Nostromo/Troisième partie/Chapitre VII

Troisième partie
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À ce moment même, dans l’Intendancia de Sulaco, où Pedrito Montero l’avait prié de passer, Charles Gould affirmait à l’ex-guérillero qu’il ne laisserait, sous aucun prétexte, la mine sortir de ses mains, au profit d’un gouvernement qui l’en avait spolié. Il ne pouvait pas se dessaisir de la Concession Gould. Son père ne l’avait pas cherchée, plus que lui-même ne l’abandonnerait. Il ne la rendrait jamais vivante et, une fois morte, quel pouvoir serait capable de la faire renaître de ses ruines ? Qui pourrait faire sortir des cendres et de la destruction une telle entreprise, dans toute sa vigueur et dans toute sa richesse ? On ne trouverait pas dans le pays, et on ne pouvait s’attendre à rencontrer au-dehors le talent et le capital nécessaires pour ressusciter un cadavre d’aussi menaçant augure. Charles Gould parlait sur le ton impassible qui lui avait, pendant tant d’années servi à dissimuler sa colère et son mépris. Il souffrait, il était écœuré de ce qu’il avait à dire, de ces paroles qui sonnaient d’un trop héroïque éclat. Chez lui, l’instinct strictement pratique était en profond désaccord avec la conception presque mystique de son droit. La Concession Gould était à ses yeux le symbole de la justice, et le monde pouvait s’écrouler. Mais la gloire mondiale de la mine de San-Tomé donnait à ces menaces la force de pénétrer l’intelligence rudimentaire d’un Pedro Montero, toute farcie qu’elle fût de futiles anecdotes historiques. La Concession Gould représentait un apport sérieux dans les finances du pays et, chose plus importante encore, dans le budget particulier de nombreux personnages officiels. C’était une tradition bien connue et parfaitement plausible. Tous les ministres de l’intérieur recevaient des subsides de la mine, chose tout à fait naturelle d’ailleurs, et Pedrito briguait, dans le gouvernement de son frère, le ministère de l’intérieur et la présidence du Conseil, postes élevés que le duc de Morny avait, à son grand avantage, occupés en France, sous le second Empire.

On avait procuré à Son Excellence une table, une chaise et un bois de lit et, après une courte sieste rendue absolument nécessaire par les fatigues et la pompe de l’entrée à Sulaco, elle avait pris possession de l’organisation administrative, en faisant des nominations, en donnant des ordres et en signant des proclamations. Seul avec Charles Gould dans la salle d’audience, Pedrito sut, avec son habileté bien connue, cacher son ennui et sa consternation. Il avait commencé par prendre un ton hautain pour parler de confiscation, mais l’absence de toute expression et de tout mouvement sur les traits de l’administrateur finit par le troubler. Charles Gould avait simplement répété :

— Le gouvernement peut, à son gré, provoquer la destruction de la mine ; mais, sans mon concours, il ne peut rien de plus.

C’était une affirmation alarmante et bien faite pour contrarier les sentiments d’un politicien porté avant tout à chercher son profit dans la victoire. Et Charles Gould ajoutait que la destruction de San-Tomé causerait la ruine d’autres entreprises, le retrait des capitaux européens, et ferait suspendre le paiement du dernier quartier de l’emprunt étranger. Ce misérable homme de pierre disait toutes ces vérités — parfaitement accessibles à l’intelligence de Son Excellence — sur un ton glacial qui faisait frissonner.

