H. Vaillant-Carmanne (p. 69-96).


CHAPITRE V

Les Latins

I. — Sénèque


Une philosophie « ondoyante et diverse » ; des réflexions tour à tour profondes et familières sur les circonstances ordinaires de la vie, une conversation « à pièces décousues[1] » dont les fragments se présentaient comme une espèce de menue monnaie de la sagesse, « sable sans chaux » comme disait Claude, mais dont chacun pouvait emporter un grain : voilà plus qu’il ne fallait pour assurer pendant longtemps à Sénèque des lecteurs nombreux et divers. Ce raisonneur qui s’analysait tout le temps et dédaignait tout sauf les idées capables de former l’homme, avait particulièrement trop d’affinités avec l’esprit français classique pour ne pas se prêter à son élaboration : aussi — sans même parler de l’art dramatique — n’y a-t-il peut-être pas un ancien qui se trouve plus exactement à toutes les sources du classicisme : chez Montaigne qui y puise « comme les Danaïdes[2] », chez Calvin qui a commencé par commenter le De Clementia, chez Malherbe surtout et ses contemporains. « Sans Sénèque, disait déjà Colletet, Bertaut n’eût jamais si bien fait résonner les muses et n’eût aussi jamais touché nos esprits de si vives ni de si fréquentes pointes[3] ». Malherbe non plus, sans Sénèque, ne serait peut-être pas ce qu’il est, l’introducteur de la raison raisonnante en poésie. Il avait eu à cet égard un vague devancier en Alain Chartier, et ce « très noble orateur » s’était déjà mis à l’école de Sénèque ; Montchrestien encore fait de même, surtout dans les chœurs de ses tragédies ; et en 1590, on ne sait quel « Caton de Basse-Normandie » faisait imprimer à Caen un Bouquet des fleurs de Sénèque[4] comprenant huit odes à sujets philosophiques extraits des œuvres du philosophe latin. L’auteur inconnu (dans lequel on a voulu, à tort, voir Malherbe lui-même[5]) écrit avec les images des poètes du temps ; et il est curieux de voir combien ses « odes », adressées à des magistrats et à des avocats au milieu desquels Malherbe aussi a vécu, ressemblent aux stances du consolateur de Du Périer et du président de Verdun, non seulement par le fond — ce qui n’a rien d’étonnant, — mais même par la forme. Des deux côtés les lieux communs sur la fatalité de la mort, sur la brièveté de la vie, sur le temps et la patience qui guérissent nos maux, sont enveloppés des mêmes comparaisons de la courte vie à la rose flétrie dès le soir, et des mêmes rimes de « la barque « et « la Parque », du « monde » et de « l’onde », des « hommes » et « nous sommes », du « trépas » et « ici-bas » ; le Bouquet fournit même — nous le verrons plus loin — le prélude de la plus célèbre des stances à Du Périer. Malherbe devait réussir en employant, de façon plus discrète, la méthode du paraphraste obscur et de tant d’autres rimeurs.

Il aimait les tragédies de Sénèque[6], où il goûtait apparemment les pensées et dissertations dont il allait se pénétrer en traduisant les œuvres philosophiques. Celles-ci devaient lui être familières depuis longtemps, par les fortes études latines qu’il avait faites, par le commerce du néo-stoïcien Du Vair, par celui de tous les lettrés du temps. On ignore la date à laquelle il traduisit le commencement des Questions naturelles, une grande partie du Traité des Bienfaits, et la plupart des Épitres à Lucilius[7]. Le silence de ses lettres (conservées pour les dernières années) et de ses disciples sur ce point permet de douter que les traductions datent exclusivement de la dernière partie de sa vie, comme le feraient croire la préface de l’éditeur posthume Baudoin et la dédicace à Richelieu écrite par Du Boyer[8]. Puis, comme « Malherbe se moquoit de ceux qui disoient qu’il y avoit du nombre en la prose » et que « les périodes des Épîtres de Sénèque sont un peu nombreuses[9] », comme ces Épîtres et surtout le Traité des Bienfaits contiennent des mots archaïques, il est possible que l’auteur y ait travaillé à une époque où il n’avait pas encore en prose la manière et la maîtrise de sa traduction du XXXIIIe livre de Tite-Live, modèle de langue et de grammaire à ses yeux. La traduction de Sénèque présente sous une forme élégante et soignée une foule d’idées qui se retrouvent dans la correspondance et dans les vers du poète. Elle contient même une partie poétique, puisque c’est en vers français que sont rendus les vers latins ou grecs que citait Sénèque. C’est un exercice auquel s’adonnera un autre grand classique, celui qui admira tout un temps Malherbe : La Fontaine traduira en vers les mêmes passages pour la traduction de Sénèque de son ami Pintrel. Malherbe rend ainsi un passage de la première Églogue de Virgile (dont il se souviendra dans l’Ode à la reine mère[10]) :

