Maximes et Pensées (Chamfort)/Édition Bever/Texte entier

Texte établi par Ad. Van BeverG. Crès & Cie (p. iii-282).


MAXIMES
ET PENSÉES
DE
CHAMFORT
SUIVIES DE DIALOGUES PHILOSOPHIQUES
TEXTE REVU SUR L’ÉDITION ORIGINALE
ET PUBLIÉ AVEC DES NOTES ET UN INDEX
PAR AD. VAN BEVER
PARIS
LES ÉDITIONS G. CRÈS & Cie
21, RUE HAUTEFEUILLE
MCMXXIII



AVANT-PROPOS
DE
L’ÉDITEUR




Les Maximes et Pensées de Chamfort, ainsi que les Caractères et Anecdotes que nous nous proposons de réimprimer également, sont extraites de l’édition donnée par Ginguené, en l’an III. Elles figurent, on le sait, au tome IV de cet ouvrage, les trois premiers étant consacrés à divers essais de morale et de critique, au théâtre, aux poésies et à la correspondance de l’auteur. Bien que la réimpression des œuvres de Chamfort, établie par P.-R. Auguis, en 1824-1825, apparaisse, dans l’ensemble, plus complète et mieux ordonnée, c’est au texte original, malgré ses imperfections et ses lacunes, que vont nos préférences. On trouve là, en effet, pour la première fois réunis, les observations, les mots et les traits de génie du plus spirituel et du plus profondément humain des moralistes français. Les deux éditions, il faut le dire, renferment une leçon identique, dont le second éditeur n’a eu rien à modifier, sauf l’orthographe et la ponctuation.

Nous réimprimons donc ce texte d’après la version de l’an III, corrigeant seulement quelques fautes anciennes et complétant le tout par une série de « Pensées » tirées des papiers de Chamfort et reproduites déjà par feu M. de Lescure. (Œuvres Choisies, Paris, 1879, t. I.)

On déplorera, certes, que nous n’ayons pu, — quelques recherches que nous ayons entreprises — retrouver les manuscrits de l’écrivain[1] et revoir sur ces précieux documents la leçon des premiers imprimeurs ; mais on nous saura gré, vous voulons le croire, de n’avoir point alourdi d’un commentaire le présent livre. En fait, rien n’eût été plus inopportun qu’une préface. On connaît la vie de Chamfort. Les quelques pages qu’on lira par la suite, du comte P.-L. Rœderer, nous donnent de lui un portrait fidèle et sincère. Qu’ajouter de plus, alors que le meilleur de son œuvre est reproduit intégralement ici, et que, l’auteur s’exprimant en toute liberté, lui-même, ne répugne point à prendre, parfois, un ton de confident ? Bon nombre de ses productions ont été perdues ; d’autres ne nous sont guère connues que par leur titre, telles ces Soirées de Ninon, dont les contemporains regrettaient bien à tort, peut-être, la disparition. Nous avons, toutefois, pour compenser cette perte, les Petits Dialogues Philosophiques. Ils sont insérés à la suite des « Maximes », et ce n’est point trop dire qu’ils en sont l’heureux complément.

Le classement de tous ces écrits est celui qu’adoptèrent les premiers éditeurs. Nous l’avons admis, à notre tour, en raison de son caractère traditionnel, et aussi parce qu’il respecte l’ordre indiqué par l’auteur. M. de Lescure a imaginé une classification différente, qu’on a trouvée ingénieuse, mais dont l’emploi serait superflu dans un livre pourvu, comme celui-ci, d’un copieux index alphabétique.

Quelques notes succinctes, rendues indispensables par certaines obscurités du texte, et des variantes fournies par une lecture attentive des Œuvres Choisies de Chamfort, imprimées en 1879, terminent l’ouvrage.

Considéré comme penseur, comme moraliste, N. Chamfort vient après La Rochefoucauld et La Bruyère, corrigeant en amertume et en scepticisme ce que l’un offre de conventionnel ou de suranné et l’autre de volontairement morose. Avec La Bruyère, il représente, a-t-on dit, l’esprit français dans ce qu’il a de plus original et de plus affiné. Observateur qui sait, à l’occasion, se mêler à la comédie sociale, s’il est misanthrope, c’est par infortune plus encore que par goût ou par mépris. L’expérience des hommes lui a ouvert les yeux. Ses mots sont à la fois brûlants et brillants, mais sa philosophie trouve un correctif dans sa propre sensibilité. Cet homme de l’ancien régime, désabusé, ce classique rebelle à son temps, — et qui l’eût été également au nôtre, — cet apôtre de la liberté, fidèle à son dogme et qui en mourut, est un homme nouveau. Rien dans son œuvre ne semble avoir vieilli. Les « Maximes » d’autrefois : traits caustiques et réparties ingénieuses, qu’il exprime en termes lapidaires, c’est la pensée et d’hier et de demain, celle de tout à l’heure et d’aujourd’hui.

Qui ne comprendrait, après cela, combien nous tenions à présenter son œuvre et, collaborateur ennobli par la tâche, à réaliser une édition digne à la fois de l’écrivain et de son public ?

Ad. van Bever.


NOTES SUR CHAMFORT
PAR
LE COMTE P.-L. RŒDERER

Le texte ci-après, qui nous fournit les détails les plus exacts sur Chamfort, est extrait des Œuvres complètes de Rœderer, Paris, F. Didot, 1853-1859, t. IV. La première partie de ces « Notes » et « Anecdotes » tirée du Journal de Paris, figure également dans l’édition des Œuvres complètes de Chamfort, publiée par P.-R. Auguis, en 1825, t. V, pp. 339-347. — NOTE DES ÉDITEURS.


I



« Est-ce que vous ne défendrez pas Chamfort contre Delacroix ?[2] — Ma foi, je n’en sais rien. — N’étiez-vous pas de ses amis ? — J’en étais, certainement. — Et vous l’abandonneriez ! — N’a-t-il pas été terroriste ! — Oui, jusqu’à la menace ; non, jusqu’aux actions. Il croyait nécessaire de paraître terrible, pour éviter d’être cruel. Il s’est arrêté, quand il a vu la férocité frapper avec les armes que le patriotisme alarmé ne voulait que montrer. Le confondriez-vous avec les hommes de sang ? — Non ; mais je ne le mettrai pas non plus au rang des esprits sages qui ont prévu les conséquences des déclamations incendiaires, ni des âmes courageuses qui ont travaillé à empêcher les fureurs populaires, ni même des âmes sensibles qui en ont constamment gémi. N’est-ce pas lorsque la terreur l’a atteint lui-même qu’il a cessé d’applaudir au terrorisme ? — C’est bien avant ; et il ne s’est pas borné au silence, il a frappé sur le terrorisme, dès qu’il l’a vu cruel, comme il l’avait fait sur le despotisme dans tous les tems, et sur le modérantisme quand il l’a cru dangereux. Ignorez-vous qu’il fut mis en arrestation pour avoir refusé à Héraut-Séchelles d’écrire contre la liberté de la presse ? N’avez-vous pas entendu citer ce mot qui lui échappa au sujet de la fraternité, que les tyrans proclamaient sans cesse : Ils parlent, dit-il, de la fraternité d’Étéocle et Polynice ? Ce fut lui qui, entendant déplorer l’indifférence du public pour les chefs-d’œuvre de la scène tragique, l’expliqua en ces mots : La tragédie ne fait plus d’effet depuis qu’elle court les rues. Ce fut lui qui dit de Barrère, à la naissance de son pouvoir : C’est un brave homme que ce Barrère, il vient toujours au secours du plus fort. C’est un ange que voire Pache, dit-il un jour à un ami de celui-ci, mais à sa place je rendrais mes comptes. Ce furent ces discours et cent autres que ceux-là supposent, qui indisposèrent les décemvirs contre lui. On sait qu’au moment de son arrestation, il fit ce qu’il put pour se tuer ; remis en liberté, ses amis lui reprochaient d’avoir tenté de se donner la mort. Mes amis, répondit-il, du moins je ne risquais pas d’être jeté à la voirie du Panthéon. C’est ainsi qu’il appelait cette sépulture depuis l’apothéose de Marat. Quelque tems après sa délivrance, un des amis qui lui ont fermé les yeux, Colchen, le félicitait d’être échappé à ses propres coups ; Chamfort lui répondit : Ah ! mon ami, les horreurs que je vois me donnent à tout moment l’envie de me recommencer. Ne voyez-vous pas dans ces paroles les sentimens d’une âme sensible et courageuse ? — Je me plais à les reconnaître en lui ; mais pourquoi donc cet emportement de paroles, ce débordement d’invectives et de menaces contre les mêmes castes, contre la plupart des mêmes individus que Marat et Robespierre proscrivirent depuis ? — Vous l’avez dit : parce que Chamfort n’était pas un esprit sage ; j’ajouterai même qu’en politique il n’était pas un esprit éclairé. Il avait vu les abus et les vices attachés à l’ancien régime ; il leur avait juré la guerre : et il croyait nécessaire de la faire à outrance, sans précaution, comme sans mesure ; voilà son erreur. — Mais n’y a-t-il pas eu du mauvais cœur dans sa conduite, et au moins de cette méchanceté qui se plaît à nuire pour peu que la justice y autorise ; de cette méchanceté qui n’est pas celle du scélérat, mais celle de l’homme dur et violent ? — Nullement, et ce qui le prouve, c’est qu’il a cessé ses emportemens dès qu’il a vu qu’on prenait à la lettre les discours des Marat et des Robespierre ; il voulait faire peur et non faire du mal, puisqu’il s’est arrêté dès qu’il a vu qu’on faisait mal pour faire mal et encore pour faire peur. — Mais n’a-t-il pas voulu satisfaire des vues personnelles ? N’est-ce pas son intérêt qui lui a conseillé de flatter les partis dominants ? — Son intérêt n’a été pour rien dans sa conduite. Toujours Chamfort s’y montra supérieur ; disons plus : il en fut toujours l’ennemi. Non seulement il s’attacha à la révolution, mais même il poursuivit avec passion jusque sur lui-même tous les abus, ou ce qu’il croyait être les abus de l’ancien régime. Il se déchaîna contre les pensions jusqu’à ce qu’il n’eut plus de pensions ; contre l’Académie, dont les jetons étaient devenus sa seule ressource, jusqu’à ce qu’il n’y eut plus d’Académie ; contre toutes les idolâtries, toutes les servilités, toutes les courtoisies, jusqu’à ce qu’il n’existât plus un seul homme qui osât se montrer empressé à lui plaire ; contre l’opulence extrême, jusqu’à ce qu’il ne lui restât plus un ami assez riche pour le mener en voiture ou lui donner à dîner. Enfin il se déchaîna contre la frivolité, le bel esprit, la littérature même, jusqu’à ce que toutes ses liaisons, occupées uniquement des intérêts publics, fussent devenues indifférentes à ses écrits, à ses comédies, à sa conversation. Il s’impatientait d’entendre louer son Marchand de Smyrne comme une comédie révolutionnaire ; il s’indignait même qu’on se crût réduit à tenir compte de si faibles ressources pour servir une si grande cause. Je ne croirai pas à la Révolution, disait-il souvent en 1791 et 1792, tant que je verrai ces carrosses et ces cabriolets écraser les passans. Voici une anecdote qui le caractérise : le lendemain du jour où l’Assemblée constituante supprima les pensions, nous fûmes, lui et moi, voir M-[armontel] à la campagne. Nous le trouvâmes, et sa femme surtout, gémissant de la perte que le décret leur faisait éprouver ; et c’était pour leurs enfans qu’ils gémissaient. Chamfort en prit un sur ses genoux : Viens, dit-il, mon petit ami ; tu vaudras mieux que nous, quelque jour tu pleureras sur ton père, en apprenant qu’il eut la faiblesse de pleurer sur toi, dans l’idée que tu serais moins riche que lui. Chamfort perdait lui-même sa fortune par le décret de la veille. Si Chamfort, comme on voit, ne passait rien aux autres, il ne se passait rien non plus à lui-même. Il fut misanthrope, peut-être, mais non pas inhumain ; il haïssait les hommes, mais parce qu’ils ne s’aimaient point ; et le secret de son caractère est tout entier dans ce mot qu’il répétait souvent : Tout homme qui à quarante ans n’est pas misanthrope, n’a jamais aimé les hommes. On lui a reproché d’avoir été ingrat envers des amis qui l’avaient obligé pendant leur puissance, et l’on s’est fondé sur son ardeur à poursuivre les abus dont ils vivaient. La belle raison ! La preuve que Chamfort ne fut point ingrat, c’est qu’il resta attaché à ses amis dépouillés d’abus, comme il l’avait été quand ils en étaient revêtus. — À ce compte, il n’y aurait qu’à admirer dans Chamfort ; et ce que vous appelez le défaut de sagesse de son esprit, ne serait que la faculté de s’émouvoir trop vivement pour le bien et contre le mal ! — Vous allez maintenant trop loin. La morosité de Chamfort, sa misanthropie furent des défauts sérieux ; il irrita souvent des gens qu’il aurait pu ramener. Il affligea des hommes honnêtes par des jugemens inconsidérés ; il provoqua sans le vouloir, il autorisa des passions perverses, et arma des hommes atroces de maximes violentes et de raisonnemens spécieux ; et quand il avait lancé un mot piquant ou accablant sur quelque homme que ce fût, il ne revenait plus sur l’opinion qu’il en avait donnée, non qu’il fût arrêté par la crainte méprisable de déprécier un mot vaillant, mais plutôt parce qu’il voulait se faire craindre d’un ennemi qu’il croyait trop blessé pour ne pas être irréconciliable : c’est ainsi qu’il resta toute sa vie le détracteur de La Harpe, parce qu’il l’avait été un jour ; il s’obstina à soutenir que cet excellent littérateur, dont il honorait d’ailleurs le patriotisme, ne savait pas le latin, parce qu’il l’avait surpris autrefois je ne sais dans quelle erreur sur le sens d’un mot de Tite-Live. Ces travers sont inexcusables, mais je ne puis pour cela passer condamnation sur des reproches qui attaquent le fond de son cœur. — Je vous entends ; mais, après tout, à quoi bon célébrer Chamfort ? Qu’a-t-il fait pour la révolution ? Il n’a pas imprimé une seule ligne pour en hâter ou en arrêter la marche, suivant les circonstances, non plus que pour l’éclairer. — Comptez-vous pour rien une foule de mots saillans qui ont passé mille fois dans toutes les bouches ? Sa réponse à des aristocrates qui, après le 14 juillet 1789, se demandaient douloureusement ce que devenait la Bastille : Messieurs, elle ne fait que décroître et embellir ! Ces autres paroles sur la manière de faire la guerre à la Belgique : Guerre aux châteaux, paix aux chaumières ! Paroles qui, pour être devenues l’adage du vandalisme et de la tyrannie en France, n’en étaient pas moins justes et politiques relativement à des ennemis étrangers et des agresseurs cruels. Cette prédiction malheureusement démentie par M. Pitt, mais qui devait lui servir de leçon, et fournira à l’Angleterre un éternel reproche contre lui : L’Angleterre ne fera pas la guerre à la France, elle aimera mieux sucer notre sang que de le répandre. Enfin, cette réflexion décisive sur des projets de loi proposés à l’Assemblée constituante pour réprimer la licence des écrits calomnieux : Toute loi sera inutile contre la calomnie, parce qu’elle ne coûte guère et qu’elle se vend bien ? Chamfort imprimait sans cesse, mais c’était dans l’esprit de ses amis. Il n’a rien laissé d’écrit, mais il n’aura rien dit qui ne le soit un jour. On le citera longtems ; on répétera dans plus d’un bon livre des paroles de lui, qui sont l’abrégé ou le germe d’un bon livre… Ne craignons pas de le dire : on n’estime pas à sa valeur le service qu’une phrase énergique peut rendre aux plus grands intérêts. Il est des vérités importantes qui ne servent à rien, parce qu’elles sont noyées dans de volumineux écrits, ou errantes et confuses dans l’entendement ; elles sont comme un métal précieux en dissolution ; en cet état, il n’est d’aucun usage ; on ne peut même apprécier sa valeur. Pour le rendre utile, il faut que l’artiste le mette en lingot, l’affine, l’essaye, et lui imprime sous le balancier des caractères auxquels tous les yeux puissent le reconnaître. Il en est de même de la pensée ; il faut, pour entrer dans la circulation, qu’elle passe sous le balancier de l’homme éloquent ; qu’elle y soit marquée d’une empreinte ineffaçable, frappante pour tous les yeux, et garante de son aloi. Chamfort n’a cessé de frapper de ce genre de monnaie, et souvent il a frappé de la monnaie d’or ; il ne la distribuait pas lui-même au public, mais ses amis se chargeaient volontiers de ce soin ; et, certes, il est resté plus de choses de lui, qui n’a rien écrit, que de tant d’écrits publiés depuis cinq ans et chargés de tant de mots. — Je me rends, citoyen ; mais que puis-je faire de mieux pour la mémoire de Chamfort que d’écrire notre entretien et de le publier ? Y consentez-vous ? — Volontiers. »

(Journal de Paris, du 28 ventôse, an III
[19 mars 1795].)


II

Chamfort a plus observé le monde que la Société ; plus les effets que les causes de ce qui s’y passe ; et, entre les effets, il a été plus frappé des ridicules, des bizarreries ou des absurdités, que des vices et des désordres ; et entre les ridicules, ceux des manières, du ton, du langage, ne le frappaient pas moins que celui des mœurs, de l’esprit ou du caractère.

Il était lui-même très soigneux d’éviter le ridicule ; il regardait comme un malheur d’y tomber ; il mettait de l’importance à l’éviter. Il tenait cette faiblesse de la contagion du grand monde : On ne saurait croire, disait-il, combien il faut d’esprit pour n’être jamais ridicule. — L’art de la plaisanterie, dit-il ailleurs, préserve du malheur, toujours fâcheux pour un honnête homme, d’être faux ou pédant. Comment un honnête homme balancerait-il entre la fausseté et la pédanterie ? Et comment est-il fâcheux d’être pédant ou d’être réputé tel, quand il faut blâmer, censurer, sous peine de fausseté ? Et comment la raillerie sauve-t-elle du reproche de fausseté, quand elle prend la place de la censure rigoureuse et de l’indignation énergique ?

La crainte du ridicule est souvent une cause de ridicule, parce qu’elle est une cause de gaucherie.

La crainte du ridicule de ton et de manières fait souvent tomber dans un ridicule d’esprit et de mœurs.

C’est la crainte d’un ridicule qui jette dans un autre. C’est par ses efforts pour ne pas ressembler au provincial à Paris, que le provincial s’y fait remarquer ; c’est pour n’être pas bourgeoise de Paris à Versailles, qu’une bourgeoise s’y fait moquer ; c’est surtout quand on se moque d’un ridicule qu’on a voulu éviter, qu’on court risque d’être souverainement ridicule soi-même.

Ce sont les prétentions qui rendent ridicules, non les mœurs ni les manières simples ou familières : elles peuvent être bizarres et ne sont pas ridicules.

La dame de petite ville se moque quelquefois, non de la femme, mais de la dame de village ; mais la dame de grande ville se moque bien plus de la dame de petite ville, et surtout de la sotte confiance avec laquelle celle-ci se moque de la villageoise ; et tandis qu’elle rit ainsi de la première devant une dame de Paris, celle-ci rit de toutes, et surtout de celle qui lui parle, en attendant qu’elle vienne, à son tour, s’exposer à la risée d’une ancienne femme de Versailles, à qui elle racontera le tout à Paris.

Est-on soi, on est rarement ridicule ; est-on ridicule par accident, il faut braver la plaisanterie, élargir et tendre sa poitrine devant elle, recevoir ses traits, sûr de les émousser en les recevant de face.

Chamfort a mieux connu les principes du grand monde ; La Bruyère, mieux les caractères des hommes du monde ; Montaigne, Vauvenargues, mieux la société civile ; Pascal, La Rochefoucauld, mieux la nature humaine.


Chamfort a saisi, indiqué et fortement censuré le ridicule ou l’odieux des principes reçus dans le monde. — La Bruyère a saisi, peint, fait sentir le ridicule non seulement des principes, mais des mœurs des gens du monde.

Chamfort marque au fer chaud, mais c’est souvent la même marque qu’il imprime à la même chose. — La Bruyère peint, il peint tout ce qu’il montre avec les couleurs propres, et il n’y a rien qu’il ne peigne.

Vauvenargues fait plus de réflexions, Chamfort plus d’observations ; l’un a pris en lui-même, l’autre sur autrui.

Les réflexions de Vauvenargues sont souvent des aveux modestes ; les observations de Chamfort sont toujours des censures amères. On peut dire de la Rochefoucauld ce que je dis de Vauvenargues.

« Nous sommes consternés de nos rechutes, dit Vauvenargues, et de voir que nos malheurs mêmes n’ont pu nous corriger de nos défauts. »

« Quelque vanité qu’on nous reproche, dit-il encore, nous avons besoin quelquefois qu’on nous assure de notre mérite. »

« Nous plaisons plus souvent, dit La Rochefoucauld, dans le commerce de la vie par nos fautes que par nos bonnes qualités. »

« La vanité est si ancrée dans le cœur de l’homme, qu’un goujat, un marmiton, un crocheteur, se vante et veut avoir ses admirateurs. Ceux qui écrivent contre la gloire veulent avoir la gloire d’avoir bien écrit, et ceux qui le lisent veulent avoir la gloire de l’avoir lu ; et moi, qui écris ceci, j’ai peut-être cette envie, et peut-être que ceux qui le liront l’auront aussi. » (Pensées de Pascal, ch. XXIV.)

On ne trouve jamais de ces confessions dans Chamfort. Les vices qu’il censure, les ridicules qu’il relève, il ne les a jamais vus que dans les autres. C’est moins l’amour de la vérité qui l’a conduit dans ses recherches utiles, que la haine des choses et des personnes qui ont offensé ses regards. Il a plus écrit par humeur que par philosophie.

« C’est la plaisanterie, dit Chamfort, qui doit faire justice de tous les travers des hommes et de la société. C’est par elle qu’on évite de se compromettre, c’est par elle qu’on met tout en place (il faut : à sa place), sans sortir de la sienne. C’est elle qui atteste notre supériorité sur les choses et les personnes dont nous nous moquons, sans que les personnes puissent s’en offenser, à moins qu’elles ne manquent de gaieté ou de mœurs. La réputation de savoir bien manier cette arme donne à l’homme d’un rang inférieur, dans le monde et dans la meilleure compagnie, cette sorte déconsidération que les militaires ont pour ceux qui manient supérieurement l’épée.

« Ôtez à la plaisanterie son empire, et je quitte demain la Société. C’est une sorte de duel où il n’y a pas de sang répandu, et qui, comme l’autre, rend les hommes mesurés et plus polis. » (De la Société.)

Pascal et Chamfort s’accordent à regarder la plaisanterie qui offense comme mauvaise ; mais ils diffèrent dans les motifs qu’ils en donnent. Chamfort veille davantage sur la perfection de la plaisanterie, sur le succès du plaisant, sur la sûreté qu’elle donne à l’homme de mérite dans la société[3]. Pascal est plus occupé de l’amélioration du cœur, de la sûreté de la conscience, de la satisfaction de l’homme de bien[4].

Toute l’attention, toute la philosophie de Chamfort paraissent s’être tournées uniquement vers ces vues : échapper au ridicule, se dérober aux liens du mariage, se soustraire à l’autorité des gens de fortune, à la domination des gens en puissance, à celle de hautes naissances, à celle des gens de lettres.

Chamfort est plein de plaisanteries fines et piquantes ; mais La Rochefoucauld est plein d’idées grandes et profondes ; Vauvenargues, d’idées élevées ; Pascal, d’idées sublimes.

Chamfort est plaisant, gai, piquant ;

Vauvenargues, plus élevé ; La Rochefoucauld, plus profond ; Pascal, grand, fort, sublime.

L’expression de Chamfort est toujours juste, exacte, souvent forte ; la contexture de sa phrase est toujours correcte, même élégante ; mais toutes ses pensées ont la même forme, et son ton ne varie que de l’amertume à la gaieté. — Quelle différence entre lui et La Bruyère ! Il n’est point de tours dans la langue, point de mouvemens dans le style, que La Bruyère n’ait employés avec succès. Il n’est point de ton qu’il n’ait pris avec intérêt. Il sait être pathétique, piquant, par sa gaieté ou son humeur.

Chamfort marque son empreinte à l’emporte-pièce ; La Bruyère fait un tableau où il répand de la richesse, de la variété.

Il affectait un profond mépris pour les chiens, parce qu’il les trouvait serviles et rampants, et beaucoup d’estime pour les chats, parce qu’il leur trouvait un caractère plus libre et non moins d’attachement. — Un jour, pendant qu’il discourait sur ce sujet, son chat saute sur les genoux de la personne à qui il parlait, et cette personne s’aperçoit que le chat a les ongles rognés jusqu’au bout : c’était une précaution de Chamfort contre la liberté des griffes.

Ducis lui laissait voir quelque désir d’avoir le cordon noir. — Eh ! mon ami, lui dit Chamfort, tu ne l’auras pas plus tôt qu’il faudra le parler ! »


Chamfort disait à Rulhière : « Je n’ai jamais fait qu’une méchanceté. » — Rulhière répondit : « Quand finira-t-elle[5] ? »

Il disait dans ces derniers tems : « La Révolution est comme un chien perdu que personne n’ose arrêter. »

Chamfort ne s’est jamais présenté dans les sections pour y exercer ses droits de citoyen, et l’on a dit que c’était dans la crainte d’être obligé de présenter son acte de baptême… Voici une anecdote que je tiens de lui, mais à laquelle il était intéressé.

Un étranger, qui se trouvait chez Mademoiselle de Lespinasse avec d’Alembert et beaucoup d’autres personnes distinguées, s’impatientait d’entendre un impitoyable parleur. Il prend d’Alembert en particulier : Savez-vous, lui dit-il, ce que c’est que cet homme qui force ainsi tout le monde à se taire et à l’écouter ? C’est un misérable bâtard de… — Monsieur, reprend d’Alembert, vous vous adressez mal ; j’ai le malheur d’être dans le même cas que ce monsieur. L’étranger étourdi va se jeter près de Mademoiselle de Lespinasse, sur le sopha où elle était assise. Que je suis maladroit et malheureux ! lui dit-il. Voici ce qui vient de m’arriver avec M, d’Alembert. Et il lui raconte l’aventure. Que je vous plains, monsieur ! lui répond Mademoiselle de Lespinasse ; je suis dans le même cas que M. d’Alembert. Ce qui complète la singularité de cette anecdote, c’est que Chamfort, qui nous la racontait, à M. de Talleyrand et à moi, aurait pu dire à celui de qui il la tenait, la même chose que d’Alembert avait dite à l’occasion du parleur, et Mademoiselle de Lespinasse à l’occasion de d’Alembert. Chamfort était fils d’un chanoine de la Sainte-Chapelle. Il a constamment fait mystère de sa naissance, excepté à un ou deux amis.

Se promenant sur le port d’Amsterdam avec le comte de Choiseul et le comte de Vaudreuil, qui admiraient l’activité des crocheteurs et l’habileté des charpentiers : « Qu’est-ce, leur dit-il, qu’un gentilhomme français, en comparaison de ces hommes-là ! »

Vaudreuil, Choiseul-Gouffier reprochaient à Chamfort, qui était pauvre, de ne pas leur confier ses besoins. « Je vous promets, leur dit-il, de vous emprunter cent louis à chacun, quand vous aurez payé vos dettes. »


AVERTISSEMENT DU PREMIER ÉDITEUR




Chamfort était, depuis longtems, en usage d’écrire chaque jour sur de petits carrés de papier, les résultats de ses réflexions, rédigés en maximes, les Anecdotes qu’il avait apprises, les faits servant à l’histoire des mœurs, dont il avait été témoin dans le monde ; enfin les mois piquans et les reparties ingénieuses qu’il avait entendus ou qui lui étaient échappés à lui-même.

Tous ces petits papiers, il les jetait pêle-mêle dans des cartons. Il ne s’était ouvert à personne sur ce qu’il avait dessein d’en faire. Lorsqu’il est mort, ces cartons étaient en assez grand nombre, et presque tous remplis ; mais la plus grande partie fut vidée et enlevée, sans doute avant l’apposition des scellés. Le Juge de paix renferma dans deux portefeuilles, ce qu’il y trouva de reste. C’est du choix très scrupuleux fait parmi cette espèce de débris, que j’ai tiré ce qui compose ce volume.

Je ne serais peut-être jamais parvenu à y établir quelque ordre, si, parmi cette masse de petits papiers, je n’en avais trouvé un qui m’a donné la clef du dessein de l’Auteur, et même le titre de l’ouvrage. Voici ce qui y est écrit :

Produits de la Civilisation perfectionnée.

1re Partie. Maximes et Pensées.

2e Partie. Caractères.

3e Partie. Anecdotes.

En lisant ceci. Je ne doutai point que ce ne fût le titre et la division d’un grand ouvrage, dont Chamfort avait parlé à mots couverts à très peu de personnes, et dont il avait depuis si longtems rassemblé les matériaux.

Le titre est parfaitement dans le genre de son esprit : il était dans sa philosophie de voir comme le produit de ce perfectionnement de civilisation que l’on vante, l’excessive corruption des mœurs, les vices hideux ou ridicules, et les travers de toute espèce qu’il prenait un plaisir malin à caractériser et à peindre.

Je fis donc, en suivant cette division établie par lui-même, un premier triage. La première partie se trouva très abondante, et me parut susceptible d’être subdivisée par chapitres. La partie des Caractères était la plus faible, soit qu’il se fût moins exercé dans ce genre, soit qu’elle soit plus riche dans les très nombreux papiers que je n’ai pas. Je la réunis à celle des Anecdotes, et ayant ainsi divisé le tout seulement en deux parties, je réduisis, par un examen sévère, à un seul volume, ce qui, si j’avais tout employé, en pouvait fournir plus de deux.

J’ai éprouvé dans tout ce travail, aussi fastidieux que pénible, que l’amitié donne plus de patience que l’amour-propre, et que l’on peut prendre, pour la mémoire d’un ami, des soins qu’il paraîtrait insupportable de prendre pour soi-même.

Je me serais fort trompé dans mon jugement, si ce volume, et surtout si la partie des Maximes et Pensées, n’ajoute beaucoup à la réputation de Chamfort, assez connu comme Écrivain et comme Homme de Lettres, mais trop peu comme Philosophe.

Quant aux Caractères et Anecdotes, je n’ai pas cru devoir les diviser par chapitres. Leur mélange produit une variété que la classification eût fait disparaître. La Cour, la Ville, Hommes, Femmes, Gens de Lettres, figurent tour à tour et presque ensemble dans cette scène mobile, comme ils figuraient dans celle du monde, où Chamfort ayant été longtems acteur et spectateur, était plus que personne, par sa position, à portée de saisir la ressemblance des personnages, comme il l’était par son talent de les représenter dans ses peintures.

On trouvera dans cette partie beaucoup de noms connus et d’indications faciles à reconnaître ; je ne me suis cru permis ni de supprimer les uns, ni d’ôter aux autres le léger voile dont l’Auteur les avait couverts.

J’ai placé en tête de la première partie, et comme une sorte d’Avertissement de l’Auteur, une Question qu’il s’était souvent entendu faire, et ses réponses, remplies d’originalité, à cette question triviale.

Je regrette infiniment de n’avoir pas eu à ma disposition le reste de ces matériaux précieux. Peut-être serais-je parvenu à en faire à peu près ce que l’Auteur comptait en faire lui-même ; et cet ouvrage, devenu complet, serait un des plus piquans de ce siècle.

J’exhorte, au nom de l’Amitié, de la Philosophie et des Lettres, ceux qui peuvent posséder ce trésor, à ne le pas enfouir, et à rendre à la mémoire du malheureux Chamfort tout ce qui lui appartient.

GINGUENÉ.


QUESTION ET RÉPONSES


QUESTION

Pourquoi ne donnez-vous plus rien au public ?

RÉPONSES

C’est que le public me paraît avoir le comble du mauvais goût et la rage du dénigrement.

C’est qu’un homme raisonnable ne peut agir sans motif, et qu’un succès ne me ferait aucun plaisir, tandis qu’une disgrâce me ferait peut-être beaucoup de peine.

C’est que je ne dois pas troubler mon repos, parce que la compagnie prétend qu’il faut divertir la compagnie.

C’est que je travaille pour les Variétés Amusantes, qui sont le théâtre de la nation, et que je mène de front, avec cela, un ouvrage philosophique, qui doit être imprimé à l’Imprimerie Royale.

C’est que le public en use avec les Gens de Lettres comme les racoleurs du Pont Saint-Michel avec ceux qu’ils enrôlent : enivrés le premier jour, dix écus, et des coups de bâton le reste de leur vie.

C’est qu’on me presse de travailler, par la même raison que quand on se met à sa fenêtre, on souhaite de voir passer, dans l[a] rue, des singes ou des meneurs d’ours.

Exemple de M. Thomas, insulté pendant toute sa vie et loué après sa mort.

Gentilshommes de la Chambre, Comédiens, Censeurs, la Police, Beaumarchais.

C’est que j’ai peur de mourir sans avoir vécu.

C’est que tout ce qu’on me dit pour m’engager à me produire, est bon à dire à Saint-Ange et à Murville.

C’est que j’ai à travailler et que les succès perdent du tems.

C’est que je ne voudrais pas faire comme les Gens de Lettres, qui ressemblent à des ânes, ruant et se battant devant un râtelier vide.

C’est que si j’avais donné à mesure, les bagatelles dont je pouvais disposer, il n’y aurait plus pour moi de repos sur la terre.

C’est que j’aime mieux l’estime des honnêtes gens, et mon bonheur particulier que quelques éloges, quelques écus, avec beaucoup d’injures et de calomnies.

C’est que s’il y a un homme sur la terre qui ait le droit de vivre pour lui, c’est moi, après les méchancetés qu’on m’a faites à chaque succès que j’ai obtenu.

C’est que jamais, comme dit Bacon, on n’a vu marcher ensemble la gloire et le repos.

Parce que le public ne s’intéresse qu’aux succès qu’il n’estime pas.

Parce que je resterais à moitié chemin de la gloire de Jeannot.

Parce que j’en suis à ne plus vouloir plaire qu’à qui me ressemble.

C’est que plus mon affiche littéraire s’efface, plus je suis heureux.

C’est que j’ai connu presque tous les hommes célèbres de notre tems, et que je les ai vus malheureux par cette belle passion de célébrité, et mourir, après avoir dégradé par elle leur caractère moral.


MAXIMES
ET
PENSÉES


CHAPITRE PREMIER


MAXIMES GÉNÉRALES


I


Les Maximes, les Axiomes sont, ainsi que les Abrégés, l’ouvrage des gens d’esprit qui ont travaillé, ce semble, à l’usage des esprits médiocres ou paresseux. Le paresseux s’accommode d’une maxime qui le dispense de faire lui-même les observations qui ont mené l’auteur de la maxime au résultat dont il fait part à son lecteur. Le paresseux et l’homme médiocre se croient dispensés d’aller au delà, et donnent à la maxime une généralité que l’auteur, à moins qu’il ne soit lui-même médiocre, ce qui arrive quelquefois, n’a pas prétendu lui donner. L’homme supérieur saisit tout d’un coup les ressemblances, les différences qui font que la maxime est plus ou moins applicable à tel ou tel cas, ou ne l’est pas du tout. Il en est de cela comme de l’histoire naturelle, où le désir de simplifier a imaginé les classes et les divisions. Il a fallu avoir de l’esprit pour les faire ; car il a fallu rapprocher et observer des rapports. Mais le grand naturaliste, l’homme de génie voit que la nature prodigue des êtres individuellement différens, et voit l’insuffisance des divisions et des classes qui sont d’un si grand usage aux esprits médiocres ou paresseux ; on peut les associer : c’est souvent la même chose, c’est souvent la cause et l’effet.

II

La plupart des faiseurs de recueils de vers ou de bons mots ressemblent à ceux qui mangent des cerises ou des huîtres, choisissant d’abord les meilleures et finissant par tout manger.

