Dictionnaire de théologie catholique/TROIS-CHAPITRES (AFFAIRE DES) VI. Le pape Vigile et le Ve concile

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 185-191).

VI. Le pape Vigile et le Ve concile.

Si Eutychius reprenait l’idée de faire débattre la question des Trois-Chapitres — idée à laquelle le pape se ralliait dans sa lettre Repletum est gaudio os nostrum, P. L., t. lxix, col. 66-68 — il s’en fallait pourtant que coïncidassent les vues du patriarche et celles du pape. De toute évidence Eutychius songeait à un concile œcuménique, dans le sens où avaient été œcuméniques les assemblées de Nicée, d’Éphèse et de Chalcédoine, où l’épiscopat de langue grecque avait figuré à peu près seul. Vigile, lui, pensait avant tout à une consultation des Occidentaux, tous très férus de chalcédonisme et qui feraient équilibre à la masse des Orientaux, que maniait trop facilement le basileus. Comme il le rappelle dans le préambule du Constitutum, il désirait tout au moins que le concile se tînt en Italie ou en Sicile. On y aurait convoqué les évêques d’Afrique et des autres provinces de langue latine. P. L., t. lxix, col. 70-71 ; Coll. AvelL, p. 234 sq. Justinien permit seulement au pape de dresser une liste d’un certain nombre de prélats que l’on ferait venir dans la capitale. En fait il ne vint personne ni des Gaules, ni d’Espagne, ni d’Italie et ceux qui vinrent d’Afrique avaient été triés sur le volet par les soins du gouvernement. A plus forte raison les évêques de langue grecque avaient-ils été soigneusement choisis. En somme le Sacré-Palais revenait aux procédés qui avaient si bien réussi au concile d’Éphèse de 449. On comprend que. dans ces conditions, Vigile ait montré peu d’empressement à collaborer avec le concile. Il allait s’isoler, étudier la question pour son compte, rendre sur elle un jugement qu’il déclarerait définitif, pendant que le concile rendrait de son côté, et sans s’occuper du pape, des sentences qui, sur des points capitaux, seraient diamétralement opposées à celles de Vigile.

Le Constitutum de Vigile (Judicalum de la I n indiction) (14 mai 553).

Depuis que le diacre Pelage avait repris sa place aux côtés de Vigile, on se livrait, dans l’entourage pontifical, à une sérieuse étude du problème soulevé et l’on commençait à se rendre compte de la complexité de celui-ci et du temps qu’il faudrait pour le résoudre. Le basileus au rebours était fort pressé d’en finir. Peu avant Pâques (20 avril), il faisait transmettre au pape un premier dossier, puis après les fêtes un second. Coll. Avell., p. 235. Selon toute vraisemblance ces dossiers contenaient les textes de Théodore et de Théodoret motivant une condamnation et les considérants qui justifiaient la sentence contre la lettre d’Ibas. Pour ce qui est de Théodore on avait pris comme guide, au Sacré-Palais le florilège qu’avait déjà constitué Léonce de Byzance, cf. art. Théodore, col. 243 ; mais des coupures avaient été pratiquées dans les citations un peu longues ; d’autres textes aussi avaient été ajoutés. Depuis le temps qu’ils fréquentaient les œuvres de l’Interprète, Askidas et ses amis n’étaient pas en peine de corser le dossier de l’accusation. En définitive c’était sur un nombre considérable de propositions que Justinien demandait au pape une réponse immédiate. Vigile promit d’obéir, demandant seulement, eu égard à son état de santé, un délai de vingt jours. Les évêques grecs cependant étaient rassemblés et impatients de commencer leurs travaux. [Peut-être est-ce pour occuper le tapis qu’on leut fit alors traiter la question origéniste ; voir l’art. Origénisme, t. xi, col. 1580 sq.]

Vigile finalement députa à l’assemblée son diacre Pelage : la sentence du pape ne saurait plus tarder, les membres du concile devraient éviter, avant la promulgation de ce jugement du Siège apostolique, de rien f lire de définitif : Quicquam prof erre lemptarent. C’était leur dire que, r.’ils le voulaient, ils pouvaient délibérer, mais sans rien arrêter, et que le pape, de son côté, sans prendre langue avec eux, ferait connaître sa décision.

C’est dans ces conditions que fut préparée la sentence pontificale que l’on appelle le Constitutum du pape Vigile (le diacre Pelage, dans son ouvrage In defensione trium Capilulorum la nomme Judicatum de la première indiction). Publié d’abord par Barouius, Annales, an. 553, n. 50 sq., le texte est passé de là dans les collections conciliai/es, ainsi dans Mansi, Concil., t. ix, col. 61-106, puis dans P. L., t. lxix, col. 67-114 ; bien supérieur est le texte fourni par la Collectio Avellana, pièce 83, dans Corpus de Vienne, t. xxxv a, p. 230-320. On sait que, pour ce qui est de Théodore, le Constitutum reproduit les mêmes textes qui sont également donnés par le V* concile, à quelques différences près. Cf. art. Théodore, col. 243. Toutefois le document pontifical ne donne aucune référence aux œuvres de Théodore d’où les propositions sont tirées et il fait suivre chaqu" sentence d’une brève appréciation. Il faut aller jusqu’au bout des soixante textes condamnés pour apprendre que ceuxci, dans le dossier transmis par la chancellerie impériale, figuraient sous le nom de Théodore : sub Theodori Mopsuesteni episcopi perhibentur nomine prænotata. Coll. Avell., p. 286. Tout se passe donc comme si les propositions visées étaient des textes impersonnels sur lesquels on a sollicité le jugement du pape. Ceci certainement voulu. Les propositions sont quali>rout sonant et abstraction faite de leur contexte. Peu importe donc qu’elles reproduisent plus ou moins exactement la pensée de leur auteur — en fait il y a parfois des coupures hâtives et des suppressions tendancieuses — c’est sur le texte reproduit par lui que le pape entend se prononcer.