C’est de la main de Dieu que tout ce bien me vient.
Il me donne mes bœufs, il me les entretient :
C’est lui par qui je chante, et lui par qui j’entonne
Dessus mon chalumeau tous les chants que je sonne[11].

Voici une description de l’âge d’or qui fait bonne figure entre les poésies du XVIe siècle et celles de Delille :

Le joug au jeune bœuf n’avoit pressé les cornes,
Il n’étoit point de coutre, il n’étoit point de bornes,
Et la terre pucelle en commun épandoit
Au peuple nonchalant plus qu’il ne demandoit[12].

Il y a de ces bouts de traduction qui font déjà penser à La Fontaine : « Vous trouverez encore à vous couvrir sous un arbre

Qui réserve tardif son ombrage aux neveux[13] ».

Ils font surtout penser à la poésie de Malherbe lui-même, et telle traduction de vers latin pourrait faire partie de n’importe quelle « Consolation » :

Les destins pour prier ne se fléchissent point[14].

Quant à la prose du traducteur, elle a des « périodes » et « du nombre », comme disait Racan[15], et comme le remarquaient les contemporains ; et parfois même il faudrait à peine retoucher la version de certaines phrases latines pour en faire des vers.

Non seulement Malherbe, en traduisant, ajuste ses mots en versificateur, mais il ajoute aussi des ornements à son modèle, des images comme il y en a, du reste, dans tous les poètes du temps, comme il en a vu dans Horace, et qu’il reproduira dans ses pièces les plus célèbres. Pour n’en citer que deux exemples, magnis itaque curis exemptus[16] devient : « aussi les roses de son âme n’ont point d’épines[17] » ; ex quacumque conditione est décomposé en deux termes concrets : « d’une cabane, aussi bien que d’un palais[18]" », tableau qui se retrouve dans la stance mémorable qui montre la mort régnant également sur la cabane du pauvre et sur le Louvre de « nos rois ». Le traducteur a parfois des images moins heureuses, comme celles du « musc et de l’ambre[19] », et il modernise sans hésitation son modèle, dont il transpose les idées dans le monde français. Il dit « Monsieur » et « ces messieurs », devançant le fameux : « Vous n’avez pas failli, Messieurs », que Boileau lira dans Démosthène. Il interprète equitem romanum, libertinum, servos, par « gentilhomme, roturier, valets[20] », et parfois il ne retient que la partie la plus générale d’une pensée pour l’appliquer aux hommes de son temps : « On peut bien sentir le musc et l’ambre, et n’être ni moins galant ni moins brave que si on sentait la poudre à canon[21] » : cela pour rendre Fortitudo, et industria, et ad bellum prompta mens, tam in Persas quam in alte cinctos cadit[22]. Malherbe aurait pu dire de sa traduction de Sénèque ce qu’il disait en publiant celle du XXXIIIe livre de Tite-Live : « Je sais bien le goût du collège, mais je m’arrête à celui du Louvre[23] », Il s’y est arrêté en vers comme en prose, et la stance fameuse où il paraphrase Horace sera l’une de ses belles infidélités.

