’âme du Christ et la nôtre. Elle avait été moins heureuse quand il s’était agi de mettre en lumière l’unité foncière du Christ. Et, puisque les adversaires de Chalcédoine prétendaient que le « concile maudit » s’inspirait trop directement de cette théologie d’Antioche, peut-être n’était-il pas tout à fait inutile de souligner, d’une manière très précise, le point où l’Église catholique s’arrêtait dans son approbation du système antiochien. A la vérité cette mise au point aurait gagné à se faire autrement que par la condamnation de textes isolés, arrachés à leurs tenants et aboutissants et dont beaucoup, restitués dans leur intégrité et remis à leur place, exprimaient en somme une pensée où l’Église aurait pu se reconnaître. Telles quelles néanmoins, les sentences du Ve concile — et c’est plus vrai encore des condamnations appuyées de considérants prononcées par Vigile dans le Constitution de mai 553 — ne laissaient pas d’avoir leur importance. À toute tentative possible de ressusciter le « nestorianisme », elles signifiaient un congé définitif.

Est-ce à dire que l’œuvre dogmatique du Ve concile soit absolument parfaite. Il faudrait, pour le prétendre, oublier ce qu’il y a de défectueux dans toute affaire humaine, oublier surtout les circonstances historiques dans lesquelles s’est déroulée celle-ci. Il ne saurait faire de doute que le concile — mais le concile seul, car Vigile n’a dans l’occurrence rien dit sur ce point — a canonisé la terminologie et jusqu’à un certain point la théologie de Léonce. Celle-ci est partie d’un postulat qui est loin d’être incontestable, à savoir qu’il n’y avait entre la doctrine chalcédonienne et celle de saint Cyrille aucune différence. Non sans habileté, le moine byzantin a donc essayé une synthèse des deux enseignements. Mais il n’a pu aboutir qu’à une superposition factice : les deux théologies ne pouvaient s’amalgamer. Finalement la synthèse de Léonce, si elle a constitué une terminologie satisfaisante et même, si l’on veut, une ontologie acceptable de l’incarnation, est loin de permettre une analyse réelle de l’être intime du Verbe incarné. En particulier la question des « opérations » de l’Homme-Dieu est restée complètement en dehors des perspectives du théologien byzantin ; on s’en apercevra cinquante ans plus tard au désarroi que va causer la controverse monénergiste. En s’en tenant sans plus à cette théologie, le Ve concile, tout au moins par son silence, témoignait d’un recul par rapport aux affirmations si claires du Tome de Léon. Celui-ci avait expressément affirmé la « dualité d’opérations » ; à Constantinople il n’en était plus question, on se scandalisait même des analyses de Théodore portant sur les opérations de l’âme humaine du Christ ; quelques-unes des déductions de celui-ci étaient repoussées avec décision par le pape Vigile. De certaines nuances fort exactes qu’avait exprimées Chalcédoine on ne tenait pas davantage compte. La théologie de VUnus de Trinitate emportait celles-ci dans ses affirmations un peu massives, oserait-on dire un peu paradoxales. Parlant du terme de Théotocos appliqué à Marie, Chalcédoine l’avait traduit : « Mère de Dieu, selon l’humanité ». L’expression paraît quasi suspecte au Ve concile ; elle disparaît de son formulaire.

C’est qu’au vrai le Ve concile, à la remorque de Léonce de Byzance, acceptait comme un bloc intangible toute la théologie et même toute la terminologie cyrillienne, y compris la Au cpûmç toG 0eoû Aôyou oeoapxiouivT). C’était l’aboutissement de toute une évolution où le monophysisme sévérien avait joué un grand rôle et qui avait fini par transformer Cyrille en docteur infaillible de l’incarnation. Attaquer l’évêque d’Alexandrie, même quand il s’agissait des parties les plus caduques de son œuvre, passait au vie siècle pour un véritable crime. Les sévérités du Ve concile contre Théodoret et Ibas n’ont pas d’autre explication. Ainsi les décisions du concile de 553 nous mettent-elles très loin de l’Acte d’union de 433 ; il serait, pensons-nous, bien hasardeux de prétendre qu’il y ait en cela un progrès dans l’étude du mystère de l’Homme-Dieu. En bref, la théologie n’avait rien gagné à faire intervenir, dans ses délibérations, les arguments apportés par la raison d’État.