La lecture prolongée d’ouvrages historiques de nature légère et anecdotique, faite sous les combles d’hôtels parisiens, dans un lit en désordre et au détriment de ses devoirs de valet ou de secrétaire, avait eu un certain effet sur les façons de Pedro Montero. S’il avait pu contempler autour de lui les splendeurs de l’ancienne Intendance, ses tentures magnifiques et ses meubles dorés rangés contre les murs ; s’il avait, sous un dais, foulé un riche tapis rouge, son sentiment du succès et de la grandeur l’aurait sans doute rendu fort dangereux. Mais dans cette résidence pillée et dévastée, devant la pauvreté des trois meubles communs groupés au milieu de la vaste pièce, l’imagination de Pedrito était bridée par un sentiment d’insécurité et par l’appréhension d’un retour des choses. Cette impression et la ferme attitude de Charles Gould, qui n’avait pas une fois encore prononcé le mot d’Excellence, le diminuaient à ses propres yeux. Aussi prit-il son ton d’homme du monde avisé pour prier Charles Gould de bannir de son esprit toute pensée de péril. Il parlait maintenant, s’il voulait bien s’en souvenir, au frère du maître du pays. Nulle idée n’était plus éloignée des pensées de ce patriote éclairé et héroïque que celle de la destruction.

— Ne cédez pas à vos préjugés antidémocratiques, je vous en supplie, don Carlos ! s’écria-t-il avec un élan de confiance touchant.

On était surpris dès l’abord, en face de Pedrito Montero, par le vaste développement du front chauve, surface luisante et jaune flanquée de touffes crêpelées et mates de cheveux noirs comme du charbon, aussi bien que par la forme séduisante de la bouche et la douceur inattendue de la voix. Seuls, ses yeux, très brillants, comme si on les eût fraîchement repeints, de part et d’autre du nez busqué, avaient, lorsqu’ils s’ouvraient largement, la rondeur et l’inflexible regard de ceux des oiseaux de proie. Mais, pour l’instant, il les fermait à demi, d’un air aimable, relevait son menton carré et, les dents serrées, parlait un peu du nez, selon ce qu’il jugeait façons de grand seigneur.

Ce fut dans cette attitude qu’il affirma brusquement trouver dans le césarisme, gouvernement impérial fondé sur le vote populaire direct, l’expression la plus haute de la démocratie. Le césarisme, conservateur et fort, reconnaissait les besoins légitimes de la démocratie, qui réclame des décorations, des titres et des distinctions. Il fallait les faire pleuvoir sur les hommes de mérite. Le césarisme signifiait paix et progrès, et assurait la prospérité du pays.

Pedrito Montero était lancé.

Voyez ce que le second Empire avait fait pour la France ; un tel régime se plaisait à honorer les hommes de la trempe de Charles Gould. Le second Empire était tombé, mais c’était faute d’avoir trouvé, chez son chef, ce génie militaire qui avait élevé le général Montero au pinacle de la gloire et de la renommée. Pedrito dressa brusquement le bras pour évoquer l’idée de ce faîte de gloire.

— Nous aurons encore bien des entretiens et nous nous entendrons parfaitement, don Carlos, conclut-il d’un ton cordial. Le républicanisme a fait son temps, l’avenir est à la démocratie impériale.

Pedrito le Guérillero découvrait son jeu et baissa la voix : un homme auquel le suffrage de ses concitoyens avait attribué l’honorable surnom de Roi de Sulaco ne pouvait manquer de voir pleinement reconnu son mérite de grand chef d’industrie et d’homme de précieux conseil par une démocratie impériale, et l’on saurait bien vite remplacer par un titre plus solide l’appellation populaire :

— Eh ! don Carlos ? Non ! Qu’en pensez-vous ? Comte de Sulaco ! Eh ? ou marquis ?…

Il se tut. L’air était frais sur la place sans cesse parcourue par une patrouille de cavaliers. Ils allaient jusqu’à l’entrée des rues, où les portes ouvertes des pulperias laissaient échapper des vociférations, mêlées au bourdonnement des guitares. La consigne était de ne point troubler les réjouissances populaires. Au-dessus des toits, derrière les lignes verticales des tours de la cathédrale, le dôme neigeux de l’Higuerota masquait, devant les fenêtres de l’intendance, un vaste pan du ciel d’un bleu déjà assombri. Après un silence, Pedrito Montero mit sa main sous le revers de son habit et inclina la tête avec une dignité calme. L’audience était terminée.