Le Constitutum se présente sous la forme d’un message adressé à l’empereur ; il commence par rappeler les événements de l’année précédente : la soumission de Menas, les propositions iréniques d’Eutychius, puis, en un bref résumé, les négociations ultérieures avec le basileus, jusques et y compris la communication faite par lui de textes sur lesquels a été sollicité le sentiment du pape. Ces dogmata sont déclarés, dès le début, exécrables et déjà condamnés par les saints Pères ; le pape à son tour les anathématise. Suivent soixante propositions, presque toutes relatives à la christologie, sur chacune desquelles Vigile exprime son sentiment, toujours fort sévère. Cet examen terminé, il déclare que la condamnation portée par lui ne doit être pour personne l’occasion de faire injure à des Pères ou des docteurs des âges passés, en d’autres termes qu’il ne faut point condamner des personnages qui, de bonne foi, auraient soutenu telle ou telle des assertions prohibées. Et, passant à l’application, le pape continue : Les susdits dogmata nous ont été transmis comme provenant de Théodore de Mopsueste. Nous avons donc recherché si, dans les Pères, il était parfois question de la personne même de cet évêque. Or, ni Cyrille d’Alexandrie, ni Proclus de Constantinople n’avaient entendu condamner Théodore lui-même, quoi qu’il en fût de leur réprobation pour certaines doctrines qu’on lui attribuait. Il y avait même dans Cyrille une phrase, très nette interdisant de s’attaquer aux morts : Grave est insultare defunctis, vel si laici sint, nedum illis qui in episcopatu vilam deposuerunt. Coll. Avell., p. 288. A Chalcédoine non plus, rien n’avait été fait contre Théodore et, dans son allocution à l’empereur Marcien, le concile comptait Jean d’Antioche (qui avait défendu la mémoire de l’évêque défunt) parmi les auteurs à approuver. Et, pour généraliser la question, il paraissait clair à Vigile que jamais l’on n’avait condamné après coup des personnages morts dans la paix de l’Eglise. Et de citer un certain nombre de cas, où, pour respecter la mémoire des morts, on avait pris les plus grandes précautions. L’Église, en définitive, n’avait pas juridiction sur l’au-delà. Pour ce qui est donc de Théodore de Mopsueste, continuait le pape, nous n’avons pas la présomption de le condamner et ne permettons à personne de le faire, tout ceci étant dit sans préjudice de la condamnation des capitula signalés : Eum nostra non audemus condemnare sententia sed nec ab alio quoquam condemnari concedimus. Ibid., p. 292.

Quant à ce qui est de Théodoret, on pouvait bien s’étonner des attaques dont il avait été l’objet, puisqu’il avait souscrit aux décisions de Chalcédoine et au Tome de Léon. L’anathème exprimé par lui contre Ncstorius équivalait à la condamnation de tout ce qui chez lui aurait pu être d’accord avec cet hérétique. Condamner aujourd’hui, sous le nom de Théodoret, des propositions nestoriennes, c’était dire qu’il y avait eu à Chalcédoine des simulateurs ou des menteurs. Si les Pères du concile avalent passé outre aux attaques de l’évêque de Cyr contre les douze anathématismes, c’est qu’ils avaient cru bien faire en imitant Cyrille, qui, après l’Acte d’union, avait oublié les injures des années précédentes. Nous n’avons pas, pour notre compte, continuait Vigile, à réparer les soi-disant omissions des Pères de Chalcédoine. Et donc nous interdisons d’injurier ou d’attaquer Théodoret, decernlmus nihil in inluriam vel obtrectalionem probalissiml in Chalcedonensi sunodo viri, hoc est Theodorett episcopi. .. a quoquam fieri vel proferri. Ibid., p. 295. Mais, toute révérence gardée pour sa personne, nous condamnons un certain nombre de propositions, quoi qu’il en soit de leur origine, qui ont pu lui être attribuées. Et Vigile d’énoncer, sous forme d’anathèmc, cinq propositions qui, de fait, n’ont aucune attache, sauf peut-être la quatrième, avec la doctrine authentique de Théodoret.

