Oeuvres de Walter Scott, trad Defauconpret/Tome I/1/2.1

Traduction par Auguste-Jean-Baptiste Defauconpret.
Furne, Libraire-éditeur (Tome I. — Ballades, etcp. 44-48).


SECONDE PARTIE

Ce sont surtout les prophéties attribuées à Thomas d’Erceldoune qui ont consacré sa mémoire parmi les enfans de sa nation. L’auteur de sir Tristrem serait allé depuis long-temps joindre dans la vallée de l’oubli Clerk de Tranent, qui écrivit les aventures de Schir Gawain. Mais, par bonheur, la même superstition qui fait que les lazzaroni de Naples regardent Virgile comme un magicien, a élevé le barde d’Erceldoune au rang de prophète.

Peut-être lui-même y prétendit-il pendant sa vie. Nous savons du moins que déjà peu de temps après sa mort on parlait de ses connaissances surnaturelles. Ses prédictions sont citées par Barbour et par Winton, vulgairement appelé Barry l’aveugle.

Aucun de ces auteurs cependant ne donne le texte des prophéties du Rimeur ; mais ils se contentent de raconter en historiens qu’il a prédit les événemens dont ils parlent.

La plus moderne des prophéties attribuées à Thomas d’Erceldoune est citée par M. Pinkerton d’après un manuscrit. C’est une réponse supposée faite à la comtesse de March, cette héroïne renommée par la défense du château de Dunbar contre les Anglais, et appelée dans le dialecte familier de son temps la noire Agnès de Dunbar. Comme je n’ai jamais vu le manuscrit où sir Pinkerton a puisé cet extrait, et que ce savant en fixe, la date au règne d’Édouard <span title="Nombre Ier écrit en chiffres romains" style="text-transform:uppercase;">Ier, je me hasarde avec peine à le déclarer apocryphe.

Si j’osais me permettre une conjecture, je dirais que cette prophétie avait été arrangée en faveur des Anglais contre l’indépendance de l’Écosse. Il en est de même de celle qu’on supposa pour le régent duc d’Albany.

Le nom de Thomas d’Erceldoune a servi plusieurs fois d’autorité, et outre ces prophéties, publiées sous son nom, Gildas, personnage fictif, est supposé lui devoir toute sa science ; car il conclut en ces termes : — Voilà ce que m’a révélé dans des temps de malheur le véridique Thomas sur les collines d’Eildon.

Dans le recueil des prophéties écossaises réunies par Hart, le prophète Berlington dit aussi : — Merveilleux Merlin, et toi., Thomas, interprète de l’avenir !

Puisque ce nom se présente, je demanderai la permission aux antiquaires d’appeler leur intention sur Merdwynn-Wyllt ou Merlin le sauvage, auteur des prophéties écossaises, qu’on ne doit point confondre avec Ambroise Merlin, l’ami d’Arthur.

Fordun nous apprend que ce personnage a habité Drummelziar, où il errait dans les bois comme un autre Nabuchodonosor, pleurant le meurtre de son neveu. Dans le Scotichronicon il est rapporté une entrevue entre saint Kentigern et Merlin, surnommé alors Lailovren à cause de son genre de vie. Le saint lui commande de raconter son histoire ; il dit alors que la pénitence qu’il accomplit lui a été imposée par une voix du ciel. Selon sa propre prédiction, Merlin périt à la fois par le bois, la terre et l’eau ; car étant poursuivi à coups de pierres par des paysans, il tomba dans la Tweed, et fut transpercé par un pieu aigu qui avait été fixé à cet endroit pour placer un filet.

Sude perfossus, lapide percussus et unda,
Hœc tria Merlinum fertur mire necem.
Sicque ruit, mersusque fuit, lignoque pependit,
Et fecit vatem per terna pericula verum.

Mais dans une histoire en vers de Merlin de Calédonie, compilée par Geoffroy de Monmouth sur les traditions des poètes gallois, ce genre de mort est la destinée d’un page qu’une sœur de Merlin, qui désirait faire passer son frère pour un faux prophète, parce qu’il avait découvert ses intrigues, envoya sous trois déguisemens lui demander de quelle mort il périrait. La première fois Merlin répondit à celui qui le consultait qu’il périrait en tombant d’un rocher, la seconde qu’il mourrait par un arbre, et la troisième en se noyant ; ce qui arriva en effet au page, à peu près comme Fordun veut qu’il soit arrivé à Merlin lui-même.