Dans la rue, Charles Gould se passa la main sur le front, comme pour chasser les brumes d’un cauchemar accablant, dont la grotesque extravagance laisse, au réveil, une impression subtile de danger physique et d’amoindrissement intellectuel. Dans les couloirs et les escaliers du vieux palais, les cavaliers de Montero flânaient et fumaient d’un air arrogant ; ils ne se dérangeaient pour personne et le cliquetis des sabres et des éperons résonnait dans tout le bâtiment. Trois groupes silencieux de civils, sévèrement vêtus de noir, faisaient antichambre dans la galerie centrale. Cérémonieux et craintifs, un peu bousculés, ils se tenaient à l’écart les uns des autres, comme si, dans l’exercice d’un devoir officiel, ils avaient éprouvé l’irrésistible besoin d’échapper aux regards de tous leurs semblables. C’étaient les députations qui attendaient leurs audiences. Plus que les autres, les délégués de l’Assemblée Provinciale montraient une commune expression d’agitation inquiète ; au-dessus d’eux se dressait, molle et blême, la figure de don Juste Lopez, avec ses yeux proéminents et l’air de solennité impénétrable qui l’enveloppait comme d’un nuage épais. Le président de l’Assemblée qui venait bravement sauver le dernier lambeau des institutions parlementaires (modelées sur le système anglais) détourna son regard de l’administrateur de San-Tomé, en manière de blâme silencieux pour son manque de foi à l’égard du seul principe salutaire.

La sévérité douloureuse de cette réprobation ne troubla pas Charles Gould, mais il fut sensible aux regards que, sans aucun reproche, les autres délégués dirigeaient vers lui, comme pour lire sur son visage l’annonce de leur propre sort. Il les avait tous entendus parler, crier, pérorer, dans le grand salon de la maison Gould. Le sentiment de compassion qu’il éprouvait pour ces hommes, atteints d’une étrange impuissance, en face de la dégradation morale universelle, ne le poussa pourtant point à leur faire le moindre signe : il souffrait trop de se sentir lié à eux par une commune misère. Il traversa la place sans encombre. Le Club Amarilla était plein de gueux en ripaille, dont on voyait, à toutes les fenêtres, se pencher les têtes sordides. Derrière eux, montaient des cris d’ivrognes, des bruits de parquet foulé, des pincements de guitare. Le sol était semé d’éclats de bouteilles. Charles Gould trouva encore le docteur dans sa maison.

Le docteur Monygham quitta la fenêtre, d’où il regardait la rue par une fente des volets.

— Ah ! vous voici enfin de retour ! fit-il d’un ton de satisfaction. J’affirmais à madame Gould que vous étiez parfaitement en sûreté, mais je n’étais pas du tout certain que cet individu vous laissât partir.

— Moi non plus, avoua Charles Gould, en posant son chapeau sur la table.

— Il va falloir que vous agissiez.

Le silence de Charles Gould parut approuver ces paroles. L’administrateur n’avait pas coutume d’en dire plus long sur ses projets.

— J’espère que vous n’avez pas averti Montero de ce que vous comptez faire ? demanda anxieusement Monygham.

— J’ai essayé de lui faire comprendre que l’existence de la mine est liée à ma propre sécurité, répondit Charles Gould, sans regarder le docteur, et les yeux tournés vers l’aquarelle du mur.

— Il vous a cru ? fit l’autre avec curiosité.

— Dieu seul le sait ! Mais je devais à ma femme de l’affirmer. Montero, d’ailleurs, est informé de la présence là-bas de don Pépé. C’est Fuentès qui a dû l’en prévenir. Ils savent le vieux major parfaitement capable de faire sauter toute la mine sans plus d’hésitations que de remords. Je ne crois pas que, sans cette idée, on m’eût laissé quitter l’intendance en liberté. Don Pépé ferait tout sauter par loyauté et par haine, par haine de ces libéraux, comme ils s’intitulent ! Libéraux ! ce terme dont on connaît si bien dans le pays la signification d’horreur ! Liberté, démocratie, patriotisme, gouvernement, tous mots qui ont un parfum de folie et de meurtre ! N’est-ce pas, docteur ?… Il n’y a que moi qui puisse retenir la main de don Pépé. Et si les autres voulaient… en finir avec moi, rien ne l’arrêterait !