Godeau disait dans son Discours sur Malherbe : « Si Sénèque revenoit au monde, je ne doute point qu’il n’ajoutât au nombre des plus illustres bienfaits dont il parle dans ses livres celui qu’il a reçu de Malherbe en une si excellente et si agréable version[24] ». Il y avait là, en effet, un bienfait illustre, mais c’est Malherbe qui le recevait : il s’assimilait les idées de son auteur — sa façon de traduire montre jusqu’à quel point — et il en tirait sa conception du monde, de la vie et de l’art. Nous avons déjà vu qu’en parlant de Dieu il se souvient du Traité des Bienfaits, même dans ses paraphrases bibliques. Il réfute suivant le même procédé les objections tirées de l’existence du mal contre la providence divine, et il le fait à propos d’une fiction qui sera elle-même un lieu commun de la poésie classique : l’invocation au soleil. Celle-ci se rencontre particulièrement chez les imitateurs des tragédies de Sénèque, dans l’Hippolyte[25] de Robert Garnier, dans la Médée[26] de Corneille, chez Tristan Lhermite, dans la Thébaïde[27] de Racine. Malherbe, lui, l’a prise au Traité des Bienfaits ; et après la fameuse strophe :

Ô soleil ! ô grand luminaire[28] !


dont Racine se souviendra avec un heureux à-propos dans son Iphigénie[29], il explique d’après Sénèque pourquoi « les méchants voient le soleil comme les bons[30] » en disant au « grand luminaire » :

tu luis sur le coupable
Comme tu fais sur l’innocent ;
Ta nature n’est point capable
Du trouble qu’une âme ressent.
Tu dois ta flamme à tout le monde :
Et ton allure vagabonde

Comme une servile action
Qui dépend d’une autre puissance,
N’ayant aucune connoissance,
N’a point aussi d’affection[31].

Voilà le soleil bien justifié : c’est ainsi qu’il l’était dans le Traité des Bienfaits : « Vous me direz que les dieux font du bien aux ingrats comme aux bons… tout ce que vous alléguez, le jour, le soleil… sont choses qui ont été généralement faites pour tous les hommes[32] ». Ce n’est donc pas le soleil qui a tort ; ce sont plutôt les hommes : « L’autre sait bien que c’est au soleil que nous devons les intervalles du jour et de la nuit… et cependant il aime mieux de lui donner tout autre nom que de l’appeler Dieu[33] ». Comme « cependant le soleil ne laisse pas de se lever[34] », vous voyez d’ici la matière de bien des tirades pour les poètes classiques, depuis Malherbe jusqu’à Lefranc de Pompignan :

Le dieu, poursuivant sa carrière,
Versait des torrents de lumière
Sur ses obscurs blasphémateurs.

Comme il juge le ciel, Malherbe juge le monde et la vie. La mutabilité incessante des événements et des choses est exprimée de la même façon dans les Épîtres à Lucilius et dans l’Ode sur la prise de Marseille : «  le monde est sujet à mutation, et ne demeure pas en un état ; car encore qu’il continue à avoir toutes les choses qu’il a eues, il les a d’autre façon qu’il ne les avoit, ou bien elles vont d’un autre ordre[35] ». C’est l’idée que Malherbe et son ami Du Vair appliquaient à la prise de Marseille : et tandis que le magistrat parlait « des choses mondaines sujettes à un flux continuel de change et de rechange[36] », le poète paraphrasait Sénèque en ces vers :

Les aventures du monde
Vont d’un ordre mutuel,
Comme on voit au bord de l’onde
Un reflux perpétuel[37].

« Ne ferons-nous jamais, disait une autre Épître, que trembler de froid et brûler de chaud ? C’est toujours à refaire : les choses du monde sont enfilées d’une sorte, qu’en s’entre-fuyant elles se suivent[38]… Une entre-suite invariable attache et tire toutes choses[39]. » Et Malherbe, qui dès sa jeunesse, dès les Larmes sur la mort de Geneviève Rouxel, méditait « des ans la course entresuivie[40] », continue, dans l’Ode sur la prise de Marseille :

L’aise et l’ennui de la vie
Ont leur course entre-suivie


Aussi naturellement
Que le chaud et la froidure,
Et rien, afin que tout dure,
Ne dure éternellement[41].


