Mes paradis/Les Îles d’or/Pardon, Métaphysique, oh ! pardon


LIII


Pardon, Métaphysique, oh ! pardon,
Belle au bois dormant qui m’as fait don
De tant de caresses merveilleuses !
Moi, mordre ton sein qui m’abreuvait !
Moi, vouloir souffler à mon chevet
Tes grands yeux aux si douces veilleuses !

Pardon, la belle, et reviens encor
Sourire en l’extravagant décor
De contes, de fantasmagories,
De possibles rêvés, rêvasses,
Dont, sans jamais qu’on en ait assez.
Tes lèvres de folle sont fleuries.


Je le sais bien, Belle au bois dormant,
Qu’on ne peut être que ton amant,
Et qu’à tout le monde est refusée,
Même au plus grand, au plus immortel,
La gloire d’être devant l’autel
L’époux d’une pareille épousée ;

Je le sais bien, que, pris à tes glus,
Je ne serai jamais qu’un de plus
Dans le troupeau des mâles sans nombre
À qui ta stérilité défend
Tout espoir de te faire un enfant,
Toi dont la matrice n’est qu’une ombre ;

Je le sais bien, que tes amoureux
Deviennent ainsi des songe-creux,
Semeurs de néant dans l’étendue ;
Je le sais bien, et que je mourrai
Sans qu’à ton ventre en vain labouré
Germe, hélas ! ma semence perdue ;

Je le sais bien ; je t’aime pourtant,
Après tant d’autres, et tant, et tant,
Qui dans leurs bras pour rien t’ont saisie ;

Après eux, comme eux, Belle aux beaux seins,
Je t’aime, malgré tes noirs desseins,
Sans amertume et sans jalousie ;

Je t’aime, ô suceuse de cerveaux,
D’un cœur aux désirs toujours nouveaux
Et qui vers toi vole, vole, vole,
Quand sous les veilleuses de tes yeux
S’allument des cieux, des cieux, des cieux,
Aux bulles de tes lèvres de folle.