III

Ce serait une chose curieuse qu’un livre qui indiquerait toutes les idées corruptrices de l’esprit humain, de la société, de la morale, et qui se trouvent développées ou supposées dans les écrits les plus célèbres, dans les auteurs les plus consacrés ; les idées qui propagent la superstition religieuse, les mauvaises maximes politiques, le despotisme, la vanité de rang, les préjugés populaires de toute espèce. On verrait que presque tous les livres sont des corrupteurs, que les meilleurs font presque autant de mal que de bien.

IV

On ne cesse d’écrire sur l’Éducation, et les ouvrages écrits sur cette matière ont produit quelques idées heureuses, quelques méthodes utiles, ont fait, en un mot, quelque bien partiel. Mais quelle peut être, en grand, l’utilité de ces écrits, tant qu’on ne fera pas marcher de front les réformes relatives à la législation, à la religion, à l’opinion publique ? L’Éducation n’ayant d’autre objet que de conformer la raison de l’enfance à la raison publique relativement à ces trois objets, quelle instruction donner, tant que ces trois objets se combattent ? En formant la raison de l’enfance, que faites-vous que de la préparer à voir plutôt l’absurdité des opinions et des mœurs consacrées par le sceau de l’autorité sacrée, publique, ou législative, par conséquent, à lui en inspirer le mépris ?

V

C’est une source de plaisir et de philosophie, de faire l’analyse des idées qui entrent dans les divers jugements que portent tel ou tel homme, telle ou telle société. L’examen des idées qui déterminent telle ou telle opinion publique, n’est pas moins intéressant, et l’est souvent davantage.

VI

Il en est de la Civilisation comme de la cuisine. Quand on voit sur une table des mets légers, sains et bien préparés, on est fort aise que la cuisine soit devenue une science ; mais quand on y voit des jus, des coulis, des pâtés de truffes, on maudit les cuisiniers et leur art funeste : à l’application.

VII

L’homme, dans l’état actuel de la Société, me paraît plus corrompu par sa raison que par ses passions. Ses passions (j’entends ici celles qui appartiennent à l’homme primitif) ont conservé, dans l’ordre social, le peu de nature qu’on y retrouve encore.

VIII

La Société n’est pas, comme on le croit d’ordinaire, le développement de la Nature, mais bien sa décomposition et sa refonte entière. C’est un second édifice, bâti avec les décombres du premier. On en retrouve les débris, avec un plaisir mêlé de surprise. C’est celui qu’occasionne l’expression naïve d’un sentiment naturel qui échappe dans la société ; il arrive même qu’il plaît davantage, si la personne à laquelle il échappe est d’un rang plus élevé, c’est-à-dire plus loin de la Nature. Il charme dans un Roi, parce qu’un roi est dans l’extrémité opposée. C’est un débris d’ancienne architecture dorique ou corinthienne, dans un édifice grossier et moderne.

IX

En général, si la Société n’était pas une composition factice, tout sentiment simple et vrai ne produirait pas le grand effet qu’il produit. Il plairait sans étonner. Mais il étonne et il plaît. Notre surprise est la satire de la Société, et notre plaisir est un hommage à la Nature.

X

Les fripons ont toujours un peu besoin de leur honneur, à peu près comme les espions de police, qui sont payés moins cher quand ils voient moins bonne compagnie.

XI

Un homme du peuple, un mendiant, peut se laisser mépriser, sans donner l’idée d’un homme vil, si le mépris ne paraît s’adresser qu’à son extérieur. Mais ce même mendiant qui laisserait insulter sa conscience, fût-ce par le premier souverain de l’Europe, devient alors aussi vil par sa personne que par son état.

XII

Il faut convenir qu’il est impossible de vivre dans le monde, sans jouer de tems en tems la comédie. Ce qui distingue l’honnête homme du fripon, c’est de ne la jouer que dans les cas forcés, et pour échapper au péril ; au lieu que l’autre va au-devant des occasions.

XIII

On fait quelquefois dans le monde un raisonnement bien étrange. On dit à un homme, en voulant récuser son témoignage en faveur d’un autre homme : c’est votre ami. Eh ! morbleu, c’est mon ami, parce que le bien que j’en dis est vrai, parce qu’il est tel que je le peins. Vous prenez la cause pour l’effet, et l’effet pour la cause. Pourquoi supposez-vous que j’en dis du bien, parce qu’il est mon ami ? et pourquoi ne supposez-vous pas plutôt qu’il est mon ami, parce qu’il y a du bien à en dire ?

XIV

Il y a deux classes de Moralistes et de Politiques, ceux qui n’ont vu la nature humaine que du côté odieux ou ridicule, et c’est le plus grand nombre : Lucien, Montaigne, La Bruyère, La Rochefoucauld, Swift, Mandeville, Helvétius, etc. Ceux qui ne l’ont vue que du beau côté et dans ses perfections ; tels sont Shaftersbury et quelques autres. Les premiers ne connaissent pas le palais dont ils n’ont vu que les latrines. Les seconds sont des enthousiastes qui détournent leurs yeux loin de ce qui les offense, et qui n’en existe pas moins. Est in medio verum.

XV

Veut-on avoir la preuve de la parfaite inutilité de tous les livres de Morale, de Sermons, etc. ? Il n’y a qu’à jeter les yeux sur le préjugé de la noblesse héréditaire. Y a-t-il un travers contre lequel les Philosophes, les Orateurs, les Poètes, aient lancé plus de traits satyriques, qui ait plus exercé les esprits de toute espèce, qui ait fait naître plus de sarcasmes ? Cela a-t-il fait tomber les présentations, la fantaisie de monter dans les carrosses ? Cela a-t-il fait supprimer la place de Cherin ?

XVI

Au Théâtre, on vise à l’effet ; mais ce qui distingue le bon et le mauvais poète, c’est que le premier veut faire effet par des moyens raisonnables, et, pour le second, tous les moyens sont excellens. Il en est de cela comme des honnêtes gens et des fripons, qui veulent également faire fortune. Les premiers n’emploient que des moyens honnêtes, et les autres, toutes sortes de moyens.

XVII

La Philosophie, ainsi que la Médecine, a beaucoup de drogues, très peu de bons remèdes, et presque point de spécifiques.

XVIII

On compte environ cent cinquante millions d’âmes en Europe, le double en Afrique, plus du triple en Asie ; en admettant que l’Amérique et les Terres Australes n’en contien[nent] que la moitié de ce que donne notre hémisphère, on peut assurer qu’il meurt tous les jours, sur notre globe, plus de cent mille hommes. Un homme qui n’aurait vécu que trente ans, aurait [encore] échappé environ mille quatre cents fois à cette épouvantable destruction.

XIX

J’ai vu des hommes qui n’étaient doués que d’une raison simple et droite, sans une grande étendue ni sans beaucoup d’élévation d’esprit, et cette raison simple avait suffi pour leur faire mettre à leur place les vanités et les sottises humaines, pour leur donner le sentiment de leur dignité personnelle, leur faire apprécier ce même sentiment dans autrui. J’ai vu des femmes à peu près dans le même cas, qu’un sentiment vrai, éprouvé de bonne heure, avait mises au niveau des mêmes idées. Il suit de ces deux observations que ceux qui mettent un grand prix à ces vanités, à ces sottises humaines, sont de la dernière classe de notre espèce.

XX

Celui qui ne sait point recourir à propos à la plaisanterie, et qui manque de souplesse dans l’esprit, se trouve très souvent placé entre la nécessité d’être faux ou d’être pédant : alternative fâcheuse à laquelle un honnête homme se soustrait, pour l’ordinaire, par de la grâce et de la gaîté.

XXI

Souvent une opinion, une coutume commence à paraître absurde dans la première jeunesse, et en avançant dans la vie, on en trouve la raison ; elle paraît moins absurde. En faudrait-il conclure que de certaines coutumes sont moins ridicules ? On serait porté à penser quelquefois qu’elles ont été établies par des gens qui avaient lu le livre entier de la vie, et qu’elles sont jugées par des gens qui, malgré leur esprit, n’en ont lu que quelques pages.

XXII

Il semble que, d’après les idées reçues dans le monde et la décence sociale, il faut qu’un prêtre, un curé croie un peu pour n’être pas hypocrite, ne soit pas sûr de son fait pour n’être pas intolérant. Le Grand Vicaire peut sourire à un propos contre la religion, l’Évêque rire tout à fait, le Cardinal y joindre son mot.

XXIII

La plupart des nobles rappellent leurs ancêtres, à peu près comme un Cicerone d’Italie rappelle Cicéron.

XXIV

J’ai lu, dans je ne sais quel voyageur, que certains sauvages de l’Afrique croient à l’immortalité de l’âme. Sans prétendre expliquer ce qu’elle devient, ils la croient errante, après la mort, dans les broussailles qui environnent leurs bourgades, et la cherchent plusieurs matinées de suite. Ne la trouvant pas, ils abandonnent cette recherche, et n’y pensent plus. C’est à peu près ce que nos philosophes ont fait, et avaient de meilleur à faire.

XXV

Il faut qu’un honnête homme ait l’estime publique sans y avoir pensé, et, pour ainsi dire malgré lui. Celui qui l’a cherchée donne sa mesure.

XXVI

C’est une belle allégorie, dans la Bible, que cet Arbre de la Science du Bien et du Mal qui produit la Mort. Cet emblème ne veut-il pas dire que lorsqu’on a pénétré le fond des choses, la perte des illusions amène la mort de l’âme, c’est-à-dire, un désintéressement complet sur tout ce qui touche et occupe les autres hommes ?

XXVII

Il faut qu’il y ait de tout dans le monde ; il faut que, même dans les combinaisons factices du système social, il se trouve des hommes qui opposent la Nature à la Société, la vérité à l’opinion, la réalité à la chose convenue. C’est un genre d’esprit et de caractère fort piquant, et dont l’empire se fait sentir plus souvent qu’on ne croit. Il y a des gens à qui on n’a besoin que de présenter le vrai, pour qu’ils y courent avec une surprise naïve et intéressante. Ils s’étonnent qu’une chose frappante (quand on sait la rendre telle) leur ait échappé jusqu’alors.

XXVIII

On croit le sourd malheureux dans la Société. N’est-ce pas un jugement prononcé par l’amour-propre de la Société qui dit : Cet homme-là n’est-il pas trop à plaindre de n’entendre pas ce que nous disons ?

XXIX

La pensée console de tout, et remédie à tout. Si quelquefois elle vous fait du mal, demandez-lui le remède du mal qu’elle vous a fait, et elle vous le donnera.

XXX

Il y a, on ne peut le nier, quelques grands caractères dans l’histoire moderne ; et on ne peut comprendre comme[nt] ils se sont formés. Ils y semblent comme déplacés. Ils y sont comme des cariatides dans un entresol.

XXXI

La meilleure philosophie, relativement au monde, est d’allier, à son égard, le sarcasme de la gaîté avec l’indulgence du mépris.

XXXII

Je ne suis pas plus étonné de voir un homme fatigué de la Gloire, que je ne le suis d’en voir un autre importuné du bruit qu’on fait dans son antichambre.

XXXIII

J’ai vu, dans le monde, qu’on sacrifiait sans cesse l’estime des honnêtes gens à la considération, et le repos à la célébrité.

XXXIV

Une forte preuve de l’existence de Dieu, selon Dorilas, c’est l’existence de l’homme, de l’homme par excellence, dans le sens le moins susceptible d’équivoque, dans le sens le plus exact, et, par conséquent, un peu circonscrit, en un mot, de l’homme de qualité. C’est le chef-d’œuvre de la Providence, ou plutôt le seul ouvrage immédiat de ses mains. Mais on prétend, on assure qu’il existe des êtres d’une ressemblance parfaite avec cet être privilégié. Dorilas a dit : est-il vrai ? quoi ! même figure, même conformation extérieure ! Eh bien, l’existence de ces individus, de ces hommes, puisqu’on les appelle ainsi, qu’il a niée autrefois, qu’il a vue, à sa grande surprise, reconnue par plusieurs de ses égaux, que, par cette raison seule, il ne nie plus formellement, sur laquelle il n’a plus que des nuages, des doutes bien pardonnables, tout-à-fait involontaires, contre laquelle il se contente de protester simplement par des hauteurs, par l’oubli des bienséances, ou par des bontés dédaigneuses ; l’existence de tous ces êtres, sans doute mal définis, qu’en fera-t-il ? Comment l’expliquera-t-il ? Comment accorder ce phénomène avec sa théorie ? Dans quel système physique, métaphysique, ou, s’il le faut, mythologique, ira-t-il chercher la solution de ce problème ? Il réfléchit, il rêve, il est de bonne foi ; l’objection est spécieuse ; il en est ébranlé. Il a de l’esprit, des connaissances. Il va trouver le mot de l’énigme ; il l’a trouvé, il le tient, la joie brille dans ses yeux. Silence. On connaît, dans la Théologie Persane, la doctrine des deux principes, celui du Bien et celui du Mal. Eh quoi ! vous ne saisissez pas ? Rien de plus simple. Le génie, les talens, les vertus, sont des inventions du mauvais principe, d’Orimane, du Diable, pour mettre en évidence, pour produire au grand jour certains misérables, plébéiens reconnus, vrais roturiers, ou à peine gentilshommes.

XXXV

Combien de militaires distingués, combien d’officiers généraux sont morts, sans avoir transmis leurs noms à la postérité : en cela moins heureux que Bucéphale, et même que le dogue espagnol Bérécillo, qui dévorait les Indiens de Saint-Domingue et qui avait la paie de trois soldats !

XXXVI

On souhaite la paresse d’un méchant et le silence d’un sot.

XXXVII

Ce qui explique le mieux comment le malhonnête homme, et quelquefois même le sot, réussissent presque toujours mieux, dans le monde, que l’honnête homme et que l’homme d’esprit, à faire leur chemin : c’est que le malhonnête homme et le sot ont moins de peine à se mettre au courant et au ton du monde, qui, en général, n’est que malhonnêteté et sottise, au lieu que l’honnête homme et l’homme sensé, ne pouvant pas entrer sitôt en commerce avec le monde, perdent un tems précieux pour la fortune. Les uns sont des marchands qui, sachant la langue du pays, vendent et s’approvisionnent tout de suite, tandis que les autres sont obligés d’apprendre la langue de leurs vendeurs et de leurs chalands. Avant que d’exposer leur marchandise, et d’entrer en traité avec eux, souvent même ils dédaignent d’apprendre cette langue, et alors ils s’en retournent sans étrenner.

XXXVIII

Il y a une prudence supérieure à celle qu’on qualifie ordinairement de ce nom ; l’une est la prudence de l’aigle, et l’autre, celle des taupes. La première consiste à suivre hardiment son caractère, en acceptant avec courage les désavantages et les inconvénients qu’il peut produire…

XXXIX

Pour parvenir à pardonner à la raison le mal qu’elle fait à la plupart des hommes, on a besoin de considérer ce que ce serait que l’homme sans sa raison. C’était un mal nécessaire.

XL

Il y a des sottises bien habillées, comme il y a des sots très bien vêtus.

XLI

Si l’on avait dit à Adam, le lendemain de la mort d’Abel, que dans quelques siècles il y aurait des endroits où, dans l’enceinte de quatre lieues carrées, se trouveraient réunis et amoncelés sept ou huit cent mille hommes, aurait-il cru que ces multitudes pussent jamais vivre ensemble ? Ne se serait-il pas fait une idée encore plus affreuse de ce qui s’y commet de crimes et de monstruosités ? C’est la réflexion qu’il faut faire, pour se consoler des abus attachés à ces étonnantes réunions d’hommes.

XLII

Les prétentions sont une source de peines, et l’époque du bonheur de la vie commence au moment où elles finissent. Une femme est-elle encore jolie au moment où sa beauté baisse ? ses prétentions la rendent ou ridicule ou malheureuse : dix ans après, plus laide et vieille, elle est calme et tranquille. Un homme est dans l’âge où l’on peut réussir et ne pas réussir auprès des femmes ; il s’expose à des inconvéniens, et même à des affronts : il devient nul ; dès lors plus d’incertitude, et il est tranquille. En tout, le mal vient de ce que les idées ne sont pas fixes et arrêtées. Il vaut mieux être moins et être ce qu’on est, incontestablement. L’état des ducs et pairs, bien constaté, vaut mieux que celui des princes étrangers, qui ont à lutter sans cesse pour la prééminence. Si Chapelain eût pris le parti que lui conseillait Boileau, par le fameux hémistiche, Que n’écrit-il en prose ? il se fût épargné bien des tourmens, et se fût peut-être fait un nom, autrement que par le ridicule.

XLIII

N’as-tu pas honte de vouloir parler mieux que tu ne peux ? disait Sénèque à l’un de ses fils, qui ne pouvait trouver l’exorde d’une harangue qu’il avait commencée. On pourrait dire de même à ceux qui adoptent des principes plus forts que leur caractère ; n’as-tu pas honte de vouloir être philosophe plus que tu ne peux ?

XLIV

La plupart des hommes qui vivent dans le monde, y vivent si étourdiment, pensent si peu, qu’ils ne connaissent pas ce monde qu’ils ont toujours sous les yeux. Ils ne le connaissent pas, disait plaisamment M. de B…, par la raison qui fait que les hannetons ne savent pas l’histoire naturelle.

XLV

En voyant Bacon, dans le commencement du seizième siècle, indiquer à l’esprit humain la marche qu’il doit suivre pour reconstruire l’édifice des sciences, on cesse presque d’admirer les grands hommes qui lui ont succédé, tels que B[o]yle, Locke, etc. Il leur distribue d’avance le terrain qu’ils ont à défricher ou à conquérir. C’est César, maître du monde après la victoire de Pharsale, donnant des royaumes et des provinces à ses partisans ou à ses favoris.

XLVI

Notre raison nous rend quelquefois aussi malheureux que nos passions ; et on peut dire de l’homme, quand il est dans ce cas, que c’est un malade empoisonné par son médecin.

XLVII

Le moment où l’on perd les illusions, les passions de la jeunesse, laisse souvent des regrets ; mais quelquefois on hait le prestige qui nous a trompés. C’est Armide qui brûle et détruit le palais où elle fut enchantée.

XLVIII

Les médecins et le commun des hommes ne voient pas plus clair les uns que les autres dans les maladies et dans l’intérieur du corps humain. Ce sont tous des aveugles ; mais les médecins sont des Quinze-Vingts qui connaissent mieux les rues, et qui se tirent mieux d’affaire.

XLIX

Vous demandez comment on fait fortune. Voyez ce qui se passe au parterre d’un spectacle, le jour où il y a foule ; comme les uns restent en arrière, comme les premiers reculent, comme les derniers sont portés en avant. Cette image est si juste que le mot qui l’exprime a passé dans le langage du peuple. Il appelle faire fortune, se pousser. Mon fils, mon neveu se poussera. Les honnêtes gens disent, s’avancer, avancer, arriver, termes adoucis, qui écartent l’idée accessoire de force, de violence, de grossièreté, mais qui laissent subsister l’idée principale.

L

Le Monde physique paraît l’ouvrage d’un Être puissant et bon, qui a été obligé d’abandonner à un être malfaisant l’exécution d’une partie de son plan. Mais le Monde moral paraît être le produit des caprices d’un diable devenu fou.

LI

Ceux qui ne donnent que leur parole pour garant d’une assertion qui reçoit sa force de ses preuves, ressemblent à cet homme qui disait : j’ai l’honneur de vous assurer que la terre tourne autour du soleil.

LII

Dans les grandes choses, les hommes se montrent comme il leur convient de se montrer ; dans les petites, ils se montrent comme ils sont.

LIII

Qu’est-ce qu’un Philosophe ? C’est un homme qui oppose la Nature à la Loi, la raison à l’usage, sa conscience à l’opinion, et son jugement à l’erreur.

LIV

Un sot qui a un moment d’esprit, étonne et scandalise, comme des chevaux de fiacre au galop.

LV

Ne tenir dans la main de personne, être l’homme de son cœur, de ses principes, de ses sentimens, c’est ce que j’ai vu de plus rare.

LVI

Au lieu de vouloir corriger les hommes de certains travers insupportables à la Société, il aurait fallu corriger la faiblesse de ceux qui les souffrent.

LVII

Les trois quarts des folies ne sont que des sottises.

LVIII

L’opinion est la reine du monde, parce que la sottise est la reine des sots.

LIX

Il faut savoir faire les sottises que nous demande notre caractère.

LX

L’importance sans mérite obtient des égards sans estime.

LXI

Grands et petits, on a beau faire, il faut toujours se dire comme le fiacre aux courtisanes, dans le Moulin de Javelle : Vous autres et nous autres, nous ne pouvons nous passer les uns des autres.

LXII

Quelqu’un disait que la Providence était le nom de baptême du hasard ; quelque dévot dira que le hasard est un sobriquet de la Providence.

LXIII

Il y a peu d’hommes qui se permettent un usage vigoureux et intrépide de leur raison, et osent l’appliquer à tous les objets dans toute sa force. Le tems est venu où il faut l’appliquer ainsi à tous les objets de la Morale, de la Politique et de la Société, aux rois, aux ministres, aux grands, aux philosophes, aux principes des Sciences, des Beaux-Arts, etc., sans quoi, on restera dans la médiocrité.

LXIV

Il y a des hommes qui ont le besoin de primer, de s’élever au-dessus des autres, à quelque prix que ce puisse être. Tout leur est égal, pourvu qu’ils soient en évidence sur des tréteaux de charlatan ; sur un théâtre, un trône, un échafaud, ils seront toujours bien, s’ils attirent les yeux.

LXV

Les hommes deviennent petits en se rassemblant ; ce sont les diables de Milton, obligés de se rendre pygmées, pour entrer dans le Pandémonium.

LXVI

On anéantit son propre caractère dans la crainte d’attirer les regards et l’attention, et on se précipite dans la nullité, pour échapper au danger d’être peint.

LXVII

Les fléaux physiques, et les calamités de la nature humaine ont rendu la Société nécessaire. La Société a ajouté aux malheurs de la Nature. Les inconvéniens de la Société ont amené la nécessité du gouvernement, et le gouvernement ajoute aux malheurs de la Société. Voilà l’histoire de la nature humaine.

LXVIII

L’ambition prend aux petites âmes plus facilement qu’aux grandes, comme le feu prend plus aisément à la paille, aux chaumières qu’aux palais.

LXIX

L’homme vit souvent avec lui-même, et il a besoin de vertu ; il vit avec les autres, et il a besoin d’honneur.

LXX

La fable de Tantale n’a presque jamais servi d’emblème qu’à l’avarice. Mais elle est, pour le moins, autant celui de l’ambition, de l’amour de la gloire, de presque toutes les passions.

LXXI

La Nature en faisant naître à la fois la raison et les passions, semble avoir voulu, par le second présent, aider l’homme à s’étourdir sur le mal qu’elle lui a fait par le premier, et en ne le laissant vivre que peu d’années après la perte de ses passions, semble prendre pitié de lui, en le délivrant bientôt d’une vie qui le réduit à sa raison, pour toute ressource.

LXXII

Toutes les passions sont exagératrices, et elles ne sont des passions que parce qu’elles exagèrent.

LXXIII

Le Philosophe qui veut éteindre ses passions, ressemble au chimiste qui voudrait éteindre son feu.

LXXIV

Le premier des dons de la Nature est cette force de raison qui vous élève au-dessus de vos propres passions et de vos faiblesses, et qui vous fait gouverner vos qualités mêmes, vos talens et vos vertus.

LXXV

Pourquoi les hommes sont-ils si sots, si subjugués par la coutume ou par la crainte de faire un testament, en un mot, si imbéciles, qu’après eux ils laissent aller leurs biens à ceux qui rient de leur mort, plutôt qu’à ceux qui la pleurent ?

LXXVI

La Nature a voulu que les illusions fussent pour les sages comme pour les fous, afin que les premiers ne fussent pas trop malheureux par leur propre sagesse.

LXXVII

À voir la manière dont on en use envers les malades dans les hôpitaux, on dirait que les hommes ont imaginé ces tristes asiles, non pour soigner les malades, mais pour les soustraire aux regards des heureux, dont ces infortunés troubleraient les jouissances.

LXXVIII

De nos jours, ceux qui aiment la Nature sont accusés d’être romanesques.

LXXIX

Le Théâtre tragique a le grand inconvénient moral de mettre trop d’importance à la vie et à la mort.

LXXX

La plus perdue de toutes les journées est celle où l’on n’a pas ri.

LXXXI

La plupart des folies ne viennent que de sottise[6].

LXXXII

On fausse son esprit, sa conscience, sa raison, comme on gâte son estomac.

LXXXIII

Les lois du secret et du dépôt sont les mêmes.

LXXXIV

L’esprit n’est souvent au cœur que ce que la bibliothèque d’un château est à la personne du maître.

LXXXV

Ce que les poètes, les orateurs, même quelques philosophes nous disent sur l’amour de la Gloire, on nous le disait au Collège, pour nous encourager à avoir les prix. Ce que l’on dit aux enfans pour les engager à préférer à une tartelette les louanges de leurs bonnes, c’est ce qu’on répète aux hommes pour leur faire préférer à un intérêt personnel les éloges de leurs contemporains ou de la postérité.

LXXXVI

Quand on veut devenir Philosophe, il ne faut pas se rebuter des premières découvertes affligeantes qu’on fait dans la connaissance des hommes. Il faut, pour les connaître, triompher du mécontentement qu’ils donnent, comme l’anatomiste triomphe de la Nature, de ses organes et de son dégoût, pour devenir habile dans son art.

LXXXVII

En apprenant à connaître les maux de la Nature, on méprise la mort ; en apprenant à connaître ceux de la Société, on méprise la vie.

LXXXVIII

Il en est de la valeur des hommes comme de celle des diamans, qui, à une certaine mesure de grosseur, de pureté, de perfection, ont un prix fixe et marqué, mais qui, par delà cette mesure, restent sans prix, et ne trouvent point d’acheteurs.


CHAPITRE II


SUITE DES MAXIMES GÉNÉRALES


LXXXIX


En France, tout le monde paraît avoir de l’esprit, et la raison en est simple. Comme tout y est une suite de contradictions, la plus légère attention possible suffit pour les faire remarquer et rapprocher deux choses contradictoires. Cela fait des contrastes tout naturels, qui donnent à celui qui s’en avise l’air d’un homme qui a beaucoup d’esprit. Raconter, c’est faire des grotesques. Un simple nouvelliste devient un bon plaisant, comme l’historien, un jour, aura l’air d’un auteur satyrique.

XC

Le Public ne croit point à la pureté de certaines vertus et de certains sentimens ; et, en général, le Public ne peut guère s’élever qu’à des idées basses.

XCI

Il n’y a pas d’homme qui puisse être, à lui tout seul, aussi méprisable qu’un corps. Il n’y a point de corps qui puisse être aussi méprisable que le Public.

XCII

Il y a des siècles où l’opinion publique est la plus mauvaise des opinions.

XCIII

L’espérance n’est qu’un charlatan qui nous trompe sans cesse. Et pour moi, le bonheur n’a commencé que lorsque je l’ai eu perdue. Je mettrais volontiers sur la porte du Paradis le vers que le Dante a mis sur celle de l’Enfer :

Lasciate ogni speranza, voi ch’entrate.

XCIV

L’homme pauvre, mais indépendant des hommes, n’est qu’aux ordres de la nécessité. L’homme riche, mais dépendant, est aux ordres d’un autre homme ou de plusieurs.

XCV

L’ambitieux qui a manqué son objet, et qui vit dans le désespoir, me rappelle Ixion mis sur la roue pour avoir embrassé un nuage.

XCVI

Il y a, entre l’homme d’esprit, méchant par caractère, et l’homme d’esprit, bon et honnête, la différence qui se trouve entre un assassin et un homme du monde qui fait bien des armes.

XCVII

Qu’importe de paraître avoir moins de faiblesses qu’un autre, et donner aux hommes moins de prises sur vous ? Il suffit qu’il y en ait une, et qu’elle soit connue. Il faudrait être un Achille sans talon, et c’est ce qui paraît impossible.

XCVIII

Telle est la misérable condition des hommes, qu’il leur faut chercher, dans la Société, des consolations aux maux de la Nature, et, dans la Nature, des consolations aux maux de la Société. Combien d’hommes n’ont trouvé, ni dans l’une ni dans l’autre, des distractions à leurs peines !

XCIX

La prétention la plus inique et la plus absurde en matière d’intérêt, qui serait condamnée avec mépris, comme insoutenable, dans une société d’honnêtes gens choisis pour arbitres, faites-en la matière d’un procès en justice réglée. Tout procès peut se perdre ou se gagner, et il n’y a pas plus à parier pour que contre. De même toute opinion, toute assertion, quelque ridicule qu’elle soit, faites-en la matière d’un débat entre des partis différens dans un corps, dans une assemblée, elle peut emporter la pluralité des suffrages.

C

C’est une vérité reconnue que notre siècle a remis les mots à leur place ; qu’en bannissant les subtilités scolastiques, dialecticiennes, métaphysiques, il est revenu au simple et au vrai, en physique, en morale et en politique. Pour ne parler que de morale, on sent combien ce mot, l’honneur, renferme d’idées complexes et métaphysiques. Notre siècle en a senti les inconvéniens ; et, pour ramener tout au simple, pour prévenir tout abus de mots, il a établi que l’honneur restait dans toute son intégrité à tout homme qui n’avait point été repris de justice. Autrefois ce mot était une source d’équivoques et de contestations : à présent, rien de plus clair. Un homme a-t-il été mis au carcan ? n’y a-t-il pas été mis ? voilà l’état de la question. C’est une simple question de fait, qui s’éclaircit facilement par les registres du greffe. Un homme n’a pas été mis au carcan : c’est un homme d’honneur, qui peut prétendre à tout, aux places du ministère, etc. Il entre dans les corps, dans les académies, dans les cours souveraines. On sent combien la netteté et la précision épargnent de querelles et de discussions, et combien le commerce de la vie devient commode et facile.

CI

L’amour de la gloire, une vertu ! Étrange vertu que celle qui se fait aider par l’action de tous les vices, qui reçoit pour stimulans l’orgueil, l’ambition, l’envie, la vanité, quelquefois l’avarice même ! Titus serait-il Titus, s’il avait eu pour ministres Séjan, Narcisse et Tigelin ?

CII

La Gloire met souvent un honnête homme aux mêmes épreuves que la fortune ; c’est-à-dire, que l’une et l’autre l’obligent, avant de le laisser parvenir jusqu’à elles, à faire ou souffrir des choses indignes de son caractère. L’homme intrépidement vertueux les repousse alors également l’une et l’autre, et s’enveloppe ou dans l’obscurité ou dans l’infortune, et quelquefois dans l’une et dans l’autre.

CIII

Celui qui est juste au milieu, entre notre ennemi et nous, nous paraît être plus voisin de notre ennemi. C’est un effet des lois de l’optique, comme celui par lequel le jet d’eau d’un bassin paraît moins éloigné de l’autre bord que de celui où vous êtes.

CIV

L’opinion publique est une juridiction que l’honnête homme ne doit jamais reconnaître parfaitement, et qu’il ne doit jamais décliner.

CV

Vain veut dire vide ; ainsi, la vanité est si misérable, qu’on ne peut guère lui dire pis que son nom. Elle se donne elle-même pour ce qu’elle est.

CVI

On croit communément que l’art de plaire est un grand moyen de faire fortune : savoir s’ennuyer est un art qui réussit bien davantage. Le talent de faire fortune, comme celui de réussir auprès des femmes, se réduit presque à cet art-là.

CVII

Il y a peu d’hommes à grand caractère qui n’aient quelque chose de romanesque dans la tête ou dans le cœur. L’homme qui en est entièrement dépourvu, quelque honnêteté, quelque esprit qu’il puisse avoir, est à l’égard du grand caractère, ce qu’un artiste, d’ailleurs très habile, mais qui n’aspire point au beau idéal, est à l’égard de l’artiste, homme de génie, qui s’est rendu ce beau idéal familier.

CVIII

Il y a de certains hommes dont la vertu brille davantage dans la condition privée, qu’elle ne le ferait dans une fonction publique. Le cadre l[a] déparerait. Plus un diamant est beau, plus il faut que la monture soit légère. Plus le chaton est riche, moins le diamant est en évidence.

CIX

Quand on veut éviter d’être charlatan, il faut fuir les tréteaux ; car si l’on y monte, on est bien forcé d’être charlatan, sans quoi l’assemblée vous jette des pierres.

CX

Il y a peu de vices qui empêchent un homme d’avoir beaucoup d’amis, autant que peuvent le faire de trop grandes qualités.

CXI

Il y a telle supériorité, telle prétention qu’il suffit de ne pas reconnaître pour qu’elle soit anéantie, telle autre qu’il suffit de ne pas apercevoir pour la rendre sans effet.

CXII

Ce serait être très avancé dans l’étude de la Morale, de savoir distinguer tous les traits qui différencient l’orgueil et la vanité. Le premier est haut, calme, fier, tranquille, inébranlable. La seconde est vile, incertaine, mobile, inquiète et chancelante. L’un grandit l’homme, l’autre le renfle. Le premier est la source de mille vertus, l’autre, celle de presque tous les vices et tous les travers. Il y a un genre d’orgueil dans lequel sont compris tous les commandemens de Dieu ; et un genre de vanité qui contient les sept péchés capitaux.

CXIII

Vivre est une maladie dont le sommeil nous soulage toutes les seize heures. C’est un palliatif. La Mort est le remède.

CXIV

La Nature paraît se servir des hommes pour ses desseins, sans se soucier des instrumens qu’elle emploie, à peu près comme les tyrans qui se défont de ceux dont ils se sont servis.

CXV

Il y a deux choses auxquelles il faut se faire, sous peine de trouver la vie insupportable. Ce sont les injures du tems et les injustices des hommes.

CXVI

Je ne conçois pas de sagesse sans défiance. L’Écriture a dit que le commencement de la sagesse était la crainte de Dieu ; moi, je crois que c’est la crainte des hommes.

CXVII

Il y a certains défauts qui préservent de quelques vices épidémiques, comme on voit, dans un tems de peste, les malades de fièvre quarte échapper à la contagion.

CXVIII

Le grand malheur des passions n’est pas dans les tourmens qu’elles causent, mais dans les fautes, dans les turpitudes qu’elles font commettre, et qui dégradent l’homme. Sans ces inconvéniens, elles auraient trop d’avantage sur la froide raison, qui ne rend point heureux. Les passions font vivre l’homme, la sagesse le fait seulement durer.

CXIX

Un homme sans élévation ne saurait avoir de bonté ; il ne peut avoir que de la bonhomie.

CXX

Il faudrait pouvoir unir les contraires, l’amour de la vertu avec l’indifférence pour l’opinion publique, le goût du travail avec l’indifférence pour la gloire, et le soin de sa santé avec l’indifférence pour la vie.

CXXI

Celui-là fait plus, pour un hydropique, qui le guérit de la soif, que celui qui lui donne un tonneau de vin. Appliquez cela aux richesses.

CXXII

Les méchans font quelquefois de bonnes actions. On dirait qu’ils veulent voir s’il est vrai que cela fasse autant de plaisir que le prétendent les honnêtes gens.

CXXIII

Si Diogène vivait de nos jours, il faudrait que sa lanterne fût une lanterne sourde.

CXXIV

Il faut convenir que, pour être heureux en vivant dans le monde, il y a des côtés de son âme qu’il faut entièrement paralyser.

CXXV

La Fortune et le costume qui l’entoure font de la vie une représentation au milieu de laquelle il faut qu’à la longue l’homme le plus honnête devienne comédien malgré lui.

CXXVI

Dans les choses, tout est affaires mêlées, dans les hommes, tout est pièces de rapport. Au moral et au physique, tout est mixte. Rien n’est un, rien n’est pur.

CXXVII

Si les vérités cruelles, les fâcheuses découvertes, les secrets de la Société, qui composent la science d’un homme du monde parvenu à l’âge de quarante ans, avaient été connues de ce même homme, à l’âge de vingt, ou il fût tombé dans le désespoir, ou il se serait corrompu, par lui-même, par projet ; et cependant on voit un petit nombre d’hommes sages parvenus à cet âge-là, instruits de toutes ces choses et très éclairés, n’être ni corrompus ni malheureux. La prudence dirige leurs vertus à travers la corruption publique ; et la force de leur caractère, jointe aux lumières d’un esprit étendu, les élève au-dessus du chagrin qu’inspire la perversité des hommes.