Relativement aux questions ecclésiologiques.

Plus délicats encore sont les problèmes que pose l’affaire des Trois-Chapitres dans le domaine de l’ecclésiologie. Si autour d’elle les luttes ont pris, soit avant, soit après 553, l’âpreté que nous avons dite, c’est que l’on a senti, plus ou moins obscurément, qu’était posée la question de l’irréformabilité des décisions ecclésiastiques. N’est-il pas vrai qu’on y voit un antagonisme entre une sentence conciliaire et une autre, entre un concile et un pape, entre deux définitions données par un même pape ?

1. Antagonisme entre un concile et un autre.

C’est ce qu’ont vu surtout les contemporains et c’est pour défendre l’irréformabilité des décisions de Chalcédoine qu’ont bataillé les défenseurs, surtout occidentaux, des Trois-Chapitres. Dès l’abord ils ont eu l’impression que le basileus, le Ve concile et finalement Vigile dernière manière avaient, par leurs sentences, ébranlé l’autorité du concile de 451.

Pour résoudre la difficulté très réelle que ce problème soulève, il faut faire les remarques suivantes :

a) Au point de vue strictement dogmatique, il n’y a pas de différence, nous l’avons dit ci-dessus, entre l’enseignement de Chalcédoine et celui du Ve concile. Et ceci est vrai non pas des seules affirmations dogmatiques générales, mais encore de l’appréciation des doctrines des trois personnages mis en question.

Il est bien certain d’abord que Chalcédoine n’a pas eu à se prononcer sur la doctrine de Théodore de Mopsueste ; l’on ne peut vraiment pas prendre pour une approbation de ce personnage le fait que l’assemblée a entendu sans protester les louanges que lui décernait la lettre à Maris. Le Ve concile, lui, après une enquête sérieuse, sinon totalement impartiale, a retenu de Théodore nombre de propositions qui, prises prout sonant, ne sont pas, à coup sûr, d’une impeccable orthodoxie. Aucun antagonisme de ce chef entre les deux assemblées. Soumises à une discussion par Chalcédoine ces propositions auraient peut-être été expliquées ; telles quelles elles n’auraient pu rallier l’adhésion des Pères.

Pour ce qui est d’Ibas, la question de doctrine entre moins en jeu. Il est difficile de prétendre que la lettre à Maris constitue un manifeste théologique ; elle contient surtout des appréciations personnelles, d’ailleurs non dénuées de fondement, sur des affaires où la doctrine est mêlée, ce qui est bien différent. Le concile de Chalcédoine ne s’est pas exprimé directement sur l’orthodoxie de la lettre ; c’est sur l’auteur, non sur la lettre, qu’il a prononcé une sentence ; et cette sentence revient à ceci : À tout prendre la lettre, quoi qu’il en soit des accusations à quoi elle a servi de point de départ, ne démontre pas l’hétérodoxie de son auteur. L’assemblée de 553, elle, a porté son attention non sur Ibas, mais sur le document dont on était parti pour l’incriminer. Elle en est arrivée même, sentant bien la délicatesse de la question, à contester que la lettre à Maris fût d’Ibas. Cette diversion la mit tout à fait à l’aise et lui permit d’être fort sévère à l’endroit du texte à examiner. Sa sentence, loin de s’inspirer d’une exégèse strictement historique du texte, fut toute dictée par une théologie où Chalcédoine ne se serait pas reconnu. On ne saurait dire néanmoins qu’il y ait contradiction, au sens plein du mot, entre les deux conciles, n’y ayant pas, comme disent les logiciens, affirmatio et negatio ejusdem de eodem sub eodem respectu.