Venait enfin le tour d’Ibas et de sa fameuse lettre. Cette pièce que l’on voulait condamner avait fait l’objet à Chalcédoine d’une enquête que Vigile avait étudiée documents en mains. La sentence du concile avait été rendue, après mure délibération ; la lecture de la lettre ayant été le fait essentiel qui fit Juger Ibas orthodoxe. Et le pape reprenait à son tour l’exégèse de la lettre incriminée et montrait que rien ne s’y découvrait d’hétérodoxe : poleramus de singulis memoratæ epislolæ locis ac sensibus per singula reddere rationem. Ibid., p. 305. Si le brigandage d’Éphèse avait condamné Ibas, c’est parce que celui-ci professait la doctrine correcte des deux natures. Ibas avait pu critiquer Cyrille, il l’avait moins déshonoré que Dioscore et ses comparses, qui faisaient du patriarche le patron d’une doctrine hérétique. Nous déclarons dès lors, poursuivait le pape, que reste en vigueur la sentence de Chalcédoine sur Ibas ; nous ne permettons à personne d’y rien modifier par addition, soustraction ou changement. Mais nous entendons aussi ne porter par là aucune atteinte aux douze anathématismes cyrilliens avec lesquels, tout bien considéré, peut se concilier le fait de la réception d’Ibas par le concile. Ibid., p. 310. Et, polémiquant contre ceux qui prétendaient que l’approbation donnée par le pape Léon aux actes du concile couvrait seulement les définitions dogmatiques : elle couvre encore, disait le pape, les décisions relatives aux personnes ; la défense de toucher en quoi que ce soit aux actes de Chalcédoine est clairement exprimée en différents documents émanés de ce pape ou de l’un de ses successeurs, Simplice. Ces diverses pièces montrent avec quelle réserve il faut toucher à ce qui a été antérieurement décidé. Ainsi avions-nous fait, nous-même dans notre premier Judicatum, où nous avions expressément réservé l’autorité de Chalcédoine (cf. ci-dessus, col. 1894). Ce Judicatum, d’ailleurs, nous le considérons d’ores et déjà comme définitivement annulé par le présent acte. À ces causes, nous défendons à tout ecclésiastique de rien faire de contraire à ce que nous venons d’ordonner ici ou de soulever désormais, après la présente définition, post présentera deftnitionem, l’affaire des Trois-Chapitres. Tout ce qui pourrait être dit, fait, écrit, à ce sujet, par quelque personne ecclésiastique que ce soit, nous le déclarons nul et non avenu par l’autorité du Siège apostolique, auquel par la grâce de Dieu nous présidons : Hoc modis omnibus ex auctoritaie Sedis apostolicx, cui per Dei gratiam prsesidemus, efjetamus (refutamus). Suivait la signature de Vigile, de seize évêques, italiens, africains, illyriens, un grec, de l’archidiacre de Rome, Théophane, et des deux diacres romains Pelage et Pierre. La pièce était datée du 14 mai 553.

On ne saurait trop attirer l’attention sur la finale du Constitutum. Il est peu d’actes pontificaux où ait été engagée d’une manière aussi solennelle l’autorité du Siège apostolique, où un pape ait pris, avec autant de conviction, la responsabilité de la définition qu’il donnait. Cette définition vise sans doute les vérités dogmatiques impliquées dans la condamnation des thèses tout au long réfutées dans le document ; elle s’étend aussi à des faits, spécialement à l’innocence de Théodoret et d’Ibas ; elle affirme que la lettre lue au concile de Chalcédoine est bien celle de l’évêque d’Édesse à Maris et que cette lettre, soigneusement étudiée par le pape, est orthodoxe. C’est plus que n’avait dit le concile même de Chalcédoine. Nous aurons besoin de toutes ces constatations par la suite.

Les délibérations et les décisions du Ve concile.

Dans le temps même où le pape achevait la rédaction de son Constitutum, le concile avait commencé de siéger. On sait que des actes conciliaires il existe deux recensions (latines toutes les deux), l’une brève, donnée par toutes les collections avant celle de Hardouin, l’autre plus longue qui, publiée d’abord par Baluze en 1683, a passé dans les recueils ultérieurs et finalement dans Mansi, t. ix, col. 178 sq. Tout se passe comme si le texte long était l’original, d’où l’on aurait fait disparaître, avant de le communiquer à Vigile, divers passages où le pape était mis en trop fâcheuse posture. Sur tout ceci voir la préface de Baluze reproduite dans Mansi, Concil., t. ix, col. 163-172.

session. — Le concile s’ouvrit le 4 mai et entendit immédiatement la lecture d’un message du basileus. Celui-ci rappelait la diffusion, par les nestoriens, des œuvres de Théodore, de Théodoret et d’Ibas, les mesures prises à l’encontre par l’autorité impériale, les assentiments donnés par l’ensemble de l’épiscopat, la nécessité d’obtenir maintenant une adhésion unanime aux proscriptions édictées par le gouvernement. De son côté le pape Vigile avait, à plusieurs reprises, anathématisé les Trois-Chapitres et clairement manifesté sa volonté en condamnant ceux de son entourage qui lui faisaient opposition. Son Judicatum d’avril 548 témoignait mieux encore de ses sentiments. Depuis, il semblait avoir eu des retours en arrière et le basileus donnait un aperçu rapide des dernières négociations. Nonobstant ces atermoiements, le concile était invité à comparer à l’enseignement des quatre conciles celui de Théodore et de la lettre d’Ibas, à discuter la question de savoir s’il était permis de condamner les morts, à se prononcer enfin sur le cas de Théodoret. À ce message impérial fut ajoutée la lecture des pièces échangées vers l’Epiphanie 553 entre Eutychius et Vigile, ci-dessus, col. 1900. Sur quoi le concile exprima le désir que le pape vînt lui-même siéger au concile ; il fut décidé qu’une députation lui serait envoyée à cette fin. Ainsi fut fait ; mais une double démarche tentée le 6 et le 7 mai demeura sans résultat.

IIe session. — La deuxième séance, 8 mai, dut enregistrer d’abord ce résultat négatif, et entendre le récit de la double délégation qui s’était rendue auprès du pape. On crut comprendre qu’en fin de compte celui-ci avait déclaré que si, dans le délai fixé (il s’agit des vingt jours après la deuxième communication faite par l’empereur, ci-dessus, col. 1901), il n’avait pas pris position, le concile aurait toute liberté de délibérer. Après quoi l’assemblée décida qu’une invitation serait envoyée aux évêques latins de séjour à Constantinople, les priant de siéger au concile. Les démarches furent faites sur l’heure. Mais les Latins répondirent qu’en l’absence du pape ils ne pouvaient se présenter. À quoi l’assemblée déclara que l’on ne tiendrait compte de l’absence ni de Vigile, ni de ses évêques et qu’on se réunirait le lendemain.

