Nouveaux contes berbères (Basset)/96

Ernest Leroux, éditeur (Collection de contes et de chansons populaires, XXIIIp. 72-76).

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Sidi Moh’ammed el Adjeli et le juif Haroun (175).
(Chelh’a du Sous).

Il arriva à Sidi Moh’ammed el ’Adjeli une aventure étrange avec un juif qui s’appelait Haroun et qui était sorcier. Celui-ci alla un jour à Fas où le sultan Mouley Solimân (176) tenait son conseil. Haroun vint s’enlever en l’air au-dessus de la tête du prince, de façon à pouvoir insulter les musulmans. Le sultan dit à ceux-ci : « Comment s’y prend le Juif ? » Il chercha parmi eux : personne ne put faire descendre Haroun. On répondit à Mouley Soliman : « Maître, donne-nous le temps de consulter les t’olba et les savants qui sont parmi nous. — Allez, dit le sultan, je vous donne trois jours ; si vous ne le faites pas descendre, je vous couperai la tête à tous. »

Lorsque les trois jours furent passés, le Juif n’était pas descendu. Le sultan dit aux t’olba : « Avez-vous fait ce que je vous ai dit ? — Prince, répondirent-ils, donne-nous encore trois jours jusqu’à ce qu’arrive le courrier que nous avons envoyé d’ici à un t’aleb : si celui-ci ne vient pas, tu nous couperas la tête à tous. »

Le courrier arriva chez Sidi Moh’ammed el Adjeli le jour fixé au roi comme délai par les t’olba. « Sidi Moh’ammed, lui dit-il, écoute ce que te demandent tous les t’olba sans exception : le roi a déclaré que si tu ne venais pas dans ces trois jours, il leur couperait la tête à tous ; c’est aujourd’hui le délai qu’ont fixé le prince et les t’olba. » Le saint reçut la lettre, la lut, et, après avoir pris connaissance de son contenu, dit au courrier : « Tranquillise-toi, entre, tu t’asseoiras et tu te reposeras. — Sidi Moh’ammed, répondit le messager, comment pourrai-je me reposer alors que les t’olba sont dans la détresse ? Le délai que leur a fixé le roi expire aujourd’hui : demain il leur coupera la tête à tous. — Le saint donna l’hospitalité à l’homme qui lui avait apporté la lettre et lui offrit à souper : le courrier refusa toute nourriture tant il fut préoccupé pendant la nuit entière. Lorsque l’aurore apparut, Sidi Moh’ammed se leva, fit ses ablutions et la prière de l’aube, puis il appela l’homme qui avait passé la nuit chez lui et lui dit : « Allons, lève-toi, fais tes ablutions pour prier et prépare-toi ; nous allons nous mettre en route pour rejoindre ces gens. » Le courrier répliqua : « Sidi Moh’ammed, l’heure est passée. » Le saint lui donna à déjeûner, puis il ajouta : « Rassemble ton courage. — Je suis prêt. — Allons, ferme les yeux, continua Sidi Moh’ammed et ne les ouvre que quand je te le dirai. »

L’homme ferma les yeux et quand il les ouvrit, ils étaient à l’entrée de la ville. Ils trouvèrent la porte fermée : ils s’assirent pendant une demi-heure jusqu’à ce qu’elle fut ouverte. L’homme, très joyeux, conduisit Sidi Moh’ammed à l’endroit où étaient réunis les t’olba : ils appelèrent, la maison s’ouvrit. En voyant le saint, les prisonniers se réjouirent tous et lui dirent : « Tu nous trouves aujourd’hui, le jour fixé comme délai : si tu n’étais pas venu, le prince nous aurait coupé la tête à tous. » Le marabout leur répondit : « Rassurez-vous, ce que vous désirez, Dieu vous l’accordera. » Ils se réjouirent jusqu’à l’heure du dhahr, le moment fixé par le roi qui rassembla son conseil.

Les tolba sortirent pour se rendre à cette assemblée et le sultan leur dit : « Allons, que faites-vous ? — Prince, répondirent-ils, nous voici prêts à exécuter ce que tu voudras. — Faites descendre le Juif du ciel. » Sidi Moh’ammed écrivit deux feuilles de papiers et dit au Juif : « Juif Haroun, descends du ciel sur la terre. » L’autre répondit : « Sidi Moh’ammed, si ce n’était toi, la situation des t’olba ne serait pas belle. » Le saint répéta trois fois ses paroles : le Juif refusa de descendre. Alors le marabout reprit : « Que tes péchés soient sur ta tête » (retombent sur toi), puis s’adressant aux t’olba : « Quel est votre désir relativement à ce Juif ? » Ils lui répondirent : « Nous désirons seulement que, des deux feuilles que tu as écrites, l’une aille au-dessus de sa tête, l’autre au-dessous de lui et qu’elles le broient comme des meules. » Sidi Mohammed fit monter les deux feuilles écrites par lui, l’une au-dessus de la tête de Haroun, l’autre au-dessous de lui pour le broyer comme des meules. Quand il fut complètement écrasé ; le Juif devint semblable à de la farine et le vent l’emporta (177).