Vanité du monde, fragilité de la vie, incertitude du sort, frivolité des hommes, fatalité de la mort : tous ces lieux communs de toutes les littératures sont présentés de la même façon par Sénèque et par son traducteur, que celui-ci écrive en prose ou en vers. « Ô Sénèque, s’écriera un jour Diderot, c’est toi dont le souffle dissipe les fantômes de la vie, c’est toi qui sais inspirer à l’homme le mépris de la fortune, des dignités, de la vie et de la mort[42] ! » Si Du Vair et Malherbe avaient été un peu plus lyriques, ils auraient sans doute trouvé la même prosopopée, le premier pour donner cours aux « humeurs mélancoliques où il semblait qu’il prît plaisir de s’entretenir[43] », le second pour mépriser le monde, car « tout son contentement étoit d’entretenir ses amis particuliers, comme Racan, Colomby, Yvrande et d’autres, du mépris qu’il faisoit de toutes les choses qu’on estime le plus dans le monde… Il avoit aussi un grand mépris pour tous les hommes en général[44] ». Il y a de ces mépris dont l’expression se trouve déjà dans le Traité des Bienfaits et dans les Épîtres. Pensant comme deux autres lecteurs de Sénèque, Montaigne et Rabelais[45] — qui étaient en même temps, il est vrai, des lecteurs de Platon — Malherbe « disoit souvent à Racan que c’étoit folie de se vanter d’une ancienne noblesse, et que plus elle étoit ancienne, plus elle étoit douteuse… que tel qui se pensoit être issu d’un de ces grands héros (saint Louis et Charlemagne) étoit peut-être venu d’un valet de chambre ou d’un violon[46] ». Or, dans l’épître XLIV où il modernisait comme on a vu les noms des classes sociales de Rome, Malherbe avait traduit ceci : « Le plus pauvre a autant de prédécesseurs que le plus riche ; il n’y a homme de qui la première origine ne soit au-delà de toute mémoire. Platon dit qu’il n’y a point de valet qui ne soit de race de rois, ni de roi qui ne soit de race de valets : tout se bigarre de cette façon avec le temps[47] ». Ce n’était pas toujours, comme on sait, l’avis de Malherbe, qui vantait volontiers l’ancienneté de sa race, et s’occupait fort d’en chercher des preuves[48]. Que voulez-vous ? Pour être philosophe, on n’en est pas moins homme, et gentilhomme : et pour traduire Sénèque on ne renonce pas volontiers à descendre des compagnons de Guillaume-le-Conquérant.

Malherbe n’est pas plus indulgent pour les sciences et les arts que pour la vanité humaine. Du traité d’arithmétique de Diophante, dont Mésiriac vient lui offrir une édition, et dont on fait grand cas, il demande si cela fera amender le pain et le vin[49]. Il fait une réponse analogue à un huguenot qui veut l’intéresser aux controverses. Quand on lui dit que Gaumain a déchiffré le punique et vient d’écrire le Pater en cette langue, « il prononce une douzaine de mots qui n’étoient d’aucune langue, et dit : « Je vous soutiens que voilà le Credo en langue punique : qui est-ce qui me pourra dire le contraire[50] ? » Il s’expliquait volontiers tout au long à ce sujet : « Il parloit fort ingénument de toutes choses, et avoit un grand mépris pour les sciences, particulièrement pour celles qui ne servent que pour le plaisir des yeux et des oreilles, comme la peinture, la musique et même la poésie[51] ». Pour parler ainsi, il n’avait encore une fois qu’à se souvenir de l’épître 95, qu’il avait traduite : « Quelques-uns ont fait cette question : si les arts libéraux pouvoient faire un homme de bien[52]. Et tant s’en faut que cela soit, ils ne le permettent pas seulement… Venons aux professeurs de géométrie et de musique : vous trouverez aussi peu ces leçons (les leçons morales indispensables à l’homme) chez eux que chez les grammairiens[53] ». La seule science, la seule étude qui vaille, est la philosophie, ou plus simplement la sagesse, qui proclame la vanité du monde et des occupations humaines au nom de certains principes qui se retrouvent chez Malherbe comme chez Sénèque.

La philosophie que la Renaissance a essayé de se faire voit généralement dans les événements la manifestation d’une force aveugle à laquelle nous ne pouvons rien changer. Cette idée, qui est, à des degrés divers, chez les écrivains français du XVIe siècle, a été développée dans leur esprit par Sénèque plus que par nul autre. C’est dans l’Épître 107 que Rabelais prenait le vers latin (traduit par Sénèque d’un vers grec de Cléanthe) qu’il montre « esquisitement insculpté en lettres latines » :

Ducunt volentem fata, nolentem trahunt[54].