IIIe session. — Cette séance du 9 mai ne fut que de pure forme. Avant d’examiner la question des Trois-Chapitres, le concile voulait déterminer sa position dogmatique : il reconnut donc les quatre grands synodes précédents et aussi les Pères orthodoxes d’après lesquels il se réglerait. La discussion sur les Trois-Chapitres fut renvoyée à une séance ultérieure. Le concile voulait sans doute donner des preuves de sa bonne volonté et ne pas anticiper sur le délai qu’avait fixé le pape.

IVe session. — Mais le lundi 12 mai, le délai de vingt jours demandé par le pape le lundi de Pâques, 21 avril, était expiré. Le synode commença l’examen des propositions extraites des ouvrages de Théodore, les mêmes qui avaient été envoyées à Vigile, augmentées de dix autres. Ce ne fut pas trop de toute la séance pour cette lecture, fréquemment interrompue par de bruyants anathèmes. Le tout se termina par le sceleratum symbolum déjà lu et condamné à Éphèse (431) dans l’Actio Charisii (ci-dessus, col. 1870), mais qui, cette fois, fut expressément attribué à Théodore. Les cris de réprobation redoublèrent : « C’est Satan lui-même, criaient certains, qui a composé ce document. »

Ve session. — Le lendemain, 13 mai, se continua le procès de l’évêque de Mopsueste. Successivement furent interrogés les Pères, les lois impériales, l’historien ( ?) Hésychius de Jérusalem, les amis eux-mêmes de Théodore, les procès-verbaux de l’enquête faite à Mopsueste, ci-dessus, col. 1897. Tous déposaient contre l’hérétique et ses doctrines impies. Mais était-il possible de condamner des morts ? Bien des gens, à commencer par saint Cyrille, ci-dessus, col. 1872, étaient pour la négative. Mais on écarta leurs témoignages : la lettre de Cyrille à Proclus, déclara-t-on, était inauthentique et contredisait des affirmations du patriarche alexandrin. Le représentant du primat de Carthage, le seul Occidental présent, intervint pour faire connaître des textes, surtout augustiniens, qui abondaient dans le sens des désirs impériaux. Remettant à plus tard sa décision, le concile trouva encore le temps d’entamer en cette même séance le procès de Théodoret. L’on versa à son dossier divers extraits de ses ouvrages : dans la réfutation des xii anathématismes cyrilliens, les n° 1, 2, 4, 10 ; les lettres diverses écrites par lui soit à Éphèse, soit plus tard, avant et après l’Acte d’union ; certains sermons prononcés par lui en ces temps-là et aussi après la mort de Cyrille. Sur tout ceci, cf. ci-dessus, col. 1873 sq. De tout quoi il résultait que l’évêque de Cyr avait gravement porté atteinte à la mémoire du patriarche d’Alexandrie, et ce crime de lèse-majesté cyrillienne dénonçait une doctrine de fond hétérodoxe. Rien d’étonnant qu’avant d’admettre Théodoret à siéger le concile de Chalcédoine eût exigé de lui un anathème contre Nestorius et ses blasphèmes.

VIe session. — Comme si rien ne s’était passé dans l’intervalle des séances on reprit, le lundi 19 mai, l’examen du troisième accusé, Ibas. Toute la journée lui fut consacrée ; aussi bien on voulut donner l’impression que l’on s’entourait de toutes les garanties et que l’on reprenait l’affaire ab ovo. Mais sous le flot des protocoles qui furent lus successivement se cachait une manœuvre amorcée depuis quelque temps. La grosse difficulté que créait le cas de la lettre à Maris, c’était que sa lecture à Chalcédoine avait déterminé l’absolution de son auteur. Relecla ejus epistola, eum orthodoxum judicamus, avaient dit les légats romains, suivis finalement par l’assemblée. Or, depuis un certain temps on s’était avisé, dans l’entourage impérial, d’une explication qui sauvait l’autorité du concile. Ce n’était pas la lecture de la lettre d’Ibas à Maris qui avait amené l’absolution de l’évêque d’Édesse, mais bien celle de l’épltre adressée au concile de Tyr par les clercs de son Église. Ci-dessus, col. 1879. C’est cette explication qu’il s’agissait de faire admettre par l’assemblée. La lecture des interminables procès-verbaux du concile d’Éphèse de 431, qui n’avaient rien à voir ici, de ceux de Chalcédoine, qui n’étaient guère davantage ad rem, avait pour but de ramener l’affaire au raisonnement suivant : Éphèse et Chalcédoine sont d’accord ; l’un et l’autre concile professent la même doctrine, celle de saint Cyrille. La lettre à Maris attaque cette doctrine ; il n’est donc pas possible que Chalcédoine ait, même Indirectement, déclaré cette épltre orthodoxe. En fait ce ne fut pas cette lettre, d’ailleurs désavouée par son auteur — ceci était une contrevérité — qui fut lue à Chalcédoine. L’évêque d’ËdcSM y a été déclaré orthodoxe sur le bon témoignage rendu par la lettre de ses clercs. Voir cette argumentation sophistique, Mansi, Concil., t. ix, col. 305 A, 305 CD, 306 A. Quand furent terminées toutes ces lectures, où, même à tête reposée, il est difficile de se reconnaître, le Ve concile put se déclarer édifié : la lettre qui était attribuée à Ibas était en tout contraire à la définition de Chalcédoine ; la présente assemblée la condamnait : recevoir cette épître c’était rejeter les Pères du grand concile de 451.