CXXVIII

Voulez-vous voir à quel point chaque état de la Société corrompt les hommes ? Examinez ce qu’ils sont, quand ils en ont éprouvé plus longtems l’influence, c’est-à-dire dans la vieillesse. Voyez ce que c’est qu’un vieux courtisan, un vieux prêtre, un vieux juge, un vieux procureur, un vieux chirurgien, etc.

CXXIX

L’homme sans principes est aussi ordinairement un homme sans caractère ; car s’il était né avec du caractère, il aurait senti le besoin de se créer des principes.

CXXX

Il y a à parier que toute idée publique, toute convention reçue, est une sottise, car elle a convenu au plus grand nombre.

CXXXI

L’estime vaut mieux que la célébrité, la considération vaut mieux que la renommée, et l’honneur vaut mieux que la gloire.

CXXXII

C’est souvent le mobile de la vanité qui a engagé l’homme à montrer toute l’énergie de son âme. Du bois ajouté à un acier pointu fait un dard ; deux plumes ajoutées au bois font une flèche.

CXXXIII

Les gens faibles sont les troupes légères de l’armée des méchans. Ils font plus de mal que l’armée même ; ils infestent et ils ravagent.

CXXXIV

Il est plus facile de légaliser certaines choses que de les légitimer.

CXXXV

Célébrité : l’avantage d’être connu de ceux qui ne vous connaissent pas.

CXXXVI

On partage avec plaisir l’amitié de ses amis pour des personnes auxquelles on s’intéresse peu soi-même ; mais la haine, même celle qui est la plus juste, a de la peine à se faire respecter.

CXXXVII

Tel homme a été craint pour ses talens, haï pour ses vertus, et n’a rassuré que par son caractère. Mais combien de tems s’est passé avant que justice se fît !

CXXXVIII

Dans l’ordre naturel comme dans l’ordre social, il ne faut pas vouloir être plus qu’on ne peut.

CXXXIX

La sottise ne serait pas tout-à-fait la sottise, si elle ne craignait pas l’esprit. Le vice ne serait pas tout-à-fait le vice, s’il ne haïssait pas la vertu.

CXL

Il n’est pas vrai (ce qu’a dit Rousseau après Plutarque) que plus on pense, moins on sente ; mais il est vrai que plus on juge, moins on aime. Peu d’hommes vous mettent dans le cas de faire exception à cette règle.

CXLI

Ceux qui rapportent tout à l’opinion ressemblent à ces comédiens qui jouent mal pour être applaudis, quand le goût du Public est mauvais. Quelques-uns auraient le moyen de bien jouer si le goût du Public était bon. L’honnête homme joue son rôle le mieux qu’il peut, sans songer à la galerie.

CXLII

Il y a une sorte de plaisir attaché au courage qui se met au-dessus de la fortune. Mépriser l’argent, c’est détrôner un Roi. Il y a du ragoût.

CXLIII

Il y a un genre d’indulgence pour ses ennemis, qui paraît une sottise plutôt que de la bonté ou de la grandeur d’âme. M. de C… me paraît ridicule par la sienne. Il me paraît ressembler à Arlequin, qui dit : « Tu me donnes un soufflet, eh bien ! je ne suis point encore fâché. » Il faut avoir l’esprit de haïr ses ennemis.

CXLIV

Robinson dans son île, privé de tout, et forcé aux plus pénibles travaux pour assurer sa subsistance journalière, supporte la vie, et même goûte, de son aveu, plusieurs momens de bonheur. Supposez qu’il soit dans une île enchantée, pourvue de tout ce qui est agréable à la vie, peut-être le désœuvrement lui eût-il rendu l’existence insupportable.

CXLV

Les idées des hommes sont comme les cartes et autres jeux. Des idées que j’ai vu autrefois regarder comme dangereuses et trop hardies, sont depuis devenues communes, et presque triviales, et ont descendu jusqu’à des hommes peu dignes d’elles. Quelques-unes de celles à qui nous donnons le nom d’audacieuses seront vues comme faibles et communes par nos descendans.

CXLVI

J’ai souvent remarqué dans mes lectures, que le premier mouvement de ceux qui ont fait quelque action héroïque, qui se sont livrés à quelque impression généreuse, qui ont sauvé des infortunés, couru quelque grand risque et procuré quelque grand avantage, soit au public, soit à des particuliers, j’ai, dis-je, remarqué que leur premier mouvement a été de refuser la récompense qu’on leur en offrait. Ce sentiment s’est trouvé dans le cœur des hommes les plus indigens et de la dernière classe du peuple. Quel est donc cet instinct moral qui apprend à l’homme sans éducation que la récompense de ces actions est dans le cœur de celui qui les a faites ? Il semble qu’en nous les payant, on nous les ôte.

CXLVII

Un acte de vertu, un sacrifice ou de ses intérêts ou de soi-même, est le besoin d’une âme noble, l’amour-propre d’un cœur généreux, et, en quelque sorte, l’égoïsme d’un grand caractère.

CXLVIII

La concorde des frères est si rare que la Fable ne cite que deux frères amis, et elle suppose qu’ils ne se voyaient jamais, puisqu’ils passaient tour à tour de la terre aux Champs-Élysées, ce qui ne laissait pas d’éloigner tout sujet de dispute et de rupture.

CXLIX

Il y a plus de fous que de sages, et dans le sage même, il y a plus de folie que de sagesse.

CL

Les Maximes générales sont, dans la conduite de la vie, ce que les routines sont dans les Arts.

CLI

La conviction est la conscience de l’esprit.

CLII

On est heureux ou malheureux par une foule de choses qui ne paraissent pas, qu’on ne dit point et qu’on ne peut dire.

CLIII

Le plaisir peut s’appuyer sur l’illusion, mais le bonheur repose sur la vérité. Il n’y a qu’elle qui puisse nous donner celui dont la nature humaine est susceptible. L’homme heureux par l’illusion, a sa fortune en agiotage. L’homme heureux par la vérité, a sa fortune en fonds de terre, et en bonne constitution.

CLIV

Il y a dans le monde bien peu de choses sur lesquelles un honnête homme puisse reposer agréablement son âme ou sa pensée.

CLV

Quand on soutient que les gens les moins sensibles sont, à tout prendre, les plus heureux, je me rappelle le proverbe indien : « Il vaut mieux être assis que debout, être couché qu’assis ; mais il vaut mieux être mort que tout cela. »

CLVI

L’habileté est à la ruse, ce que la dextérité est à la filouterie.

CLVII

L’entêtement représente le caractère, à peu près comme le tempérament représente l’amour.

CLVIII

Amour, folie aimable ; ambition, sottise sérieuse.

CLIX

Préjugé, vanité, calcul : voilà ce qui gouverne le monde ; celui qui ne connaît pour règles de sa conduite, que raison, vérité, sentiment, n’a presque rien de commun avec la Société. C’est en lui-même qu’il doit chercher et trouver presque tout son bonheur.

CLX

Il faut être juste avant d’être généreux, comme on a des chemises avant d’avoir des dentelles.

CLXI

Les Hollandais n’ont aucune commisération de ceux qui font des dettes. Ils pensent que tout homme endetté vit aux dépens de ses concitoyens, s’il est pauvre, et de ses héritiers, s’il est riche.

CLXII

La Fortune est souvent comme les femmes riches et dépensières, qui ruinent les maisons où elles ont apporté une riche dot.

CLXIII

Le changement de modes est l’impôt que l’industrie du pauvre met sur la vanité du riche.

CLXIV

L’intérêt d’argent est la grande épreuve des petits caractères, mais ce n’est encore que la plus petite pour les caractères distingués ; et il y a loin de l’homme qui méprise l’argent à celui qui est véritablement honnête.

CLXV

Le plus riche des hommes, c’est l’économe. Le plus pauvre, c’est l’avare.

CLXVI

Il y a quelquefois entre deux hommes de fausses ressemblances de caractère, qui les rapprochent et qui les unissent pour quelque tems. Mais la méprise cesse par degrés, et ils sont tout étonnés de se trouver très écartés l’un de l’autre, et repoussés, en quelque sorte, par tous leurs points de contact.

CLXVII

N’est-ce pas une chose plaisante de considérer que la gloire de plusieurs grands hommes soit d’avoir employé leur vie entière à combattre des préjugés ou des sottises qui font pitié et qui semblaient ne devoir jamais entrer dans une tête humaine ? La gloire de Bayle, par exemple, est d’avoir montré ce qu’il y a d’absurde dans les subtilités philosophiques et scolastiques qui feraient lever les épaules à un paysan du Gâtinais, doué d’un grand sens naturel. Celle de Locke, d’avoir prouvé qu’on ne doit point parler sans s’entendre, ni croire entendre ce qu’on n’entend pas. Celle de plusieurs Philosophes, d’avoir composé de gros livres contre des idées superstitieuses qui feraient fuir, avec mépris, un sauvage du Canada. Celle de Montesquieu, et de quelques auteurs avant lui, d’avoir (en respectant une foule de préjugés misérables) laissé entrevoir que les gouvernans sont faits pour les gouvernés, et non les gouvernés pour les gouvernans. Si le rêve des Philosophes qui croient au perfectionnement de la Société, s’accomplit, que dira la postérité de voir qu’il ait fallu tant d’efforts pour arriver à des résultats si simples et si naturels ?

CLXVIII

Un homme sage en même tems qu’honnête se doit à lui-même de joindre à la pureté qui satisfait sa conscience, la prudence qui devine et prévient la calomnie.

CLXIX

Le rôle de l’homme prévoyant est assez triste. Il afflige ses amis, en leur annonçant les malheurs auxquels les expose leur imprudence. On ne le croit pas ; et, quand ces malheurs sont arrivés, ces mêmes amis lui savent mauvais gré du mal qu’il a prédit, et leur amour-propre baisse les yeux devant l’ami qui devait être leur consolateur, et qu’ils auraient choisi s’ils n’étaient pas humiliés en sa présence.

CLXX

Celui qui veut trop faire dépendre son bonheur de sa raison, qui le soumet à l’examen, qui chicane, pour ainsi dire, ses jouissances, et n’admet que des plaisirs délicats, finit par n’en plus avoir. C’est un homme qui, à force de faire carder son matelas, le voit diminuer, et finit par coucher sur la dure.

CLXXI

Le tems diminue chez nous l’intensité des plaisirs absolus, comme parlent les métaphysiciens ; mais il paraît qu’il accroît les plaisirs relatifs ; et je soupçonne que c’est l’artifice par lequel la Nature a su lier les hommes à la vie, après la perte des objets ou des plaisirs qui la rendaient le plus agréable.

CLXXII

Quand on a été bien tourmenté, bien fatigué par sa propre sensibilité, on s’aperçoit qu’il faut vivre au jour le jour, oublier beaucoup, enfin, éponger la vie, à mesure qu’elle s’écoule.

CLXXIII

La fausse modestie est le plus décent de tous les mensonges.

CLXXIV

On dit qu’il faut s’efforcer de retrancher tous les jours de nos besoins. C’est surtout aux besoins de l’amour-propre qu’il faut appliquer cette maxime : Ce sont les plus tyranniques et qu’on doit le plus combattre.

CLXXV

Il n’est pas rare de voir des âmes faibles qui, par la fréquentation avec des âmes d’une trempe plus vigoureuse, veulent s’élever au-dessus de leur caractère. Cela produit des disparates aussi plaisans que les prétentions d’un sot à l’esprit.

CLXXVI

La vertu, comme la santé, n’est pas le souverain bien. Elle est la place du bien plutôt que le bien même. Il est plus sûr que le vice rend malheureux qu’il ne l’est que la vertu donne le bonheur. La raison pour laquelle la vertu est le plus désirable, c’est parce qu’elle est ce qu’il y a de plus opposé au vice.


CHAPITRE III


DE LA SOCIÉTÉ,
DES GRANDS, DES RICHES,
DES GENS DU MONDE


CLXXVII


Jamais le monde n’est connu par les livres, on l’a dit autrefois, mais ce qu’on n’a pas dit, c’est la raison ; la voici. C’est que cette connaissance est un résultat de mille observations fines dont l’amour-propre n’ose faire confidence à personne, pas même au meilleur ami. On craint de se montrer comme un homme occupé de petites choses, quoique ces petites choses soient très importantes au succès des plus grandes affaires. Là, c’est un géant, courbé ou accroupi dans sa niche ; là, c’est un nain sous une arcade ; rarement la niche est faite pour la stature ; autour de l’édifice, circule une foule d’hommes de différentes tailles. Ils attendent tous qu’il y ait une niche de vide, afin de s’y placer, quelle qu’elle soit. Chacun fait valoir ses droits, c’est-à-dire sa naissance, ou ses protections, pour y être admis. On sifflerait celui qui, pour avoir la préférence, ferait valoir la proportion qui existe entre la niche et l’homme, entre l’instrument et l’étui. Les concurrens mêmes s’abstiennent d’objecter à leur adversaire cette disproportion.

CLXXXI

On ne peut vivre dans la Société après l’âge des passions. Elle n’est tolérable que dans l’époque où l’on se sert de son estomac pour s’amuser, et de sa personne pour tuer le tems.

CLXXXII

Les gens de robe, les magistrats, connaissent la cour, les intérêts du moment, à peu près comme les écoliers qui ont obtenu un exeat, et qui ont dîné hors du collège, connaissent le monde.

CLXXXIII

Ce qui se dit dans les cercles, dans les salons, dans les soupers, dans les assemblées publiques, dans les livres, même ceux qui ont pour objet de faire connaître la Société, tout cela est faux ou insuffisant. On peut dire sur cela le mot italien per la predica, ou le mot latin ad populum phaleras. Ce qui est vrai, ce qui est instructif, c’est ce que la conscience d’un honnête homme qui a beaucoup vu et bien vu, dit à son ami au coin du feu : quelques-unes de ces conversations-là m’ont plus instruit que tous les livres et le commerce ordinaire de la Société. C’est qu’elles me mettaient mieux sur la voie, et me faisaient réfléchir davantage.

CLXXXIV

L’influence qu’exerce sur notre âme une idée morale, contrastante avec des objets physiques et matériels, se montre dans bien des occasions ; mais on ne la voit jamais mieux que quand le passage est rapide et imprévu. Promenez-vous sur le boulevard, le soir : vous voyez un jardin charmant, au bout duquel est un salon, illuminé avec goût. Vous entrevoyez des groupes de jolies femmes, des bosquets, entr’autres, une allée fuyante, où vous entendez rire : ce sont des nymphes, vous en jugez par leur taille svelte, etc. Vous demandez quelle est cette femme, et on vous répond : c’est Madame de B…, la maîtresse de la maison. Il se trouve par malheur que vous la connaissez, et le charme a disparu.

CLXXXV

Vous rencontrez le baron de Breteuil, il vous entretient de ses bonnes fortunes, de ses amours grossières, etc. Il finit par vous montrer le portrait de la Reine au milieu d’une rose garnie de diamans.

CLXXXVI

Un sot, fier de quelque cordon, me paraît au-dessous de cet homme ridicule, qui, dans ses plaisirs, se faisait mettre des plumes de paon au derrière par ses maîtresses. Au moins il y gagnait le plaisir de… Mais l’autre !… Le baron de Breteuil est fort au-dessous de Peixoto.

CLXXXVII

On voit, par l’exemple de Breteuil, qu’on peut ballotter dans ses poches les portraits en diamans de douze ou quinze souverains, et n’être qu’un sot.

CLXXXVIII

C’est un sot, c’est un sot, c’est bientôt dit : voilà comme vous êtes extrême en tout. À quoi cela se réduit-il ? Il prend sa place pour sa personne, son importance pour du mérite, et son crédit pour une vertu. Tout le monde n’est-il pas comme cela ? Y a-t-il là de quoi tant crier ?

CLXXXIX

Quand les sots sortent de place, soit qu’ils aient été ministres ou premiers commis, ils conservent une morgue ou une importance ridicule.

CXC

Ceux qui ont de l’esprit ont mille bons contes à faire sur les sottises et les valetages, dont ils ont été témoins, et c’est ce qu’on peut voir par cent exemples. Comme c’est un mal aussi ancien que la Monarchie, rien ne prouve mieux combien il est irrémédiable. De mille traits que j’ai entendu raconter, je conclurais que, si les singes avaient le talent des perroquets, on en ferait volontiers des ministres.

CXCI

Rien de si difficile à faire tomber qu’une idée triviale ou un proverbe accrédité. Louis XV a fait banqueroute en détail trois ou quatre fois, et on n’en jure pas moins foi de gentilhomme. Celle de M. de Gu[é]ménée n’y réussira pas mieux.

CXCII

Les gens du monde ne sont pas plutôt attroupés, qu’ils se croient en société.

CXCIII

J’ai vu des hommes trahir leur conscience pour complaire à un homme qui a un mortier ou une simarre. Étonnez-vous ensuite de ceux qui l’échangent pour le mortier, ou pour la simarre même. Tous également vils, et les premiers absurdes plus que les autres.

CXCIV

La Société est composée de deux grandes classes : ceux qui ont plus de dîners que d’appétit, et ceux qui ont plus d’appétit que de dîners.

CXCV

On donne des repas de dix louis ou de vingt à des gens en faveur de chacun desquels on ne donnerait pas un petit écu, pour qu’ils fissent une bonne digestion de ce même dîner de vingt louis.

CXCVI

C’est une règle excellente à adopter sur l’art de la raillerie et de la plaisanterie, que le plaisant et le railleur doivent être garans du succès de leur plaisanterie à l’égard de la personne plaisantée, et que, quand celle-ci se fâche, l’autre a tort.

CXCVII

M… me disait que j’avais un grand malheur : c’était de ne pas me faire à la toute-puissance des sots. Il avait raison, et j’ai vu qu’en entrant dans le monde, un sot avait de grands avantages, celui de se trouver parmi ses pairs. C’est comme frère Lourdis dans le temple de la Sottise.

Tout lui plaisait ; et, même en arrivant,
Il crut encore être dans son Couvent.

CXCVIII

En voyant quelquefois les friponneries des petits et les brigandages des hommes en place, on est tenté de regarder la société comme un bois rempli de voleurs, dont les plus dangereux sont les archers, préposés pour arrêter les autres.

CXCIX

Les gens du monde et de la Cour donnent aux hommes et aux choses une valeur conventionnelle dont ils s’étonnent de se trouver les dupes. Ils ressemblent à des calculateurs, qui, en faisant un compte, donneraient aux chiffres une valeur variable et arbitraire, et qui, ensuite, dans l’addition, leur rendant leur valeur réelle et réglée, seraient tout surpris de ne pas trouver leur compte.

CC

Il y a des momens où le monde paraît s’apprécier lui-même ce qu’il vaut. J’ai souvent démêlé qu’il estimait ceux qui n’en faisaient aucun cas ; et il arrive souvent que c’est une recommandation auprès de lui, que de le mépriser souverainement, pourvu que ce mépris soit vrai, sincère, naïf, sans affectation, sans jactance.

CCI

Le monde est si méprisable que le peu de gens honnêtes qui s’y trouvent, estiment ceux qui le méprisent, et y sont déterminés par ce mépris même.

CCII

Amitié de Cour, foi de renards et Société de loups.

CCIII

Je conseillerais à quelqu’un qui veut obtenir une grâce d’un ministre de l’aborder d’un air triste, plutôt que d’un air riant. On n’aime pas à voir plus heureux que soi.

CCIV

Une vérité cruelle, mais dont il faut convenir, c’est que dans le monde, et surtout dans un monde choisi, tout est art, science, calcul, même l’apparence de la simplicité, de la facilité la plus aimable. J’ai vu des hommes dans lesquels ce qui paraissait la grâce d’un premier mouvement, était une combinaison, à la vérité très prompte, mais très fine et très savante. J’en ai vu associer le calcul le plus réfléchi à la naïveté apparente de l’abandon le plus étourdi. C’est le négligé savant d’une coquette, d’où l’art a banni tout ce qui ressemble à l’Art. Cela est fâcheux, mais nécessaire. En général, malheur à l’homme, qui, même dans l’amitié la plus intime, laisse découvrir son faible et sa prise  ! J’ai vu les plus intimes amis faire des blessures à l’amour-propre de ceux dont ils avaient surpris le secret. Il paraît impossible que dans l’état actuel de la Société (je parle toujours du grand monde), il y ait un seul homme qui puisse montrer le fond de son âme et les détails de son caractère et surtout de ses faiblesses à son meilleur ami. Mais encore une fois, il faut porter (dans ce monde-là), le raffinement si loin qu’il ne puisse pas même y être suspect, ne fût-ce que pour ne pas être méprisé comme acteur dans une troupe d’excellens comédiens.

CCV

Les gens qui croient aimer un Prince, dans l’instant où ils viennent d’en être bien traités, me rappellent les enfans qui veulent être prêtres le lendemain d’une belle procession, ou soldats, le lendemain d’une revue à laquelle ils ont assisté.

CCVI

Les favoris, les hommes en place mettent quelquefois de l’intérêt à s’attacher des hommes de mérite, mais ils en exigent un avilissement préliminaire qui repousse loin d’eux tous ceux qui ont quelque pudeur. J’ai vu des hommes dont un favori ou un ministre aurait eu bon marché, aussi indignés de cette disposition qu’auraient pu l’être des hommes d’une vertu parfaite. L’un d’eux me disait : les grands veulent qu’on se dégrade, non pour un bienfait, mais pour une espérance. Ils prétendent vous acheter, non par un lot, mais par un billet de loterie ; et je sais des fripons, en apparence bien traités par eux, qui, dans le fait, n’en ont pas tiré meilleur parti que ne l’auraient fait les plus honnêtes gens du monde.

CCVII

Les actions utiles, même avec éclat, les services réels et les plus grands qu’on puisse rendre à la Nation et même à la Cour, ne sont, quand on n’a point la faveur de la Cour, que des péchés splendides, comme disent les théologiens.

CCVIII

On n’imagine pas combien il faut d’esprit pour n’être jamais ridicule.

CCIX

Tout homme qui vit beaucoup dans le monde me persuade qu’il est peu sensible ; car je ne vois presque rien qui puisse y intéresser le cœur, ou plutôt rien qui ne l’endurcisse ; ne fût-ce que le spectacle de l’insensibilité, de la frivolité et de la vanité qui y règnent.

CCX

Quand les Princes sortent de leurs misérables étiquettes, ce n’est jamais en faveur d’un homme de mérite, mais d’une fille ou d’un bouffon. Quand les femmes s’affichent, ce n’est presque jamais pour un honnête homme, c’est pour une espèce. En tout, lorsqu’on brise le joug de l’opinion, c’est rarement pour s’élever au-dessus, mais presque toujours pour descendre au-dessous.

CCXI

Il y a des fautes de conduite que de nos jours on ne fait plus guère, ou qu’on fait beaucoup moins. On est tellement raffiné que, mettant l’esprit à la place de l’âme, un homme vil, pour peu qu’il ait réfléchi, s’abstient de certaines platitudes, qui autrefois pouvaient réussir. J’ai vu des hommes malhonnêtes, avoir quelquefois une conduite fière et décente avec un prince, un ministre, ne point fléchir, etc. Cela trompe les jeunes gens et les novices qui ne savent pas, ou bien qui oublient, qu’il faut juger un homme par l’ensemble de ses principes et de son caractère.

CCXII

À voir le soin que les conventions sociales paraissent avoir pris, d’écarter le mérite de toutes les places où il pourrait être utile à la Société, en examinant la ligue des sots contre les gens d’esprit, on croirait voir une conjuration de valets pour écarter les maîtres.

CCXIII

Que trouve un jeune homme, en entrant dans le monde ? Des gens qui veulent le protéger, prétendent l’honorer, le gouverner, le conseiller. Je ne parle point de ceux qui veulent l’écarter, lui nuire, le perdre ou le tromper. S’il est d’un caractère assez élevé pour vouloir n’être protégé que par ses mœurs, ne s’honorer de rien, ni de personne, se gouverner par ses principes, se conseiller par ses lumières, par son caractère, et d’après sa position, qu’il connaît mieux que personne, on ne manque pas de dire qu’il est original, singulier, indomptable. Mais s’il a peu d’esprit, peu d’élévation, peu de principes, s’il ne s’aperçoit pas qu’on le protège, qu’on veut le gouverner, s’il est l’instrument des gens qui s’en emparent, on le trouve charmant et c’est, comme on dit, le meilleur enfant du monde.

CCXIV

La Société, ce qu’on appelle le Monde, n’est que la lutte de mille petits intérêts opposés, une lutte éternelle de toutes les vanités qui se croisent, se choquent, tour à tour blessées, humiliées l’une par l’autre, qui expient le lendemain, dans le dégoût d’une défaite, le triomphe de la veille. Vivre solitaire, ne point être froissé dans ce choc misérable, où l’on attire un instant les yeux pour être écrasé l’instant d’après, c’est ce qu’on appelle n’être rien, n’avoir pas d’existence. Pauvre humanité !

CCXV

Il y a une profonde insensibilité aux vertus qui surprend et scandalise beaucoup plus que le vice. Ceux que la bassesse publique appelle grands seigneurs, ou grands, les hommes en place paraissent, pour la plupart, doués de cette insensibilité odieuse. Cela ne viendrait-il pas de l’idée vague et peu développée dans leur tête, que les hommes, doués de ces vertus, ne sont pas propres à être des instruments d’intrigue ? Ils les négligent, ces hommes, comme inutiles à eux-mêmes et aux autres, dans un pays où, sans l’intrigue, la fausseté et la ruse, on n’arrive à rien !

CCXVI

Que voit-on dans le monde ? Partout un respect naïf et sincère pour des conventions absurdes, pour une sottise (les sots saluent leur reine), ou bien des ménagemens forcés pour cette même sottise (les gens d’esprit craignent leur tyran).

CCXVII

Les bourgeois, par une vanité ridicule, font de leurs filles un fumier pour les terres des gens de qualité.

CCXVIII

Supposez vingt hommes, même honnêtes, qui tous connaissent et estiment un homme d’un mérite reconnu, Dorilas, par exemple ; louez, vantez ses talens et ses vertus ; que tous conviennent de ses vertus et de ses talens ; l’un des assistans ajoute : « C’est dommage qu’il soit si peu favorisé de la fortune. — Que dites-vous ? reprend un autre ; c’est que sa modestie l’oblige à vivre sans luxe. Savez-vous qu’il a vingt-cinq mille livres de rente ? — Vraiment ! — Soyez-en sûr, j’en ai la preuve. » Qu’alors cet homme de mérite paraisse, et qu’il compare l’accueil de la Société et la manière plus ou moins froide, quoique distinguée, dont il était reçu précédemment. C’est ce qu’il a fait : il a comparé, et il a gémi. Mais dans cette société, il s’est trouvé un homme dont le maintien a été le même à son égard. « Un sur vingt, dit notre philosophe ; je suis content. »

CCXIX

Quelle vie que celle de la plupart des gens de la Cour ! Ils se laissent ennuyer, excéder, avilir, asservir, tourmenter pour des intérêts misérables. Ils attendent pour vivre, pour être heureux, la mort de leurs ennemis, de leurs rivaux d’ambition, de ceux même qu’ils appellent leurs amis ; et pendant que leurs vœux appellent cette mort, ils sèchent, ils dépérissent, meurent eux-mêmes, en demandant des nouvelles de la santé de Monsieur tel, de Madame telle, qui s’obstinent à ne pas mourir.

CCXX

Quelques folies qu’aient écrites certains physionomistes de nos jours, il est certain que l’habitude de nos pensées peut déterminer quelques traits de notre physionomie. Nombre de courtisans ont l’œil faux, par la même raison que la plupart des tailleurs sont cagneux.

CCXXI

Il n’est peut-être pas vrai que les grandes fortunes supposent toujours de l’esprit, comme je l’ai souvent ouï dire, même à des gens d’esprit ; mais il est bien plus vrai qu’il y a des doses d’esprit et d’habileté à qui la fortune ne saurait échapper, quand bien même celui qui les a posséderait l’honnêteté la plus pure, obstacle qui, comme on sait, est le plus grand de tous pour la fortune.

CCXXII

Lorsque Montaigne a dit à propos de la grandeur : « Puisque nous ne pouvons y atteindre, vengeons-nous-en à en médire », il a dit une chose plaisante, souvent vraie, mais scandaleuse, et qui donne des armes aux sots que la fortune a favorisés. Souvent c’est par petitesse qu’on hait l’inégalité des conditions ; mais un vrai sage et un honnête homme pourraient la haïr comme la barrière qui sépare des âmes faites pour se rapprocher. Il est peu d’hommes d’un caractère distingué qui ne se soient refusés aux sentimens que leur inspirait tel ou tel homme d’un rang supérieur, qui n’aient repoussé, en s’affligeant eux-mêmes, telle ou telle amitié qui pouvait être pour eux une source de douceurs et de consolations. Ceux-là, au lieu de répéter le mot de Montaigne, peuvent dire : Je hais la grandeur qui m’a fait fuir ce que j’aimais ou ce que j’aurais aimé.

CCXXIII

Qui est-ce qui n’a que des liaisons entièrement honorables ? qui est-ce qui ne voit pas quelqu’un dont il demande pardon à ses amis ? Quelle est la femme qui ne s’est pas vue forcée d’expliquer à la Société la visite de telle ou telle femme qu’on a été surpris de voir chez elle ?

CCXXIV

Êtes-vous l’ami d’un homme de la Cour, d’un homme de qualité, comme on dit, et souhaitez-vous de lui inspirer le plus vif attachement dont le cœur humain soit susceptible ? Ne vous bornez pas à lui prodiguer les soins de la plus tendre amitié, à le soulager dans ses maux, à le consoler dans ses peines, à lui consacrer tous vos momens, à lui sauver dans l’occasion la vie ou l’honneur ; ne perdez point votre tems à des bagatelles. Faites plus, faites mieux ; faites sa généalogie.

CCXXV

Vous croyez qu’un ministre, un homme en place, a tel ou tel principe, et vous le croyez parce que vous le lui avez entendu dire. En conséquence, vous vous abstenez de lui demander telle ou telle chose qui le mettrait en contradiction avec sa maxime favorite. Vous apprenez bientôt que vous avez été dupe, et vous lui voyez faire des choses qui vous prouvent qu’un ministre n’a point de principes, mais seulement l’habitude, le tic de dire telle ou telle chose.

CCXXVI

Plusieurs courtisans sont haïs sans profit, et pour le plaisir de l’être. Ce sont des lézards, qui, à ramper, n’ont gagné que de perdre leur queue.

CCXXVII

Cet homme n’est pas propre à avoir jamais de la considération : il faut qu’il fasse fortune, et vive avec de la canaille.

CCXXVIII

Les corps (Parlemens, Académies, Assemblées) ont beau se dégrader, ils se soutiennent par leur masse, et on ne peut rien contre eux. Le déshonneur, le ridicule glissent sur eux, comme les balles de fusil sur un sanglier, sur un crocodile.

CCXXIX

En voyant ce qui se passe dans le monde, l’homme le plus misanthrope finirait par s’égayer, et Héraclite par mourir de rire.

CCXXX

Il me semble qu’à égalité d’esprit et de lumières, l’homme né riche ne doit jamais connaître aussi bien que le pauvre, la Nature, le cœur humain et la Société. C’est que dans le moment où l’autre plaçait une jouissance, le second se consolait par une réflexion.

CCXXXI

En voyant les Princes faire de leur propre mouvement certaines choses honnêtes, on est tenté de reprocher à ceux qui les entourent la plus grande partie de leurs torts ou de leurs faiblesses ; on se dit : quel malheur que ce prince ait pour amis Damis ou Aramont ! On ne songe pas que, si Damis ou Aramont avaient été des personnages qui eussent de la noblesse ou du caractère, ils n’auraient pas été les amis de ce prince.

CCXXXII

À mesure que la Philosophie fait des progrès, la sottise redouble ses efforts pour établir l’empire des préjugés. Voyez la faveur que le gouvernement donne aux idées de la gentilhommerie. Cela est venu au point qu’il n’y a plus que deux états pour les femmes : femmes de qualité, ou filles ; le reste n’est rien. Nulle vertu n’élève une femme au-dessus de son état ; elle n’en sort que par le vice.

CCXXXIII

Parvenir à la fortune, à la considération, malgré le désavantage d’être sans aïeux, et cela à travers tant de gens qui ont tout apporté en naissant, c’est gagner ou remettre une partie d’échecs, ayant donné la tour à son adversaire. Souvent aussi les autres ont sur vous trop d’avantages conventionnels, et alors il faut renoncer à la partie. On peut bien céder une tour, mais non la dame.

CCXXXIV

Les gens qui élèvent les Princes et qui prétendent leur donner une bonne éducation, après s’être soumis à leurs formalités et à leurs avilissantes étiquettes, ressemblent à des maîtres d’arithmétique, qui voudraient former de grands calculateurs, après avoir accordé à leurs élèves que trois et trois font huit.

CCXXXV

Quel est l’être le plus étranger à ceux qui l’environnent ? Est-ce un Français à Pékin ou à Macao ? est-ce un Lapon, au Sénégal ? ou ne serait-ce pas par hasard un homme de mérite sans or et sans parchemin, au milieu de ceux qui possèdent l’un de ces deux avantages, ou tous les deux réunis ? N’est-ce pas une merveille que la Société subsiste avec la convention tacite d’exclure du partage de ses droits les dix-neuf vingtièmes de la Société ?

CCXXXVI

Le Monde et la Société ressemblent à une bibliothèque où au premier coup d’œil tout paraît en règle, parce que les livres y sont placés suivant les formats et la grandeur des volumes, mais où dans le fond tout est en désordre, parce que rien n’y est rangé suivant l’ordre des sciences, des matières, ni des auteurs.

CCXXXVII

Avoir des liaisons considérables, ou même illustres, ne peut plus être un mérite pour personne, dans un pays où l’on plaît souvent par ses vices, et où l’on est quelquefois recherché pour ses ridicules.

CCXXXVIII

Il y a des hommes qui ne sont point aimables, mais qui n’empêchent pas les autres de l’être. Leur commerce est quelquefois supportable ; il y en a d’autres qui, n’étant point aimables, nuisent encore par leur seule présence au développement de l’amabilité d’autrui ; ceux-là sont insupportables : c’est le grand inconvénient de la pédanterie.

CCXXXIX

L’expérience qui éclaire les particuliers, corrompt les Princes et les gens en place.

CCXL

Le public de ce moment-ci est comme la tragédie moderne, absurde, atroce et plat.

CCXLI

L’état de Courtisan est un métier dont on a voulu faire une science. Chacun cherche à se hausser.

CCXLII

La plupart des liaisons de société, la camaraderie, etc., tout cela est à l’amitié ce que le sigisbéisme est à l’amour.

CCXLIII

L’art de la parenthèse est un des grands secrets de l’éloquence dans la Société.

CCXLIV

À la Cour, tout est courtisan, le prince du sang, le chapelain de semaine, le chirurgien de quartier, l’apothicaire.

CCXLV

Les magistrats chargés de veiller sur l’ordre public, tels que le lieutenant criminel, le lieutenant civil, le lieutenant de police, et tant d’autres finissent presque toujours par avoir une opinion horrible de la Société. Ils croient connaître les hommes et n’en connaissent que le rebut. On ne juge pas d’une ville par ses égouts, et d’une maison par ses latrines. La plupart de ces magistrats me rappellent toujours le collège où les correcteurs ont une cabane auprès des commodités, et n’en sortent que pour donner le fouet.

CCXLVI

C’est la plaisanterie qui doit faire justice de tous les travers des hommes et de la Société. C’est par elle qu’on évite de se compromettre. C’est par elle qu’on met tout en place sans sortir de la sienne. C’est elle qui atteste notre supériorité sur les choses et sur les personnes dont nous nous moquons, sans que les personnes puissent s’en offenser, à moins qu’elles ne manquent de gaîté ou de mœurs. La réputation de savoir bien manier cette arme donne à l’homme d’un rang inférieur, dans le monde et dans la meilleure compagnie, cette sorte de considération que les militaires ont pour ceux qui manient supérieurement l’épée. J’ai entendu dire à un homme d’esprit : ôtez à la plaisanterie son empire et je quitte demain la Société. C’est une sorte de duel où il n’y a pas de sang versé, et qui, comme l’autre, rend les hommes plus mesurés et plus polis.