— Ils vont essayer de l’acheter, suggéra le docteur d’un ton pensif.

— C’est bien possible, répondit à voix basse Charles Gould, comme s’il se fût parlé à lui-même, et sans quitter des yeux l’aquarelle de la gorge de San-Tomé. Oui, c’est ce qu’ils vont faire sans doute.

Et regardant pour la première fois le docteur :

— Cela me donnerait du temps, ajouta-t-il.

— Très juste, répondit Monygham en contenant son agitation. Surtout si don Pépé sait être diplomate. Pourquoi ne pas leur laisser quelque espoir de succès ? Qu’en dites-vous ? Ce serait un moyen de gagner plus de temps, et l’on pourrait donner des instructions à don Pépé.

Charles Gould, les yeux fixés sur le docteur, fit un signe de tête négatif, mais l’autre continuait avec une certaine fièvre :

— Si ! Si ! l’ordre d’entamer des négociations pour la reddition de la mine. C’est une bonne idée qui vous permettrait de mûrir votre plan. Je ne vous demande pas quel est ce plan, bien entendu ; je ne veux pas le savoir et refuserais de vous écouter si vous vouliez me le dire. Je ne suis pas digne de ce genre de confidences.

— Quelle absurdité ! murmura Charles Gould d’un ton mécontent.

Il n’admettait pas les scrupules excessifs du docteur à l’égard d’un épisode si lointain de sa vie. La persistance de ce souvenir l’irritait et lui paraissait maladive. Mais il secoua de nouveau la tête. Par goût et par système, il répugnait à détourner don Pépé de sa ligne de conduite franche et loyale. D’ailleurs, il fallait que de tels ordres fussent donnés de vive voix ou par écrit. Dans les deux cas, ils couraient le risque d’être interceptés. Il n’était nullement certain qu’un messager pût arriver à la mine et l’on n’avait personne, non plus, à envoyer.

Charles Gould allait dire que seul le Capataz des Cargadores eût été capable d’accomplir une telle mission avec quelque chance de succès et avec toute certitude de discrétion, mais il n’en fit rien et se contenta de démontrer au docteur l’imprudence d’une telle démarche. Du moment où l’attitude de don Pépé laisserait croire à la vénalité du vieux major, la sécurité personnelle de l’administrateur et de ses amis serait compromise, car il n’y aurait plus de raison de modération : l’incorruptibilité de don Pépé constituait l’élément essentiel de l’affaire, le seul frein aux appétits déchaînés. Le docteur baissa la tête et reconnut que cet argument avait une certaine justesse.

Il ne pouvait contester la force de ce raisonnement. L’utilité de don Pépé reposait sur l’intégrité même de sa réputation, comme sa propre utilité, songeait-il avec amertume, découlait aussi de son fâcheux renom. Il affirma à Charles Gould qu’il connaissait un moyen d’empêcher, au moins pour l’instant, Sotillo d’unir ses forces à celles de Montero.

— Si vous aviez le trésor sous la main, fit le docteur, ou même si on le savait encore à la mine, vous achèteriez aisément Sotillo, et il ne serait pas long à dépouiller son montérisme récent. Vous le persuaderiez de partir avec son vapeur, ou même de se joindre à vous.

— Cela, jamais ! déclara Charles Gould avec fermeté. Que pourrait-on faire, plus tard, d’un homme de cet acabit, dites-le-moi, docteur ? Le trésor est paru et j’en suis heureux. C’eût été une tentation immédiate et puissante, et la lutte qui se serait déchaînée autour de cette proie toute prête aurait précipité le désastre. Il m’aurait fallu le défendre aussi. Je suis heureux de l’avoir fait enlever, même s’il est perdu. C’eût été pour nous un danger et une malédiction.