Que les auteurs de cette manœuvre fussent d’absolue bonne foi, c’est ce qu’il nous paraît difficile d’admettre et ce fut Askidas en personne qui porta l’antienne. En les suivant d’ailleurs, le concile ne pouvait pas ignorer que, depuis le mercredi précédent, 14 mai, l’affaire n’était plus intacte et que, dans les délais qu’on lui avait assignés, le pape avait rendu une sentence définitive, dont il était bien difficile que rien n’eût transpiré. Sans doute l’on s’était arrangé au Sacré-Palais pour ignorer l’acte pontifical ; ces chicanes de procéduriers retors ne changeaient rien à la réalité.

VIIe session. — Il fallut bien pourtant qu’à la séance du 26 mai le basileus mît le concile au courant, par un message, de ce qui s’était passé entre ses gens et le pape. Celui-ci avait la veille (25 mai) envoyé son apocrisiaire au palais pour informer — c’était, pensons-nous, pour la seconde fois — que sa réponse était prête et qu’une députation de hauts fonctionnaires et de prélats devait la chercher pour la communiquer au souverain. Venue au palais de Placidie, la délégation, après lecture du Constitutum, avait déclaré qu’elle ne pouvait accepter ce papier. « Du moins, reprit Vigile, vous saurez qu’il existe », et il avait envoyé son apocrisiaire au souverain pour lui transmettre sa sentence. L’apocrisiaire ne fut pas reçu ; il fut seulement chargé de porter à son maître la réponse suivante : « Ou la sentence du pape condamnait les Trois-Chapitres et elle était inutile ; ou elle les innocentait et alors Vigile se mettait en contradiction avec lui-même. » Et c’est pourquoi le message impérial communiquait au concile toutes les pièces secrètes dans lesquelles Vigile s’était engagé à condamner les Trois-Chapitres, ci-dessus, col. 1892, 1895, 1896. Il opposait ainsi le pape à lui-même. À ces causes le messager du basileus réclamait, au nom de son maître, que le nom du pape fût rayé des diptyques : De Vigilii nomme ne jam sacris diptychis Ecclesise inferatur propter impietatem quam oindicavit nec et reciietur oobis et conservetur, ceci étant dit pour toutes les Églises de l’Empire. Ce que le messager impérial demandait de vive voix, la lettre impériale dont il était porteur le motivait par de rudes considérants : Ipse semetipsum alienum catholicæ Ecclesise fecit, defendens prsedictorum capitulorum impietatem, séparons autem semetipsum a vestra communione. Le basileus se flattait d’ailleurs, en terminant, que l’on pourrait néanmoins conserver l’union avec le Siège apostolique ; les variations de Vigile, ou de tout autre ne pouvaient nuire à la paix de l’Église. Première esquisse de la distinction impossible entre la sedes et le sedensl Sans plus ample informé, le concile se rallia à la motion impériale : Omnia secundum tenorem lectorum apicum peragentes. (Tout ceci dans la rédaction longue, Mansi, col. 351-366 A ; la recension courte, la seule connue autrefois, ne connaît pas cette lettre de Justinien, ni l’assentiment que lui donna le concile ; parmi les pièces communiquées par le basileus à l’assemblée elle supprime le serment de Vigile du 15 août 550.]

VIIIe session. — Ainsi la séparation entre le pape et le concile était maintenant définitive. Peut-être n’apprécia-t-on pas sur le champ la gravité de cette démarche ; elle ne laissait pas néanmoins de porter une grave atteinte même au droit oriental de l’époque. A nous-mêmes elle nous apparaît lourde de conséquences : c’est un concile en rupture ouverte avec le pape qui va porter, non seulement dans l’affaire des Trois-Chapitres, mais dans des questions proprement théologiques les arrêts qui ^furent pris à la vin" et dernière séance (2 juin). Ils s’expriment en une définition positive et en de longs anathématismes d’une rédaction extrêmement laborieuse. En bref, par sa définition (horos), le concile anathématisait la personne et les écrits de Théodore de Mopsueste, les écrits de Théodoret « contre la foi orthodoxe, les douze capitula cyrilliens et le premier concile d’Éphèse, pour la défense de Théodore et de Nestorius ». Quant à la soidisant lettre d’Ibas qui n’avait jamais été, quoi qu’on prétendît, reçue par Chalcédoine dont elle contredisait la doctrine, elle était condamnée, elle aussi, comme niant que le Verbe se fût incarné de la sainte Théotocos, comme accusant Cyrille d’apollinarisme et le concile d’Éphèse de partialité, comme injuriant les douze capitula de Cyrille et comme défendant Théodore et Nestorius. Les quatorze anathématismes presque tous empruntés textuellement à l’édit impérial de 551, ci-dessus, col. 1897, se divisent en deux séries : Les dix premiers résument, sous la forme négative de ces sortes de décisions, la théologie telle que venait de la constituer Léonce de Byzance et canonisent la formule théopaschite : Unus de Trinitate crucifixus carne. Les quatre derniers visent, après les hérétiques du passé, y compris Origène, les Trois-Chapitres eux-mêmes : anathème à Théodore de Mopsueste ; en une longue période on essayait de caractériser sa subtile doctrine et l’on condamnait ses écrits aussi bien que sa personne, et en même temps ceux qui ne voulaient pas l’anathématiser ou, à plus forte raison, avaient écrit ou écrivaient pour le défendre ; anathème à certains ouvrages de Théodoret, aux gens qui pensaient comme lui, à ceux qui avaient écrit contre la vraie foi, contre Cyrille et ses capitula et qui étaient morts en cette impiété ; anathème enfin à la lettre prétendument écrite par Ibas à Maris (tîjç XeyojiivTjç wxpà "I6a Y£Ypâ<p60a Tîpiç Maprjv), pour les mêmes raisons exposées dans la définition, anathème à qui la défendrait même dans une de ses parties, à qui avait écrit ou écrirait en sa faveur, sous prétexte de respect pour le concile de Chalcédoine. Texte des dits anathématismes dans Denzinger-Bannwart, n. 213-228. Le tout se terminait par la menace des sanctions d’usage à l’endroit des contrevenants : déposition pour les ecclésiastiques, anathème pour les laïques.