CCXLVII

On ne se doute pas, au premier coup d’œil, du mal que fait l’ambition de mériter cet éloge si commun : Monsieur un tel est très aimable. Il arrive, je ne sais comment, qu’il y a un genre de facilité, d’insouciance, de faiblesse, de déraison, qui plaît beaucoup, quand ces qualités se trouvent mêlées avec de l’esprit ; que l’homme, dont on fait ce qu’on veut, qui appartient au moment, est plus agréable que celui qui a de la suite, du caractère, des principes, qui n’oublie pas son ami malade ou absent, qui sait quitter une partie de plaisir pour lui rendre service, etc. Ce serait une liste ennuyeuse que celle des défauts, des torts et des travers qui plaisent. Aussi, les gens du monde, qui ont réfléchi sur l’art de plaire, plus qu’on ne croit et qu’ils ne croient eux-mêmes, ont la plupart de ces défauts, et cela vient de la nécessité de faire dire de soi : Monsieur un tel est très aimable.

CCXLVIII

Il y a des choses indevinables pour un jeune homme bien né. Comment se défierait-on, à vingt ans, d’un espion de police qui a le cordon rouge ?

CCXLIX

Les coutumes les plus absurdes, les étiquettes les plus ridicules, sont en France et ailleurs sous la protection de ce mot : c’est l’usage. C’est précisément ce même mot que répondent les Hottentots, quand les Européens leur demandent pourquoi ils mangent des sauterelles, pourquoi ils dévorent la vermine dont ils sont couverts. Ils disent aussi : c’est l’usage.

CCL

La prétention la plus absurde et la plus injuste, qui serait sifflée dans une assemblée d’honnêtes gens, peut devenir la matière d’un procès, et dès lors être déclarée légitime ; car tout procès peut se perdre ou se gagner, de même que dans les corps, l’opinion la plus folle et la plus ridicule peut être admise et l’avis le plus sage rejeté avec mépris. Il ne s’agit que de faire regarder l’un ou l’autre comme une affaire de parti, et rien n’est si facile entre les deux partis opposés qui divisent presque tous les corps.

CCLI

Qu’est-ce que c’est qu’un fat sans sa fatuité ? Ôtez les ailes à un papillon, c’est une chenille.

CCLII

Les Courtisans sont des pauvres enrichis par la mendicité.

CCLIII

Il est aisé de réduire à des termes simples la valeur précise de la célébrité ; celui qui se fait connaître par quelque talent ou quelque vertu, se dénonce à la bienveillance inactive de quelques honnêtes gens, et à l’active malveillance de tous les hommes malhonnêtes. Comptez les deux classes, et pesez les deux forces.

CCLIV

Peu de personnes peuvent aimer un philosophe. C’est presque un ennemi public qu’un homme qui dans les différentes prétentions des hommes, et dans le mensonge des choses, dit à chaque homme et à chaque chose : « Je ne te prends que pour ce que tu es, je ne t’apprécie que [pour] ce que tu vaux ; » et ce n’est pas une petite entreprise de se faire aimer et estimer, avec l’annonce de ce ferme propos.

CCLV

Quand on est trop frappé des maux de la Société universelle et des horreurs que présentent la capitale ou les grandes villes, il faut se dire : il pouvait naître de plus grands malheurs encore de la suite de combinaisons qui a soumis vingt-cinq millions d’hommes à un seul, et qui a réuni sept cent mille hommes sur un espace de deux lieues carrées.

CCLVI

Des qualités trop supérieures rendent souvent un homme moins propre à la Société. On ne va pas au marché avec des lingots ; on y va avec de l’argent ou de la petite monnaie.

CCLVII

La Société, les Cercles, les Salons, ce qu’on appelle le monde, est une pièce misérable, un mauvais opéra, sans intérêt, qui se soutient un peu par les machines et les décorations.

CCLVIII

Pour avoir une idée juste des choses, il faut prendre les mots dans la signification opposée à celle qu’on leur donne dans le monde. Misanthrope, par exemple, cela veut dire Philanthrope ; mauvais Français, cela veut dire bon citoyen qui indique certains abus monstrueux ; Philosophe, homme simple, qui sait que deux et deux font quatre, etc.

CCLIX

De nos jours, un peintre fait votre portrait en sept minutes ; un autre vous apprend à peindre en trois jours ; un troisième vous enseigne l’anglais en quarante leçons. On veut vous apprendre huit langues avec des gravures, qui représentent les choses et leurs noms au-dessous, en huit langues. Enfin, si on pouvait mettre ensemble les plaisirs, les sentimens, ou les idées de la vie entière, et les réunir dans l’espace de vingt-quatre heures, on le ferait ; on vous ferait avaler cette pilule, et on vous dirait : « allez-vous-en. »

CCLX

Il ne faut pas regarder Burrhus comme un homme vertueux absolument. Il ne l’est qu’en opposition avec Narcisse. Sénèque et Burrhus sont les honnêtes gens d’un siècle où il n’y en avait pas.

CCLXI

Quand on veut plaire dans le monde, il faut se résoudre à se laisser apprendre beaucoup de choses qu’on sait par des gens qui les ignorent.

CCLXII

Les hommes qu’on ne connaît qu’à moitié, on ne les connaît pas ; les choses qu’on ne sait qu’aux trois-quarts, on ne les sait pas du tout. Ces deux réflexions suffisent pour faire apprécier presque tous les discours qui se tiennent dans le monde.

CCLXIII

Dans un pays où tout le monde cherche à paraître, beaucoup de gens doivent croire, et croient en effet qu’il vaut mieux être banqueroutier que de n’être rien.

CCLXIV

La menace du rhume négligé est pour les médecins ce que le Purgatoire est pour les prêtres, un Pérou.

CCLXV

Les conversations ressemblent aux voyages qu’on fait sur l’eau : on s’écarte de la terre sans presque le sentir, et l’on ne s’aperçoit qu’on a quitté le bord que quand on est déjà bien loin.

CCLXVI

Un homme d’esprit prétendait, devant des millionnaires, qu’on pouvait être heureux avec deux mille écus de rente. Ils soutinrent le contraire avec aigreur, et même avec emportement. Au sortir de chez eux, il cherchait la cause de cette aigreur de la part de gens qui avaient de l’amitié pour lui. Il la trouva enfin. C’est que par là, il leur faisait entrevoir qu’il n’était pas dans leur dépendance. Tout homme qui a peu de besoins semble menacer les riches d’être toujours prêt à leur échapper. Les tyrans voient par là qu’ils perdent un esclave. On peut appliquer cette réflexion à toutes les passions en général. L’homme qui a vaincu le penchant à l’amour, montre une indifférence toujours odieuse aux femmes. Elles cessent aussitôt de s’intéresser à lui. C’est peut-être pour cela que personne ne s’intéresse à la fortune d’un philosophe : il n’a pas les passions qui émeuvent la Société. On voit qu’on ne peut presque rien faire pour son bonheur, et on le laisse là.

CCLXVII

Il est dangereux pour un philosophe attaché à un grand (si jamais les grands ont eu auprès d’eux un philosophe) de montrer tout son désintéressement ; on le prendrait au mot. Il se trouve dans la nécessité de cacher ses vrais sentimens, et c’est, pour ainsi dire, un hypocrite d’ambition.


CHAPITRE IV


DU GOÛT POUR LA RETRAITE
ET DE LA DIGNITÉ DU CARACTÈRE


CCLXVIII


Un Philosophe regarde ce qu’on appelle un état dans le monde, comme les Tartares regardent les villes, c’est-à-dire, comme une prison. C’est un cercle où les idées se resserrent, se concentrent, en ôtant à l’âme et à l’esprit leur étendue et leur développement. Un homme qui a un grand état dans le monde a une prison plus grande et plus ornée. Celui qui n’y a qu’un petit état, est dans un cachot. L’homme sans état est le seul homme libre, pourvu qu’il soit dans l’aisance, ou du moins qu’il n’ait aucun besoin des hommes.

CCLXIX

L’homme le plus modeste, en vivant dans le monde, doit, s’il est pauvre, avoir un maintien très assuré et une certaine aisance qui empêche qu’on ne prenne quelque avantage sur lui. Il faut, dans ce cas, parer sa modestie de sa fierté.

CCLXX

La faiblesse de caractère ou le défaut d’idées, en un mot tout ce qui peut nous empêcher de vivre avec nous-mêmes, sont les choses qui préservent beaucoup de gens de la misanthropie.

CCLXXI

On est plus heureux dans la solitude que dans le monde. Cela ne viendrait-il pas de ce que dans la solitude on pense aux choses, et que, dans le monde, on est forcé de penser aux hommes ?

CCLXXII

Les pensées d’un solitaire, homme de sens, et fût-il d’ailleurs médiocre, seraient bien peu de chose, si elles ne valaient pas ce qui se dit et se fait dans le monde.

CCLXXIII

Un homme qui s’obstine à ne laisser ployer ni sa raison, ni sa probité, ou du moins sa délicatesse, sous le poids d’aucune des conventions absurdes ou malhonnêtes de la Société, qui ne fléchit jamais dans les occasions où il a intérêt de fléchir, finit infailliblement par rester sans appui, n’ayant d’autre ami qu’un être abstrait qu’on appelle la vertu, qui vous laisse mourir de faim.

CCLXXIV

Il ne faut pas ne savoir vivre qu’avec ceux qui peuvent nous apprécier : ce serait le besoin d’un amour-propre trop délicat et trop difficile à contenter ; mais il faut ne placer le fond de sa vie habituelle qu’avec ceux qui peuvent sentir ce que nous valons. Le Philosophe même ne blâme point ce genre d’amour-propre.

CCLXXV

On dit quelquefois d’un homme qui vit seul : il n’aime pas la Société. C’est souvent comme si on disait d’un homme qu’il n’aime pas la promenade, sous le prétexte qu’il ne se promène pas volontiers le soir dans la forêt de Bondy.

CCLXXVI

Est-il bien sûr qu’un homme qui aurait une raison parfaitement droite, un sens moral parfaitement exquis, pût vivre avec quelqu’un ? Par vivre, je n’entends pas se trouver ensemble sans se battre : j’entends se plaire ensemble, s’aimer, commercer avec plaisir.

CCLXXVII

Un homme d’esprit est perdu, s’il ne joint pas à l’esprit l’énergie de caractère. Quand on a la lanterne de Diogène, il faut avoir son bâton.

CCLXXVIII

Il n’y a personne qui ait plus d’ennemis dans le monde qu’un homme droit, fier et sensible, disposé à laisser les personnes et les choses pour ce qu’elles sont, plutôt qu’à les prendre pour ce qu’elles ne sont pas.

CCLXXIX

Le monde endurcit le cœur à la plupart des hommes. Mais ceux qui sont moins susceptibles d’endurcissement, sont obligés de se créer une sorte d’insensibilité factice, pour n’être dupes ni des hommes, ni des femmes. Le sentiment qu’un homme honnête emporte, après s’être livré quelques jours à la Société, est ordinairement pénible et triste. Le seul avantage qu’il produira, c’est de faire trouver la retraite aimable.

CCLXXX

Les idées du public ne sauraient manquer d’être presque toujours viles et basses. Comme il ne lui revient guère que des scandales et des actions d’une indécence marquée, il teint de ces mêmes couleurs presque tous les faits ou les discours qui passent jusqu’à lui. Voit-il une liaison, même de la plus noble espèce, entre un grand Seigneur et un homme de mérite, entre un homme en place et un particulier ? il ne voit, dans le premier cas qu’un protecteur et un client, dans le second que du manège et de l’espionnage. Souvent, dans un acte de générosité, mêlé de circonstances nobles et intéressantes, il ne voit que de l’argent prêté à un homme habile par une dupe. Dans le fait qui donne de la publicité à une passion quelquefois très intéressante d’une femme honnête et d’un homme digne d’être aimé, il ne voit que du catinisme ou du libertinage. C’est que ses jugemens sont déterminés d’avance par le grand nombre de cas où il a dû condamner et mépriser. Il résulte de ces observations, que ce qui peut arriver de mieux aux honnêtes gens, c’est de lui échapper[7].

CCLXXXI

La Nature ne m’a point dit : ne sois point pauvre ; encore moins : sois riche ; mais elle me crie : sois indépendant.

CCLXXXII

Le Philosophe se portant pour un être qui ne donne aux hommes que leur valeur véritable, il est fort simple que cette manière de juger ne plaise à personne.

CCLXXXIII

L’homme du monde, l’ami de la fortune, même l’amant de la gloire, tracent tous devant eux une ligne directe qui les conduit à un terme inconnu. Le sage, l’ami de lui-même, décrit une ligne circulaire, dont l’extrémité le ramène à lui. C’est le totus teres atque rotundus d’Horace.

CCLXXXIV

Il ne faut point s’étonner du goût de J.-J. Rousseau pour la retraite ; de pareilles âmes sont exposées à se voir seules, à vivre isolées, comme l’aigle ; mais comme lui, l’étendue de leurs regards et la hauteur de leur vol sont le charme de leur solitude.

CCLXXXV

Quiconque n’a pas de caractère n’est pas un homme : c’est une chose.

CCLXXXVI

On a trouvé le moi de Médée sublime, mais celui qui ne peut pas le dire dans tous les accidens de la vie, est bien peu de chose, ou plutôt n’est rien.

CCLXXXVII

On ne connaît pas du tout l’homme qu’on ne connaît pas très bien ; mais peu d’hommes méritent qu’on les étudie. De là vient que l’homme d’un vrai mérite doit avoir en général peu d’empressement d’être connu. Il sait que peu de gens peuvent l’apprécier, que, dans ce petit nombre, chacun a ses liaisons, ses intérêts, son amour-propre, qui l’empêchent d’accorder au mérite l’attention qu’il faut pour le mettre à sa place. Quant aux éloges communs et usés qu’on lui accorde quand on soupçonne son existence, le mérite ne saurait en être flatté.

CCLXXXVIII

Quand un homme s’est élevé par son caractère, au point de mériter qu’on devine quelle sera sa conduite dans toutes les occasions qui intéressent l’honnêteté, non seulement les fripons, mais les demi-honnêtes gens le décrient et l’évitent avec soin. Il y a plus, les gens honnêtes, persuadés que, par un effet de ses principes, ils le trouveront dans les rencontres où ils auront besoin de lui, se permettent de le négliger, pour s’assurer de ceux sur lesquels ils ont des doutes.

CCLXXXIX

Presque tous les hommes sont esclaves, par la raison que les Spartiates donnaient de la servitude des Perses, faute de savoir prononcer la syllabe non. Savoir prononcer ce mot et savoir vivre seul sont les deux seuls moyens de conserver sa liberté et son caractère.

CCXC

Quand on a pris le parti de ne voir que ceux qui sont capables de traiter avec vous aux termes de la morale, de la vertu, de la raison, de la vérité, en ne regardant les conventions, les vanités, les étiquettes, que comme les supports de la Société civile ; quand, dis-je, on a pris ce parti (et il faut bien le prendre, sous peine d’être sot, faible ou vil), il arrive qu’on vit à peu près solitaire.

CCXCI

Tout homme qui se connaît des sentimens élevés a le droit, pour se faire traiter comme il convient, de partir de son caractère, plutôt que de sa position.


CHAPITRE V


PENSÉES MORALES


CCXCII


Les Philosophes reconnaissent quatre vertus principales, dont ils font dériver toutes les autres. Ces vertus sont la justice, la tempérance, la force et la prudence. On peut dire que cette dernière renferme les deux premières, la justice et la tempérance, et qu’elle supplée, en quelque sorte, à la force, en sauvant à l’homme qui a le malheur d’en manquer, une grande partie des occasions où elle est nécessaire.

CCXCIII

Les Moralistes, ainsi que les Philosophes qui ont fait des systèmes en Physique et en Métaphysique, ont trop généralisé, ont trop multiplié les Maximes. Que devient, par exemple, le mot de Tatice : Neque mulier, amissa pudicitia, alia abnerit, après l’exemple de tant de femmes qu’une faiblesse n’a pas empêchées de pratiquer plusieurs vertus ? J’ai vu madame de L…, après une jeunesse peu différente de celle de Manon Lescaut, avoir, dans l’âge mûr, une passion digne d’Héloïse. Mais ces exemples sont d’une morale dangereuse à établir dans les livres. Il faut seulement les observer, afin de n’être pas dupe de la charlatanerie des moralistes.

CCXCIV

On a, dans le monde, ôté des mauvaises mœurs tout ce qui choque le bon goût ; c’est une réforme qui date des dix dernières années.

CCXCV

L’âme, lorsqu’elle est malade, fait précisément comme le corps ; elle se tourmente et s’agite en tout sens, mais finit par trouver un peu de calme. Elle s’arrête enfin sur le genre de sentimens et d’idées le plus nécessaire à son repos.

CCXCVI

Il y a des hommes à qui les illusions sur les choses qui les intéressent sont aussi nécessaires que la vie. Quelquefois cependant ils ont des aperçus qui feraient croire qu’ils sont près de la vérité ; mais ils s’en éloignent bien vite, et ressemblent aux enfans qui courent après un masque, et qui s’enfuient si le masque vient à se retourner.

CCXCVII

Le sentiment qu’on a pour la plupart des bienfaiteurs, ressemble à la reconnaissance qu’on a pour les arracheurs de dents. On se dit qu’ils vous ont fait du bien, qu’il vous ont délivré d’un mal, mais on se rappelle la douleur qu’ils ont causée, et on ne les aime guère avec tendresse.

CCXCVIII

Un bienfaiteur délicat doit songer qu’il y a dans le bienfait une partie matérielle dont il faut dérober l’idée à celui qui est l’objet de sa bienfaisance. Il faut, pour ainsi dire, que cette idée se perde et s’enveloppe dans le sentiment qui a produit le bienfait, comme entre deux amans, l’idée de la jouissance s’enveloppe et s’[en]noblit dans le charme de l’amour qui l’a fait naître.

CCXCIX

Tout bienfait qui n’est pas cher au cœur est odieux. C’est une relique, ou un os de mort. Il faut l’enchâsser ou le fouler aux pieds.

CCC

La plupart des bienfaiteurs qui prétendent être cachés, après vous avoir fait du bien, s’enfuient comme la Galatée de Virgile : Et se cupit ante videri.

CCCI

On dit communément qu’on s’attache par ses bienfaits. C’est une bonté de la Nature. Il est juste que la récompense de bien faire, soit d’aimer.

CCCII

La calomnie est comme la guêpe qui vous importune, et contre laquelle il ne faut faire aucun mouvement, à moins qu’on ne soit sûr de la tuer, sans quoi elle revient à la charge, plus furieuse que jamais.

CCCIII

Les nouveaux amis que nous faisons après un certain âge, et par lesquels nous cherchons à remplacer ceux que nous avons perdus, sont à nos anciens amis ce que les yeux de verre, les dents postiches et les jambes de bois sont aux véritables yeux, aux dents naturelles et aux jambes de chair et d’os.

CCCIV

Dans les naïvetés d’un enfant bien né, il y a quelquefois une philosophie bien aimable.

CCCV

La plupart des amitiés sont hérissées de si et de mais, et aboutissent à de simples liaisons, qui subsistent à force de sous-entendus.

CCCVI

Il y a, entre les mœurs anciennes et les nôtres, le même rapport qui se trouve entre Aristide, contrôleur général des Athéniens, et l’abbé Terray.

CCCVII

Le genre humain, mauvais dans sa nature, est devenu plus mauvais par la Société. Chaque homme y porte les défauts : 1°, de l’humanité, 2°, de l’individu, 3°, de la classe dont il fait partie dans l’ordre social. Ces défauts s’accroissent avec le tems ; et chaque homme, en avançant en âge, blessé de tous ces travers d’autrui, et malheureux par les siens mêmes, prend pour l’Humanité et pour la Société un mépris qui ne peut tourner que contre l’une et l’autre.

CCCVIII

Il en est du bonheur comme des montres. Les moins compliquées sont celles qui se dérangent le moins. La montre à répétition est plus sujette aux variations. Si elle marque de plus les minutes, nouvelle cause d’inégalité ; puis celle qui marque le jour de la semaine et le mois de l’année, toujours plus prête à se détraquer.

CCCIX

Tout est également vain dans les hommes, leurs joies et leurs chagrins. Mais il vaut mieux que la bulle de savon soit d’or ou d’azur, que noire ou grisâtre.

CCCX

Celui qui déguise la tyrannie, la protection, ou même les bienfaits, sous l’air et le nom de l’amitié, me rappelle ce prêtre scélérat qui empoisonnait dans une hostie.

CCCXI

Il y a peu de bienfaiteurs qui ne disent comme Satan : Si cadens adoraveris me.

CCCXII

La pauvreté met le crime au rabais.

CCCXIII

Les Stoïciens sont des espèces d’inspirés, qui portent dans la morale l’exaltation et l’enthousiasme poétiques.

CCCXIV

S’il était possible qu’une personne sans esprit pût sentir la grâce, la finesse, l’étendue et les différentes qualités de l’esprit d’autrui, et montrer qu’elle le sent, la société d’une telle personne, quand même elle ne produirait rien d’elle-même, serait encore très recherchée. Même résultat de la même supposition, à l’égard des qualités de l’âme.

CCCXV

En voyant ou en éprouvant les peines attachées aux sentimens extrêmes, en amour, en amitié, soit par la mort de ce qu’on aime, soit par les accidens de la vie, on est tenté de croire que la dissipation et la frivolité ne sont pas de si grandes sottises, et que la vie ne vaut guère que ce qu’en font les gens du monde.

CCCXVI

Dans de certaines amitiés passionnées, on a le bonheur des passions et l’aveu de la raison pardessus le marché.

CCCXVII

L’amitié extrême et délicate est souvent blessée du repli d’une rose.

CCCXVIII

La générosité n’est que la pitié des âmes nobles.

CCCXIX

Jouis et fais jouir, sans faire de mal ni à toi, ni à personne : voilà, je crois, toute la morale.

CCCXX

Pour les hommes vraiment honnêtes, et qui ont de certains principes, les Commandemens de Dieu ont été mis en abrégé sur le frontispice de l’Abbaye de Thélème : Fais ce que tu voudras.

CCCXXI

L’Éducation doit porter sur deux bases, la morale et la prudence ; la morale, pour appuyer la vertu ; la prudence, pour vous défendre contre les vices d’autrui. En faisant pencher la balance du côté de la morale, vous ne faites que des dupes ou des martyrs ; en la faisant pencher de l’autre côté, vous faites des calculateurs égoïstes. Le principe de toute société est de se rendre justice à soi-même et aux autres. Si l’on doit aimer son prochain comme soi-même, il est au moins aussi juste de s’aimer comme son prochain.

CCCXXII

Il n’y a que l’amitié entière qui développe toutes les qualités de l’âme et de l’esprit de certaines personnes. La société ordinaire ne leur laisse déployer que quelques agrémens. Ce sont de beaux fruits, qui n’arrivent à leur maturité qu’au soleil, et qui, dans la serre chaude, n’eussent produit que quelques feuilles agréables et inutiles.

CCCXXIII

Quand j’étais jeune, ayant les besoins des passions, et attiré par elles dans le monde, forcé de chercher dans la Société et dans les plaisirs quelques distractions à des peines cruelles, on me prêchait l’amour de la retraite, du travail, et on m’assommait de sermons pédantesques sur ce sujet. Arrivé à quarante ans, ayant perdu les passions qui rendent la Société supportable, n’en voyant plus que la misère et la futilité, n’ayant plus besoin du monde pour échapper à des peines qui n’existaient plus, le goût de la retraite et du travail est devenu très vif chez moi, et a remplacé tout le reste. J’ai cessé d’aller dans le monde. Alors, on n’a cessé de me tourmenter pour que j’y revinsse. J’ai été accusé d’être misanthrope, etc. Que conclure de cette bizarre différence ? Le besoin que les hommes ont de tout blâmer.

CCCXXIV

Je n’étudie que ce qui me plaît ; je n’occupe mon esprit que des idées qui m’intéressent. Elles seront utiles ou inutiles, soit à moi, soit aux autres. Le tems amènera ou n’amènera pas les circonstances qui me feront faire de mes acquisitions un emploi profitable. Dans tous les cas, j’aurai eu l’avantage inestimable de ne me pas contrarier, et d’avoir obéi à ma pensée et à mon caractère.

CCCXXV

J’ai détruit mes passions, à peu près comme un homme violent tue son cheval, ne pouvant le gouverner.

CCCXXVI

Les premiers sujets de chagrin m’ont servi de cuirasse contre les autres.

CCCXXVII

Je conserve pour M. de la B[orde] le sentiment qu’un honnête homme éprouve en passant devant le tombeau d’un ami.

CCCXXVIII

J’ai à me plaindre des choses, très certainement, et peut-être des hommes ; mais je me tais sur ceux-ci ; je ne me plains que des choses, et si j’évite les hommes, c’est pour ne pas vivre avec ceux qui me font porter les poids des choses.

CCCXXIX

La Fortune, pour arriver à moi, passera par les conditions que lui impose mon caractère.

CCCXXX

Lorsque mon cœur a besoin d’attendrissement, je me rappelle la perte des amis que je n’ai plus, des femmes que la mort m’a ravies ; j’habite leur cercueil, j’envoie mon âme errer autour des leurs. Hélas ! je possède trois tombeaux.

CCCXXXI

Quand j’ai fait quelque bien, et qu’on vient à le savoir, je me crois puni, au lieu de me croire récompensé.

CCCXXXII

En renonçant au monde et à la fortune, j’ai trouvé le bonheur, le calme, la santé, même la richesse ; et, en dépit du proverbe, je m’aperçois que qui quitte la partie la gagne.

CCCXXXIII

La célébrité est le châtiment du mérite et la punition du talent. Le mien, quel qu’il soit, ne me paraît qu’un délateur, né pour troubler mon repos. J’éprouve, en le détruisant, la joie de triompher d’un ennemi. Le sentiment a triomphé chez moi de l’amour-propre même, et la vanité littéraire a péri dans la destruction de l’intérêt que je prenais aux hommes.

CCCXXXIV

L’amitié délicate et vraie ne souffre l’alliage d’aucun autre sentiment. Je regarde comme un grand bonheur que l’amitié fût déjà parfaite entre [M. de] M… et moi, avant que j’eusse occasion de lui rendre le service que je lui ai rendu, et que je pouvais seul lui rendre. Si tout ce qu’il a fait pour moi avait pu être suspect d’avoir été dicté par l’intérêt de me trouver tel qu’il m’a trouvé dans cette circonstance, s’il eût été possible qu’il la prévît, le bonheur de ma vie était empoisonné pour jamais.

CCCXXXV

Ma vie entière est un tissu de contrastes apparens avec mes principes. Je n’aime point les Princes, et je suis attaché à une Princesse et à un Prince. On me connaît des maximes républicaines, et plusieurs de mes amis sont revêtus de décorations monarchiques. J’aime la pauvreté volontaire, et je vis avec des gens riches. Je fuis les honneurs, et quelques-uns sont venus à moi. Les lettres sont presque ma seule consolation, et je ne vois point de beaux esprits, et ne vais point à l’Académie. Ajoutez que je crois les illusions nécessaires à l’homme, et je vis sans illusion ; que je crois les passions plus utiles que la raison, et je ne sais plus ce que c’est que les passions, etc.

CCCXXXVI

Ce que j’ai appris, je ne le sais plus. Le peu que je sais encore, je l’ai deviné.

CCCXXXVII

Un des grands malheurs de l’homme, c’est que ses bonnes qualités même lui sont quelquefois inutiles, et que l’art de s’en servir et de les bien gouverner n’est souvent qu’un fruit tardif de l’expérience.

CCCXXXVIII

L’indécision, l’anxiété est à l’esprit et à l’âme ce que la question est au corps.

CCCXXXIX

L’honnête homme, détrompé de toutes les illusions, est l’homme par excellence. Pour peu qu’il ait d’esprit, sa société est très aimable. Il ne saurait être pédant, ne mettant d’importance à rien. Il est indulgent, parce qu’il se souvient qu’il a eu des illusions, comme ceux qui en sont encore occupés. C’est un effet de son insouciance d’être sûr dans le commerce, de ne se permettre ni redites, ni tracasseries. Si on se les permet à son égard, il les oublie ou les dédaigne. Il doit être plus gai qu’un autre, parce qu’il est constamment en état d’épigramme contre son prochain. Il est dans le vrai et rit des faux pas de ceux qui marchent à tâtons dans le faux. C’est un homme qui, d’un endroit éclairé, voit dans une chambre obscure les gestes ridicules de ceux qui s’y promènent au hasard. Il brise, en riant, les faux poids et les fausses mesures qu’on applique aux hommes et aux choses.

CCCXL

On s’effraie des partis violens, mais ils conviennent aux âmes fortes, et les caractères vigoureux se reposent dans l’extrême.

CCCXLI

La vie contemplative est souvent misérable. Il faut agir davantage, penser moins, et ne pas se regarder vivre.

CCCXLII

L’homme peut aspirer à la vertu ; il ne peut raisonnablement prétendre de trouver la vérité.

CCCXLIII

Le Jansénisme des chrétiens, c’est le Stoïcisme des païens, dégradé de figure et mis à la portée d’une populace chrétienne ; et cette secte a eu des Pascal et des Arnaud pour défenseurs !


CHAPITRE VI


DES FEMMES, DE L’AMOUR,
DU MARIAGE ET DE LA GALANTERIE


CCCXLIV


Je suis honteux de l’opinion que vous avez de moi. Je n’ai pas toujours été aussi Céladon que vous me voyez. Si je vous contais trois ou quatre traits de ma jeunesse, vous verriez que cela n’est pas trop honnête, et que cela appartient à la meilleure compagnie.

CCCXLV

L’amour est un sentiment qui, pour paraître honnête, a besoin de n’être composé que de lui-même, de ne vivre et de ne subsister que par lui.

CCCXLVI

Toutes les fois que je vois de l’engouement dans une femme, ou même dans un homme, je commence à me défier de sa sensibilité. Cette règle ne m’a jamais trompé.

CCCXLVII

En fait de sentimens, ce qui peut être évalué n’a pas de valeur.

CCCXLVIII

L’amour est comme les maladies épidémiques. Plus on les craint, plus on y est exposé.

CCCXLIX

Un homme amoureux est un homme qui veut être plus aimable qu’il ne peut ; et voilà pourquoi presque tous les amoureux sont ridicules.

CCCL

Il y a telle femme qui s’est rendue malheureuse pour la vie, qui s’est perdue et déshonorée pour un amant qu’elle a cessé d’aimer parce qu’il a mal ôté sa poudre, ou mal coupé un de ses ongles, ou mis son bas à l’envers.

CCCLI

Une âme fière et honnête, qui a connu les passions fortes, les fuit, les craint, dédaigne la galanterie ; comme l’âme qui a senti l’amitié, dédaigne les liaisons communes et les petits intérêts.

CCCLII

On demande pourquoi les femmes affichent les hommes ; on en donne plusieurs raisons dont la plupart sont offensantes pour les hommes. La véritable, c’est qu’elles ne peuvent jouir de leur empire sur eux que par ce moyen.

CCCLIII

Les femmes d’un état mitoyen, qui ont l’espérance ou la manie d’être quelque chose dans le monde, n’ont ni le bonheur de la Nature, ni celui de l’opinion. Ce sont les plus malheureuses créatures que j’aie connues.

CCCLIV

La Société, qui rapetisse beaucoup les hommes, réduit les femmes à rien.

CCCLV

Les femmes ont des fantaisies, des engouemens, quelquefois des goûts. Elles peuvent même s’élever jusqu’aux passions. Ce dont elles sont le moins susceptibles, c’est l’attachement. Elles sont faites pour commercer avec nos faiblesses, avec notre folie, mais non avec notre raison. Il existe entre elles et les hommes des sympathies d’épiderme, et très peu de sympathies d’esprit, d’âme et de caractère. C’est ce qui est prouvé par le peu de cas qu’elles font d’un homme de quarante ans. Je dis, même celles qui sont à peu près de cet âge. Observez que, quand elles lui accordent une préférence, c’est toujours d’après quelques vues malhonnêtes, d’après un calcul d’intérêt ou de vanité, et alors l’exception prouve la règle, et même plus que la règle. Ajoutons que ce n’est pas ici le cas de l’axiome : qui prouve trop ne prouve rien.

CCCLVI

C’est par notre amour-propre que l’amour nous séduit ; hé ! comment résister à un sentiment qui embellit à nos yeux ce que nous avons, nous rend ce que nous avons perdu et nous donne ce que nous n’avons pas ?

CCCLVII

Quand un homme et une femme ont l’un pour l’autre une passion violente, il me semble toujours que, quels que soient les obstacles qui les séparent, un mari, des parens, etc., les deux amans sont l’un à l’autre, de par la Nature, qu’ils s’appartiennent de droit divin, malgré les lois et les conventions humaines.

CCCLVIII

Ôtez l’amour-propre de l’amour, il en reste trop peu de chose. Une fois purgé de vanité, c’est un convalescent affaibli, qui peut à peine se traîner.

CCCLIX

L’amour, tel qu’il existe dans la Société, n’est que l’échange de deux fantaisies et le contact de deux épidermes.

CCCLX

On vous dit quelquefois, pour vous engager à aller chez telle ou telle femme, elle est très aimable : mais si je ne veux pas l’aimer ! Il vaudrait mieux dire, elle est très aimante, parce qu’il y a plus de gens qui veulent être aimés, que de gens qui veulent aimer eux-mêmes.

CCCLXI

Si l’on veut se faire une idée de l’amour-propre des femmes, dans leur jeunesse, qu’on en juge par celui qui leur reste, après qu’elles ont passé l’âge de plaire.

CCCLXII

Il me semble, disait M. de…, à propos des faveurs des femmes, qu’à la vérité, cela se dispute au concours, mais que cela ne se donne ni au sentiment, ni au mérite.

CCCLXIII

Les jeunes femmes ont un malheur qui leur est commun avec les Rois, celui de n’avoir point d’amis. Mais heureusement, elles ne sentent pas ce malheur plus que les Rois eux-mêmes. La grandeur des uns et la vanité des autres leur en dérobe le sentiment.

CCCLXIV

On dit, en politique, que les sages ne font point de conquêtes : cela peut aussi s’appliquer à la galanterie.

CCCLXV

Il est plaisant que le mot : connaître une femme, veuille dire, coucher avec une femme, et cela dans plusieurs langues anciennes, dans les mœurs les plus simples, les plus approchantes de la Nature ; comme si on ne connaissait point une femme sans cela. Si les patriarches avaient fait cette découverte, ils étaient plus avancés qu’on ne croit.

CCCLXVI

Les femmes font avec les hommes une guerre où ceux-ci ont un grand avantage, parce qu’ils ont les filles de leur côté.

CCCLXVII

Il y a telle fille qui trouve à se vendre, et ne trouverait pas à se donner.

CCCLXVIII

L’amour le plus honnête ouvre l’âme aux petites passions. Le mariage ouvre votre âme aux petites passions de votre femme, à l’ambition, à la vanité, etc.

CCCLXIX

Soyez aussi aimable, aussi honnête qu’il est possible, aimez la femme la plus parfaite qui se puisse imaginer, vous n’en serez pas moins dans le cas de lui pardonner ou votre prédécesseur, ou votre successeur.

CCCLXX

Peut-être faut-il avoir senti l’amour pour bien connaître l’amitié.

CCCLXXI

Le commerce des hommes avec les femmes ressemble à celui que les Européens font dans l’Inde ; c’est un commerce guerrier.

CCCLXXII

Pour qu’une liaison d’homme à femme soit vraiment intéressante, il faut qu’il y ait entre eux jouissance, mémoire ou désir.

CCCLXXIII

Une femme d’esprit m’a dit un jour un mot qui pourrait bien être le secret de son sexe : c’est que toute femme, en prenant un amant, tient plus de compte de la manière dont les autres femmes voient cet homme, que de la manière dont elle le voit elle-même.

CCCLXXIV

Madame de… a été rejoindre son amant en Angleterre, pour faire preuve d’une grande tendresse, quoi qu’elle n’en eût guère. À présent, les scandales se donnent par respect humain.

CCCLXXV

Je me souviens d’avoir vu un homme quitter les filles d’Opéra, parce qu’il y avait vu, disait-il, autant de fausseté que dans les honnêtes femmes.

CCCLXXVI

Il y a des redites pour l’oreille et pour l’esprit ; il n’y en a point pour le cœur.

CCCLXXVII

Sentir fait penser. On en convient assez aisément ; on convient moins que penser fasse sentir ; mais cela n’est guère moins vrai.