En opposition avec les autorités galloises, Fordun confond ce second Merlin avec le Merlin d’Arthur. Mais il conclut en nous assurant que plusieurs auteurs en reconnaissaient deux.

Le tombeau de Merlin est montré aux étrangers à Drummelziar, dans la vallée de Teviot, sons une antique aubépine. Au couchant du cimetière, le ruisseau appelé Pansayl tombe dans la Tweed, et la prophétie suivante courut, dit-on, au sujet de la réunion des eaux de la Tweed et du Pansayl.

Quand la Tweed et le Pansayl se réuniront au tombeau de Merlin, l’Écosse et l’Angleterre n’auront plus qu’un monarque.

Le jour du couronnement de Jacques VI la Tweed déborda, et joignit en effet le Pansayl, au tombeau du prophète.

La mémoire de Merlin était en vénération en Écosse sous le règne de Jacques V. Waldhave, sous le nom duquel un livre de prophéties fut publié, se représente lui-même comme étendu sur le sommet du Lomond-Law, lorsqu’il entendit une voix qui lui criait de se tenir sur la défensive. Il tourne la tête, et aperçoit un troupeau de lièvres et de renards, poursuivis sur les montagnes par une espèce de sauvage auquel on avait de la peine à donner le nom d’homme. À la vue de Waldhave, le chasseur abandonne ces animaux qui fuyaient devant lui, et l’attaque avec une massue. Waldhave se défend avec son épée, jette le sauvage par terre, et refuse de le laisser se relever, jusqu’à ce qu’il lui ait juré par le Law et la cabane qu’il habite de ne lui faire aucun mal. À cette condition, il lui permet de se remettre sur ses pieds, et s’étonne de son aspect extraordinaire.

Il était fait comme un homme qui a ses quatre membres ; mais une barbe si épaisse couvrait son menton et ses joues ; ses cheveux étaient si touffus, qu’il faisait peur.

Il répond en peu de mots à Waldhave ce que Fordun lui fait dire à saint Kentigern.

Les prophéties de Merlin, comme celles de Thomas, semblent avoir été très-recherchées sous la minorité de Jacques V ; car, parmi les amusemens que sir David Lindsay procurait à ce prince pendant son enfance, il compte :

Les Prophéties du Rimeur, de Merlin et de Bède.

(Sir David Lindsay, Epître au Roi .)

Avant de terminer cette espèce de dissertation sur les prophéties de notre pays d’Écosse, il est juste de remarquer que plusieurs vers qui passent pour des boutades prophétiques de Thomas sont encore en faveur parmi le peuple. C’est ainsi qu’on répète souvent ce qu’il a prédit au sujet de l’ancienne famille de Haig de Bemerside :

— Advienne que pourra, Haig de Bemerside aura toujours un enfant mâle.

Le grand-père du propriétaire actuel de Bemerside eut douze filles avant que sa femme pût lui donner un garçon. Le peuple tremblait pour la réputation de son prophète favori ; Sir M. J. Haignaquit enfin, et Thomas le Rimeur fut prophète plus certainement que jamais.

Une autre prédiction mémorable dit que la vieille église de Kelso, construite sur les ruines de l’abbaye, s’écroulera qu’elle sera pleine. Il y a trente ans que, pendant un sermon qui avait attiré une assemblée nombreuse, il tomba un morceau de plâtre de la voûte. L’alarme devint universelle, et heureux les fidèles qui se trouvèrent les plus voisins de la porte. J’espère, pour la conservation d’un des plus beaux monumens de l’architecture saxo-gothique, que la prédiction de Thomas ne s’accomplira pas de long-temps.

Corspatrick (Côme Patrick), comte de March, mais prenant plus souvent le titre de comte de Dunbar, joua un rôle important pendant la guerre d’Écosse sous Edouard <span title="Nombre Ier écrit en chiffres romains" style="text-transform:uppercase;">Ier.

Comme Thomas d’Erceldoune avait fait à ce seigneur la prédiction de la mort d’Alexandre, j’ai cru devoir l’introduire dans la ballade suivante. Tous les vers prophétiques sont tirés du recueil publié par M. Hart.