La capitulation du pape Vigile.

Rien de plus diamétralement contradictoire que les deux sentences du 14 mai et du 2 juin ! Dans la première, le pape Vigile défendait de porter une condamnation contre la personne de Théodore, quoi qu’il en fût du caractère damnable de propositions qu’à tort ou à raison on lui attribuait ; il interdisait de rien dire ou rien faire qui fût injurieux à la mémoire de Théodoret, cet homme si estimé de Chalcédoine ; il reprenait à son compte la décision du grand concile sur l’orthodoxie d’Ibas et de sa fameuse lettre. Docile aux ordres du basileus, l’assemblée de Constantinople anathématisait la personne de Théodore, qualifiait durement Théodoret et faisait le procès en règle de la lettre d’Ibas, qu’elle essayait d’ailleurs d’arracher à son contexte naturel. Et le concile avait pris ces mesures en connaissance de cause, après avoir affirmé qu’il se séparait de Vigile. Comment réduire semblable antagonisme ? Qui céderait, le pape ou le concile, le pape ou Justinien ?

Il était à prévoir que ce serait le pape. Si, depuis l’affichage de l’édit de 551, il avait retrouvé quelque énergie, il le devait à la présence auprès de lui de ses conseillers et spécialement du diacre Pelage. Encore que l’on soit mal renseigné sur le détail des événements, on sait que ce dernier fut de nouveau emprisonné avec son collègue Sarpatus. Le neveu du pape Rusticus, qui était sans doute rentré en grâce auprès de son oncle, fut exilé en Thébaïde avec un abbé africain Félix. Partout le bras séculier s’abattait sur ceux qui refusaient de souscrire les décisions conciliaires envoyée ? en province par le gouvernement ; en Afrique Libératus et Victor de Tunnunum étaient exilés, Facundus d’Hermiane se cachait. Atterré de tant de violence, fatigué d’une lutte sans issue, travaillé par une douloureuse maladie — il souffrait de la pierre — le pauvre pape céda.

1. La lettre du 8 décembre 553.

Le 8 décembre, Vigile adressait au patriarche Eutychius une lettre assez brève où il se ralliait aux décisions du concile dans l’affaire des Trois-Chapitres. Texte grec et latin dans P. L., t. lxix, col. 122-128 ; Mansi, Concil., t. ix, col. 413-420. Seul, disait-il, le diable avait pu essayer de le séparer, lui si fidèle à la foi des quatre conciles, de ses frères dans l’épiscopat qui professaient le même respect. Mais le Christ avait finalement dissipé les ténèbres qui obscurcissaient son esprit et l’avait poussé à définir la vérité. Il commençait donc par déclarer sa foi dans la doctrine exprimée par les quatre conciles. Quant à la question des Trois-Chapitres, il l’avait soumise à un nouvel examen et si, par là, il était amené à se rétracter, il n’en avait point de honte ; Augustin n’avait-il pas écrit lui-même ses Rétractalations ? Il lui était apparu que les ouvrages de Théodore, voués partout à l’opprobre, contenaient de multiples propositions contraires à la foi orthodoxe ; il mettait donc l’évêque de Mopsueste au nombre des hérétiques déjà condamnés et anathématisait sa personne en même temps que ses écrits impies. De même condamnait-il ce qu’avait écrit Théodoret contre la vraie foi, les xii anathématismes, le concile d’Éphèse et pour la justification de Théodore et de Nestorius. Enfin il condamnait la lettre d’Ibas, elle aussi pleine de blasphèmes et ceux qui voudraient en prendre la défense. Il entrait de ce chef en communion avec les évêques ses frères qui, fidèles à la foi des quatre conciles, avaient condamné les Trois-Chapitres. Ce qu’il avait écrit lui-même, ce que d’autres avaient écrit pour la défense de ceux-ci, il le déclarait nul et non avenu : Quæ vero aul a me aut ab aliis ad defensionem prœdictorum trium capilulorum facta sunt prsesentis hujus scripti nostri deflnitione evacuamus.

Plus complète palinodie ne se peut imaginer. Et pourtant le malheureux pape n’avait pas encore toute honte bue. La lettre au patriarche ne fut pas jugée suffisante ; au Constitutum du Il mai il fallait que l’on pût opposer un texte officiel de même ampleur et de semblable autorité !

2. Le Judicatum de la IIe indiction (23 février 554).

C’est ainsi que Vigile fut amené à rédiger la pièce extrêmement verbeuse qui porte, dans l’histoire, le nom de Judicatum. Publiée pour la première fois par Baluze dans la Nova conciliorum collectio, t. i, p. 1551 sq., elle a passé dans Mansi, Concil., t. ix, col. 457 sq., de là dans P. L., t. lxix, col. 143-178 ; nouvelle édition bien préférable dans A. C. 0., t. iv, vol. ii, p. 138-168. Nous n’avons plus la pièce dans son intégrité, le copiste y ayant pratiqué des coupures et ayant supprimé en particulier tout le début en sorte que le document commence par la profession de foi de Chalcédoine. Sur la raison de ces coupures et sur les pièces qui, dans le Paris. 1682, encadrent celle-ci, voir Schwartz, ibid., p. xxii-xxvi.