CCCLXXVIII

Qu’est-ce que c’est qu’une maîtresse ? Une femme près de laquelle on ne se souvient plus de ce qu’on sait par cœur, c’est-à-dire de tous les défauts de son sexe.

CCCLXXIX

Le tems a fait succéder dans la galanterie le piquant du scandale au piquant du mystère.

CCCLXXX

Il semble que l’amour ne cherche pas les perfections réelles ; on dirait qu’il les craint. Il n’aime que celles qu’il crée, qu’il suppose ; il ressemble à ces rois qui ne reconnaissent de grandeurs que celles qu’ils ont faites.

CCCLXXXI

Les naturalistes disent que, dans toutes les espèces animales, la dégénération commence par les femelles. Les philosophes peuvent appliquer au moral cette observation, dans la Société civilisée.

CCCLXXXII

Ce qui rend le commerce des femmes si piquant, c’est qu’il y a toujours une foule de sous-entendus et que les sous-entendus qui, entre hommes sont gênans, ou du moins insipides, sont agréables d’un homme à une femme.

CCCLXXXIII

On dit communément : la plus belle femme du monde ne peut donner que ce qu’elle a ; ce qui est très faux : elle donne précisément ce qu’on croit recevoir, puisqu’en ce genre, c’est l’imagination qui fait le prix de ce qu’on reçoit.

CCCLXXXIV

L’indécence, le défaut de pudeur sont absurdes dans tout système, dans la philosophie qui jouit, comme dans celle qui s’abstient.

CCCLXXXV

J’ai remarqué, en lisant l’Écriture, qu’en plusieurs passages, lorsqu’il s’agit de reprocher à l’Humanité des fureurs ou des crimes, l’auteur dit les enfans des hommes, et quand il s’agit de sottises ou de faiblesses, il dit les enfans des femmes.

CCCLXXXVI

On serait trop malheureux, si auprès des femmes on se souvenait, le moins du monde, de ce qu’on sait par cœur.

CCCLXXXVII

Il semble que la Nature, en donnant aux hommes un goût pour les femmes, entièrement indestructible, ait deviné que sans cette précaution, le mépris qu’inspirent les vices de leur sexe, principalement leur vanité, serait un grand obstacle au maintien et à la propagation de l’espèce humaine.

CCCLXXXVIII

Celui qui n’a pas vu beaucoup de filles, ne connaît point les femmes, me disait gravement un homme, grand admirateur de la sienne, qui le trompait.

CCCLXXXIX

Le Mariage et le Célibat ont tous deux des inconvéniens ; il faut préférer celui dont les inconvéniens ne sont pas sans remède.

CCCXC

En amour, il suffit de se plaire par ses qualités aimables et par ses agrémens. Mais, en mariage, pour être heureux, il faut s’aimer, ou du moins, se convenir par ses défauts.

CCCXCI

L’amour plaît plus que le mariage, par la raison que les Romans sont plus amusans que l’Histoire.

CCCXCII

L’Hymen vient après l’Amour, comme la fumée après la flamme.

CCCXCIII

Le mot le plus raisonnable et le plus mesuré qui ait été dit sur la question du Célibat et du Mariage, est celui-ci : « Quelque parti que tu prennes, tu t’en repentiras. » Fontenelle se repentit, dans ses dernières années, de ne s’être pas marié. Il oubliait quatre-vingt-quinze ans, passés dans l’insouciance.

CCCXCIV

En fait de mariage, il n’y a de reçu que ce qui est sensé, et il n’y a d’intéressant que ce qui est fou. Le reste est un vil calcul.

CCCXCV

On marie les femmes avant qu’elles soient rien et qu’elles puissent rien être. Un mari n’est qu’une espèce de manœuvre qui tracasse le corps de sa femme, ébauche son esprit et dégrossit son âme.

CCCXCVI

Le Mariage, tel qu’il se pratique chez les grands, est une indécence convenue.

CCCXCVII

Nous avons vu des hommes, réputés honnêtes, des sociétés considérables, applaudir au bonheur de Mlle…, jeune personne, belle, spirituelle, vertueuse, qui obtenait l’avantage de devenir l’épouse de M…, vieillard malsain, repoussant, malhonnête, imbécile, mais riche. Si quelque chose caractérise un siècle infâme, c’est un pareil sujet de triomphe, c’est le ridicule d’une telle joie, c’est ce renversement de toutes les idées morales et naturelles.

CCCXCVIII

L’état de mari a cela de fâcheux, que le mari qui a le plus d’esprit, peut être de trop partout, même chez lui, ennuyeux, sans ouvrir la bouche, et ridicule, en disant la chose la plus simple. Être aimé de sa femme, sauve une partie de ces travers. De là vient que M… disait à sa femme : « Ma chère amie, aidez-moi à n’être pas ridicule. »

CCCXCIX

Le divorce est si naturel, que dans plusieurs maisons, il couche toutes les nuits entre deux époux.

CD

Grâce à la passion des femmes, il faut que l’homme le plus honnête soit ou un mari, ou un sigisbée ; ou un crapuleux, ou un impuissant.

CDI

La pire de toutes les mésalliances est celle du cœur.

CDII

Ce n’est pas tout d’être aimé, il faut être apprécié, et on ne peut l’être que par ce qui nous ressemble. De là vient que l’amour n’existe pas, ou du moins ne dure pas, entre des êtres dont l’un est trop inférieur à l’autre ; et ce n’est point là l’effet de la vanité, c’est celui d’un juste amour-propre dont il serait absurde et impossible de vouloir dépouiller la nature humaine. La vanité n’appartient qu’à la nature faible ou corrompue ; mais l’amour-propre, bien connu, appartient à la nature bien ordonnée.

CDIII

Les femmes ne donnent à l’amitié que ce qu’elles empruntent à l’amour.

CDIV

Une laide, impérieuse, et qui veut plaire, est un pauvre qui commande qu’on lui fasse la charité.

CDV

L’amant, trop aimé de sa maîtresse, semble l’aimer moins, et vice versa. En serait-il des sentimens du cœur comme des bienfaits ? Quand on n’espère plus pouvoir les payer, on tombe dans l’ingratitude.

CDVI

La femme qui s’estime plus pour les qualités de son âme ou de son esprit que pour sa beauté, est supérieure à son sexe. Celle qui s’estime plus pour sa beauté que pour son esprit ou pour les qualités de son âme, est de son sexe. Mais celle qui s’estime plus pour sa naissance ou pour son rang, que pour sa beauté, est hors de son sexe, et au-dessous de son sexe.

CDVII

Il paraît qu’il y a dans le cerveau des femmes une case de moins, et dans leur cœur une fibre de plus, que chez les hommes. Il fallait une organisation particulière, pour les rendre capables de supporter, soigner, caresser des enfans.

CDVIII

C’est à l’amour maternel que la Nature a confié la conservation de tous les êtres ; et, pour assurer aux mères leur récompense, elle l’a mise dans les plaisirs, et même dans les peines attachées à ce délicieux sentiment.

CDIX

En amour, tout est vrai, tout est faux ; et c’est la seule chose sur laquelle on ne puisse pas dire une absurdité.

CDX

Un homme amoureux, qui plaint l’homme raisonnable, me paraît ressembler à un homme qui lit des contes de fées, et qui raille ceux qui lisent l’histoire.

CDXI

L’amour est un commerce orageux, qui finit toujours par une banqueroute ; et c’est la personne à qui on fait banqueroute qui est déshonorée.

CDXII

Une des meilleures raisons qu’on puisse avoir de ne se marier jamais, c’est qu’on n’est pas tout à fait la dupe d’une femme, tant qu’elle n’est point la vôtre.

CDXIII

Avez-vous jamais connu une femme qui, voyant un de ses amis assidu auprès d’une autre femme, ait supposé que cette [autre] femme lui fût cruelle ? On voit par là l’opinion qu’elles ont les unes des autres. Tirez vos conclusions.

CDXIV

Quelque mal qu’un homme puisse penser des femmes, il n’y a pas de femme qui n’en pense encore plus mal que lui.

CDXV

Quelques hommes avaient ce qu’il faut pour s’élever au-dessus des misérables considérations qui rabaissent les hommes au-dessous de leur mérite. Mais le Mariage, les liaisons de femmes, les ont mis au niveau de ceux qui n’approchaient pas d’eux. Le Mariage, la Galanterie sont une sorte de conducteur qui fait arriver ces petites passions jusqu’à eux.

CDXVI

J’ai vu, dans le monde, quelques hommes et quelques femmes qui ne demandent pas l’échange du sentiment contre le sentiment, mais du procédé contre le procédé, et qui abandonneraient ce dernier marché, s’il pouvait conduire à l’autre.


CHAPITRE VII


DES SAVANS ET DES GENS
DE LETTRES


CDXVII


Il y a une certaine énergie ardente, mère ou compagne nécessaire de telle espèce de talens, laquelle pour l’ordinaire condamne ceux qui les possèdent au malheur, non pas d’être sans morale, de n’avoir pas de très beaux mouvemens, mais de se livrer fréquemment à des écarts qui supposeraient l’absence de toute morale. C’est une âpreté dévorante dont ils ne sont pas maîtres, et qui les rend très odieux. On s’afflige, en songeant que Pope et Swift en Angleterre, Voltaire et Rousseau, en France, jugés non par la haine, non par la jalousie, mais par l’équité, par la bienveillance, sur la foi des faits attestés ou avoués par leurs amis et par leurs admirateurs seraient atteints et convaincus d’actions très condamnables, de sentimens quelquefois très pervers. O altitudo !

CDXVIII

On a observé que les écrivains en physique, histoire naturelle, physiologie, chimie, étaient ordinairement des hommes d’un caractère doux, égal, et en général heureux ; qu’au contraire les écrivains de politique, de législation, même de morale, étaient d’une humeur triste, mélancolique, etc. Rien de plus simple : les uns étudient la Nature, les autres la Société. Les uns contemplent l’ouvrage du grand Être, les autres arrêtent leurs regards sur l’ouvrage de l’homme. Les résultats doivent être différens.

CDXIX

Si l’on examinait avec soin l’assemblage de qualités rares de l’esprit et de l’âme qu’il faut pour juger, sentir et apprécier les bons vers, le tact, la délicatesse des organes, de l’oreille et de l’intelligence, etc., on se convaincrait que malgré les prétentions de toutes les classes de la Société, à juger les ouvrages d’agrément, les poètes ont dans le fait encore moins de vrais juges que les géomètres. Alors les poètes, comptant le public pour rien, et ne s’occupant que des connaisseurs, feraient à l’égard de leurs ouvrages ce que le fameux mathématicien Viète faisait à l’égard des siens, dans un tems où l’étude des mathématiques était moins répandue qu’aujourd’hui. Il n’en tirait qu’un petit nombre d’exemplaires qu’il faisait distribuer à ceux qui pouvaient l’entendre et jouir de son livre, ou s’en aider. Quant aux autres, il n’y pensait pas. Mais Viète était riche, et la plupart des poètes sont pauvres. Puis un géomètre a peut-être moins de vanité qu’un poète, ou s’il en a autant, il doit la calculer mieux.

CDXX

Il y a des hommes chez qui l’esprit (cet instrument applicable à tout) n’est qu’un talent, par lequel ils semblent dominer, qu’ils ne gouvernent pas, et qui n’est point aux ordres de leur raison.

CDXXI

Je dirais volontiers des métaphysiciens ce que Scaliger disait des Basques : on dit qu’ils s’entendent, mais je n’en crois rien.

CDXXII

Le Philosophe qui fait tout pour la vanité, a-t-il droit de mépriser le Courtisan qui fait tout pour l’intérêt ? Il me semble que l’un emporte les louis d’or et que l’autre se retire content, après en avoir entendu le bruit. D’Alembert, courtisan de Voltaire par un intérêt de vanité, est-il bien au-dessus de tel ou tel courtisan de Louis XIV, qui voulait une pension ou un gouvernement ?

CDXXIII

Quand un homme aimable ambitionne le petit avantage de plaire à d’autres qu’à ses amis, comme le font tant d’hommes, surtout de gens de lettres, pour qui plaire est comme un métier, il est clair qu’il ne peut y être porté que par un motif d’intérêt ou de vanité. Il faut qu’il choisisse entre le rôle d’une courtisane et celui d’une coquette, ou si l’on veut d’un comédien. L’homme qui se rend aimable pour une société, parce qu’il s’y plaît, est le seul qui joue le rôle d’un honnête homme.

CDXXIV

Quelqu’un a dit que de prendre sur les Anciens, c’était pirater au delà de la ligne ; mais que de piller les Modernes, c’était filouter au coin des rues.

CDXXV

Les vers ajoutent de l’esprit à la pensée de l’homme qui en a quelquefois assez peu ; et c’est ce qu’on appelle talent. Souvent ils ôtent de l’esprit à la pensée de celui qui a beaucoup d’esprit, et c’est la meilleure preuve de l’absence du talent pour les vers.

CDXXVI

La plupart des livres d’à présent ont l’air d’avoir été faits en un jour, avec des livres lus de la veille.

CDXXVII

Le bon goût, le tact et le bon ton, ont plus de rapport que n’affectent de le croire les Gens de Lettres. Le tact, c’est le bon goût appliqué au maintien et à la conduite ; le bon ton, c’est le bon goût appliqué aux discours et à la conversation.

CDXXVIII

C’est une remarque excellente d’Aristote, dans sa Rhétorique, que toute métaphore fondée sur l’analogie doit être également juste dans le sens renversé. Ainsi, l’on a dit de la vieillesse qu’elle est l’hiver de la vie ; renversez la métaphore et vous la trouverez également juste, en disant que l’hiver est la vieillesse de l’année.

CDXXIX

Pour être un grand homme dans les Lettres, ou du moins opérer une révolution sensible, il faut, comme dans l’ordre politique, trouver tout préparé et naître à propos.

CDXXX

Les grands seigneurs et les beaux esprits, deux classes qui se recherchent mutuellement, veulent unir deux espèces d’hommes dont les uns font un peu plus de poussière et les autres un peu plus de bruit.

CDXXXI

Les Gens de Lettres aiment ceux qu’ils amusent, comme les voyageurs aiment ceux qu’ils étonnent.

CDXXXII

Qu’est-ce que c’est qu’un Homme de Lettres qui n’est pas rehaussé par son caractère, par le mérite de ses amis, et par un peu d’aisance ? Si ce dernier avantage lui manque au point qu’il soit hors d’état de vivre convenablement dans la Société où son mérite l’appelle, qu’a-t-il besoin du monde ? Son seul parti n’est-il pas de se choisir une retraite où il puisse cultiver en paix son âme, son caractère et sa raison ? Faut-il qu’il porte le poids de la Société, sans recueillir un seul des avantages qu’elle procure aux autres classes de citoyens ? Plus d’un homme de lettres, forcé de prendre ce parti, y a trouvé le bonheur qu’il eût cherché ailleurs vainement. C’est celui-là qui peut dire qu’en lui refusant tout, on lui a tout donné. Dans combien d’occasions ne peut-on pas répéter le mot de Thémistocle : « Hélas ! nous périssions, si nous n’eussions péri ! »

CDXXXIII

On dit et on répète, après avoir lu quelque ouvrage qui respire la vertu : c’est dommage que les auteurs ne se peignent pas dans leurs écrits, et qu’on ne puisse pas conclure d’un pareil ouvrage que l’auteur est ce qu’il paraît être. Il est vrai que beaucoup d’exemples autorisent cette pensée ; mais j’ai remarqué qu’on fait souvent cette réflexion pour se dispenser d’honorer les vertus dont on trouve l’image dans les écrits d’un honnête homme.

CDXXXIV

Un auteur, homme de goût, est, parmi ce public blasé, ce qu’une jeune femme est au milieu d’un cercle de vieux libertins.

CDXXXV

Peu de philosophie mène à mépriser l’érudition ; beaucoup de philosophie mène à l’estimer.

CDXXXVI

Le travail du Poète, — et souvent de l’homme de lettres, — lui est bien peu fructueux à lui-même ; et, de la part du public, il se trouve placé entre le grand merci et le va te promener. Sa fortune se réduit à jouir de lui-même et du tems.

CDXXXVII

Le repos d’un écrivain qui a fait de bons ouvrages, est plus respecté du public que la fécondité active d’un auteur qui multiplie les ouvrages médiocres. C’est ainsi que le silence d’un homme connu pour bien parler, impose beaucoup plus que le bavardage d’un homme qui ne parle pas mal.

CDXXXVIII

Ce qui fait le succès de quantité d’ouvrages est le rapport qui se trouve entre la médiocrité des idées de l’Auteur et la médiocrité des idées du Public.

CDXXXIX

À voir la composition de l’Académie Française, on croirait qu’elle a pris pour devise ce vers de Lucrèce :

Certare ingenio, contendere nobilitate.

CDXL

L’honneur d’être de l’Académie Française est comme la Croix de Saint-Louis, qu’on voit également aux soupers de Marly et dans les auberges à vingt-deux sols.

CDXLI

L’Académie Française est comme l’Opéra qui se soutient par des choses étrangères à lui, les pensions qu’on exige pour lui des opéra-comiques de province, la permission d’aller du parterre aux foyers, etc. De même, l’Académie se soutient par tous les avantages qu’elle procure. Elle ressemble à la Cidalise, de Gresset :

Ayez-la, c’est d’abord ce que vous lui devez.
Et vous l’estimerez après, si vous pouvez.

CDXLII

Il en est un peu des réputations littéraires, et surtout des réputations de théâtre, comme des fortunes qu’on faisait autrefois dans les Îles. Il suffisait presque autrefois d’y passer, pour parvenir à une grande richesse, mais ces grandes fortunes mêmes ont nui à celles de la génération suivante : les terres épuisées n’ont plus rendu si abondamment.

CDXLIII

De nos jours, les succès de Théâtre et de Littérature ne sont guère que des ridicules.

CDXLIV

C’est la Philosophie qui découvre les vertus utiles de la Morale et de la Politique. C’est l’Éloquence qui les rend populaires. C’est la Poésie qui les rend pour ainsi dire proverbiales.

CDXLI

Un sophiste éloquent, mais dénué de logique, est à un orateur philosophe ce qu’un faiseur de tours de passe-passe est à un mathématicien, ce que Pinetti est à Archimède.

CDXLVI

On n’est point un homme d’esprit pour avoir beaucoup d’idées, comme on n’est pas un bon général pour avoir beaucoup de soldats.

CDXLVII

On se fâche souvent contre les Gens de Lettres qui se retirent du monde. On veut qu’ils prennent intérêt à la Société dont ils ne tirent presque point d’avantage. On veut les forcer d’assister éternellement aux tirages d’une loterie où ils n’ont point de billet.

CDXLVIII

Ce que j’admire dans les anciens philosophes, c’est le désir de conformer leurs mœurs à leurs écrits : c’est ce que l’on remarque dans Platon, Théophraste et plusieurs autres. La Morale pratique était si bien la partie essentielle de leur philosophie, que plusieurs furent mis à la tête des écoles, sans avoir rien écrit ; tels que Xénocrate, Polémon, Heusippe, etc. Socrate, sans avoir donné un seul ouvrage et sans avoir étudié aucune autre science que la morale, n’en fut pas moins le premier philosophe de son siècle.

CDXLIX

Ce qu’on sait le mieux, c’est : 1°, ce qu’on a deviné ; 2°, ce qu’on a appris par l’expérience des hommes et des choses ; 3°, ce qu’on a appris, non dans les livres, mais par les livres, c’est-à-dire par les réflexions qu’ils font faire ; 4°, ce qu’on a appris dans les livres ou avec des maîtres.

CDL

Les Gens de Lettres, surtout les Poètes, sont comme les paons, à qui on jette mesquinement quelques graines dans leur loge, et qu’on en tire quelquefois pour les voir étaler leur queue, tandis que les coqs, les poules, les canards et les dindons se promènent librement dans la basse-cour, et remplissent leur jabot tout à leur aise.

CDLI

Les succès produisent les succès, comme l’argent produit l’argent.

CDLII

Il y a des livres que l’homme qui a le plus d’esprit ne saurait faire sans un carrosse de remise, c’est-à-dire sans aller consulter les hommes, les choses, les bibliothèques, les manuscrits, etc.

CDLIII

Il est presque impossible qu’un Philosophe, qu’un Poète ne soient pas misanthropes : 1o parce que leur goût et leur talent les portent à l’observation de la société, étude qui afflige constamment le cœur ; 2o parce que leur talent n’étant presque jamais récompensé par la Société (heureux même s’il n’est pas puni), ce sujet d’affliction ne fait que redoubler leur penchant à la mélancolie.

CDLIV

Les Mémoires que les gens en place ou les Gens de Lettres, même ceux qui ont passé pour les plus modestes, laissent pour servir à l’histoire de leur vie, trahissent leur vanité secrète et rappellent l’histoire de ce saint qui avait laissé cent mille écus pour servir à sa canonisation.

CDLV

C’est un grand malheur de perdre par notre caractère les droits que nos talens nous donnent sur la Société.

CDLVI

C’est après l’âge des passions que les grands hommes ont produit leurs chefs-d’œuvre, comme c’est après les éruptions des volcans que la terre est plus fertile.

CDLVII

La vanité des gens du monde se sert habilement de la vanité des Gens de Lettres. Ceux-ci ont fait plus d’une réputation qui a mené à de grandes places. D’abord, de part et d’autre, ce n’est que du vent, mais les intrigans adroits enflent de ce vent les voiles de leur fortune.

CDLVIII

Les Économistes sont des chirurgiens qui ont un excellent scalpel et un bistouri ébréché, opérant à merveille sur le mort et martyrisant le vif.

CDLIX

Les Gens de Lettres sont rarement jaloux des réputations quelquefois exagérées qu’ont certains ouvrages de gens de la cour ; ils regardent ces succès comme les honnêtes femmes regardent la fortune des filles.

CDLX

Le Théâtre renforce les mœurs ou les change. Il faut de nécessité qu’il corrige le ridicule ou qu’il le propage. On l’a vu en France opérer tour à tour ces deux effets.

CDLXI

Plusieurs Gens de Lettres croient aimer la gloire et n’aiment que la vanité. Ce sont deux choses bien différentes et même opposées ; car l’une est une petite passion, l’autre en est une grande. Il y a, entre la vanité et la gloire, la différence qu’il y a entre un fat et un amant.

CDLXII

La Postérité ne considère les Gens de Lettres que par leurs ouvrages, et non par leurs places. Plutôt ce qu’ils ont fait que ce qu’ils ont été, semble être sa devise.

CDLXIII

Sperone-Speroni explique très bien comment un auteur qui s’énonce très clairement pour lui-même est quelquefois obscur pour son lecteur : c’est, dit-il, que l’auteur va de la pensée à l’expression, et que le lecteur va de l’expression à la pensée.

CDLXIV

Les ouvrages qu’un auteur fait avec plaisir, sont souvent les meilleurs ; comme les enfans de l’amour sont les plus beaux.

CDLXV

En fait de Beaux-Arts, et même en beaucoup d’autres choses, on ne sait bien que ce que l’on n’a point appris.

CDLXVI

Le peintre donne une âme à une figure, et le poète prête une figure à un sentiment et à une idée.

CDLXVII

Quand La Fontaine est mauvais, c’est qu’il est négligé ; quand La Motte l’est, c’est qu’il est recherché.

CDLXVIII

La perfection d’une comédie de caractère consisterait à disposer l’intrigue, de façon que cette intrigue ne pût servir à aucune autre pièce. Peut-être n’y a-t-il au théâtre que celle du Tartufe qui pût supporter cette épreuve.

CDLXIX

Il y aurait une manière plaisante de prouver qu’en France les philosophes sont les plus mauvais citoyens du monde. La preuve, la voici : C’est qu’ayant imprimé une grande quantité de vérités importantes dans l’ordre politique et économique, ayant donné plusieurs conseils utiles, consignés dans leurs livres, ces conseils ont été suivis par presque tous les souverains de l’Europe, presque partout, hors de France ; dont il suit que la prospérité des étrangers augmentant leur puissance, tandis que la France reste aux mêmes termes, conserve ses abus, etc., elle finira par être dans l’état d’infériorité, relativement aux autres puissances ; et c’est évidemment la faute des philosophes. On sait à ce sujet la réponse du duc de Toscane à un Français, à propos des heureuses innovations, faites par lui dans ses États. « Vous me louez trop à cet égard, disait-il : j’ai pris toutes mes idées dans vos livres français. »

CDLXX

J’ai vu à Anvers, dans une des principales églises, le tombeau du célèbre imprimeur Plantin, orné de tableaux superbes, ouvrages de Rubens, et consacrés à sa mémoire. Je me suis rappelé à cette vue que les Estienne, Henri et Robert, qui par leur érudition grecque et latine ont rendu les plus grands services aux lettres, traînèrent en France une vieillesse misérable, et que Charles Estienne, leur successeur, mourut à l’hôpital, après avoir contribué presque autant qu’eux aux progrès de la littérature. Je me suis rappelé qu’André Duchêne, qu’on peut regarder comme le père de l’Histoire de France, fut chassé de Paris par la misère, et réduit à se réfugier dans une petite ferme qu’il avait en Champagne. Il se tua en tombant du haut d’une charrette, chargée de foin, à une hauteur immense. Adrien de Valois, créateur de l’histoire métallique, n’eut guère une meilleure destinée. Samson, le père de la Géographie, allait à soixante-dix ans faire des leçons, à pied, pour vivre. Tout le monde sait la destinée des Du Ryer, Tristan, Maynard, et de tant d’autres. Corneille manquait de bouillon, à sa dernière maladie. La Fontaine n’était guère mieux. Si Racine, Boileau, Molière et Quinault eurent un sort plus heureux, c’est que leurs talens étaient consacrés au Roi, plus particulièrement. L’abbé de Longuerue, qui rapporte et rapproche plusieurs de ces anecdotes sur le triste sort des hommes de lettres illustres en France, ajoute : « C’est ainsi qu’on en a toujours usé dans ce misérable pays. » Cette liste si célèbre, des Gens de Lettres que le Roi voulait pensionner, et qui fut présentée à Colbert, était l’ouvrage de Chapelain, Perrault, Tallemant, l’abbé Gallois, qui omirent ceux de leurs confrères qu’ils haïssaient, tandis qu’ils y placèrent les noms de plusieurs savans étrangers, sachant très bien que le Roi et le Ministre seraient plus flattés de se faire louer à quatre cents lieues de Paris. »


CHAPITRE VIII


DE L’ESCLAVAGE ET DE LA LIBERTÉ.
DE LA FRANCE AVANT ET DEPUIS LA RÉVOLUTION


CDLXXI


On s’est beaucoup moqué de ceux qui parlaient avec enthousiasme de l’état sauvage, en opposition à l’état social. Cependant je voudrais savoir ce qu’on peut répondre à ces trois objections. Il est sans exemple que chez les sauvages on ait vu : 1o, un fou, 2o, un suicide, 3o, un sauvage qui ait voulu embrasser la vie sociale ; tandis qu’un grand nombre d’Européens, tant au Cap que dans les deux Amériques, après avoir vécu chez les sauvages, se trouvant ramenés chez leurs compatriotes, sont retournés dans les bois. Qu’on réplique à cela sans verbiage, sans sophisme.

CDLXXII

Le malheur de l’Humanité, considérée dans l’état social, c’est que, quoique en Morale et en Politique on puisse donner comme définition que le mal est ce qui nuit, on ne peut pas dire que le bien est ce qui sert ; car ce qui sert un moment peut nuire longtems ou toujours.

CDLXXIII

Lorsque l’on considère que le produit du travail et des lumières de trente ou quarante siècles, a été de livrer trois cents millions d’hommes, répandus sur le globe, à une trentaine de despotes, la plupart ignorans et imbéciles, dont chacun est gouverné par trois ou quatre scélérats, quelquefois stupides, que penser de l’Humanité, et qu’attendre d’elle à l’avenir ?

CDLXXIV

Presque toute l’Histoire n’est qu’une suite d’horreurs. Si les tyrans la détestent, tandis qu’ils vivent, il semble que leurs successeurs souffrent qu’on transmette à la postérité les crimes de leurs devanciers, pour faire diversion à l’horreur qu’ils inspirent eux-mêmes. En effet, il ne reste guère, pour consoler les peuples, que de leur apprendre que leurs ancêtres ont été aussi malheureux, ou plus malheureux.

CDLXXV

Le caractère naturel du Français est composé des qualités du singe et du chien couchant. Drôle et gambadant comme le singe, et dans le fond, très malfaisant comme lui, il est comme le chien de chasse, né bas, caressant, léchant son maître qui le frappe, se laissant mettre à la chaîne, puis bondissant de joie quand on le délie pour aller à la chasse.

CDLXXVI

Autrefois, le Trésor royal s’appelait l’Épargne. On a rougi de ce nom qui semblait une contre-vérité, depuis qu’on a prodigué les trésors de l’État, et on l’a tout simplement appelé le Trésor royal.

CDLXXVII

Le titre le plus respectable de la Noblesse française, c’est de descendre immédiatement de quelques-uns de ces trente mille hommes casqués, cuirassés, brassardés, cuissardés, qui sur de grands chevaux bardés de fer, foulaient aux pieds huit ou neuf millions d’hommes nus, qui sont les ancêtres de la nation actuelle. Voilà un droit bien avéré à l’amour et au respect de leurs descendans ! et pour achever de rendre cette Noblesse respectable, elle se recrute et se régénère par l’adoption de ces hommes qui ont accru leur fortune en dépouillant la cabane du pauvre, hors d’état de payer les impositions. Misérables institutions humaines qui, faites pour inspirer le mépris et l’horreur, exigent qu’on les respecte et qu’on les révère !

CDLXXVIII

La nécessité d’être gentilhomme pour être capitaine de vaisseau, est tout aussi raisonnable que celle d’être secrétaire du roi pour être matelot ou mousse.

CDLXXIX

Cette impossibilité d’arriver aux grandes places, à moins que d’être gentilhomme, est une des absurdités les plus funestes, dans presque tous les pays. Il me semble voir des ânes défendre les carrousels et les tournois aux chevaux.

CDLXXX

La Nature, pour faire un homme vertueux ou un homme de génie, ne va pas consulter Chérin.

CDLXXXI

Qu’importe qu’il y ait sur le trône un Tibère ou un Titus, s’il a des Séjan pour ministres ?

CDLXXXII

Si un historien, tel que Tacite, eût écrit l’histoire de nos meilleurs rois, en faisant un relevé exact de tous les actes tyranniques, de tous les abus d’autorité dont la plupart sont ensevelis dans l’obscurité la plus profonde, il y a peu de règnes qui ne nous inspirassent la même horreur que celui de Tibère.

CDLXXXIII

On peut dire qu’il n’y eut plus de gouvernement civil à Rome, après la mort de Tiberius Gracchus ; et Scipion Nasica, en partant du Sénat pour employer la violence contre le Tribun, apprit aux Romains que la force seule donnerait des lois dans le Forum. Ce fut lui qui avait révélé avant Sylla ce mystère funeste.

CDLXXXIV

Ce qui fait l’intérêt secret qui attache si fort à la lecture de Tacite, c’est le contraste continuel et toujours nouveau de l’ancienne liberté républicaine, avec les vils esclaves que peint l’auteur. C’est la comparaison des anciens Scaurus, Scipion, etc., avec les lâchetés de leurs descendans. En un mot, ce qui contribue à l’effet de Tacite, c’est Tite-Live.

CDLXXXV

Les Rois et les Prêtres, en proscrivant la doctrine du suicide, ont voulu assurer la durée de notre esclavage. Ils veulent nous tenir enfermés dans un cachot sans issue ; semblables à ce scélérat, dans le Dante, qui fait murer la porte de la prison où était renfermé le malheureux Ugolin.

CDLXXXVI

On a fait des livres sur les intérêts des Princes ; on parle d’étudier les intérêts des Princes ; quelqu’un a-t-il jamais parlé d’étudier les intérêts des peuples ?

CDLXXXVII

Il n’y a d’histoire digne d’attention que celle des peuples libres. L’histoire des peuples soumis au despotisme n’est qu’un recueil d’anecdotes.

CDLXXXVIII

La vraie Turquie d’Europe, c’était la France. On trouve dans vingt écrivains anglais : Les pays despotiques, tels que la France et la Turquie.

CDLXXXIX

Les ministres ne sont que des gens d’affaires, et ils ne sont si importans que parce que la terre du gentilhomme, leur maître, est très considérable.

CDXC

Un ministre, en faisant faire à ses maîtres des fautes et des sottises nuisibles au public, ne fait souvent que s’affermir dans sa place : on dirait qu’il se lie davantage avec eux par les liens de cette espèce de complicité.

CDXCI

Pourquoi arrive-t-il qu’en France un ministre reste placé, après cent mauvaises opérations, et pourquoi est-il chassé pour la seule bonne qu’il ait faite ?

CDXCII

Croirait-on que le despotisme a des partisans, sous le rapport de la nécessité d’encouragement pour les Beaux-Arts ? On ne saurait croire combien l’éclat du siècle de Louis XIV a multiplié le nombre de ceux qui pensent ainsi. Selon eux, le dernier terme de toute société humaine est d’avoir de belles tragédies, de belles comédies, etc. Ce sont des gens qui pardonnent à tout le mal qu’ont fait les prêtres, en considérant que sans les prêtres, nous n’aurions pas la comédie du Tartufe.

CDXCIII

En France, le mérite et la réputation ne donnent pas plus de droits aux places que le chapeau de rosière ne donne à une villageoise le droit d’être présentée à la Cour.

CDXCIV

La France, pays où il est souvent utile de montrer ses vices, et toujours dangereux de montrer ses vertus.

CDXCV

Paris, singulier pays, où il faut trente sols pour dîner, quatre francs pour prendre l’air, cent louis pour le superflu dans le nécessaire, et quatre cents louis pour n’avoir que le nécessaire dans le superflu.

CDXCVI

Paris, ville d’amusemens, de plaisirs, etc., où les quatre cinquièmes des habitans meurent de chagrin.

CDXCVII

On pourrait appliquer à la ville de Paris les propres termes de Sainte Thérèse, pour définir l’Enfer : l’endroit où il pue et où on n’aime point.

CDXCVIII

C’est une chose remarquable que la multitude des étiquettes dans une Nation aussi vive et aussi gaie que la nôtre. On peut s’étonner aussi de l’esprit pédantesque et de la gravité des corps et des compagnies ; il semble que le législateur ait cherché à mettre un contre-poids qui arrêtât la légèreté du Français.

CDXCIX

C’est une chose avérée qu’au moment où M. de Guibert fut nommé Gouverneur des Invalides, il se trouva aux Invalides six cents prétendus soldats qui n’étaient point blessés et qui, presque tous, n’avaient jamais assisté à aucun siège, à aucune bataille, mais qui, en récompense, avaient été cochers ou laquais de grands seigneurs ou de gens en place. Quel texte et quelle matière à réflexions !

D

En France, on laisse en repos ceux qui mettent le feu, et on persécute ceux qui sonnent le tocsin.

DI

Presque toutes les femmes, soit de Versailles, soit de Paris, quand ces dernières sont d’un état un peu considérable, ne sont autre chose que des bourgeoises de qualité, des madame Naquart, présentées, ou non présentées.

DII

En France, il n’y a plus de Public ni de Nation, par la raison que de la charpie n’est pas du linge.

DIII

Le public est gouverné comme il raisonne. Son droit est de dire des sottises, comme celui des ministres est d’en faire.

DIV

Quand il se fait quelque sottise publique, je songe à un petit nombre d’étrangers qui peuvent se trouver à Paris, et je suis prêt à m’affliger, car j’aime toujours ma patrie.

DV

Les Anglais sont le seul peuple qui ait trouvé le moyen de limiter la puissance d’un homme dont la figure est sur un petit écu.

DVI

Comment se fait-il que sous le despotisme le plus affreux, on puisse se résoudre à se reproduire ? C’est que la Nature a ses lois plus douces, mais plus impérieuses que celle des tyrans ; c’est que l’enfant sourit à sa mère sous Domitien comme sous Titus.

DVII

Un Philosophe disait : Je ne sais pas comment un Français qui a été une fois dans l’antichambre du Roi, ou dans l’Œil-de-bœuf, peut dire de qui que ce puisse être : C’est un grand seigneur.

DVIII

Les flatteurs des Princes ont dit que la chasse était une image de la guerre ; et en effet, les paysans dont elle vient de ravager les champs, doivent trouver qu’elle la représente assez bien.