C’est dans Sénèque que Montaigne et Malherbe trouvent ou retrouvent cette leçon, et elle deviendra si bien un lieu commun, que Corneille aura un succès d’actualité avec la fameuse tirade de Thésée qui est une protestation contre le fatalisme :

Quoi ! la nécessité des vertus et des vices
D’un astre impérieux doit suivre les caprices…[55]


« Astre impérieux », ou « Fortune » — comme on reprochait à Montaigne de dire trop souvent, — ou « destin », ou « les dieux », ou « volonté de Dieu » — suivant qu’on écrit dans le jargon mythologique ou dans la langue de tout le monde, — c’est toujours la force aveugle contre laquelle nous ne pouvons rien, et à laquelle il faut nous soumettre. C’est ce qu’enseignait Sénèque, et c’est ce que Malherbe, comme les hommes du XVIe siècle, a exactement retenu. « C’est de la philosophie, disait l’Épître XVI, qu’il faut apprendre à nous humilier à Dieu, vouloir ce qu’il veut…[56] » « S’il est galant homme, il voudra ce que Dieu veut[57] », écrit Malherbe à Colomby ; et à Du Périer :

Vouloir ce que Dieu veut est la seule science
Qui nous met en repos[58].


Comme l’idée de fatalité est au fond de toute cette philosophie, le mot fatal, auquel le pétrarquisme avait déjà donné une grande vogue du temps de la Pléiade[59], reviendra à tout instant dans les vers de Malherbe — plus souvent encore que « la Fortune » dans Montaigne. Il sera tout aussi fréquent — sans plus avoir la même raison d’être — chez ceux qui vont

Dans leurs vers décousus mettre en pièces Malherbe,


et Pascal le mettra au nombre des mots ridicules que les poètes emploient quand ils ne savent que dire.

Proclamer la vanité du monde, de ses occupations et de ses plaisirs, et en outre considérer l’homme comme le jouet impuissant d’une fatalité inexorable : c’était fermer de tous côtés le chemin aux regrets et aux plaintes humaines. Aussi, tant que dure en France le règne de la raison, Sénèque reste le maître des consolateurs ou du moins des raisonneurs qui veulent combattre la douleur en parlant à l’esprit. « Me veux-je armer contre la crainte de la mort ? c’est aux despens de Seneca[60] », disait Montaigne en parlant des pédants ; et, bien longtemps après, Usbek écrit à Rhédi : « Lorsqu’il arrive quelque malheur à un Européen, il n’a d’autre ressource que la lecture d’un philosophe qu’on appelle Sénèque[61] ». Ce que tout le monde lit ou médite, il se trouve toujours quelqu’un pour le mettre en vers :

Hector.

Quel livre voulez-vous lire en votre chagrin ?
..........
Voilà Sénèque.
..........

Valère.

Lis donc.

Hector, (lit).

« Chapitre six. Du mépris des richesses.
La fortune offre aux yeux des brillants mensongers ;
Tous les biens d’ici-bas sont faux et passagers ;
Leur possession trouble, et leur perte est légère ;
Le sage gagne assez quand il peut s’en défaire. »


Ces vers sont du Joueur de Regnard[62] ; mais les derniers pourraient être antérieurs d’un siècle, et ne dépareraient pas les recueils poétiques qu’on faisait dans la première moitié du XVIIe siècle. C’est qu’aux environs de l’an 1600 on se consolait déjà comme du temps de Regnard et de Montesquieu ; Coeffeteau s’adressant à la princesse de Conti[63] — en une pièce que Malherbe estimait[64] — Bertaut et d’autres pour diverses afflictions, recourent aux mêmes moyens, déjà familiers au XVIe siècle : « les Consolations à la Sénèque revenaient à la mode, et après quinze siècles de christianisme, les banalités développées en vers pompeux et froids étaient imprégnées d’autant de sagesse païenne que les graves dissertations du moraliste[65] ». Malherbe aussi disserta, et il le fit même si longuement et si laborieusement, en 1614, que la princesse de Conti fut frappée d’un nouveau deuil avant que la Consolation[66] fût achevée. De plus, la ressource ordinaire des consolateurs, il l’avait mise au service de la poésie, et il exprimait en vers la nécessité de mourir qui doit ôter la crainte de la mort, et l’inutilité des plaintes qui doit faire cesser nos regrets. La Consolatio ad Marciam[67] lui fournissait la matière de bien des stances : « Si nullis planctibus defuncti revocantur ; si sors immota et in œternum fixa, nulla miseria mutatur et mors tenet quidquid abstulit, desinat dolor qui perit ». C’est ce que Malherbe répétera à Caritée[68] qui a perdu son mari, à Du Périer, au président de Verdun[69] ; et même dans sa propre douleur, il n’oubliera pas l’inexorable nécessité de notre nature :