La doctrine de Théodoret a été, au Ve concile, beaucoup moins étudiée ; à son sujet on est resté dans le vague, se contentant de lire de brefs extraits d’ouvrages et de lettres qui témoignaient de l’attachement de leur auteur à la personne de Nestorius, de son aversion à l’endroit de Cyrille et de sa doctrine. Si on laisse de côté les questions personnelles, il faut reconnaître, pensons-nous, que les doctrines exprimées par l’évêque de Cyr étaient correctes dans l’ensemble, du point de vue de l’Acte d’union. Chalcédoine qui voulait la paix, qui, dans le fond, représentait une certaine réaction contre Cyrille, a évité d’épiloguer sur les ouvrages ou les pièces en question ; il a simplement exigé de Théodoret un anathème formel contre Nestorius et est passé à l’ordre du jour. On comprend assez que le concile de 553 ait été beaucoup plus sévère contre des manifestations littéraires qui, dans l’état auquel était arrivée la théologie byzantine, ne laissaient pas d’être inquiétantes. De ce chef donc on ne saurait parler non plus d’antagonisme entre les deux assemblées.

b) Au point de vue des questions de personne. — Théodoret et Ibas sont hors de cause. Chalcédoine les avait renvoyés absous. Ainsi firent aussi tant le Ve concile, que le pape Vigile première et seconde manière. Vivants, ils avaient été réadmis dans l’Église ; morts, ils n’en furent point exclus. Tout autrement en va-t-il de Théodore. Mort dans la paix de l’Église, il avait été à coup sûr considéré comme tel par le concile de Chalcédoine, qui se serait certainement insurgé contre toute tentative de porter atteinte à sa mémoire. Sur cette dernière se sont acharnés au contraire Justinien, le Ve concile et finalement le pape. Qu’entendaient-ils faire en l’inscrivant sur la liste des hérétiques catalogués ? Simplement attirer l’attention sur l’hétérodoxie de sa doctrine ? C’était chose faite par la condamnation de ses ouvrages et cette explication ne rendrait pas compte de la véhémence des polémiques sur la question de la licéité du jugement des morts ? Ce que l’on prétendait par cette damnatio mémorise, c’était trancher la question du sort éternel de l’évêque défunt, soit que l’on s’imaginât qu’atteignant le mort par de la le tombeau on le rangerait, au jour du jugement dernier, dans la catégorie des hérétiques, et donc des damnés, soit que l’on entendit exprimer sur son état présent une déclaration constituant, si l’on ose dire, une canonisation à rebours. L’un et l’autre point fie vue sont indéfendables. Le premier suppose une juridiction de l’Église sur l’au-delà, qui de tout temps a été rejetéc par une sage théologie. Le second implique une connaissance des réalités d’outre-tombe que jamais l’Église n’a revendiquée : elle canonise les saints, elle n’a jamais déclaré personne damné. Ainsi en suivant aveuglément Justinien, le V » concile — et Vigile à sa suite — est sorti de sa compétence et s’est prononcé en une matière qui lui échappait. La srnlenee est de ce chef frappée de nullité.