Ce qui caractérise ce Judicatum, c’est la place considérable qu’y tient la discussion de la lettre à Maris. Vigile ou ses dictatores se sont bien rendu compte que c’était sur ce point que la condamnation des Trois-Chapitres atteignait le plus immédiatement Chalcédoine. Toute l’argumentation, qui fourmille des plus évidents paralogismes, tend donc à démontrer que la lettre à Maris, comme il ressort de déclarations mêmes d’Ibas, n’est pas, ne peut pas être de celui-ci, que ce n’est pas après lecture de cette lettre que les légats romains et le concile se sont prononcés en faveur de l’orthodoxie de l’évêque d’Édesse, mais bien après lecture de la lettre des clercs de cette ville. Ce paradoxe, ou plutôt ce mensonge, est démontré à grand renfort d’arguments dialectiques, textuels, historiques, auprès desquels l’argumentation de la définition conciliaire est de toute clarté. Ci-dessus, col. 1905. L’exégèse des mots : Relecta ejus epistola eum orthodoxum judicaverunt, qui sont limpides, ne demande pas moins d’une longue page pour aboutir à cette conclusion : la lettre des clercs d’Édesse peut être dite la lettre d’Ibas (ejus epistola), puisqu’elle est écrite en faveur de celui-ci 1 Voici un échantillon de l’argumentation et de sa… simplicité.

Quod autem ejus > id est Hibse episcopi eam significasse videntur (legati) epistolam, signanter magis fin ne (la lettre des clercs) ipsius appellando quam pro se relegi petiit, illam potius ad Marim Persam quæ contra eum prolata est ostendunt ipsius nou fuisse, illo loquendi modo quo indubi tanter omnes hommes et de aliis et de se uti soient, ut eorum churlse epistolte dicantur, qui eis pro se utuntur et quorum ostenduntur prodesse negotiis. A. C. G., loc. cit., p. 161-162 ; P. L., col. 170 A.

Plus triste encore que ce lamentable plaidoyer est la condamnation de ceux qui n’admettent pas cette explication sophistiquée : « Arrière l’impudence de ces pervers qui, dans leur fausseté hérétique, veulent persuader qu’un seul des Pères siégeant à Chalcédoine a pu dire ou penser, au sujet de cette lettre à Maris, pleine de toute impiété, qu’il y avait là quelque chose d’orthodoxe 1° Et ces prolixes considérants aboutissaient à cette sentence : « Nous anathématisons et condamnons la susdite lettre à Maris, faussement attribuée à Ibas (epistolam quam ad Marim Persam hæreticum scripsisse Hibas confingitur), et quiconque croirait qu’il la faut recevoir ou défendre, ou prétendrait énerver notre présente condamnation. Anathème identique contre ceux qui, après avoir pris connaissance de notre constitution, prétendraient que la lettre à Maris a été reçue par le concile de Chalcédoine ou a été déclarée orthodoxe par quelqu’un des Pères, car c’est être injurieux pour la mémoire de cette assemblée, c’est vouloir renouveler un scandale déjà apaisé. » Ibid., p. 165 ; col. 174 B.

L’affaire de Théodore était bien plus vite réglée. La cause de tout le mal, c’étaient les nestoriens qui, par les livres de l’évêque de Mopsuestc, avaient tenté de remettre leur doctrine en circulation. Le zèle de l’empereur y avait mis bon ordre, et ce serait de la part de Vigile connivence avec l’hérésie, de ne point s’y associer. L’hérésie ne peut se prévaloir de ce que Théodore est nommé avec éloge dans la lettre à Maris, puisque celle-ci a été condamnée (sic) à Chalcédoine. Et d’ailleurs un examen attentif des écrits de Théodore avait clairement établi son hérésie. Ces propositions montraient que l’on n’avait pas le droit de dire que l’évêque de Mopsucste n’avait pas été condamné avant sa mort ; au fait elles tombaient sous le coup des anathèmes portés par le pape Damasc. Et, par une audacieuse confusion des doctrines et de la personne, Vigile de conclure que, dès 382, Théodore était un hérétique ; il n’héritait donc pas à le ranger à côté des hérétiques antérieurs, condamnés par les quatre conciles et par l’Église catholique, et à réprouver ses éoritv.

Le cas de Théodorct — au moins dans l’état présent du texte — était liquidé en quelques lignes. Était condamné ce qu’il avait écrit contre la foi orthodoxe, (t les xii anathématismes cyrillii >ns, pour Théodore ou Nntorlns. Au^i bien était-il constant que l’évêque de Cyr, à Chalcédoine, avait équivalemnic ut condamné tout cela, en recevant la définition du concile. Cette définition en effet énonce la même doctrine qu’avait fait prévaloir à Éphèse l’autorité de saint Cyrille : in qua beati Cyrilli in Ephesena prima expositam manijestum est prsedicari doclrinam.

Le tout se terminait par une rétractation en forme des mesures que Vigile avait pu prendre antérieurement en sens contraire : Quæcumque vero sive meo nomine sive quorumlibet pro defensione trium capitulorum prolata fuerint vel ubicumque reperta prsesentis noslri plenissimi constituti auctoritate vacuamus.

On remarquera que, s’il répète à peu près textuellement les anathématismes 12, 13 et 14 du Ve concile, le Judicatum de la IIe indiction ne dit mot des autres. Il ne saurait donc constituer une approbation complète des décisions de cette assemblée. Quant à la valeur même du document pontifical pour ce qui est des Trois-Chapitres, nous aurons loisir d’y revenir plus loin.

Épilogue. Mort de Vigile. Accession du pape Pelage Ier.