DIX

Il est malheureux pour les hommes, heureux peut-être pour les tyrans, que les pauvres, les malheureux, n’aient pas l’instinct ou la fierté de l’éléphant qui ne se reproduit point dans la servitude.

DX

Dans la lutte éternelle que la Société amène entre le pauvre et le riche, le noble et le plébéien, l’homme accrédité et l’homme inconnu, il y a deux observations à faire : la première est que leurs actions, leurs discours sont évalués à des mesures différentes, à des poids différens, l’une d’une livre, l’autre de dix ou de cent, disproportion convenue, et dont on part comme d’une chose arrêtée ; et cela même est horrible. Cette acception de personnes, autorisée par la loi et par l’usage, est un des vices énormes de la Société, qui suffirait seul pour expliquer tous ses vices. ][ L’autre observation est qu’en partant même de cette inégalité, il se fait ensuite une autre malversation ; c’est qu’on diminue la livre du pauvre, du plébéien, qu’on la réduit à un quart, tandis qu’on porte à cent livres les dix livres du riche ou du noble, à mille ses cent livres, etc. C’est l’effet naturel et nécessaire de leur position respective ; le pauvre et le plébéien ayant pour envieux tous leurs égaux, et le riche, le noble, ayant pour appui, et pour complices le petit nombre des siens qui le secondent pour partager ses avantages et en obtenir de pareils.

DXI

C’est une vérité incontestable qu’il y a en France sept millions d’hommes qui demandent l’aumône, et douze millions hors d’état de la leur faire.

DXII

La Noblesse, disent les nobles, est un intermédiaire entre le Roi et le Peuple… Oui, comme le chien de chasse est un intermédiaire entre le chasseur et les lièvres.

DXIII

Qu’est-ce que c’est qu’un Cardinal ? C’est un prêtre habillé de rouge, qui a cent mille écus du Roi, pour se moquer de lui au nom du Pape.

DXIV

La plupart des institutions sociales paraissent avoir pour objet de maintenir l’homme dans une médiocrité d’idées et de sentimens qui le rendent plus propre à gouverner ou à être gouverné.

DXV

Un citoyen de Virginie, possesseur de cinquante acres de terres fertiles, paye quarante-deux sols de notre monnaie pour jouir en paix, sous des lois justes et douces, de la protection du gouvernement, de la sûreté de sa personne et de sa propriété, de la liberté civile et religieuse, du droit de voter aux élections, d’être membre du Congrès, et par conséquent législateur, etc. Tel paysan français, de l’Auvergne ou du Limousin, est écrasé de tailles, de vingtièmes, de corvées de toute espèce, pour être insulté par le caprice d’un subdélégué, emprisonné arbitrairement, etc., et transmettre à une famille dépouillée cet héritage d’infortune et d’avilissement.

DXVI

L’Amérique septentrionale est l’endroit de l’univers où les droits de l’homme sont le mieux connus. Les Américains sont les dignes descendans de ces fameux républicains qui se sont expatriés pour fuir la tyrannie. C’est là que se sont formés des hommes dignes de combattre et de vaincre les Anglais mêmes, à l’époque où ceux-ci avaient recouvré leur liberté et étaient parvenus à se former le plus beau gouvernement qui fut jamais. La Révolution de l’Amérique sera utile à l’Angleterre même, en la forçant à faire un examen nouveau de sa constitution, et à en bannir les abus. Qu’arrivera-t-il ? Les Anglais, chassés du continent de l’Amérique septentrionale, se jetteront sur les Îles et sur les possessions françaises et espagnoles, leur donneront leur gouvernement qui est fondé sur l’amour naturel que les hommes ont pour la liberté, et qui augmente cet amour même. Il se formera dans ces îles espagnoles et françaises, et surtout dans le continent de l’Amérique espagnole, alors devenue anglaise, il se formera de nouvelles constitutions dont la liberté sera le principe et la base. Ainsi les Anglais auront la gloire unique d’avoir formé presque les seuls des peuples libres de l’univers, les seuls, à proprement parler, dignes du nom d’hommes, puisqu’ils seront les seuls qui aient su connaître et conserver les droits des hommes. Mais combien d’années ne faut-il pas pour opérer cette Révolution ? Il faut avoir purgé de Français et d’Espagnols ces terres immenses où il ne pourrait se former que des esclaves, y avoir transplanté des Anglais pour y porter les premiers germes de la liberté. Ces germes se développeront et, produisant des fruits nouveaux, opéreront la Révolution, qui chassera les Anglais eux-mêmes des deux Amériques et de toutes les Îles.

DXVII

L’Anglais respecte la loi et repousse ou méprise l’autorité. Le Français, au contraire, respecte l’autorité et méprise la loi. Il faut lui enseigner à faire le contraire, et peut-être la chose est-elle impossible, vu l’ignorance dans laquelle on tient la Nation, ignorance qu’il ne faut pas contester en jugeant d’après les lumières répandues dans les capitales.

DXVIII

Moi, tout ; le reste, rien. Voilà le Despotisme, l’Aristocratie et leurs partisans. — Moi, c’est un autre ; un autre, c’est moi : voilà le régime populaire et ses partisans. Après cela, décidez.

DXIX

Tout ce qui sort de la classe du Peuple, s’arme contre lui, pour l’opprimer, depuis le milicien, le négociant devenu le secrétaire du Roi, le prédicateur sorti d’un village pour prêcher la soumission au pouvoir arbitraire, l’historiographe, fils d’un bourgeois, etc. Ce sont les soldats de Cadmus : les premiers armés se tournent contre leurs frères, et se précipitent sur eux.

DXX

Les pauvres sont les nègres de l’Europe.

DXXI

Semblable aux animaux qui ne peuvent respirer l’air à une certaine hauteur sans périr, l’esclave meurt dans l’atmosphère de la liberté.

DXXII

On gouverne les hommes avec la tête. On ne joue pas aux échecs avec un bon cœur.

DXXIII

Il faut recommencer la Société humaine, comme Bacon disait qu’il faut recommencer l’entendement humain.

DXXIV

Diminuez les maux du Peuple, vous diminuez sa férocité, comme vous guérissez ses maladies avec du bouillon.

DXXV

J’observe que les hommes les plus extraordinaires et qui ont fait des révolutions, lesquelles semblent être le produit de leur seul génie, ont été secondés par les circonstances les plus favorables et par l’esprit de leur tems. On sait toutes les tentatives faites avant le grand voyage de Vasco de Gama aux Indes Occidentales. On n’ignore pas que plusieurs navigateurs étaient persuadés qu’il y avait de grandes îles, et sans doute un continent à l’ouest, avant que Colomb l’eût découvert, et il avait lui-même entre les mains les papiers d’un célèbre pilote avec qui il avait été en liaison. Philippe avait tout préparé pour la guerre de Perse, avant sa mort. Plusieurs sectes d’hérétiques, déchaînés contre les abus de la communion romaine, précédèrent Luther et Calvin, et même Viccleff.

DXXVI

On croit communément que Pierre-le-Grand se réveilla un jour avec l’idée de tout créer en Russie ; M. de Voltaire avoue lui-même que son père Alexis forma le dessein d’y transporter les arts. Il y a dans tout une maturité qu’il faut attendre. Heureux l’homme qui arrive dans le moment de cette maturité !

DXXVII

L’Assemblée Nationale de 1789 a donné au Peuple français une constitution plus forte que lui. Il faut qu’elle se hâte d’élever la Nation à cette hauteur par une bonne éducation publique. Les législateurs doivent faire comme ces médecins habiles qui, traitant un malade épuisé, font passer les restaurans à l’aide des stomachiques.

DXXVIII

En voyant le grand nombre des députés à l’Assemblée Nationale de 1789, et tous les préjugés dont la plupart étaient remplis, on eût dit qu’ils ne les avaient détruits que pour les prendre, comme ces gens qui abattent un édifice pour s’approprier les décombres.

DXXIX

Une des raisons pour lesquelles les corps et les assemblées ne peuvent guère faire autre chose que des sottises, c’est que dans une délibération publique, la meilleure chose qu’il y ait à dire pour ou contre l’affaire ou la personne dont il s’agit, ne peut presque jamais se dire tout haut, sans de grands dangers ou d’extrêmes inconvéniens.

DXXX

Dans l’instant où Dieu créa le Monde, le mouvement du chaos dut faire trouver le chaos plus désordonné que lorsqu’il reposait dans un désordre paisible. C’est ainsi que chez nous l’embarras d’une Société qui se réorganise doit paraître l’excès du désordre.

DXXXI

Les Courtisans et ceux qui vivaient des abus monstrueux qui écrasaient la France, sont sans cesse à dire qu’on pouvait réformer les abus sans détruire comme on a détruit. Ils auraient bien voulu qu’on nettoyât l’étable d’Augias avec un plumeau.

DXXXII

Dans l’ancien régime, un philosophe écrivait des vérités hardies. Un de ces hommes que la naissance ou des circonstances favorables appelaient aux places, lisait ces vérités, les affaiblissait, les modifiait, en prenait un vingtième, passait pour un homme inquiétant, mais pour un homme d’esprit. Il tempérait son zèle et parvenait à tout. Le philosophe était mis à la Bastille. Dans le régime nouveau, c’est le philosophe qui parvient à tout ; ses idées lui servent, non plus à se faire enfermer, non plus à déboucher l’esprit d’un sot, à le placer, mais à parvenir lui-même aux places. Jugez comme la foule de ceux qu’il écarte peut s’accoutumer à ce nouvel ordre de choses.

DXXXIII

N’est-il pas trop plaisant de voir le marquis de Bièvre (petit-fils du chirurgien Maréchal), se croire obligé de fuir en Angleterre, ainsi que M. de Luxembourg et les grands aristocrates, fugitifs après la catastrophe du 14 juillet 1789.

DXXXIV

Les théologiens, toujours fidèles au projet d’aveugler les hommes, les suppôts des gouvernemens, toujours fidèles à celui de les opprimer, supposent gratuitement que la grande majorité des hommes est condamnée à la stupidité qu’entraînent les travaux purement mécaniques ou manuels : ils supposent que les artisans ne peuvent s’élever aux connaissances nécessaires pour faire valoir les droits d’hommes et de citoyens. Ne dirait-on pas que ces connaissances sont bien compliquées ? Supposons qu’on eût employé, pour éclairer les dernières classes, le quart du tems et des soins qu’on a mis à les abrutir ; supposons qu’au lieu de mettre dans leurs mains un catéchisme de métaphysique absurde et inintelligible, on en eût fait un qui eût contenu les premiers principes des droits des hommes et de leurs devoirs, fondés sur leurs droits, on serait étonné du terme où ils seraient parvenus en suivant cette route, tracée dans un bon ouvrage élémentaire. Supposez qu’au lieu de leur prêcher cette doctrine de patience, de souffrance, d’abnégation de soi-même et d’avilissement, si commode aux usurpateurs, on leur eût prêché celle de connaître leurs droits et le devoir de les défendre, on eût vu que la Nature qui a formé les hommes pour la Société leur a donné tout le bon sens nécessaire pour former une Société raisonnable.

SUPPLÉMENT
AUX « MAXIMES ET PENSÉES »

Les soixante-huit « Pensées » qui suivent, sont extraites de l’édition des Œuvres choisies de Chamfort, publiées par M. de Lescure (Paris, Librairie des Bibliophiles, MDCCCLXXIX, in-18, t. I). Les quarante et une premières (DXXXV à DLXXV) figurent dans cet ouvrage comme inédites ; elles sont accompagnées d’astérisques qui les désignent à l’attention du lecteur ; les vingt-sept autres (DLXXVI à DCII), quoique publiées là sans mention aucune, nous paraissent également nouvelles. C’est en vain que nous les avons cherchées dans les leçons antérieures de l’écrivain. — N. D. É.

DXXXV

C’est une jolie allégorie que celle qui représente Minerve, la déesse de la Sagesse, rejetant la flûte quand elle s’aperçoit que cet instrument ne lui sied pas.

DXXXVI

C’est une jolie allégorie que celle qui fait sortir les songes vrais par la porte de corne, et les songes faux, c’est-à-dire les illusions agréables, par la porte d’ivoire.

DXXXVII

Un homme d’esprit disait de M…, son ancien ami, qui était revenu à lui dans la prospérité : « Non seulement il veut que ses amis soient heureux, mais il l’exige. »

DXXXVIII

Un homme, attaquant une femme sans être prêt, lui dit : « Madame, s’il vous était égal d’avoir encore un quart d’heure de vertu ? »

DXXXIX

L’Amour, dit Plutarque, fait taire les autres passions : c’est le dictateur devant qui tous les autres pouvoirs s’évanouissent.

DXL

M…, entendant prêcher contre l’amour moral, à cause des mauvais effets de l’imagination, disait : « Pour moi, je ne le crains pas. Quand une femme me convient et qu’elle me rend heureux, je me livre aux sentimens qu’elle m’inspire, me réservant de n’être pas sa dupe si elle ne me convient. Mon imagination est le tapissier que j’envoie meubler mon appartement, quand je vois que j’y serai bien logé ; sinon, je ne lui donne aucun ordre, et voilà les frais d’un mémoire épargnés. »

DXLI

M. de L… m’a dit qu’au moment où il apprit l’infidélité de Madame de B…, il sentit au milieu de son chagrin qu’il n’aimerait plus, que l’amour disparaissait pour jamais, comme un homme qui, dans un champ, entend le bruit d’une perdrix qui lève et qui s’envole.

DXLII

Vous vous étonnez que M. de L… voie Madame de D… ? Mais, monsieur, M. de L… est amoureux, je crois, de Madame de D…, et vous savez qu’une femme a souvent été la nuance intermédiaire qui associe plutôt qu’elle n’assortit deux couleurs tranchantes et opposées.

DXLIII

On a comparé les bienfaiteurs maladroits à la chèvre qui se laisse traire et qui, par étourderie, renverse d’un coup de pied la jatte qu’elle a remplie de son lait.

DXLIV

Son imagination fait naître une illusion au moment où il vient d’en perdre une, semblable à ces rosiers qui produisent des roses dans toutes les saisons.

DXLV

M… disait que ce qu’il aimait par-dessus tout, c’était paix, silence, obscurité. On lui répondit : C’est la chambre d’un malade.

DXLVI

On disait à M…, homme brillant dans la Société : « Vous n’avez pas fait grande dépense d’esprit hier soir avec M…. » Il répondit : « Souvenez-vous du proverbe hollandais : Sans petite monnaie, point d’économie. »

DXLVII

Une femme n’est rien par elle-même ; elle est ce qu’elle paraît à l’homme qui s’en occupe : voilà pourquoi elle est si furieuse contre ceux à qui elle ne paraît pas ce qu’elle voudrait paraître. Elle y perd son existence. L’homme en est moins blessé parce qu’il reste ce qu’il est.

DXLVIII

Il avait, par grandeur d’âme, fait quelques pas vers la fortune, et par grandeur d’âme il la méprisa.

DXLIX

M…, vieux célibataire, disait plaisamment que le mariage est un état trop parfait pour l’imperfection de l’homme.

DL

Madame de Fourq… disait à une demoiselle de compagnie qu’elle avait : « Vous n’êtes jamais au fait des choses qu’il y a à me dire sur les circonstances où je me trouve, de ce qui convient à mon caractère, etc., par exemple dans quel tems il est très-vraisemblable que je perdrai mon mari. J’en serai inconsolable. Alors il faudra me dire, etc… »

DLI

M. d’Osmond jouait dans une société deux ou trois jours après la mort de sa femme, morte en province. « Mais, d’Osmond, lui dit quelqu’un, il n’est pas décent que tu joues le lendemain de la mort de ta femme. — Oh ! dit-il, la nouvelle ne m’en a pas encore été notifiée. — C’est égal, cela n’est pas bien. — Oh ! oh ! dit-il, je ne fais que carotter. »

DLII

« Un homme de lettres, disait Diderot, peut avoir une maîtresse qui fasse des livres ; mais il faut que sa femme fasse des chemises. »

DLIII

Un médecin avait conseillé un cautère à M. de ***. Celui-ci n’en voulut point. Quelques mois se passèrent, et la santé du malade revint. Le médecin, qui le rencontra, et le vit mieux portant, lui demanda quel remède il avait fait. « Aucun, lui dit le malade. J’ai fait bonne chère tout l’été ; j’ai une maîtresse, et je me suis réjoui. Mais voilà l’hiver qui approche : je crains le retour de l’humeur qui afflige mes yeux. Ne me conseillez-vous pas le cautère ? — Non, lui dit gravement le médecin ; vous avez une maîtresse : cela suffit. Il serait plus sage de la quitter et de mettre un cautère ; mais vous pouvez peut-être vous en passer, et je crois que ce cautère suffit. »

DLIV

Un homme d’une grande indifférence sur la vie disait en mourant : « Le docteur Bouvard sera bien attrapé. »

DLV

C’est une chose curieuse de voir l’empire de la Mode. M. de la Trémoille, séparé de sa femme, qu’il n’aimait ni n’estimait, apprend qu’elle a la petite vérole… Il s’enferme avec elle, prend la même maladie, meurt et lui laisse une grande fortune avec le droit de convoler.

DLVI

Il y a une modestie d’un mauvais genre, fondée sur l’ignorance, qui nuit quelquefois à certains caractères supérieurs, qui les retient dans une sorte de médiocrité : ce qui me rappelle le mot que disait à déjeuner à des gens de la Cour un homme d’un mérite reconnu : « Ah ! Messieurs, que je regrette le temps que j’ai perdu à apprendre combien je valais mieux que vous ! »

DLVII

Les conquérans passeront toujours pour les premiers des hommes, comme on dira toujours que le lion est le roi des animaux.

DLVIII

Le public ne croit point à la pureté de certaines vertus et de certains sentimens, et en général le public ne peut guère s’élever qu’à des idées basses[8].

DLIX

M…, ayant voyagé en Sicile, combattait le préjugé où l’on est que l’intérieur des terres est rempli de voleurs. Pour le prouver, il ajoutait que partout où il avait été, on lui avait dit : « Les brigands sont ailleurs. » M. de B…, misanthrope gai, lui dit : « Voilà, par exemple, ce qu’on ne vous dirait pas à Paris. »

DLX

On sait qu’il y a dans Paris des voleurs connus de la police, presque avoués par elle et qui sont à ses ordres, s’ils ne sont pas les délateurs de leurs camarades. Un jour, le Lieutenant de police en manda quelques-uns et leur dit : « Il a été volé tel effet, tel jour, en tel quartier. — Monsieur, à quelle heure ? — À deux heures après midi. — Monsieur, ce n’est pas nous, nous ne pouvons en répondre ; il faut que cela ait été volé par des FORAINS. »

DLXI

M… disait plaisamment qu’à Paris chaque honnête homme contribue à faire vivre les espions de police, comme Pope dit que les poètes nourrissent les critiques et les journalistes.

DLXII

Il était passionné et se croyait sage ; j’étais folle, mais je m’en doutais, et, sous ce point de vue, j’étais plus près que lui de la Sagesse.

DLXIII

C’est un proverbe turc que ce beau mot : « Ô malheur ! je te rends grâce, si tu es seul. »

DLXIV

Les Italiens disent : Sotto umbilico ne religione ne verità.

DLXV

Pour justifier la Providence, Saint Augustin dit qu’elle laisse le méchant sur la terre pour qu’il devienne bon, ou que le bon devienne meilleur par lui.

DLXVI

Les hommes sont si pervers que le seul espoir et même le seul désir de les corriger, de les voir raisonnables et honnêtes, est une absurdité, une idée romanesque qui ne se pardonne qu’à la simplicité de la première jeunesse.

DLXVII

« Je suis bien dégoûté des hommes », disait M. de L… — « Vous n’êtes pas dégoûté », lui dit M. de N…, non pour lui nier ce qu’il disait, mais par misanthropie, pour lui dire : votre goût est bon.

DLXVIII

M…, vieillard détrompé, me disait : « Le reste de ma vie me paraît une orange à demi-sucée, que je presse je ne sais pas pourquoi, et dont le suc ne vaut pas la peine que je l’exprime. »

DLXIX

Notre langue est, dit-on, amie de la clarté. C’est donc, observe M…, parce qu’on aime le plus ce dont on a le plus besoin ; car, si elle n’est maniée très adroitement, elle est toujours prête à tomber dans l’obscurité.

DLXX

Il faut que l’homme à imagination, que le poète, croie en Dieu :

Ab Jove principium Musis,

Ou :

Ab Jove Musarum primordia.
DLXXI

Les vers, disait M…, sont comme les olives, qui gagnent toujours à être pochetées.

DLXXII

Les sots, les ignorans, les gens malhonnêtes, vont prendre dans les livres des idées, de la raison, des sentimens nobles et élevés, comme une femme riche va chez un marchand d’étoffes s’assortir pour son argent.

DLXXIII

M…, disait que les érudits sont les paveurs du temple de la Gloire.

DLXXIV

M…, vrai pédant grec, à qui un fait moderne rappelle un trait d’antiquité. Vous lui parlez de l’abbé Terray, il vous cite Aristide, contrôleur général des Athéniens.

DLXXV

On offrait à un homme de lettres la collection du Mercure à trois sols le volume. « J’attends le rabais », répondit-il.

DLXXVI

M. de***, amoureux passionné, après avoir vécu plusieurs années dans l’indifférence, disait à ses amis, qui le plaisantaient sur sa vieillesse prématurée : « Vous prenez mal votre tems : j’étais bien vieux il y a quelques années, mais je suis bien jeune à présent. »

DLXXVII

La plupart des bienfaiteurs ressemblent à ces généraux maladroits qui prennent la ville et qui laissent la citadelle.

DLXXVIII

Un homme d’esprit, s’apercevant qu’il était persiflé par deux mauvais plaisans, leur dit : « Messieurs, vous vous trompez, je ne suis ni sot ni bête ; je suis entre deux. »

DLXXIX

Une femme laide qui se pare pour se trouver avec de jeunes et jolies femmes fait, en son genre, ce que font, dans une discussion, les gens qui craignent d’avoir le dessous : ils s’efforcent de changer habilement l’état de la question. Il s’agissait de savoir quelle était la plus belle : la laide veut qu’on demande quelle est la plus riche.

DLXXX

M. D… avait refusé les avances d’une jolie femme. Son mari le prit en haine comme s’il les eût acceptées, et on riait de M. D… qui disait : « Morbleu ! s’il savait du moins combien il est plaisant ! »

DLXXXI

Un homme connu pour avoir fermé les yeux sur les désordres de sa femme, et qui en avait tiré parti plusieurs fois pour sa fortune, montrait le plus grand chagrin de sa mort, et me dit gravement : « Je puis dire ce que Louis XVI disait à la mort de Marie-Thérèse : Voilà le premier chagrin qu’elle m’ait jamais donné. »

DLXXXII

Une jolie femme dont l’amant était maussade et avait des manières conjugales, lui dit : « Monsieur, apprenez que, quand vous êtes avec mon mari dans le monde, il est décent que vous soyez plus aimable que lui. »

DLXXXIII

Un médecin disait : « Il n’y a que les héritiers qui payent bien. »

DLXXXIV

Il y a une sorte de reconnaissance basse.

DLXXXV

Les vieillards, dans les capitales, sont plus corrompus que les jeunes gens. C’est là que la pourriture vient à la suite de la maturité.

DLXXXVI

Il n’est vertu que pauvreté ne gâte.

Ce n’est pas la faute du chat quand il prend le dîner de la servante.

DLXXXVII

M. D… L… vint conter à M. D… un procédé horrible qu’on avait eu pour lui, et ajoutait : « Que feriez-vous à ma place ? » Celui-ci, homme devenu indifférent à force d’avoir souffert des injustices, et égoïste par misanthropie, lui répondit froidement : « Moi, Monsieur ! dans ces cas-là je soigne mon estomac et je tiens ma langue vermeille. »

DLXXXVIII

Un docteur de Sorbonne, furieux contre le Système de la Nature, disait : « C’est un livre exécrable, abominable ; c’est l’athéisme démontré. »

DLXXXIX

Il en est des philosophes comme des moines, dont plusieurs le sont malgré eux et enragent toute leur vie. Quelques autres prennent patience ; un petit nombre enfin est heureux, se tait et ne cherche point à faire des prosélytes, tandis que ceux qui sont désespérés de leur engagement cherchent à racoler des novices.

DXC

Il y a des gens qui mettent leurs livres dans leur bibliothèque, mais M… met sa bibliothèque dans ses livres. (Dit d’un faiseur de livres faits.)

DXCI

Une petite fille disait à M…, auteur d’un livre sur l’Italie : « Monsieur, vous avez fait un livre sur l’Italie ? — Oui, Mademoiselle. — Y avez-vous été ? — Certainement. — Est-ce avant ou après votre voyage que vous avez fait votre livre ? »

DXCII

M…, à qui on demandait fréquemment la lecture de ses vers, et qui s’en impatientait, disait qu’en commençant cette lecture il se rappelait toujours ce qu’un charlatan du Pont Neuf disait à son singe en commençant ses jeux : « Allons, mon cher Bertrand, il n’est pas question ici de s’amuser. Il nous faut divertir l’honorable compagnie. »

DXCIII

Il y a une mélancolie qui tient à la grandeur de l’esprit.

DXCIV

Un curé de campagne dit au prône à ses paroissiens : « Messieurs, priez Dieu pour le possesseur de ce château, mort à Paris de ses blessures. » (Il avait été roué.)

DXCV

On disait de M… qu’il tenait d’autant plus à un grand seigneur qu’il avait fait plus de bassesses pour lui. C’est comme le lierre qui s’attache en rampant.

DXCVI

Un homme fort riche disait en parlant des pauvres : « On a beau ne leur rien donner, ces drôles-là demandent toujours. » Plus d’un prince pourrait dire cela de ses courtisans.

DXCVII

Un provincial, à la Messe du Roi, pressait de questions son voisin : « Quelle est cette dame ? — C’est la reine. — Celle-ci ? — Madame. — Celle-là, là ? — La comtesse d’Artois. — Cette autre ? » L’habitant de Versailles, impatienté, lui répondit : « C’est la feue reine. »

DXCVIII

À l’époque de l’Assemblée des Notables (1787), lorsqu’il fut question du pouvoir qu’il fallait accorder aux intendans dans les assemblées provinciales, un certain personnage important leur était très favorable. On en parla à un homme d’esprit lié avec lui. Celui-ci promit de le faire changer d’opinion, et il y réussit. On lui demanda comment il s’y était pris ; il répondit : « Je n’ai point insisté sur les abus tyranniques de l’influence des intendans ; mais vous savez qu’il est très entêté de noblesse, et je lui ai dit que de fort bons gentilshommes étaient obligés de les appeler : Monseigneur. Il a senti que cela était énorme, et c’est ce qui l’a amené à notre avis. »

DXCIX

Définition d’un Gouvernement despotique : un ordre de choses où le supérieur est vil et l’inférieur avili.

DC

Les ministres ont amené la destruction de l’autorité royale, comme le prêtre celle de la Religion. Dieu et le Roi ont porté la peine des sottises de leurs valets.

DCI

Un homme disait naïvement à un de ses amis : « Nous avons, ce matin, condamné trois hommes à mort. Il y en avait deux qui le méritaient bien. »

DCII

« On dit la puissance spirituelle, disait M…, par opposition à la puissance bête. Spirituelle, parce qu’elle a eu l’esprit de s’emparer de l’autorité. »

PETITS DIALOGUES PHILOSOPHIQUES

Sur les LXXIII Dialogues philosophiques qui constituent cette partie du présent ouvrage, les quarante-neuf premiers sont extraits du tome III, de l’édition originale ; les vingt-quatre autres (L à LXXIII) ont été publiés pour la première fois par M. de Lescure, dans son édition des Œuvres choisies de Chamfort, t. II.

Nous en donnons la réimpression fidèle.

N. D. É.
I

A. — Comment avez-vous fait pour n’être plus sensible ?

B. — Cela s’est fait par degrés.

A. — Comment ?

B. — Dieu m’a fait la grâce de n’être plus aimable ; je m’en suis aperçu, et le reste a été tout seul.

II

A. — Vous ne voyez plus M… ?

B. — Non, il n’est plus possible.

A. — Comment ?

B. — Je l’ai vu, tant qu’il n’était que de mauvaises mœurs, mais depuis qu’il est de mauvaise compagnie, il n’y a pas moyen.

III

A. — Je suis brouillé avec elle.

B. — Pourquoi ?

A. — J’en ai dit du mal.

B. — Je me charge de vous raccommoder ; quel mal en avez-vous dit ?

A. — Qu’elle est coquette.

B. — Je vous réconcilie.

A. — Qu’elle n’est pas belle.

B. — Je ne m’en mêle plus.

IV

A. — Croiriez-vous que j’ai vu Madame de… pleurer son ami, en présence de quinze personnes ?

B. — Quand je vous disais que c’était une femme qui réussirait à tout ce qu’elle voudrait entreprendre.

V

A. — Vous marierez-vous ?

B. — Non.

A. — Pourquoi ?

B. — Parce que je serais chagrin.

A. — Pourquoi ?

B. — Parce que je serais jaloux ?

A. — Et pourquoi seriez-vous jaloux ?

B. — Parce que je serais cocu.

A. — Qui vous a dit que vous seriez cocu ?

B. — Je serais cocu, parce que je le mériterais.

A. — Et pourquoi le mériteriez-vous ?

B. — Parce que je me serais marié.

VI

Le Cuisinier. — Je n’ai pu acheter ce saumon.

Le Docteur de Sorbonne. — Pourquoi ?

Le C. — Un Conseiller le marchandait.

Le D. — Prends ces cent écus ; et va m’acheter le saumon et le conseiller.

VII

A. — Vous êtes bien au fait des intrigues de nos ministres !

B. — C’est que j’ai vécu avec eux.

A. — Vous vous en êtes bien trouvé, j’espère.

B. — Point du tout. Ce sont des joueurs qui m’ont montré leurs cartes, qui ont même, en ma présence, regardé dans le talon, mais qui n’ont point partagé avec moi les profits du gain de la partie.

VIII

Le Vieillard. — Vous êtes misanthrope de bien bonne heure. Quel âge avez-vous ?

Le Jeune Homme. — Vingt-cinq ans.

Le V. — Comptez-vous vivre plus de cent ans ?

Le J.H. — Pas tout à fait.

Le V. — Croyez-vous que les hommes seront corrigés dans soixante-quinze ans ?

Le J.H. — Cela serait absurde à croire.

Le V. — Il faut que vous le pensiez pourtant, puisque vous vous emportez contre leurs vices… Encore cela ne serait-il pas raisonnable, quand ils seraient corrigés d’ici à soixante-quinze ans ; car il ne vous resterait plus de tems pour jouir de la réforme que vous auriez opérée.

Le J.H. — Votre remarque mérite quelque considération : j’y penserai.

IX

A. — Il a cherché à vous humilier.

B. — Celui qui ne peut être honoré que par lui-même, n’est guère humilié par personne.

X

A. — La femme qu’on me propose n’est pas riche.

B. — Vous l’êtes.

A. — Je veux une femme qui le soit. Il faut bien s’assortir.

XI

A. — Je l’ai aimée à la folie ; j’ai cru que j’en mourrais de chagrin.

B. — Mourir de chagrin ! mais vous l’avez eue ?

A. — Oui.

B. — Elle vous aimait ?

A. — À la fureur, et elle a pensé en mourir aussi.

B. — Eh bien ! comment donc pouviez-vous mourir de chagrin ?

A. — Elle voulait que je l’épousasse.

B. — Eh bien ! Une jeune femme belle et riche, qui vous aimait, dont vous étiez fou.

A. — Cela est vrai, mais épouser, épouser ! Dieu merci, j’en suis quitte à bon marché.

XII

A. — La place est honnête.

B. — Vous voulez dire lucrative.

A. — Honnête ou lucratif, c’est tout un.

XIII

A. — Ces deux femmes sont fort amies, je crois.

B. — Amies ! là… vraiment ?

A. — Je le crois, vous dis-je ; elles passent leur vie ensemble ; au surplus, je ne vis pas assez dans leur société pour savoir si elles s’aiment ou se haïssent.

XIV

A. — M. de R… parle mal de vous.

B. — Dieu a mis le contrepoison de ce qu’il peut dire, dans l’opinion qu’on a de ce qu’il peut faire.

XV

A. — Vous connaissez M. le comte de… ; est-il aimable ?

B. — Non. C’est un homme plein de noblesse, d’élévation, d’esprit, de connaissances : voilà tout.

XVI

A. — Je lui ferais du mal volontiers.

B. — Mais il ne vous en a jamais fait.

A. — Il faut bien que quelqu’un commence.

XVII

Damon. — Clitandre est plus jeune que son âge. Il est trop exalté. Les maux publics, les torts de la Société, tout l’irrite et le révolte.

Célimène. — Oh ! il est jeune encore, mais il a un bon esprit ; il finira par se faire vingt mille livres de rente, et prendre son parti sur tout le reste.

XVIII

A. — Il paraît que tout le mal dit par vous sur Madame de… n’est que pour vous conformer au bruit public, car il me semble que vous ne la connaissez point.

B. — Moi, point du tout.

XIX

A. — Pouvez-vous me faire le plaisir de me montrer le portrait en vers que vous avez fait de Madame de… ?

B. — Par le plus grand hasard du monde, je l’ai sur moi.

A. — C’est pour cela que je vous le demande.

XX

Damon. — Vous me paraissez bien revenu des femmes, bien désintéressé à leur égard.

Clitandre. — Si bien que, pour peu de chose, je vous dirais ce que je pense d’elles.

Dam. — Dites-le-moi.

Clit. — Un moment. Je veux attendre encore quelques années. C’est le parti le plus prudent.

XXI

A. — J’ai fait comme les gens sages, quand ils font une sottise.

B. — Que font-ils ?

A. — Ils remettent la sagesse à une autre fois.

XXII

A. — Voilà quinze jours que nous perdons. Il faut pourtant nous remettre.

B. — Oui, dès la semaine prochaine.

A. — Quoi ! sitôt ?

XXIII

A. — On a dénoncé à M. le Garde des Sceaux une phrase de M. de L…

B. — Comment retient-on une phrase de L… ?

A. — Un espion !

XXIV

A. — Il faut vivre avec les vivans.

B. — Cela n’est pas vrai ; il faut vivre avec les morts[9].

XXV

A. — Non, Monsieur, votre droit n’est point d’être enterré dans cette chapelle.

B. — C’est mon droit ; cette chapelle a été bâtie par mes ancêtres.

A. — Oui, mais, il y a eu depuis une transaction qui ordonne qu’après Monsieur votre père qui est mort, ce soit mon tour.

B. — Non, je n’y consentirai pas. J’ai le droit d’y être enterré, d’y être enterré tout à l’heure.

XXVI

A. — Monsieur, je suis un pauvre comédien de province qui veut rejoindre sa troupe : je n’ai pas de quoi…

B. — Vieille ruse, Monsieur, il n’y a point là d’invention, point de talent.

A. — Monsieur, je venais sur votre réputation…

B. — Je n’ai point de réputation, et ne veux point en avoir.

A. — Ah ! Monsieur !

B. — Au surplus, vous voyez à quoi elle sert, et ce qu’elle rapporte.

XXVII

A. — Vous aimez Mademoiselle…, elle sera une riche héritière.

B. — Je l’ignorais : je croyais seulement qu’elle serait un riche héritage.

XXVIII

Le Notaire. — Fort bien, Monsieur, dix mille écus de legs ; ensuite ?

Le Mourant. — Deux mille écus au notaire.

Le N. — Monsieur, mais où prendra-t-on l’argent de tous ces legs ?

Le M. — Eh ! mais vraiment, voilà ce qui m’embarrasse.

XXIX

A. — Madame…, jeune encore, avait épousé un homme de soixante-dix-huit ans qui lui fit cinq enfans.

B. — Ils n’étaient peut-être pas de lui.

A. — Je crois qu’ils en étaient, et je l’ai jugé à la haine que la mère avait pour eux.

XXX

La Bonne à l’Enfant. — Cela vous a-t-il amusée ou ennuyée ?

Le Père. — Quelle étrange question ! Plus de simplicité. Ma petite ?

La Petite Fille. — Papa ? Le Père. — Quand tu es revenue de cette maison-là, quelle était ta sensation ?