2. Antagonisme entre pape et concile.

Cette seconde question a plus ou moins échappé aux historiens de la théologie qui, au xviie siècle, se sont occupés de cette affaire. La découverte tardive par Baluze de la « rédaction longue » aurait dû transformer du tout au tout le problème ; elle n’a pas été suffisamment remarquée. Or, on se rappelle, voir col. 1906, que c’est exclusivement dans cette recension longue que sont insérées et la lettre de Justinien réclamant la radiation de Vigile des diptyques dans l’Église universelle, et la sentence du concile se ralliant à la décision impériale. Du fait qu’ils ont ignoré cet événement capital, les apologistes du Ve concile sont passés en dehors de la question. En fait, par leur séparation explicite d’avec le pape, les Pères du Ve concile ont frappé eux-mêmes de nullité toutes leurs décrions ultérieures, c’est à savoir le décret dogmatique de la séance du 2 juin, avec les anathématismes qui y sont annexés. Et ceci n’est pas seulement vrai de notre point de vue actuel ; tel qu’il s’élaborait à ce moment même, le droit oriental exigeait, pour qu’il y eût concile œcuménique valable, la participation des cinq patriarches, celle par conséquent du titulaire du premier siège. Le concile s’en est si bien rendu compte que, par une anticipation singulière sur l’avenir, il a inauguré la distinction entre la chaire apostolique, avec laquelle il n’entendait pas rompre et le titulaire de ce siège : inter sedem et sedentem. Mais ce n’était là rien de moins qu’une sentence de déposition contre Vigile, qui était désormais considéré, comme sans pouvoirs. Par quoi justifier ce coup d’État ecclésiastique ? Il est bien difficile de le dire. Tout au plus la démarche du basileus, suivi par le concile, pourrait-elle de leur point de vue trouver un semblant d’excuse dans ce fait que le soutien donné par Vigile aux doctrines « hérétiques » des Trois-Chapitres classait le pape au rang des hérétiques. Nous aurions ici une première esquisse de cette doctrine du « pape hérétique », destinée à une si curieuse fortune. L’idée en est exprimée assez clairement dans la lettre de Justinien au concile : His igitur ab eo (Vigilio) factis, alienum christianis judicavimus nomen ipsius sacris diptychis recitari, ne eo modo inveniamur Nestorii et Theodori impietali communicantes. Mais cette déposition ou, si l’on veut, cette, suspension du pape « hérétique » ne saurait donner force opérante à la définition conciliaire. D’autant que, sur plusieurs points d’importance, elle prend le contre-pied de l’acte pontifical du 14 mai 553. Ci-dessus, col. 1907. On ne saurait donc nier l’antagonisme entre le pape et le concile, sinon en matière de doctrine, du moins sur des décisions de faits qui touchent d’assez près aux dogmes.

On dira, à la vérité, que Vigile après coup s’est rallié aux sentences conciliaires et que le Judicatum de la IIe indiction a constitué pour les décisions conciliaires une véritable sanatio in radice. On dira aussi qu’à supposer même la nullité de ce Judicatum — nullité qui tiendrait au manque de liberté de son signataire — l’approbation ultérieure des successeurs légitimes de Vigile et finalement de l’Église tout entière couvre toutes les irrégularités antérieures. C’est dans ce sens, nous paraît-il, qu’il faut rechercher la solution. Mais cette solution on n’y parviendra qu’après avoir élucidé un dernier problème.

3. Antagonisme entre deux décisions pontificales.

De fait il existe un antagonisme certain entre le Constitutum du 14 mai 553, où Vigile engageait sa responsabilité et qu’il déclarait équivalemment irréforniablc, et le Judicatum du 23 février 554 où, pour se conformer aux décisions du enneile, le même pape réforme son premier jugement et casse, en terme* 1-xpiès. sa première sentence. À la vérité l’écart entre les deux documents ne porte pas sur les doctrine professées de part et d’autre. Il s’avère exclusivement sur des questions de fait. Laissons de côté le cas de Théodoret qui ne soulève pas de difficultés spéciales. Pour Théodore, Vigile qui, dans le premier jugement, a défendu que l’on touchât à la mémoire de l’évêque de Mopsueste, se rallie dans le second à l’indéfendable théorie du concile sur le jugement des morts. Beaucoup plus grave est l’antagonisme dans le cas d’Ibas. La première sentence reconnaît que la « lettre à Maris » est bien de l’évêque de Cyr, que c’est elle dont la lecture à Ghalcédoine a amené la déclaration d’orthodoxie de son auteur et donc que la lettre elle-même est, en fin de compte, orthodoxe. La seconde sentence prend très exactement le contre-pied de la première : « la lettre à Maris est pleine d’hérésies — quelques-unes sont citées — ; ce n’est pas elle qui, lue à Chalcédoine, aurait déterminé l’absolution d’Ibas ; il est absolument interdit, sous peine d’anathème, d’affirmer que Chalcédoine lui ait donné la moindre approbation. » Il est à peine besoin de faire remarquer que ce sont là des contre-vérités évidentes. En tout état de cause nous avons bien ici affirmatio et negatio ejusdem de eodem sub eodem respeclu. Cette affirmation d’une part et la négation antagoniste de l’autre, se lisent en deux documents qui prétendent à la même autorité. Il faut savoir constater cette évidence. Encore une fois ce n’est pas un conflit de doctrines que révèle notre analyse ; les deux jugements contradictoires portent sur des faits : mais ces faits sont liés de si près à des questions de dogme qu’ils doivent prendre place dans cette catégorie des faits dogmatiques, sur lesquels on s’est âprement disputé, entre théologiens, au cours des xvii « et xviiie siècles. Voir ici art. Église, t. iv, col. 2188-2192. Encore que ceci n’ait pas été remarqué à cette date, car les documents n’avaient pas encore été entièrement publiés, il ne faut pas hésiter à dire que les jugements contradictoires de Vigile dans l’affaire des Trois-Chapitres doivent être versés au dossier de cette fameuse question théologique ; il n’est pas malaisé de voir en quel sens ils déposent.