Que mon fils ait perdu sa dépouille mortelle,
Je ne l’impute point à l’injure du sort,
Puisque finir, à l’homme est chose naturelle[70].


Il console comme faisait Sénèque, et de même que celui-ci citait à Marcia l’exemple des mères illustres qui avaient perdu leur fils, il cite à Du Périer d’illustres exemples de pères qui ont perdu leurs enfants : Priam[71], François Ier et… Malherbe. Toutes ces idées, du reste, ont tellement fait le tour des littératures qu’il serait futile de chercher d’où elles viennent, si elles n’étaient accompagnées chez notre poète d’autres pensées empruntées aussi à Sénèque : « Ces âges-là sont perdus pour nous : le temps passé jusques à hier est tout évanoui », disait l’Épître XXIV[72] : et le poète dit à son tour :

L’âge s’évanouit en deçà de la barque
Et ne suit point les morts[73].


L’Épître LXIII démontrait que « le pleurer excessif est plutôt marque de vanité, et de vouloir être estimé affligé, que d’une véritable amitié[74] » ; et les Stances à Du Périer paraphrasent ainsi cette pensée :

Mais d’être inconsolable, et dedans sa mémoire
Enfermer un ennui,
N’est-ce pas se haïr pour acquérir la gloire
De bien aimer autrui[75].


Jugeant la vie et la mort comme Sénèque, Malherbe en parlera comme lui, c’est-à-dire avec les mêmes images. Rien n’est plus fréquent chez les moralistes que de comparer la vie à une traversée dont la mort est le terme ; le traducteur de Sénèque a eu l’occasion de rencontrer bien souvent cette comparaison : « nous laissons la vie derrière nous et comme à ceux qui sont en la mer

Les villes et les champs loin des yeux se reculent[76]


…et finalement commence à paroître cette fin générale de tout ce qu’il y a d’hommes au monde. Pensons-nous que ce soit un écueil, sots et malavisés que nous sommes ? C’est un port que nous devons quelquefois désirer[77] ». L’allégorie continue dans la suite de l’Épître, elle revient dans beaucoup d’autres ; elle est résumée dans la Consolation à Polybius : « In hoc tam procelloso et in omnes tempestates exposito mari navigantibus, nullus portus nisi mortis est ». La voici en vers, et adressée, non plus à Polybius, mais au président de Verdun :

Et les moins travaillés des injures du sort
Peuvent-ils pas justement dire
Qu’un homme dans la tombe est un navire au port ?[78]


C’est sous la forme d’une traversée, avec port et corsaires, que le poète résume sa vie dans l’Ode à Lagarde[79], et la même image revient élégamment dans des vers où se trouve aussi la tournure « fertile de peines », latinisme probablement dû à la fréquentation de Sénèque[80] :

On tient que ce plaisir est fertile de peines,
Et qu’un mauvais succès l’accompagne souvent ;
Mais n’est-ce pas la loi des fortunes humaines,
Qu’elles n’ont point de havre à l’abri de tout vent[81] ?