XXXI

A. — Connaissez-vous Madame de B… ?

B. — Non.

A. — Mais vous l’avez vue souvent.

B. — Beaucoup.

A. — Eh bien ?

B. — Je ne l’ai pas étudiée.

A. — J’entends.

XXXII

Clitandre. — Mariez-vous.

Damis. — Moi, point du tout ; je suis bien avec moi, je me conviens, et je me suffis. Je n’aime point, je ne suis point aimé. Vous voyez que c’est comme si j’étais en ménage, ayant maison et vingt-cinq personnes à souper tous les jours.

XXXIII

A. — M. de… vous trouve une conversation charmante[10].

B. — Je ne dois pas mon succès à mon partenaire, lorsque je cause avec lui.

XXXIV

A. — Concevez-vous, M…, comme il a été peu étonné d’une infamie qui nous a confondus !

B. — Il n’est pas plus étonné des vices d’autrui que des siens.

XXXV

A. — Jamais la Cour n’a été si ennemie des gens d’esprit.

B. — Je le crois, jamais elle n’a été plus sotte, et quand les deux extrêmes s’éloignent, le rapprochement est plus difficile.

XXXVI

Dam. — Vous marierez-vous ?

Clit. — Quand je songe que, pour me marier, il faudrait que j’aimasse, il me paraît, non pas impossible, mais difficile, que je me marie ; mais quand je songe qu’il faudrait que j’aimasse et que je fusse aimé, alors, je crois qu’il est impossible que je me marie.

XXXVII

Dam. — Pourquoi n’avez-vous rien dit quand on a parlé de M… ?

Clit. — Parce que j’aime mieux que l’on calomnie mon silence que mes paroles.

XXXVIII

Madame de… — Qui est-ce qui vient vers nous ?

M. de C… — C’est Madame de Ber…

Madame de… — Est-ce que vous la connaissez ?

M. de C… — Comment ? vous ne vous souvenez donc pas du mal que nous en avons dit hier !

XXXIX

A. — Ne pensez-vous pas que le changement arrivé dans la Constitution sera nuisible aux Beaux-Arts ?

B. — Au contraire. Il donnera aux âmes, aux génies, un caractère plus ferme, plus noble, plus imposant. Il nous restera le goût, fruit des beaux ouvrages du siècle de Louis XIV, qui, se mêlant à l’énergie nouvelle qu’aura prise l’esprit national, nous fera sortir du cercle des petites conventions qui avaient gêné son essor.

XL

A. — Détournez la tête. Voilà M. de L…

B. — N’ayez pas peur : il a la vue basse.

A. — Ah ! Que vous me faites de plaisir ! Moi, j’ai la vue longue, et je vous jure que nous ne nous rencontrerons jamais.

XLI
SUR UN HOMME SANS CARACTÈRE.

Dor. — Il aime beaucoup M. de B…

Philinte. — D’où le sait-il ? qui lui a dit cela ?

XLII
DE DEUX COURTISANS.

A. — Il y a longtemps que vous n’avez vu M. Turgot ?

B. — Oui.

A. — Depuis sa disgrâce, par exemple.

B. — Je le crois : j’ai peur que ma présence ne lui rappelle l’heureux tems où nous nous rencontrions tous les jours chez le Roi.

XLIII
DU ROI DE PRUSSE ET DE DARGET.

Le Roi. — Allons, Darget, divertis-moi : conte-moi l’étiquette du Roi de France : commence par son lever.

Alors, Darget entre dans tout le détail de ce qui se fait, dénombre les officiers, les valets de chambre, leurs fonctions, etc.

Le Roi (en éclatant de rire). — Ah ! grand Dieu ! si j’étais Roi de France, je ferais un autre roi pour faire toutes ces choses-là à ma place.

XLIV
DE L’EMPEREUR ET DU ROI DE NAPLES.

Le Roi. — Jamais éducation ne fut plus négligée que la mienne.

L’Empereur. — Comment ? (à part.) Cet homme vaut quelque chose.

Le Roi. — Figurez-vous qu’à vingt ans je ne savais pas faire une fricassée de poulet ; et le peu de cuisine que je sais, c’est moi qui me le suis donné.

XLV
ENTRE MADAME DE B… ET M. DE L…

M. de L… — C’est une plaisante idée, de nous faire dîner tous ensemble. Nous étions sept, sans compter votre mari.

Madame de B… — J’ai voulu rassembler tout ce que j’ai aimé, tout ce que j’aime encore d’une manière différente, et qui me le rend. Cela prouve qu’il y a encore des mœurs en France ; car je n’ai eu à me plaindre de personne, et j’ai été fidèle à chacun pendant son règne.

M. de L… — Cela est vrai ; il n’y a que votre mari qui, à toute force, pourrait se plaindre.

Madame de B… — J’ai bien plus à me plaindre de lui, qui m’a épousée sans que je l’aimasse.

M. de L… — Cela est juste. À propos ; mais un tel, vous ne me l’avez point avoué : est-ce avant ou après moi ?

Madame de B… — C’est avant ; je n’ai jamais osé vous le dire ; j’étais si jeune quand vous m’avez eue !

M. de L… — Une chose m’a surpris.

Madame de B… — Qu’est-ce ?

M. de L… — Pourquoi n’aviez-vous pas prié le chevalier de S… ? Il nous manquait.

Madame de B… — J’en ai été bien fâchée. Il est parti il y a un mois, pour l’Isle de France.

M. de L… — Ce sera pour son retour.

XLVI
ENTRE MADAME DE L… ET M. DE B…

M. de B… — Ah ! ma chère amie, nous sommes perdus : votre mari sait tout.

Madame de L… — Comment ? Quelque lettre surprise.

M. de B… — Point du tout.

Madame de L… — Une indiscrétion ? Une méchanceté de quelques-uns de nos amis ?

M. de B… — Non.

Madame de L… — Eh bien ! quoi, qu’est-ce ?

M. de B… — Votre mari est venu ce matin m’emprunter cinquante louis.

Madame de L… — Les lui avez-vous prêtés ?

M. de B… — Sur-le-champ.

Madame de L… — Oh bien ! il n’y a pas de mal ; il ne sait plus rien.

XLVII
ENTRE QUELQUES PERSONNES, APRÈS LA PREMIÈRE REPRÉSENTATION DE L’OPÉRA DES DANAÏDES PAR LE BARON DE TSCHOUDY.

A. — Il y a dans cet opéra quatre-vingt-dix-huit morts.

B. — Comment ?

C. — Oui. Toutes les filles de Danaüs, hors Hypermnestre ; et tous les fils d’Egyptus, hors Lyncée.

D. — Cela fait bien quatre-vingt-dix-huit morts.

E., Médecin de profession. — Cela fait bien des morts ; mais il y a en effet bien des épidémies.

F., Prêtre de son métier. — Dites-moi un peu ; dans quelle paroisse cette épidémie s’est-elle déclarée ? Cela a dû rapporter beaucoup au curé.

XLVIII
ENTRE D’ALEMBERT ET UN SUISSE DE PORTE.

Le Suisse. — Monsieur, où allez-vous ?

D’Alembert. — Chez M. de…

Le S. — Pourquoi ne me parlez-vous pas ?

D’Al. — Mon ami, on s’adresse à vous pour savoir si votre maître est chez lui.

Le S. — Eh bien, donc ?

D’Al. — Je sais qu’il y est, puisqu’il m’a donné rendez-vous.

Le S. — Cela est égal ; on parle toujours. Si on ne me parle pas, je ne suis rien.

XLIX
ENTRE LE NONCE PAMPHILI ET SON SECRÉTAIRE.

Le Nonce. — Qu’est-ce qu’on dit de moi dans le monde ?

Le Secrétaire. — On vous accuse d’avoir empoisonné un tel, votre parent, pour avoir sa succession.

Le N. — Je l’ai fait empoisonner, mais pour une autre raison. Après ?

Le S. — D’avoir assassiné la Signora… pour vous avoir trompé.

Le N. — Point du tout ; c’est parce que je craignais pour un secret que je lui avais confié. Ensuite ?

Le S. — D’avoir donné la… à un de vos pages.

Le N. — Tout le contraire ; c’est lui qui me l’a donnée. Est-ce là tout ?

Le S. — On vous accuse de faire le bel esprit ; de n’être point l’auteur de votre dernier sonnet.

Le N.Cazzo ! Coquin ; sors de ma présence.

L

A. — Je n’en sais rien ; mais on le dit, et je le crois.

B. — Vous commencez par croire, et c’est peut-être ce que n’ont pas fait ceux qui ont mis ce bruit-là dans le monde.

LI

A. — Vous m’aviez dit que c’était un honnête homme.

B. — Non ; je vous ai dit que c’était un assez honnête homme.

LII

A. — Vous m’avez accusé de malhonnêteté !

B. — Cela n’est pas vrai. Au surplus, quel mal cela vous fait-il ? On sait bien que l’on n’est pas pendu pour être malhonnête.

LIII

A. — Il n’a pu vous voir ; il a eu des affaires.

B. — Je le crois : comme il n’en finit aucune, il ne saurait manquer d’en avoir toujours beaucoup.

LIV

Dovincourt. — Je le lui ferai entendre à lui-même ; je lui dirai : Monsieur…

Aramont. — Si vous lui disiez Monsieur, toute conversation finirait, car il n’aime à être appelé que Monseigneur.

LV
ENTRE UN MAÎTRE ET SON VALET.

Le Maître. — Coquin, depuis que ta femme est morte, je m’aperçois que tu t’enivres tous les jours. Tu ne t’enivrais autrefois que deux ou trois fois par semaine. Je veux que tu te remaries dès demain.

Le Valet. — Ah ! Monsieur, laissez quelques jours à ma douleur !

LVI

— Je suppose, Monsieur, que vous me devez dix mille écus.

— Monsieur, prenez, je vous prie, une autre hypothèse.

LVII
D’UN HOMME BROUILLÉ AVEC UN ANCIEN AMI.

A. — Je vous parle de M. de L…

B. — Je ne le connais pas.

A. — Que me dites-vous là ? Je vous ai vus très bien.

B. — Je croyais le connaître.

LVIII

B. — Ne trouvez-vous pas M… très aimable ?

C. — Pas autrement.

B. — Cela est extraordinaire.

C. — Il l’est davantage que vous le trouviez tel.

B. — Je n’en reviens pas. Vous ne l’avez peut-être jamais vu que chez lui ; il faut le voir dans les maisons où il est à son aise. (C’était un homme que sa femme maîtrisait au point de l’empêcher de parler.)

LIX

A. — Cet homme a-t-il de l’esprit ? (Il parlait).

B. — Vous ressemblez aux gens qui demandent l’heure qu’il est tandis que la pendule sonne.

LX

A. — Vous avez trop mauvaise opinion des hommes : il se fait beaucoup de bien.

B. — Le diable ne peut pas être partout.

LXI

A. — N’auriez-vous pas besoin d’argent ?

B. — Toujours.

LXII

Mademoiselle ***. — Je lui ai confié notre amour ; je lui ai tout dit.

B. — Comment avez-vous tourné cela ?

Mademoiselle. — Je lui ai prononcé votre nom.

LXIII

A. — On dit que vous voulez épouser Mademoiselle ***.

B. — Non. Quel étrange propos !

A. — Pourquoi pas ?

B. — Le nœud est trop fort pour l’intrigue.

LXIV

Cléon. — Je ne vous vois pas. C’est que votre mari n’est pas fait comme un autre homme.

Céphise. — Il croit par là éviter de ressembler à tous les maris.

LXV

A. — Madame de*** vous trouve très-aimable.

B. — J’ai cela de bon que je fais peu de cas de mes succès.

LXVI

Cidalise. — Vous aimez ma sœur : elle n’a pourtant pas d’esprit.

Dorise. — Cela est vrai, et je ne m’en pique point.

Damon. — Vous avez plus d’esprit que moi : car sans m’aimer vous avez l’esprit de me plaire, et moi je n’ai pas celui de vous plaire en vous aimant.

LXVII

A. — Si vous faites cela, je ne vous le pardonnerai jamais.

B. — Parbleu ! c’est bien ce que j’espère.

LXVIII

A. — Je dois me défier de tout le monde, à ce qu’il prétend.

B. — Eh bien ?

A. — Je fais ce qu’il ordonne, à commencer par lui.

LXIX

A. — Vous avez beaucoup à vous plaindre de son ingratitude.

B. — Pensez-vous que lorsque je fais le bien je n’aie pas l’esprit de le faire pour moi ?

LXX

Céline. — Il ne m’aime pas.

Damon. — Comment vous aimerait-il ? vous réunissez presque toutes les perfections.

Céline. — Eh bien ?

Damon. — L’amour aime qu’elles soient son ouvrage. Il n’a rien à parer chez vous. Son imagination ne peut ni créer ni embellir. Elle reste en repos.

LXXI

Chloé. — Madame, n’avez-vous jamais été jeune ?

Artémise. — Jamais tant que vous, Madame.

LXXII

A. — Il faut le quitter.

B. — Le quitter ! Plutôt la mort !… Que me conseillez-vous ?

LXXIII

Damon (au bal, à Églé sous le masque). — Êtes-vous jolie ?

Églé. — Je l’espère.


QUESTION


SI, DANS LA SOCIÉTÉ,
UN HOMME DOIT OU PEUT LAISSER PRENDRE SUR LUI
CES DROITS QUI SOUVENT HUMILIENT L’AMOUR-PROPRE ?


Cette question est plus difficile à résoudre qu’elle ne le paraît d’abord. Ceux qui sont pour l’affirmative prétendent que l’amitié véritable est un contrat par lequel chacune des parties consacre à l’autre toute son existence. Ils disent que, si l’amitié ne laisse pas le droit de donner des secours à son ami, ou d’en recevoir, elle est une chimère ridicule ; que son principal bonheur consiste à lever ou déchirer ce voile de décence que les hommes ont jeté sur leurs besoins, pour se dispenser de se secourir, en continuant de se prodiguer les marques de l’affection la plus vive ; que c’est celui qui donne, qui est honoré et obligé, etc.

Ceux qui sont pour la négative me paraissent appuyer leur opinion par des raisons plus solides. Ils disent que l’amitié étant une union pure des âmes, elle ne doit pas se laisser soupçonner d’un autre motif. On peut appliquer cette réflexion à l’amour même. En tout état de cause, on fait toujours très-bien de ne donner que le moins qu’on peut atteinte à cette règle. Celui qui reçoit n’accepte sûrement que parce qu’il respecte l’âme de celui qui donne : mais d’où sait-il que cette âme ne se dégradera point ? et alors quel désespoir de lui avoir obligation ! D’où sait-il que cette âme, en supposant qu’elle reste noble, ne cessera point de l’aimer, voudra bien ne jamais se prévaloir de ses avantages ? Quelle âme il faut avoir pour laisser à celle d’un autre la liberté de tous ses mouvemens, tandis que je pourrais les contraindre et les diriger vers mon bonheur apparent ! Ce sacrifice continuel de mon intérêt est peut-être plus difficile que le sacrifice momentané de ma personne, et le bienfaiteur qui en est capable a nécessairement l’avantage sur celui qu’il a obligé, en leur supposant d’ailleurs une égale élévation dans le caractère. Or, j’ai peine à croire que l’homme puisse supporter l’idée de la supériorité d’une âme sur la sienne. J’en juge par la peine avec laquelle les âmes les plus fortes voient une supériorité fondée sur des choses moins essentielles. Il suit, au moins, de tout ceci que, dès que je reçois un bienfait, je m’engage, pour mon bienfaiteur, qu’il sera toujours vertueux, qu’il n’aura jamais tort avec moi, qu’il ne cessera point de m’aimer, ni moi de lui être attaché. Si les deux premières de ces conditions n’ont pas lieu, c’est au bienfaiteur à rougir, mais celui qui a reçu le bienfait doit pleurer.


QU’EST-CE QUE LA PHILOSOPHIE ?















QU’EST-CE QUE LA PHILOSOPHIE ?




Hatimthai se dit un jour : Je veux être heureux ; l’esprit et la vertu procurent seuls des plaisirs purs et durables.

Il ouvrit son salon aux hommes de lettres ; il nourrit tous les pauvres à sa porte ; on voyait chaque jour la nombreuse population, qui n’a pas le nécessaire parce que d’autres ont le superflu, se presser aux heures des repas sur le seuil de son palais ; et chaque jour il avait à sa table les hommes d’esprit les plus distingués de l’empire. Outre les festins qu’ils y trouvaient avec plaisir, ils recevaient de lui des présens à chaque ouvrage qu’ils lui dédiaient, et presque à chaque lecture qu’ils faisaient devant ses sociétés habituelles.

Cependant, en un moment de réflexion, il remarqua que Saphar ne s’était jamais présenté chez lui : Saphar, qui a écrit la Chronique de l’Empire, qui a publié le plus savant ouvrage de métaphysique, et qui a dédié aux dames son poème du Jardin des Roses. Cet homme universel vit solitaire ; la promenade au fond des forêts est son seul délassement ; et il a soin de se cacher dans l’épaisseur des taillis, quand la chasse vient de son côté.

Hatimthai ne l’a jamais vu. On cherche toujours la nouveauté, avec une curiosité qui procure une émotion vive et agréable. Il veut absolument interroger ce philosophe ; et il ordonne une chasse au cerf, dont le seul objet est d’entourer et de prendre l’homme de lettres le plus sauvage du monde.

Le projet s’accomplit ; Hatimthai est en face de Saphar :

— Pourquoi ne t’ai-je jamais vu ?

— Parce que ni toi ni moi n’avons besoin de nous voir.

— Me dédaignes-tu ?

— Je te loue de faire le bonheur des autres.

— Qui t’empêche d’y prendre ta part ?

— Parce que ce qui fait leur bonheur, ne ferait pas le mien.

— Aimes-tu mieux ta vie misérable ?

— Sans doute. Mon père est pauvre, je ne veux recevoir de lui que peu de chose, mais ce peu me suffit. Je n’ai donc pas besoin que tu me donnes davantage.

— Quelle vertu ! se dit Hatimthai, en se retirant.

Avant de rentrer dans son palais, il aperçoit Gemmade, qui portait avec peine un lourd fagot sur ses épaules.

— Pourquoi te fatigues-tu, lui dit-il, au lieu d’aller recevoir ta nourriture à la porte d’Hatimthai ?

Gemmade lui répondit :

— Parce que celui qui sait se suffire à soi-même ne veut rien devoir à Hatimthai.

Celui-ci réfléchit :

— Quelle noblesse, dit-il, dans un si pauvre homme. Et quoi ! n’aurais-je à ma porte, et même dans mon salon, que les deux parties les plus viles de l’espèce humaine ? et ceux qui ont un peu de vertu ou de fierté rougiraient-ils d’accepter mes bienfaits ?

Mais ceci, me dira-t-on, est le pont aux ânes ; c’est ce qui a été dit partout. On a prouvé mille fois que la philosophie rendait un homme heureux dans la solitude, et qu’elle lui faisait dédaigner ces joies du monde qui ne satisfont ni l’âme ni le cœur. Serait-ce donc là le seul bienfait de la philosophie ? Rousseau a-t-il raison ?

Hatimthai, en rentrant au palais, traverse la foule des pauvres vivant des restes de ses festins. Il voit entre autres Zilcadé, ce jeune paresseux, qui court devant ses pas en semant des roses sur la terre, et qui est toujours le premier à crier : Vive Hatimthai !

— Tu es bien brillant de santé, lui dit-il.

— C’est que les carcasses de tes faisans sont depuis quelque temps plus grasses et plus succulentes encore.

— Tes bras sont nerveux.

— Parce que mon estomac leur donne de la force et que je les exerce peu.

— Ton dos n’est pas voûté par les travaux.

— Depuis qu’Hatimthai me nourrit, je ne me fatigue jamais.

— De tout cela, je conclus que tu pourrais porter des fagots.

— Sans doute, et je serais alors inutile à la société.

Hatimthai est tout à coup saisi d’étonnement.

— Sache, ajoute Zilcadé, quelle est ma philosophie. Il plaît à la vanité d’Hatimthai d’avoir des pauvres à sa porte ; il est peut-être orgueilleux et peut-être heureux seulement de sa bienfaisance. Que m’importe ? Je reçois ses dons, qui m’évitent les maux de la vie et me laissent du tems libre que j’emploie à faire autant de bien que lui.

Hatimthai est encore plus étonné.

— Sans doute, ajoute Zilcadé, quand j’ai reçu à ta porte le déjeuner du matin, je me sens fort et bien portant. Je vais chez cette pauvre et faible Rhège, qui demeure au bord du fleuve, et qui a six enfans en bas âge. C’est moi qui jette et qui attache ses filets ; et après le repas du soir, je vais les retirer. Le poisson qu’elle recueille ainsi lui suffit pour nourrir sa famille. Dans le cours de la journée, je me promène au marché sans rien faire, mais j’y vois le prix de chaque denrée, et je vais en rendre compte à nos riches marchands, qui évitent ainsi de se déranger de leur commerce. Très souvent je découvre des tromperies dont je préviens les acheteurs ; et souvent aussi je donne de bons conseils aux hommes des campagnes, pour qu’ils nous fournissent les marchandises qui se vendront le mieux. On peut être utile sans travailler ; et pourrais-je rendre de tels services si j’étais occupé tout le jour à couper du bois pour chauffer mon potage ?

Hatimthai ne répondit pas ; et, à peine rentré dans son palais, il trouva, à la porte de son sérail, la jolie Fatmé qui l’attendait pour recevoir ses ordres ; et, dans son salon, le vif, l’ingénieux Ricca, qui était arrivé déjà pour le repas du milieu du jour ; car Fatmé, en se retirant, devait avoir, peu d’heures après, un concert et un bal avec ses compagnes ; et elle était pressée de passer à sa toilette, pour paraître toujours la plus belle.

Hatimthai pensait encore aux diverses réponses qu’il avait entendues ; il s’arrêta un moment près de Fatmé, et l’interrogea de manière à ce qu’elle lui prouvât bien vite l’utilité dont elle était dans ce monde.

— Hatimthai, lui dit-elle, il y a près d’ici une pauvre mère de famille, qui a besoin de tes secours : elle veut te vendre une parure de perles les plus fines et les plus égales ; elle est réduite à s’en défaire, et tu ne me la refuseras pas. Je te demande encore quelques-uns de ces jolis oiseaux que vend ce pauvre mollah ; et souviens-toi aussi de nos nouvelles danses. Rhédi, qui les invente, n’a que cela pour vivre. Voilà quels sont aujourd’hui mes caprices ; tu vois qu’ils feront des heureux.

Hatimthai se retire, et appelle Ricca. C’est le poète de ses spectacles ; les opéras qu’il compose sont brillans d’esprit dans le dialogue, de féerie dans l’action, et de magie dans les décorations. Ils excitent la surprise au plus haut degré.

— Ricca, lui dit Hatimthai, j’ai vu Saphar ; il est heureux à lui seul : c’est le philosophe le plus sage.

— T’a-t-il dit, répond Ricca, ce que son père est devenu ?

— Non, mais il lui coûte peu de chose.

— Il est vrai ; toutefois son père était un des riches marchands de ton empire ; devenu vieux et aveugle, il avait compté sur son fils pour tenir ses livres, régler ses paiemens et défendre ses intérêts. Lorsque Saphar se mit à composer dans les forêts, son père fut obligé de prendre un commis à sa place. Il en eut un infidèle, qui l’a trompé ; et il ne s’en est aperçu que lorsque sa ruine a été complète. Il a abandonné ses biens qui n’ont pas suffi au paiement de ses créanciers ; il est aujourd’hui commis lui-même chez un de ses anciens amis ; et le peu qu’il donne à son fils lui est plus onéreux que le plus brillant état qu’il eût donné chez lui autrefois.

— Hatimthai, ajoute Ricca, je suis plus philosophe que Saphar ; il vit dans les bois ; il n’a de relations qu’avec lui-même ; il n’entre pas dans les ambitions, et il évite, j’en conviens, tous les vices de la société ; mais il n’est utile à personne. La malheureuse Zilia tirait avec peine quelques grains de blé de son jardin ; je lui ai enseigné une nouvelle manière de cultiver les roses ; et elle en récolte maintenant une si grande abondance, qu’elle s’est enrichie avec l’essence qu’elle vend, et m’en donne, sans se faire tort, pour verser à flots sur les habits d’Hatimthai. Le malheureux Calva, qui publie chaque jour les ordres et rend compte des plaisirs d’Hatimthai, était tombé dans la misère, parce qu’il avait imprimé les œuvres des écrivains médiocres que le public dédaigne ; je consacre quelques heures par jour à lire les manuscrits qu’on lui porte ; et il nourrit à présent sa famille avec le produit des bons ouvrages que je lui conseille de publier. Je ne pourrais pas rendre de tels services si j’étais forcé de m’occuper de moi-même. Mais Hatimthai, que j’amuse, doit en échange me nourrir grassement ; moi, j’enrichis Calva, parce que j’en tire à mon tour l’avantage de lui faire imprimer mes poésies, et j’ai acquis ainsi une réputation qui satisfait mon amour-propre.

— Ô Hatimthai ! ajoute Ricca, le vrai philosophe est un ministre d’Oromaze[11] dans l’état social.


NOTES ET VARIANTES



Page XII. Note, ligne 4 : « La première partie de ces Notes et Anecdotes… figure également dans l’édition des Œuvres complètes… publiée par P.-R. Auguis… » Elle est suivie d’un autre article fort remarquable (Variétés), emprunté au même Journal de Paris, daté du 12 germinal, an III, mais non signé. Cet article, qu’on ne peut attribuer à Rœderer, est le complément du premier. On y relève des anecdotes caractéristiques qui prouvent que son auteur vécut dans la familiarité du moraliste. Nous en détachons ce portrait singulier : « Je l’ai connu, dès la jeunesse, ce Chamfort ; et je doute beaucoup qu’il fut digne d’être misanthrope à quarante ans, si, pour en avoir le droit, il faut avoir aimé les hommes. Il n’aima jamais que Chamfort ; c’était un homme habile à lancer un trait d’esprit acéré, comme une arbalète chasse une flèche…

« Chamfort fut toujours [craint] ; sa figure était charmante dans la jeunesse ; le plaisir l’altéra étrangement, et l’humeur finit par la rendre hideuse. Il ne montra d’abord que de la gaîté, et seulement un petit germe de méchanceté ; mais ce germe ressemblait au plus petit des grains qui devient un arbre : il ombragea toute sa vie… »

Page XVIII, ligne 5 : « Chamfort perdait lui-même sa fortune par le décret de la veille… » On sait qu’il était pensionné par l’ancien régime. Dans un état annoté des demandes de gratifications sollicitées à la cour par divers gens de lettres et publié par Charles Asselineau, d’après des Mélanges curieux et anecdotiques (Cf. Bulletin du Bibliophile, 1861), on lit ce qui suit : « M. de Champfort (sic), auteur de Mustapha et Zéangir et de plusieurs autres ouvrages de mérite, espère que le ministre voudra bien proposer pour lui au roi une pension de 3.000 fr. » — et, à la suite, cette apostille attribuée au contrôleur des finances, ou à l’un de ses subordonnés : « 2.000 fr. ».

Page XXVII, Note 1, l. 4 : Pensées, 79. Ce chiffre renvoie au tome I de l’édition Ginguené.

Page XXXI, ligne 8 : « Chamfort était fils d’un chanoine de la Sainte Chapelle… » Il naquit à Clermont, en Auvergne, paroisse Saint-Genès, le 6 avril 1740, et prit, tout d’abord, les noms de Sébastien-Roch Nicolas. Son acte de naissance a été publié dans L’Amateur d’autographes (1870, p. 138).

Page XXXIII : Avertissement du premier éditeur. Cette curieuse notice de Ginguené n’a pas été reproduite, mais simplement résumée, au cours de la préface d’Auguis (Œ. C. t. II).

Page XXXVII, ligne 5 : « J’exhorte au nom de l’amitié… ceux qui peuvent posséder ce trésor à ne le pas enfouir… » L’appel adressé par Ginguené ne fut malheureusement point entendu. On n’a rien retrouvé des papiers de Chamfort, sauf ceux qui constituèrent les Maximes et Pensées, les Anecdotes et Caractères, ainsi que les Petits Dialogues Philosophiques et les additions données par M. de Lescure. L’édition publiée par Auguis, en 1824, la plus complète de toutes, ne contient, en effet, outre les ouvrages révélés par Ginguené, que des essais et divers écrits empruntés à des publications collectives, tel l’ancien Mercure de France.

Page 9, ligne 9 : Mandeville. Lisez : Bernard de Mandeville (1670-1733), auteur d’un singulier ouvrage : The Fable of the Bees. (La Fable des Abeilles), publié en 1723.

Page 10, ligne 4 : Cherin. Sans doute Bernard Cherin, généalogiste des ordres du roi, mort à Paris, le 21 mai 1785.

Page 21, ligne 5 (voir également p. 52, ligne 19) : B[o]yle… Le texte des premières éditions porte : Bayle. Nous avons adopté la correction proposée par M. de Lescure. On lit dans les notes des Œuvres Choisies, t. I, p. 269 : « Il s’agit de Robert Boyle, célèbre physicien et chimiste anglais, né à Limore, en Irlande, le 25 janvier 1626, mort à Londres, le 30 décembre 1691. Il naquit l’année même de la mort de Bacon. » Le nom de Pierre Bayle, l’illustre auteur du Dictionnaire historique, pouvait être également admis. On sait la place qu’il tint par ses idées et par ses ouvrages, annonçant la philosophie de Voltaire et préparant les doctrines de l’Encyclopédie.

Page 45, CXXXII : « Du bois ajouté à un acier pointu… » M. de Lescure a cru devoir reproduire deux fois cette pensée, en la faisant suivre d’un commentaire dont nous détacherons l’essentiel. « Chamfort, dit-il, a évidemment voulu indiquer par cette image ce que l’esprit ajoute de légèreté et de portée à l’arme de la plaisanterie. Sa rédaction primitive était celle-ci : « Deux plumes attachées à un acier pointu font une flèche de l’arme qui n’eut qu’un dard. » C’est ainsi, ajoute-t-il en substance, qu’il revient à la même idée, à propos de l’influence de l’amour-propre sur la volonté et sur l’art d’aiguiser et de perfectionner notre énergie.

Page 114, ligne 18. M. de la Borde… Ce nom nous est fourni par Lescure. Les textes primitifs portent seulement M. de la B… Il s’agit vraisemblablement de Jean-Benjamin de la Borde, né à Paris, le 5 septembre 1734, premier valet de chambre de Louis XV, et fermier général, mort sur l’échafaud, le 22 juillet 1794. Polygraphe, musicien et bibliophile, il a laissé de nombreux ouvrages recherchés uniquement pour leur présentation somptueuse, tels un choix de Chansons mises en musique (Paris, 1773, 4 vol. in-4o) et un Essai sur la Musique ancienne et moderne (Ibid., 1780, 4 vol. in-8o.) On lui doit également un recueil de Maximes et Pensées, publié en 1791 et réimprimé en 1802, avec une notice sur l’auteur.

Page 116, CCCXXXIV : « Je regarde comme un grand bonheur que l’amitié fut déjà parfaite entre [M. de] M… et moi… » Il s’agit ici de Mirabeau. Voyez dans l’édition Auguis (V., pp. 353-418) les lettres que le grand tribun adressa à Chamfort. Elles sont au nombre de XI, et il est infiniment regrettable que nous ne possédions point les réponses de ce dernier.

Page 136, CDIII : « Les femmes ne donnent… » Dans l’édition Ginguené, cette pensée est liée à la suivante et les deux n’en font qu’une seule.

Page 153, ligne 13 : Heusippe. Dans l’édition Auguis, que corrige le texte de Lescure, on lit ce nom : Xentippe.

Page 186, Note, ligne 10 : « Les vingt-sept autres… nous paraissent également nouvelles… » En réalité, ce ne sont point XXVII, mais XLIV « maximes et pensées » qu’on trouve insérées, en majeure partie, et pour la première fois, mais sans désignation aucune, dans l’édition Lescure. Nous avons écarté XVII de ces pièces, les unes faisant double emploi avec celles qui précèdent, les autres appartenant à la série des Caractères et Anecdotes, qui, nous l’avons dit, feront l’objet d’un prochain volume. C’est là qu’on les lira. Parmi ces dernières, il nous faut mentionner deux proverbes italiens dont l’invention n’appartient pas à Chamfort[12]. Par contre, nous avons dû rétablir à leur place XIII pensées que le précédent éditeur avait un peu arbitrairement insérées parmi les Anecdotes.

Page 205 : Petits Dialogues Philosophiques. La première série de ces compositions figure également au tome I de l’édition Auguis, p. 319.

Page 239 : Qu’est-ce que la Philosophie ? Cette fiction a été publiée pour la première fois par Auguis (Œuvres complètes, III, p. 451).


Ainsi que nous l’avons annoncé dans notre Avant-Propos, nous avons reproduit le texte de l’édition établie par Ginguené, en l’an III. Une lecture attentive nous a permis de corriger quelques fautes graves, d’unifier la graphie et d’améliorer la ponctuation trop souvent défectueuse de cette version originale. Nous n’avons fait en cela que nous conformer à la méthode des deux derniers éditeurs, Auguis et M. de Lescure, bien que nous n’ayons pas cru devoir modifier totalement, comme l’un, la dite ponctuation, ni, comme l’autre, le caractère orthographique de l’ouvrage. On trouvera ci-après quelques variantes relevées, le plus souvent, dans l’édition de Lescure, laquelle, — nous voulons le croire, — reproduit fidèlement la leçon des manuscrits de l’auteur. Pour faciliter l’intelligence de ces notes, nous désignons de la sorte les éditions qui ont servi de base à notre travail : G. (éd. Ginguené); L. (éd. Auguis); L. (éd. Lescure). Nous ne ferons pas figurer ici les changements de ponctuation observés dans le texte d’Auguis ; ils sont nombreux, uniformes, mais peu importants. En voici un exemple entre cent. Ginguené imprime : « Au moral et au physique, tout est mixte. Rien n’est un… » Auguis publie à son tour : « Au moral et au physique tout est mixte ; rien n’est un. » On sait, d’autre part, que Ginguené abusait des majuscules et que Lescure rétablissant l’orthographe ancienne, écrit j’étois, pour j’étais, On admettra que nous n’avions pas à les imiter.

Page 7, ligne 20 : Les fripons… Var. (A.) Des fripons…

Page 27, ligne 6, pour toute ressource… Var. (L.) : pour seule ressource…

Page 36, XCIX : « elle peut emporter la pluralité des suffrages, » Dans les Notes qui accompagnent le texte de son édition, Lescure nous fournit, d’après les papiers de l’auteur, la variante qui suit : « La prétention la plus absurde et la plus injuste qui serait sifflée dans une assemblée d’honnêtes gens, peut devenir la matière d’un procès, et dès lors être déclarée légitime ; car tout procès peut se perdre ou se gagner : de même que, dans les corps, l’opinion la plus folle et la plus ridicule peut être admise, et l’avis le plus sage rejeté avec mépris. Il ne s’agit que de faire regarder l’un ou l’autre comme une affaire de parti, et rien n’est si facile entre les deux partis opposés qui divisent presque tous les corps. » (I, 269.)

Page 39, ligne 12 : Le cadre l[a] déparerait… Var. (L.) : Le cadre les déparerait…

Page 49, ligne 2 : L’amour-propre d’un cœur généreux, et, en quelque sorte… Var. (A. et L.) : L’amour-propre d’un cœur généreux est, en quelque sorte…

Page 64, ligne 6 : Soit qu’ils aient été ministres… Var. (L.) : Soit qu’ils aient été premiers ministres…

Page 64, ligne 20 : et on n’en jure pas moins… Var. (L.) : et l’on n’en jure pas moins…

Page 68, ligne 24 : Pour ne pas être méprisé comme acteur… Var. (L.) : Pour ne pas être méprisé comme un mauvais acteur…

Page 71, ligne 10 : ou bien oublient… Var. (A.) : ou bien qui oublient…

Page 77, ligne 2 : Souhaitez-vous de lui inspirer… Var. (A. et L.) : Souhaitez-vous lui inspirer…

Page 79, ligne 2 : On se dit… Var. (L.) : On dit…

Page 86, ligne 10 : que pour ce que tu vaux… Var. (L.) : que ce que tu vaux…

Page 87, ligne 18 : Vous enseigne l’anglais en quarante leçons… Var. (L.) : Vous enseigne l’anglais en quatre leçons…

Page 97, ligne 14 : … de l’espionnage. Souvent dans… Var. (L.) : de l’espionnage souvent. Dans…

Page 97, ligne 16 : à un homme habile… Var. (L.) : à un habile homme

Page 106, ligne 1 : Les Moralistes, ainsi que les Philosophes… Var. (L.) : Les Moralistes ainsi que les femmes philosophes

Page 107, ligne 20 : et s’[en]noblit. Le texte des premières éditions porte : s’anoblit.

