Oeuvres de Walter Scott, trad Defauconpret/Tome I/1/1.2

Traduction par Auguste-Jean-Baptiste Defauconpret.
Furne, Libraire-éditeur (Tome I. — Ballades, etcp. 42-44).

I.

Thomas était couché sur les rives de l’Huntlie : il aperçut soudain un spectacle merveilleux ; une dame brillante de beauté descendit de son palefroi auprès de l’arbre d’Eildon.

II.

Sa robe était de soie verte, son manteau d’un riche velours ; à la crinière flottante de son coursier pendaient cinquante-neuf clochettes d’argent.

III.

Thomas se découvre la tête, et fait une profonde salutation… — Salut, dit-il, puissante reine du ciel, car je n’ai jamais vu ton égale sur la terre.

IV.

— Non, Thomas, répondit-elle, non, ce titre ne m’appartient pas : je ne suis que la reine du pays des fées. Je viens ici pour te visiter.

V.

— Prends ta harpe, et suis-moi, Thomas, répétait-elle, et si tu oses approcher tes lèvres des miennes, ce baiser me rendra maîtresse de toi.

VI.

— Advienne ce que pourra ; heur ou malheur, dit-il, ce destin ne saurait jamais m’effrayer.

Thomas baisa ses lèvres de rose sous l’arbre d’Eildon.

VII.

— Maintenant, reprit-elle, Thomas, tu es obligé de me suivre ; tu me serviras pendant sept ans, qu’il t’arrive heur ou malheur.

VIII.

Elle remonte sur son palefroi couleur de lait ; elle prend Thomas en croupe ; et, docile à la main qui guide ses rênes, le coursier vole rapide comme le vent.

IX.

Ils voyagèrent bien loin : rien ne ralentissait l’ardeur du coursier, jusqu’à ce qu’ils atteignirent un vaste désert, laissant derrière eux la terre habitée par les hommes.

X.

— Descends, fidèle Thomas, descends, dit la reine des fées ; appuie ta tête sur mes genoux… repose-toi quelques instans, et je te montrerai trois prodiges.

XI.

— Ne vois-tu pas ce sentier étroit, embarrassé par les épines et les broussailles… c’est le sentier de la vertu ; peu de gens le cherchent.

XII.

— Ne vois-tu pas cette route qui serpente au milieu des fleurs ? … C’est le chemin du vice, quoique quelques-uns l’appellent le chemin du ciel.

XIII.

— Ne vois-tu pas ce joli sentier qui tourne dans la bruyère ? … c’est le sentier qui mène au beau royaume des fées, où nous devons, toi et moi, nous rendre cette nuit.

XIV.

— Mais, Thomas, tu retiendras ta langue, quelque chose que tu puisses entendre ou voir ; car si tu prononces une parole dans le pays des fées, tu ne retourneras plus dans ta terre natale.

XV.

Ils remontèrent sur le palefroi, et voyagèrent bien loin. Ils traversèrent des rivières, ayant de l’eau jusqu’au genou, et ne voyant ni soleil ni lune, mais entendant le mugissement de la mer.

XVI.

Il était nuit, et la nuit était sombre et sans étoiles : Ils marchèrent dans une mer de sang ; car tout le sang qui se répand sur la terre va se mêler aux ruisseaux de cette contrée.

XVII.

Ils arrivèrent enfin dans un jardin vert. La reine cueillit une pomme sur l’arbre, et l’offrant à Thomas : — Reçois, dit-elle, ce fruit pour ta récompense ; il te donnera une langue qui ne pourra jamais mentir.

XVIII.

— Je ne pourrai donc plus disposer de ma langue, dit Thomas ; vous me faites là un don précieux ! Je ne pourrai donc plus acheter ni vendre en quelque lieu que je me trouve ?

XIX.

— Je ne pourrai donc plus parler à un prince ou à un seigneur, ni demander aucune grâce à une belle dame !

— Silence ! reprit la reine en l’interrompant ; il en sera comme j’ai dit.

XX.

Thomas fut revêtu d’un manteau de drap uni ; il chaussa des sandales de velours vert, et pendant sept ans on ne le vit plus reparaître sur la terre.