Le Judicatum de la IIe indiction est du 23 février 554. Il semble qu’ayant donné toute satisfaction au basileus, Vigile aurait dû, aussitôt que possible, reprendre le chemin de Rome. En fait, c’est seulement un an plus tard qu’il se décida au départ. Peut-être n’était-il pas fort pressé de se retrouver en contact avec les Occidentaux en général et les Romains en particulier. Il utilisait d’ailleurs son séjour dans la capitale à obtenir de la chancellerie impériale le règlement de toutes les questions que posait en Italie la reconquête byzantine. Le 13 août 554, Justinien signait une Pragmatique qui accédait à un certain nombre des demandes du pape : Pro petitione Vigilii… quædam disponenda esse censuimus, disait le basileus. La date exacte du départ de Vigile n’est pas connue ; ce doit être à la fin du printemps de 555 ; le voyage dut s’interrompre à Syracuse, où le pape mourut le 7 juin. Son corps fut rapporté à Rome où il serait enterré, non à Saint-Pierre, mais dans la petite église de Saint-Silvestre sur la Via Salaria.

Qu’advenait-il pendant ce temps du diacre Pelage ? Il avait été le principal inspirateur du Conslitutum de mai 553 (Judicatum de la I re indiction) ; aussi, après la palinodie de Vigile, en décembre de cette même année, s’était-il séparé avec éclat de son maître, en même temps que le diacre Sarpatus. Menacé de ce chef d’excommunication par Vigile il avait répliqué par un Retutatorium — cette pièce n’est pas conservée — qu’il réussit à faire passer sous les yeux du basileus. Sur quoi il fut arrêté et interné dans divers couvents successifs. C’est en cette demi-captivité qu’il composa son long mémoire In defensione trium capitulorum, publié récemment par R. Devreessc, 1932, dans la collection Studie testi, n. 57. C’était à la vérité un travail de seconde main, surtout inspiré par le volumineux ouvrage de même titre composé dix ans plus tôt par Facundus d’Hcrmiane : ce qui est personnel à Pelage, c’est le ton passionné sur lequel il parle de Vigile et de ses variations. C’est aussi la véhémence de ses propos contre les inspirateurs du pape, ses dictatores, les diacres Tullianus et Pierre. Voir l’art. Pelage I er, t.xii, col. 663.

Or, c’est précisément à Pelage que pensait, depuis quelque temps sans doute, le basileus, pour occuper le Siège pontifical au décès de Vigile. Au fait, si Pelage avait traité rudement Vigile en son dernier écrit, il avait trouvé le moyen de ne pas découvrir l’intangible majesté du bastteua. Quand et comment arriva-t-on à lui faire comprendre qu’il était le seul candidat possible à la chaire apostolique et qu’il deviendrait pape à de certaines conditions, c’est ce qu’il est difficile de dite. Ce fut peut-être après la mort, en octobre 553, d’un prêtre romain nommé Maréaa, qui avait joué quelque temps le rôle de remplaçant du pape à Rome et avait, de ce chef, comme le dit son épitaphe, mérité l’honneur pontifical : Qui fuerat méritas pontificale decus. En tout état de cause le début du pontificat de Pelage Ier est à rapporter à la mi-avril 556. Cf. L. Duchesne, Le Liber pontificalis, t. i, p. cclxi et p. 302. Mais l’opinion du clergé et du peuple demeurait à son endroit extrêmement défiante ; l’affirmation du Liber pontificalis suivant laquelle il lui fut difficile de trouver un consécrateur n’a donc rien d’invraisemblable. Finalement il fut ordonné par deux évêques. celui de Pérouse et celui de Ferentino et un prêtre de l’évêché d’Ostie, ce qui était contraire à toutes les traditions romaines ; une grande animation ne laissait pas de régner contre lui dans la ville : Multitudo religiosorum, sapientium et nobilium subduxerant se a conununione ejus, dit le Liber pontificalis. La raison toutefois que donne la notice : Quia in morte Vigilii papæ se miscuisset, ne saurait être la seule explication de cette attitude. Ce que l’on reprochait à Pelage, au moins dans les milieux ecclésiastiques, c’était sa récente palinodie. Du camp des défenseurs des Trois-Chapitres et de Chalcédoine il était passé dans le camp adverse ; c’est l’impression qui est restée à Victor de Tunnunum : Pelagius trium prmfatorum capitulorum defensor, Justiniani principis persuasione de exilio redit et condemnans ea quæ dudum constantissime defendebat, romanse Ecclesiæ episcopus a prxvaricatoribus ordinatur. Chron., an. 558 (date certainement inexacte). P. L., t. lxviii, col. 961 A.

Pour rallier l’opinion défiante, Pelage organisa, de concert avec le patricc Narsès, une grande cérémonie liturgique. De Saint-Pancrace à Saint-Pierre une procession se déroula que présidait le pape ; quand elle fut arrivée à la basilique, Pelage monta à l’ambon et, tenant au-dessus de sa tête l’évangile et la croix, il jura qu’il était innocent de tout ce qui avait pu arriver à Vigile. Ceci pour le populaire. En même temps, à l’usage du monde ecclésiastique, il publiait une profession très habilement rédigée. Il déclarait recevoir les quatre conciles — du Ve il n’était pas question — comme aussi la série des décrets portés par les papes ses prédécesseurs de Célestin à Jean II et Agapet — de Vigile il ne soufflait mot — ; il condamnait les personnes qu’ils avaient condamnées, recevait celles qu’ils avaient reçues et vénérait tout spécialement comme orthodoxes les honorables évêques Théodoret et Ibas. Pour le reste, des réminiscences bibliques couvraient le blâme discret adressé aux gens trop zélés qui s’obstinaient à défendre les Trois-Chapitres. Jafîé, Reg., n. 938. L’agitation peu à peu se calma dans Rome ; mais cette misérable affaire n’avait pas encore fini de produire ses fruits empoisonnés.