Il nous semble, d’ailleurs, que l’examen impartial des faits, en dehors de tout argument d’autorité, oblige à choisir comme seul valable le premier jugement de Vigile sur l’affaire des Trois-Chapitres. Extrêmement nuancé, il exprime au mieux la pensée de l’Église en cette question difficile. Tout en signifiant leur congé à des thèses insuffisamment assouplies de la théologie antiochienne, il évite de mettre en cause la bonne foi de ceux qui les ont produites et fait leur part aux conditions historiques dans lesquelles ces affirmations se sont énoncées. En d’autres termes, il a du développement dogmatique une conception beaucoup plus vraie que les anathèmes massifs et les condamnations sans appel du Ve concile. C’est à lui, pensons-nous, qu’il faut en définitive s’en tenir, ne conservant des définitions de l’assemblée de 553 que cela seulement qui n’est pas en désaccord formel avec la sentence pontificale. Ultérieurement d’ailleurs, les papes qui ont le plus urgé la soumission aux décrets du Ve concile ont laissé tomber tout ce qu’il y avait de caduc et dans les décrets conciliaires et dans le Judicalum de la IIe indiction. Ce que Pelage II et saint Grégoire le Grand, pour ne parler que des papes sur lesquels nous sommes suffisamment renseignés, ont demandé aux schismatiques d’Aquilée, c’est de renoncer à une séparation ecclésiastique qui n’avait pas de raison d’être, d’admettre — ce qui était la vérité — que Chalcédoine n’avait pas été mis en échec au point de vue dogmatique par Constantinople. Il ne leur est jamais venu à la pensée d’imposer à la créance des dissidents les affirmations controuvées du malheureux Vigile sur la lettre à Maris, ni l’opinion que Théodore de Mopsueste était au fond des enfers. En dernière analyse, l’étude de cette pénible affaire des Trois-Chapitres avertira le théologien de toute la complexité des problèmes où l’histoire interfère avec la dogmatique. I ! y prendra des leçons de modestie dont l’importance, à nulle époque, ne saurait être sous-estimée.

La bibliographie des différentes parties de l’article a été donnée aux divers vocables qui se rapportent de près ou de loin à l’affaire des Trois-Chapitres. Voir : Chalcédoine (Concile de) ; Constantinople (II’concile de) ; Éphèse (Concile d’) ; [il n’y a pas malheureusement d’article sur le Brigandage d’Éphèse, voir Eutychès et Eutychianisme, t. v, col. 1587, L. Duchesne, Histoire ancienne de l’Église, t. iii, et Fliche-Martin, Histoire de l’Église, t. iv ; cf. Paulin Martin, Le pseudo-synode connu dans l’histoire sous le nom de Brigandage d’Éphèse ; ] Ibas (qui renvoie à t. iii, col. 1257 sq.) ; Justinien ; Léonce de Byzance ; Monophysisme (voir surtout t. x, col. 2220-2228 ce qui concerne le monophysisme sévérien) ; Nestorius (où l’on trouvera les indications nécessaires pour la consultation des Acta conciliorum œcumenic) ; Origénisme ; Pelage I" et Pelage II ; Proclus de Constantinople ; Théodore de Mopsueste ; Théodoret ; Théopaschite (Controverse) ; Vigile.