— Peut-être a-t-il raison, disait le docteur, une heure plus tard, à madame Gould, qu’il venait de rencontrer dans le corridor. La chose est faite, et l’ombre du trésor peut nous servir aussi bien que le trésor lui-même. Laissez-moi tenter d’employer pour vous, jusqu’au bout, ma détestable réputation. Je vous quitte maintenant, pour jouer auprès de Sotillo la comédie de la trahison et le tenir éloigné de la ville.

D’un mouvement spontané, madame Gould tendit les deux mains :

— Docteur Monygham, vous allez au-devant d’un danger terrible, murmura-t-elle, détournant ses yeux pleins de larmes pour jeter un regard furtif vers la chambre de son mari. Elle serra chaleureusement les mains de Monygham, qui restait devant elle, comme rivé au sol. Il la contemplait et tentait de grimacer un sourire.

— Oh ! je sais que vous défendrez ma mémoire ! fit-il enfin.

Puis il descendit en courant l’escalier, traversa le patio et sortit de la maison. Dans la rue, il marchait grand train, de son pas inégal, sa boîte d’instruments sous le bras. On le savait toqué et personne ne l’arrêta.

En traversant la porte de la mer, il vit, à un ou deux milles, au bout de la plaine aride et poussiéreuse, semée de maigres buissons, la masse énorme et lourde de la Douane et les deux ou trois autres bâtiments qui formaient, à cette époque, tout le Sulaco maritime. Très loin vers le sud, des touffes de palmiers dessinaient la courbe de la baie. Dans le bleu rapidement assombri du ciel oriental, les pics lointains de la Cordillère avaient perdu leur netteté. Le docteur avançait rapidement. L’ombre qui s’épaississait semblait tomber sur lui du zénith. Le soleil était couché, mais les neiges de l’Higuerota resplendissaient encore de l’éclat du couchant. Le docteur, dans sa marche solitaire vers la Douane, clopinant au milieu des buissons noirs, avait l’air d’un grand oiseau à l’aile brisée.

Des teintes de pourpre, d’or et d’incarnat se reflétaient sur l’eau claire du port, dont une langue de terre allongée, droite comme un mur, et surmontée des ruines moussues du port comme d’un monticule verdoyant, formait la limite. Par-delà cette bande facilement visible du rivage, le Golfe Placide reflétait, avec une magnificence plus sombre, les splendeurs colorées du port.

La lourde masse de nuages qui remplissait le fond du golfe semblait, avec les longues traînées rouges qui rayaient ses draperies noires et grises, un manteau flottant taché de sang. Les trois Isabelles, avec leurs contours nets, se détachaient en violet sombre, comme suspendues dans l’immense pénombre qui confondait le ciel et la terre. Les petites vagues semaient d’étincelles d’or le sable des grèves et, tout à l’horizon, le miroir des eaux s’embrasait d’une lueur rouge flamboyante, comme si le feu et l’eau eussent été confondus dans le vaste lit de l’Océan.

Tout à coup s’éteignit cette conflagration du ciel et de la terre, unis aux confins du monde dans une étreinte enflammée. Les étincelles d’or s’effacèrent dans l’eau, en même temps que les taches de sang sur le manteau noir qui drapait les sombres contours du Golfe Placide ; une brise s’éleva brusquement pour mourir aussitôt, après avoir violemment agité les buissons, sur les remparts du fort en ruine.

Nostromo sortit d’un sommeil de quatorze heures et se dressa de toute sa taille dans le lit que lui avaient ménagé les hautes herbes. Il plongeait jusqu’aux genoux dans les tiges frissonnantes, et avait l’air égaré d’un homme qui viendrait d’être jeté dans le monde. Souple, robuste et superbe, il rejeta la tête en arrière, étendit les bras et s’étira avec un léger mouvement de la taille et un bâillement paresseux qui découvrait ses dents blanches. Il était, à son réveil, aussi naturel et aussi éloigné de tout mal qu’une bête sauvage, magnifique et inconsciente. Mais son regard se durcit brusquement, sans rien fixer, ses sourcils se froncèrent et l’homme apparut.


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