Page 109, ligne 19 : prend pour l’Humanité et pour la Société un mépris… Var. (L.) : Prend pour l’Humanité un profond mépris…

Page 110, ligne 4 : Si elle marque de plus les minutes… Var. (L.) : Si elle marque de plus les secondes

Page 123, ligne 5 : Vous verriez que cela n’est pas trop honnête… Var. (A.) : Vous verriez que cela n’est pas très honnête…

Page 146, ligne 15 : Il est clair qu’il ne peut y être porté… Il faut qu’il choisisse entre le rôle, etc.

Nous avons adopté la leçon d’Auguis ; dans la 1re édition, ainsi que dans celle de Lescure, le texte est au pluriel.

Page 158, ligne 13 : Ayant donné plusieurs conseils utiles… Var. (L.) : et ont donné plusieurs conseils utiles…

Page 158, ligne 16 : Hors de France… Var. (L.) : Hors en France…

Page 161 : De l’esclavage et de la liberté. De la France, etc. Le texte d’Auguis porte ce titre erroné : De l’esclavage et de la liberté de la France, etc.

Page 181, ligne 18 : Mais pour un homme d’esprit… Var. (L.) : Mais pour homme d’esprit…

Page 199, ligne 16, « et je tiens ma langue vermeille. » Le manuscrit ajoute, selon Lescure : « et mon urine bien briquetée. »

Page 222. Dialogue XLVI. Dans les éditions Auguis et Lescure, il y a une interversion des personnages. M. de B. devient, ainsi que dans le Dialogue XLV, M. de L., et Madame de L. prend le nom de Madame de B. Le piquant du tableau, quand on le rapproche du précédent dialogue qu’il complète, en semble atténué. Le texte débute de la sorte : M. de L. — Ah ! ma chère amie, etc. — Madame de B. — Comment ?…

Ad. B.


TABLE ALPHABÉTIQUE
DES
MAXIMES ET PENSÉES



Abbaye de Thélème, cccxx.

Abel, xli.

Abus d’autorité, cdlxxxii.

Académie française, cdxxxix, cdxl, cdxli.

Académies, ccxxviii.

Achille, xcvii.

Actions utiles, ccvii.

Adam, xli.

Affaires mêlées, cxxvi.

Afrique, xviii, xxiv.

Agir, cccxli.

Aimable, ccxxxviii, ccxlvii, ccclx, ccclxix, cdxxiii.

Aimer, ccci, cccl.

Aisance, cclxix.

Alembert (d’), cdxxii.

Allégorie, xxvi, dxxxv, dxxxvi.

Amant, ccclxxiv, dlxxxii, cdv.

Ambitieux, xcv.

Ambition, lxviii, lxx, clviii, ccxlvii.

Âme, xviii, xxvi, cxxiv, cxxxii, ccxcv.

Âme faible, clxxv.

Âme fière, cccli.

Âme noble, cxlvii.

Amérique, xviii, dxvi.

Ami, Amis, xiii, cccxxx, dxxxvii.

Amitié, cxxxvi, ccxxiv, cccv, cccxv, cccxvi, cccxvii, cccxxii, cccxxxiv, ccclxx, cdiii.

Amitié de cour, ccii.

Amitié des femmes, cdiii.

Amour, clvii, clviii, cccxv, cccxlv, cccxlviii, ccclvi, ccclix, ccclx, ccclxviii, ccclxx, ccclxxx, cccxc, cccxci, cccxcii, cdii, cdiii, cdix, cdxi, dxxxix, dxli.

Amour maternel, cdviii.

Amour moral, dxl.

Amour partagé, ccclvii.

Amour-propre, clxxiv, cccxxxiii, ccclvi, ccclviii, ccclxi, cdii.

Amoureux, cccxlix, cdx, dlxxvi.

Analogie, cdxxviii.

Ancien régime, dxxxii.

Anciens, cdxxiv.

Anciens philosophes, cdxlviii.

Ânes, cdlxxix.

Anglais, dv, dxvi, dxvii.

Antichambre du Roi, dvii.

Anxiété, cccxxxviii.

Appétit, cxciv.

Apprendre, cccxxxvi, dlvi.

Arbre de la science, xxvi.

Archimède, cdxlv.

Argent, cxlii, clxiv.

Aristide, cccvi, dlxxiv.

Aristocratie, dxviii.

Aristote, cdxxviii.

Arlequin, cxliii.

Armide, xlvii.

Arnauld (Antoine), cccxliii.

Arracheur de dents, ccxcvii.

Assemblée des Notables (l’) dxcviii.

Assemblée Nationale (l’), dxxvii, dxxviii.

Assemblées, ccxxviii, dxxix.

Assertion, li.

Athéisme, dlxxxviii.

Aumône, dxi.

Auteur, cdxxxiv, cdxxxviii, cdlxiv.

Autorité royale, dc.

Avare, clxv.

Avarice, lxx.

Axiomes, i.


B*** (Madame de), clxxxiv, dxli.

B*** (M. de), xliv, dlix.

Bacon (R.), xlv, dxxiii.

Banqueroute, cdxi.

Basques (les), cdxxi.

Bassesse, dxcv.

Bayle (P.), clxvii.

Beaux-Arts, cdlxv.

Beaux esprits, cdxxx.

Bérécillo, xxxv.

Bibliothèque, dxc.

Bien (Le), xxxiv, clxxvi, cccxxxi.

Bienfaiteurs, ccxcvii, ccxcviii, ccc, cccxi, dxliii, dlxxvii.

Bienfaits, ccxcix, ccci, cccx.

Bièevre (Marquis de), dxxxiii.

Blâmer, cccxxiii.

Boileau (Nicolas), xlii, cdlxx.

Bon, dlxv.

Bon goût, cdxxvii.

Bonheur, cliii, clxx, cccviii, cccxxxii.

Bonhomie, cxix.

Bonnes actions, cxxii.

Bons mots, ii.

Bouffon, ccx.

Bourgeois, ccxvii.

Bourgeoise de Paris, di.

Bouvard (Docteur), dliv.

Boyle (Robert), xlv.

Breteuil (Baron de), clxxxv, clxxxvi, clxxxvii.

Brigands, dlix.

Bucéphale, xxxv.

Burrhus, cclx.


C*** (M. de.), cxliii.

Calamités, lxvii.

Calcul, clix, cciv.

Calomnie, cccii.

Calvin, dxxv.

Camaraderie, ccxlii.

Capitaine de vaisseau, cdlxxviii.

Caractère, xxx, lix, lxvi, cvii, cxxxvii, clvii, cclxxxv, cdlv.

Caractère français, cdlxxv.

Carcan, c.

Cardinal, xxii, dxiii.

Carrosse, xv, cdlii.

Cartes, cxlv.

Céladon, cccxliv.

Célébrité, xxxiii, cxxxi, cxxxv, ccliii, cccxxxiii.

Célibat, ccclxxxix, cccxciii.

Cercles, clxxxiii, cclvii.

Cerveau des femmes (le), cdvii.

César (Jules), xlv.

Chagrins, cccix, cccxxvi.

Chamfort (Confession de), cccxxiii, cccxxiv, cccxxv, cccxxvi, cccxxviii à cccxxxvi.

Chapelain (Jean), xlii, cdlxx.

Charlatan, dxcii, xciii, cix.

Chat, dlxxxvi.

Chérin (B.), xv, cdlxxx.

Chirurgien, cxxviii.

Choses, lii, cxxvi, ccxlviii, cclviii, cclxii, cccxxviii.

Cicéron, xxiii.

Citoyen de Virginie, dxv.

Civilisation, vi.

Cœur, lxxxiv, cccxxx, ccclxxvi, cdi.

Cœur de femmes, cdvii.

Cœur généreux, cxlvii.

Colbert (J.-B.), cdlxx.

Colomb (Christophe), dxxv.

Comédie de caractère, cdlxviii.

Commandemens de Dieu, cccxx.

Commerce des femmes, ccclxxi.

Condamnés à mort, dci.

Condition des hommes, xcviii.

Conduite, ccxi.

Connaître une femme, ccclxv.

Conquérans, dlvii.

Conscience, xi, lxxxii, cxciii.

Considération, xxxiii, cxxxi, ccxx, ccxxvii, ccxxxiii.

Convention, cxxx.

Conventions sociales, ccxii.

Conversations, clxxxiii, cclxv.

Conviction, cli.

Corneille (Pierre), cdlxx.

Corps (Les). Voyez : Académies, Parlemens, etc., ccxxviii, dxxix.

Corps humain, xlviii, xci.

Cour, cxcix, ccii, ccxliv.

Courtisan[s], cxxviii, ccxx, ccxxvi, ccxli, cclii, cdxxii, dxxxi, dxcvi.

Coutume, xxi, ccxlix.

Crainte de Dieu, cxvi.

Crainte des hommes, cxvi

Crimes, xli, cccxii.

Croyance en Dieu, dlxx.

Curé de campagne (mot d’un), dxciv.


D*** (Madame de), dxlii.

D***, L***, (M.), dlxxxvii.

D*** (M.), dlxxx, dlxxxvii.

Dante, xciii, cdlxxxv.

Dard, cxxxii.

Défaut de pudeur, ccclxxxiv.

Défauts, cxvii.

Défiance, cxvi.

Dégénération, ccclxxxi.

Délicatesse, cclxxiii.

Dépôt, lxxxiii.

Désillusion, cccxxxix.

Désœuvrement, cxliv.

Despotes, Despotisme, cdlxxiii, cdxcii, dvi, dxviii.

Dettes, clxi.

Dextérité, clvi.

Diamans, lxxxviii.

Diderot (Denis), dlii.

Dîners, cxciv.

Diogène, cxxiii, cclxxvii.

Divination, deviner, cdxlix.

Divorce, cccxcix.

Domitien, dvi.

Dorilas, xxxiv, ccxviii.

Dot, clxii.

Duchêne (André), cdlxx.

Ducs, xlii.

Du Ryer (Isaac), cdlxx.


Économe, clxv.

Économistes, cdlviii.

Écrivain, cdxvii, cdxviii.

Écrivain (Repos de l’), cdxxxvii.

Éducation, iv, ccxxxiv, cccxxi.

Égoïsme, cxlvii.

Élévation, cxix, cclxxxviii.

Éloges, lxxxv.

Éloquence, cdxliv.

Empire des femmes, ccclii.

Enfance, Enfant, iv, ccciv.

Enfans des femmes, ccclxxxv.

Enfer (l’), cdxcvii.

Engouement, cccxlvi, ccclv.

Ennemi, ciii.

Entêtement, clvii.

Épargne, cdlxxvi.

Épidermes, ccclix.

Érudits, Érudition, cdxxxv, dlxxiii.

Esclave, Esclavage, cclxxxix, dxxi, cdlxxxv.

Espagnols, dxvi.

Espérance, xciii.

Espion[s] de police, x, ccxlviii, dlxi.

Esprit, xx, xxvii, lxxxii, lxxxiv, lxxxix, cxxxix, cli, cxc, ccviii, ccxi, ccxxi, ccxlvii, cdxx.

Esprit (Mot d’), dlxxviii.

Esprit d’autrui, cccxiv.

Esprit humain (L’), xlv.

Estienne (Charles), cdlxx.

Estienne (Henri et Robert), cdlxx.

Estime, cxxxi.

Estime publique, xxv.

État sauvage, cdlxxi.

État social, cdlxxi.

Étiquettes, ccxlix, cdxcviii.

Étranger, ccxxxv, div.

Être, cxxxviii.

Étudier, cccxxiv.

Europe, xviii.

Européens, ccclxxi.

Existence de Dieu, xxxiv. (Voir : Providence et Puissance spirituelle.)

Expérience, ccxxxix, cccxxxvii.


Faiblessse, xcvii.

Faiblesse de caractère, cclxx.

Fantaisies, ccclix.

Fat, Fatuité, ccli.

Fausse modestie, clxxiii.

Faveur des femmes, ccclxii.

Favoris, ccvi.

Femmes, xix, ccxxiii, cclxvi, cclxxix, ccxciii, cccxxx, cccl, cccliii, cccliv, ccclv, ccclvii, ccclx, ccclxi, ccclxvi, ccclxviii, ccclxix, ccclxxxi, ccclxxxii, ccclxxxiii, ccclxxxvi, ccclxxxvii, ccclxxxviii, cccxcv, cdxvi, di, dxxxviii, dxlvii.

Femme bien née, cdvi.

Femme d’esprit, ccclxxiii.

Femme laide, xlii, cdiv, dlxxix.

Fierté, cclxix.

Fierté de l’éléphant, dix.

Filles, ccx, ccclxvi, ccclxvii, ccclxxxviii.

Filles d’Opéra, ccclxxv.

Filouterie, clvi.

Flatteurs, dviii.

Fléaux physiques, lxvii.

Flèche, cxxxii.

Folie, lvii, lxxxi, cxlix, ccxx.

Fontenelle, cccxciii.

Forains, dlx.

Force, cccxii.

Forêt de Bondy, cclxxv.

Fortune (La), cxxv, cxlii, clxii, ccxxi, ccxxxiii, cccxxix, cccxxxii, dxlviii.

Fortune (Faire), xlix, cvi.

Fourq… (Madame de), dl.

Fous, cxlix.

Français (Le), cdlxxv, cdxcviii, dxvii.

Français (Mauvais), cclviii.

France, lxxxix, cdxciii, cdxciv, cdxcviii, d, dii.

Frères, cxlviii.

Fripons, Friponneries, x, xii, cxcviii.

Frivolité, ccix.


Gaîté, xxxi.

Galanterie, ccclxiv, ccclxxix, cdxv.

Gallois (Abbé), cdlxx.

Gama (Vasco de), dxxv.

Généalogie, ccxxiv.

Généreux, clx.

Générosité, clx, cccxviii.

Genre humain, cccvii.

Gens de la Cour, cxcix, ccxix.

Gens de lettres, cdxxvii, cdxxxi, cdxlvii, cdl, cdlvii, cdlix, cdlxi, cdlxii.

Gens du monde, cxcii, cxcix.

Gens faibles, cxxxiii.

Gens malhonnêtes, dlxxii.

Gentilhomme, cdlxxviii, cdlxxix.

Gentilhommerie, ccxxxii.

Gloire, xxxii, lxx, lxxxv, c, cii, cxx, cxxxi, clxvii, cdlxi.

Goûts, ccclv.

Gouvernement, lxvii.

Gouvernement despotique, dxcix.

Gouverner, dxxii.

Gracchus (Tiberius), cdlxxxiii.

Grandeur, ccxxii.

Grandeur d’âme, dxlviii.

Grands, lxi, ccvi, cclxvii.

Grands Seigneurs, ccxvi, cdxxx.

Gresset (J.-B.), cdxli.

Guéménée (Prince de), cxci.

Guerre des Femmes, ccclxvi.

Guibert (M. de), cdxcix.


Habileté, clvi.

Haine, cxxxvi.

Harangue, xliii.

Hasard, lxii.

Helvétius (C.-A.), xiv.

Héraclite, ccxxix.

Héritiers, clxi, dlxxxiii,

Heureux, cxxiv, clii, cclxxi.

Heusippe, cdxlviii.

Histoire, xxx, cdlxxiv, cdlxxxii, cdlxxxvii.

Hollandais, clxi.

Homme (L’) ou Hommes (Les) vii, xviii, xix, xxxiv, xlvi, lii, lv, lvi, lxiii, lxiv, lxv, lxix, lxxi, lxxv, lxxxvi, xciv, xcviii, cvii, cviii, cxviii, cxix, cxxvi, cxxviii, ccvi, ccix, ccxviii, ccxxix, ccxxx, ccxxxviii, ccxlv, cclxii, cclxix, cclxxi, cclxxiii, cclxxv, cclxxvi, cclxxix, cclxxxvii, cclxxxviii, ccxci, cccix, cccxxviii, cccxlii, ccclv, ccclvii, cdxvi.

Homme droit, cclxxviii.

Homme de génie, i.

Homme de goût, cdxxxiv.

Homme de qualité, ccxxiv.

Homme de lettres, cdxxxii, cdxxxvi, dlii.

Homme d’esprit, xxxvii, xcvi, cclxvi, cclxxvii, cdxlvi, dxxxvii, dlxxviii.

Homme (grand), cdxxix.

Homme (honnête), xii, xx, xxv, xxxvii, xcvi, cii, civ, cxli, cliv, cccxxxix.

Hommes du monde, cxxvii, cclxxxiii.

Homme du Peuple, xi.

Homme riche, xciv.

Homme sage, cxxvii, clxviii.

Homme sans principes, cxxix.

Homme vertueux, cii.

Honnêtes gens, xlix.

Honneur, lxix, c, cxxxi.

Hôpitaux, lxxvii.

Hostie, cccx.

hottentots, ccxlix.

Humanité, ccclxxxv, cdlxxii, cdlxxiii.

Hydropique, cxxi.

Hymen, cccxcii.


Idées, v, cxlv.

Idée morale, clxxxiv, cccxcvii.

Idées du public, cclxxx.

Ignorants, dlxxii.

Illusions, xlvii, lxxvi, cliii, ccxcvi, cccxxxv, cccxxxix.

Imagination, ccclxxxiii, dxliv.

Immortalité de l’âme, xxiv.

Importance, lx.

Indécence, ccclxxxiv, cccxcvi.

Indécision, cccxxxviii.

Indépendant, xciii, cclxxxi.

Indifférent, dlxxxvii.

Individualisme, lv.

Indulgence, cxliii.

Infidélité, dxli.

Injures du tems, cxv.

Injustice des hommes, cxv.

Insensibilité, ccix, ccxv, cclxxix.

Institutions sociales, dxiv.

Intendans, dxcviii.

Intérêt, xcix, clxix.

Intérêts des princes, cdlxxxvi.

Invalides (Les), cdxcix.

Italie, dxci.

Italiens, dlxiv.

Ixion, xcv.


Jansénisme, cccxliii.

Jeune homme, ccxiii.

Jeunes femmes, ccclxiii.

Jeux, cxlv.

Joies, cccix.

Jolie femme (Mot d’une), dlxxxii.

Jouir, cccxix.

Journées, lxxx.

Juge, cxxviii.

Jugement des poètes, cdxix.

Juger, cxl.

Juste, ciii, clx.

Justice, ccxcii.


L*** (Madame de), ccxciii.

L*** (M. de), dxli, dxlii, dlxvii,

La B. [orde] (M.), cccxxvii.

La Bruyère (J. de), xiv.

La Fontaine (Jean de), cdlxvii, cdlxx.

La Motte (H. de), cdlxvii.

La Trémoille (M. de), dlv.

Langues, cclix.

Langue française, dlxix.

La Rochefoucauld (F. de), xiv.

Lectures, cxlvi.

Légaliser, cxxxiv.

Légitimer, cxxxiv.

Lettres, cccxxxv, cdxxix.

Lézards, ccxxvi.

Liaisons, ccxxiii, ccxxxvii, ccxlii, ccclxxii.

Liberté, dxxi.

Livres, iii, clxxvii, cdxxvi, cdlii, dxc.

Livres de Morale, xv.

Livres de Sermons, xv.

Locke (Jean), xlv, clxvii.

Longuerue (Abbé de), cdlxx.

Louis XIV, cdlxx.

Louis XV, cxci.

Louis XVI (Mot de), dlxxxi.

Lucien (de Samosate), xiv.

Lucrèce, cdxxxix.

Luther, dxxv.


M*** (M.), cxcvii, cdxlix, dlxviii.

M*** (M. de), cccxxxiv.

Macao, ccxxxv.

Magistrats, clxxxii, ccxlv.

Maîtresse, ccclxxviii, dlii.

Mal (Le), xxxiv.

Malades, lxxvii.

Malheureux, clii, ccclxxxvi.

Malheurs, clxix, cccxxxvii.

Mandeville (B. de), xiv.

Manon Lescaut, ccxciii.

Mari, cccxcv, cccxcviii, dl, dlxxx, dlxxxi, dlxxxii.

Mariage, ccclxviii, ccclxxxix, cccxc, cccxci, cccxciii, cccxciv, cccxcv, cccxcvi, cdxii, cdxv, dxlix.

Mariage inconvenant, cccxcvii.

Mauvaise compagnie, clxxviii.

Mauvaises mœurs, ccxciv.

Maux de la Nature, lxxxvii.

Maximes, i, cl, ccxciii.

Maynard (François), cdlxx.

Méchans, xxxvi, xcvi, cxxii, cxxxiii, dlxv.

Médecine, xvii.

Médecins, xlvi, xlviii, dliii, dlxxxiii.

Mélancolie, dxciii.

Mémoires, cdliv.

Mendiant, xi.

Mendicité, cclii.

Mépris, Mépriser, xi, xxxi.

Mercure de France, dlxxv.

Mérite, cccxxxiii, cdxciii.

Mésalliances, cdi.

Messe du Roi, dxcvii.

Métaphore, cdxxviii, cdxcviii.

Métaphysique, Métaphysiciens, ccxciii, cdxxi.

Militaires, xxxv.

Milton, lxii.

Minerve, dxxxv. Ministres, cciii, ccxxv, cdlxxxix, cdxc, cdxci, dc.

Misanthropes, cclviii, cdliii.

Misanthropie, cclxx, dlxvii.

Mode, clxiii, dlvi.

Modernes, cdxxiv.

Modestie, cclxix, dlvi.

Mœurs anciennes, cccvi.

Moi, cclxxxvi, dxviii.

Moines, dlxxxix.

Molière (J.-B. Poquelin de), cdlxx.

Monarchie, cxc.

Monde (Le), xii, xxvii, xxxi, xxxiii, xliv, cliv, clxxvii, cc, cci, cciv, ccix, ccxiii, ccxiv, ccxvi, ccxxix, ccxxxvi, cclvii, cclxix, cclxxi, cclxxix, ccxciv, cccxxiii, cccxxxii, dxxx.

Monde moral, l.

Monde physique, l.

Montaigne (Michel de), xiv, ccxxii.

Montesquieu (Ch. de), clxvii.

Morale, c, cxii, cccxxi, cdxliv, cdlxxii.

Morale pratique, cdxlviii.

Moralistes, xiv, ccxciii.

Mort, xxvi, lxxxvii, cxiii, dli

Mortalité, xviii.

Mots, c.

« Moulin de Javelle » (Le), lxi.


N*** (M. de), dlxvii.

Naquart (Madame), di.

Narcisse, ci, cclx.

Nation, dii.

Nature, ix, xxvii, lxxi, lxxiv, lxxvi, lxxviii, xcviii, cxiv, ccxxx, cclxxxi, ccclxxxvii, cdlxxx.

Nature humaine, xiv, lxvii.

Nécessité, xciv.

Nègres, cxx.

Nobles, xxiii, dx.

Noblesse, xv, cdlxxvii, dxii.

Nouveaux Amis, ccciii.

Nouvelliste, lxxxix.

Nymphes, clxxxiv.


Opinion, v, xxi, xxvii, lviii, xcii, c, ciii, cxli, ccx, cccxliv.

Opinion des femmes, cdxiii, cdxiv.

Opinion publique, v, xcii, civ.

Orange, dlxviii.

Orateurs, xv, lxxxv.

Ordre public, ccxlv.

Orgueil, cxii.

Osmond (M. d’), dli.

Ouvrage[s], cdxxxiii, cdxxxviii, cdlxiv.


Pairs, xlii.

Paix, dxlv.

Pandémonium, lxv.

Paons, cdl.

Paraître, cclxiii, dxlvii.

Pardonner, ccclxix.

Paris, cdxcv, cdxcvi, cdxcvii, di, dlx, dlxi.

Parenthèse (Art de la), ccxliii.

Paresseux, i.

Parlements, ccxxviii.

Parole, ci.

Partis violens, cccxl.

Pascal (Blaise), cccxliii.

Passionné, dlxii.

Passions, xlvi, xlvii, lxx, lxxi, lxxii, lxxiii, lxxiv, cxviii, cccxxiii, cccxxv, cdlvi.

Passions des femmes, ccclv, cd.

Patrie, div.

Pauvres, cclxix, cclxxxi, dx, dxx, dxcvi.

Pauvreté, cccxii, cccxxxv, dlxxxvi.

Paysan français, dxv.

Péchés, ccvii.

Pédant, pédanterie, ccxxxviii, dlxxiv.

Peintre, cclix, cdlxvi.

Peixoto, clxxxvi.

Pékin, ccxxxv.

Pensée, xxix, ccxx.

Penser, cxl, ccclxxvii.

Perfection en amour ccclxxx.

Perrault (Ch.), cdlxx.

Perses (Les), cclxxxix.

Pervers, dlxvi.

Petite fille (Mot d’une) dxci.

Petits, lxi.

Peuple[s], cdlxxxvii, dxix, dxxiv.

Philosophes, xv, xliii, liii, lxxiii, lxxxv, lxxxvi, clxvii, ccliv, cclviii, cclxvii, cclxviii, cclxxiv, cclxxxii, ccxcii, ccxciii, cdxxii, cdxlviii, cdliii, cdlxix, dvii, dlxxxix.

Philosophie, v, xvii, xxxi, ccxxxii, cdxxxv, cdxliv.

Physionomistes, ccxx.

Physique, ccxciii.

Pièces de rapport, cxxvi.

Pierre-le-Grand, dxxvi.

Pinetti, cdxlv.

Places, cdxciii.

Plaire (Art de), cvi, cclxi, ccxlvii, cdxxiii.

Plaisanterie, xx, cxcvi, ccxlvi.

Plaisirs, v, cxlii, cliii, clxxi.

Plantin (Ch.), cdlxx.

Platon, cdxlviii.

Plébéien, dx.

Plutarque, cxl, dxxxix.

Poésie, ii, cdxxv, cdxliv, dlxxi, dxcii.

Poètes, xv, xvi, lxxxv, cdxix, cdxxxvi, cdl, cdliii, dlxi, dlxx, dxcii.

Polémon, cdxlviii.

Politique, cdxliv, cdlxxii.

Politiques (Les), xiv.

Pope (A.), cdxvii, dlxi.

Postérité, xxxv, lxxxv, cdlxii.

Préjugés, clix, clxvii, ccxxxii.

Prestige, xlvii.

Prétentions, xlii, cxi, ccl.

Prêtres, xxii, cxxviii, cdlxxxv.

Prévoyant, clxix.

Primer, lxiv.

Princes, ccv, ccx, ccxxxi, ccxxxiv, ccxxxix, dxcvi.

Princes étrangers, xlii.

Principes, cxxix, ccxxv.

Probité, cclxxiii.

Procès, xcix.

Procureur, cxxviii.

Protection, cccx.

Proverbe hollandais, dxlvi.

Proverbe indien, clv.

Proverbe italien, dlxv.

Proverbe turc, dlxiv.

Providence (La), xxxiv, lxii, dlxv.

Prudence, xxxviii, cxxvii, clxviii, ccxcii, cccxxi.

Public, xc, xci, xcix, cxli, ccxl, dii, diii, dlviii.

Puissance spirituelle, dcii.

Pureté, clxviii.


Qualités, cclvi, cccxxxvii.

Quinault (Ph.), cdlxx.


Racine (Jean), cdlxx.

Raconter, lxxxix.

Raillerie, cxcvi.

Raison, xix, xxxix, xlvi, lxiii, lxxi, lxxiv, lxxxii, cxviii, clix, clxxix, clxxix, cclxxiii, cclxxvi.

Récompense, cxlvi.

Reconnaissance, dlxxxiv.

Recueils de vers, ii.

Redites, ccclxxvi.

Religion, xxii.

Remède, dliii.

Renommée, cxxxi.

Réorganisation sociale, dxxx.

Repas, cxcv.

Réputations de théâtre, cdxlii.

Réputations littéraires, cdxlii.

Ressemblances, clxvi.

Retraite, cclxxxiv.

Réussir, cvi.

Révolutions, dxxv.

Rhétorique d’aristote, cdxxviii.

Rhume négligé, cclxiv.

Riche, cclxxxi, dx.

Richesses, cxxi, cccxxxii.

Rire (Le), lxxx.

Robinson, cxliv.

Rois, ccclxiii, cdlxxxv.

Romanesques, lxxviii, cvii.

Romans, cccxci.

Rosiers, dxliv.

Rousseau (J.-J.), cxl, cclxxxiv, cdxvii.

Routines, cl.

Ruse, clvi.


Sages, cxlix, cclxxxiii, ccclxiv.

Sagesse, cxvi, cxlix.

Saint-Augustin, dlxv.

Saint-Domingue, xxxv.

Sainte-Thérèse (Mot de), cdxcvii.

Salons, clxxxiii, cclvii.

Samson, géographe, cdlxx.

Santé, cxx, cccxxxii.

Sauvages, xxiv.

Savoir, cdxlix.

Savoir-vivre, cclxxiv.

Scaliger (J.-C), cdxxi.

Scandales, ccclxxiv.

Scaurus, cdlxxxiv.

Scipion Nasica, cdlxxxiii, cdlxxxiv.

Secret, lxxxiii.

Secrétaire du roi, cdxlviii.

Sejan, ci, cdlxxxi.

Sénèque le philosophe, xliii, cclx,

Sensibilité, clxxii.

Sensibles, clv.

Sentimens, xc, clix, ccxci, cccxlvii.

Sentir, ccclxxvii.

Shaftersbury (Ant.). xiv.

Sicile, dlix.

Siècle de Louis XIV, clxxviii, cdxcii.

Siècles, xcii.

Sigisbée, cd.

Sociabilité, cclxxvi.

Société (La), vii, viii, xxvii, xxviii, lxvii, lxxxvii, xcviii, cxxviii, clix, clxxix, clxxx, clxxxi, clxxxiii, cxciv, cxcviii, ccxiv, ccxxx, ccxxxv, ccxxxvi, ccxlv, cclv, cclvi, cclvii, cclxxv, cccvii, cccxxii, cccxxiii, cccliv, dx, dxxiii.

Société civile, ccxc.

Société humaine, dxxiii.

Socrate, cdxlviii.

Solitaire, cclxxii, ccxc.

Solitude, cclxxi.

Songes, dxxxvi.

Sophiste, cdxlv.

Sots, xxxvi, xxxvii, xl, liv, lviii, clxxxvi, clxxxviii, clxxxix, cxcvii, dlxxii.

Sottise, xix, xl, lvii, lviii, lix, lxxxi, cxxx, cxxxix, clxvii, cxc, ccxvi, ccxxxii, div.

Sous-entendus, cccv, ccclxxxii.

Sourd, xxviii.

Spartiates, cclxxxix.

Spécifiques, xvii.

Sperone-Speroni, cdlxiii.

Stoïcisme, stoïciens, cccxiii, cccxliii.

Succès, cdli.

Succès de théâtre, cdxliii.

Succès littéraire, cdxxxviii, cdxliii.

Suicide, cdlxxxv.

Supériorité, cxi.

Swift (J.), xiv, cdxvii.

Sylla, cdlxxxiii.

« Système de la Nature » (Le), dlxxxviii.

Système social, xxvii.


Tacite, ccxciii, cdlxxxii, cdlxxxiv.

Tact, cdxxvii.

Talens, cxxxvii, ccliii, cccxxxiii, cdxvii, cdxx.

Tallemant (P.), cdlxx.

Tantale, lxx.

Tartares, cclxviii.

Tartufe, cdlxviii, cdxcii.

Tempérance, ccxcii.

Tems, clxxi.

Terray (abbé), cccvi, dlxxiv.

Terres australes, xviii.

Testament, lxxv.

Théâtre, xvi, cdlx.

Théâtre tragique, lxxix.

Théologie persane, xxxiv.

Théologiens, dxxxiv.

Théophraste, cdxlviii.

Tibère, cdlxxxi, cdlxxxii.

Tigelin, ci.

Tite-Live, cdlxxxiv.

Titus, ci, cdlxxxi, dvi.

Tocsin, d.

Torts, ccxlvii.

Toscane (Duc de), cdlxix.

Travail, cdlxxiii.

Travail (Goût du), cxx, cdlxxiii, dxxx.

Travaux, cxliv.

Travers, lvi, ccxlvii.

Trésor royal (Le), cdlxxvi.

Tristan l’Hermite, cdlxx.

Turquie, cdlxxxviii.

Tyrannie, cccx.

Tyrans, cdlxxiv.


Usage, ccxlix.


Valeur des hommes, lxxxviii.

Valois (Adrien de), cdlxx.

Vanité, cv, cxii, cxxxii, clix, ccix, ccclviii, cdii, cdlxi.

Vanité littéraire, cccxxxiii, cdlvii.

Vérité, xxvii, cliii, clix, cccxlii.

Vers, cdxix, cdxxv, dlxxi, dxcii.

Vertus, lxix, xc, cviii, cxxxvii, cxxxix, clxxvi, ccliii, cclxxiii, cccxlii, cdxxxiii, dlxxxvi.

Vertu (Acte de), cxlvii.

Vertu (Amour de la), cxx.

Viccleff, dxxv.

Vices, cx, cxvii, cxxxviii, cxxxix, clxxvi, ccxv.

Vie, xxi, lxxxvii, cxxv, clxxii, dlxviii.

Vie contemplative, cccxli.

Vieillards, cccxcvii, dlxxxv.

Vieillesse, cxxviii, dlxxvi.

Viète, cdxix.

Virgile, ccc.

Vivre, cxiii, cclxxvi.

Voleurs, dlix, dlx.

Voltaire, cdxvii, dxxvi.

Vouloir être, cxxxviii.

Voyage, dxci.

Voyageurs, xxiv, cdxxxi.

Vrai (Le), xxvii.


Xénocrate, cdxlviii.

Xentippe (Voir : Heusippe), cdxlviii.


TABLE



MAXIMES ET PENSÉES
TABLE DES MATIÈRES 
 281

  1. On sait qu’ils appartinrent à Feuillet de Conches et que c’est à ce dernier que M. de Lescure en dut la communication. C’est en vain que nous avons tenté de les découvrir. Ils ont disparu à la mort du célèbre collectionneur.
  2. Delacroix avait fait insérer dans le Journal de Paris, une lettre dans laquelle il parlait peu avantageusement de Chamfort, auquel il reprochait d’avoir pris une part trop active à la Révolution. — N. D. É.
  3. « C’est une règle excellente à adopter sur l’art de la raillerie et de la plaisanterie, que le plaisant et le railleur doivent être garans du succès de leur plaisanterie à l’égard de la personne plaisantée ; et quand celle-ci se fâche, l’autre a tort. » (Chamfort, Pensées, 79.)
  4. « L’homme aime la malignité, mais ce n’est pas contre les malheureux, mais contre les heureux superbes. L’épigramme de Martial sur les borgnes ne vaut rien, parce qu’elle ne les console pas, et ne fait que donner une pointe à la gloire de l’auteur. Tout ce qui n’est que pour l’auteur ne vaut rien : Ambitiosa recidet ornamenta. Il faut plaire à ceux qui ont les sentiments humains et tendres, et non aux âmes barbares et inhumaines. (Pensées de Pascal, ch. XXXI.)
  5. Mademoiselle Arnould [d’autres disent : Mademoiselle Quinault], appelait plaisamment Chamfort : Don Brusquin d’Algarade, parodiant ainsi le titre du roman : Don Guzman d’Alfarache, et caractérisant en même temps la brusquerie du personnage. (Note de l’Éditeur.)
  6. Cette maxime fait double emploi avec maxime LVII.
  7. Voyez la maxime DLVIII de la p. 193.
  8. Cette pensée résume la maxime CCLXXX de la p. 97.
  9. C’est-à-dire avec ses livres.
  10. C’était un sot.
  11. Ou Ormuzd, ou Ahouramazda, Dieu suprême et principe du Bien dans l’ancienne religion mazdéenne, fondée par Zoroastre, ou Zarathoustra.
  12. Voici ces deux proverbes : I. « Il pastor romano non vuole pecora senza lana. » II. « Chi manga facili, caga diavoli. »