I. Sources.
Elles ont été indiquées au cours de l’article pour chacune des questions, avec les indications des collections où les trouver, sauf pour ce qui est du Brigandage d’Éphèse ; de celui-ci il reste : le procès-verbal en grec de la i « session, lu à la î » session de Chalcédoine ; le procèsverbal en syriaque de la IIe session, trad. française par Paulin Martin dans la Revue des sciences ecclésiastiques d’Amiens, 1874, t. ix, p. 505-544 ; t. x, p. 22-61, 209-226, 305-339, 384-410, 518-543 ; texte et trad. anglaise de S. G. Perry, The second synod of Ephesus, Dartford, 1881 ; voir aussi les deux appels de Flavien de Constantinople et d’Eusèbe de Dorylée dans Neues Archiv, t. xi, 1886, p. 362 sq.

II. Travaux.
Parmi les travaux anciens H faut au moins connaître : Noris, Dissertatio historica de Synodo V » (cf. art. Noris) ; Garnier, Dissertatio critica de V* synodo generali, reproduite dans P. G., t. lxxxiv, col. 455-548 et une autre dissertation publiée à la suite de ses scolies sur le Breviarium de Libératus.

Les travaux plus récents sont énumérés dans Hefele-Leclercq, Histoire des conciles, t. m a. Le plus important est le mémoire de L. Duchesne, Vigile et Pelage, dans Revue des questions historiques, 1884, t. xxxvi, p. 369 ; cf. art. de dom Chamard, ibid., t. xxxvii, p. 540 sq., et réplique de Duchesne, ibid., p. 579 ; la substance de ce mémoire est passée dans L’Église au VI » siècle ; Savio, Il papa Vigilio dans Civiltà caltolica, 1903 ; P. Batifïol, L’empereur Justinien et le Siège apostolique, dans Recherches de science rel., t. xvi, 1926, p. 193 sq. ; R. Devreesse, Le début de la querelle des Trois-Chapitres : la lettre d’Ibas et le tome de Proclus, dans Rev. des se. rel., t. xi, 1931, p. 543 sq. ; du même, l’introduction à l’éd. de Pelage, In defensione trium capitulorum ; E. Caspar, Gesch. des Papsttums, t. i, 1933, c. iii, p. 193-305 et les notes, p. 768-774.

É. Amann.


TROMBELLI Jean-Chrysostome, chanoine régulier de Saint-Sauveur (1697-1784). — Né près de Nonantula le 5 mars 1697, Trombelli entra à seize ans dans l’ordre des chanoines réguliers de Saint-Sauveur dont il devint rapidement, par sa science et la dignité de sa vie, un des membres les plus éminents. Dès la fin de ses études, il fut nommé professeur de philosophie à Candiano, près de Padoue, puis il professa la théologie à Bologne. Abbé de Saint-Sauveur en 1737, procureur général en 1757, Trombelli devint général de son ordre en 1760. Il mourut en janvier 1784.

Outre ses œuvres poétiques et des vies de saint Joseph, de saint Joachim et sainte Anne, Trombelli est l’auteur des ouvrages suivants : 1. De cultu sanctorum dissertationes decem quibus accessit appendix de cruce, Bologne, 1re éd. 1740, 2e éd. 1751 sq., 6 vol. in-4°. Jean-Rodolphe Riesting, professeur de théologie protestante à Leipzig, attaqua violemment cet écrit dans des Exercitationes in quibus J.-Chr. Trombelli dissertationes de cultu sanctorum modeste diluuntur, Leipzig, 1742-1746, 3 vol. in-4°. — 2. Trombelli répondit à ces critiques par : Priorum quattuor de cultu sanctorum dissertaionum vindiciæ, Bologne,