Mes paradis/Les Îles d’or/Puis, que ces terres soient fuyardes, je l’accorde


III


Puis, que ces terres soient fugaces, je l’accorde ;
Mais qu’en aucune on n’ait trouvé miséricorde,
Et qu’entre l’arrivée exquise et le départ
Lamentable on ne doive y goûter nulle part
Dans la halte furtive une ivresse infinie,
Et que tout l’archipel soit désert, je le nie.
Si les îles sont d’or, ce n’est pas seulement
Parce que notre espoir en fait l’enchantement
Et que sur l’horizon de la mer qui sommeille
Le couchant les maquille à sa poudre vermeille.
Non ! Beaucoup restent d’or, même à les voir de près.
De fruits plein les vergers, de blés plein les guèrets.
D’oiseaux au fond des bois, de bouquets par les sentes.
Plus souvent qu’on ne croit elles sont florissantes.

Il en est où l’Avril est la saison sans fin,
Un tiède Avril, au ciel d’émeraude et d’or fin
Dans lequel une aurore éternelle rougeoie.
Il en est ou des gens vivent toujours en joie,
Souriants, généreux, au seuil hospitalier,
N’ayant d’autre souci qu’à vous faire oublier,
Dans les quelques bons jours qu’ils vous donnent à terre,
Le réembarquement sur la mer solitaire.
Il en est dont le bord, loin d’être inhabité,
Pullule d’une énorme et splendide cité
Aux quais tumultueux regorgeant de tavernes.
Et celles-là, souvent, c’est toi qui les gouvernes,
Ô Roi qui règnes, doux, dans les vieilles chansons,
Roi des contes de fée, ayant des échansons,
Des cuisiniers, des fous et des coquecigrues
Pour ministres, bon Roi qui veux que par les rues,
Des matins jusqu’aux soirs, des soirs jusqu’aux matins,
Ton peuple soit toujours en noces et festins.
Ô les grasses cités d’orgiaque tapage !
Débarquons ! Tout le monde à quai ! Tout l’équipage
En bordée ! Et la fête aux plus gueux, sans débours !
Lampions, torches, feux d’artifice, tambours,
Cortèges, chœurs, ballets, pantomimes et farces !
Tout le long des trottoirs, des guirlandes de garces
À la bouche de rose, aux clins d’œil assassins,
Laissant mordre gratis les fraises de leurs seins !

À tous les carrefours illuminés, des tables
Gigantesques, fumant de soupes délectables,
De viandes, moutons, porcs, bœufs, rôtis tout entiers,
De ragoûts dans des plats tels que des bénitiers,
Des gibiers les plus fins, des poissons les plus riches !
Et ces huîtres en tas qui crèvent les bourriches,
Ces cochonnailles, ces légumes, ces gâteaux,
Ces fromages, ces fruits, débordant des plateaux !
Et tout cela mangé dans de l’argenterie,
Aux lustres, aux bouquets d’une nappe fleurie.
Par le premier venu qui veut être traité !
Et partout la bombance, et partout la gaîté !
Car foudres et tonneaux, éventrés par centaines,
Ont en ruisseaux de vin changé l’eau des fontaines
D’où gicle, avec un jet de liquides paillons,
La pourpre éblouissante au muffle des lions.
Oui, de ces îles-là, folles et jubilaires,
Où règne le bon Roi des contes populaires
Avec ses deux enfants Rosemonde et Lindor,
Il en est que je sais, parmi les îles d’or ;
Et si j’ai dû les voir aussi, ces infidèles,
Prendre un jour loin de moi l’essor à tire-d’ailes,
Je dirai malgré tout, d’un cœur reconnaissant,
Les savoureux bonheurs qu’on y cueille en passant,
Et le los immortel de tes dons éphémères,
Bon Roi qui ris encore aux lèvres des grand’mères,

Bon Roi chez qui chacun eut sa félicité,
Puisque tout voyageur fait halte en ta cité
Pour le moins une fois en voyageant sa vie,
Bon Roi dont le banquet de fête vous convie
À croire que sans fin doit durer le bon temps,
Roi toujours sur le trône au pays des vingt ans !