Sans doute c’est là l’image la plus banale qu’il y ait chez les poètes, et il serait peut-être moins long de compter ceux qui ne l’ont pas employée que ceux qui s’en servent. Mais dans le petit nombre d’images dont dispose Malherbe, elle occupe une place trop caractéristique pour ne pas rappeler le philosophe qui la développait si souvent. Il faut en dire autant des termes de médecine, « guérison », « santé », « embonpoint », employés au figuré : c’est encore une image de moraliste. Elle abonde dans Sénèque : l’épître 95, notamment ; compare longuement la philosophie à la médecine, et Malherbe a traduit bien des passages qui parlaient de l’âme ou de la société comme d’un corps à soigner. Aussi, dans ses vers, et dans ses lettres les plus solennelles, cette image revient-elle sans cesse, soit qu’il parle de la France[82], soit qu’il exprime ses propres « maux », soit aussi que d’après les modes italiennes il fasse parler quelque amant[83].

Il y aurait encore bien des rapprochements à faire entre Sénèque et son traducteur : ainsi la lettre où celui-ci engage Balzac à ne pas ambitionner l’approbation universelle rappelle le ton des Épîtres à Lucilius. Mais s’il est facile de relever une foule d’analogies entre les idées générales du philosophe et celles du poète, il est bien délicat de faire le départ entre ce qui peut relever de l’influence d’un auteur préféré, et les pensées qui naissent de la même façon chez les hommes cultivés de tous les temps et de tous les pays, et auxquelles, selon le mot de Montaigne, le penseur moderne « serait arrivé par sa raison naturelle ». Remarquons que Malherbe, pas plus que Montaigne, ne va jusqu’au bout de la doctrine stoïcienne. Quoiqu’il ait écrit dans sa traduction des Épîtres : « on ne peut dire que ce ne soit le trait d’un galant homme d’avoir fait la résolution de mourir[84] », il exprime dans l’Ode à La Garde l’idée qu’un de ses commentateurs, André Chénier, devait mettre dans la bouche de sa Jeune Captive :

Qu’un stoïque aux yeux secs vole embrasser la mort…


Malherbe, qui sent que « l’apathie des Stoïciens n’est pas en lui[85] », dit en effet à La Garde :

Non, Malherbe n’est pas de ceux
Que l’esprit d’enfer a déceus
Pour acquérir la renommée
De s’être affranchis de prison
Par une lame ou par poison
Ou par une rage animée[86].


Ainsi, en répondant en quelque sorte à la doctrine qu’il a si souvent lue, il se souvient des suicides glorifiés dans les Épîtres qu’il avait traduites, du poignard de Caton et du breuvage empoisonné de Socrate, « qui de la prison le fit monter au ciel : tellement que, quand j’ai désiré une vie honnête, j’ai par même moyen désiré… le poignard… et le poison[87] ». La philosophie de Sénèque ne l’a conduit ni à renoncer aux biens de ce monde, ni à singer Caton, mais elle a laissé dans son esprit des traces ineffaçables, et il s’en est ressenti dans toute son œuvre littéraire.

Quand on a pris à un écrivain sa façon de comprendre le monde et la vie, c’est bien le moins qu’on puisse faire d’accepter ses jugements en matière d’art et de littérature. En ce point encore, Malherbe est l’élève de Sénèque, et le mot le plus fameux, ou plutôt le plus caractéristique, qu’il ait prononcé sur la poésie, il l’a trouvé dans l’épître 95 : « Voyez-vous, disait-il souvent à Racan, si nos vers vivent après nous, toute la gloire que nous en pouvons espérer est qu’on dira que nous avons été deux excellents arrangeurs de syllabes, et que nous avons eu une grande puissance sur les paroles, pour les placer si à propos chacune en leur rang, et que nous avons été tous deux bien fous de passer la meilleure partie de notre âge en un exercice si peu utile au public et à nous[88] ». Or, voici ce que disait l’épître à Lucilius, dans la traduction de Malherbe lui-même : « Tout le soin des grammairiens est en l’agencement des paroles. Il s’élargit bien quelquefois jusqu’à l’histoire ; mais quand il va jusques aux vers, c’est le bout de sa carrière : il ne passe jamais plus avant. Je vous laisse à penser en quoi l’assemblement des syllabes, le choix des paroles, la mémoire des fables et la mesure des vers peuvent aider un homme[89] ». Malherbe pensait que cela ne pouvait aider ni un homme ni une nation, et l’on sait comment il rabrouait l’auteur qui se plaignait que l’État ne récompensât pas mieux les poètes. Inconséquent comme Sénèque et comme tous les raisonneurs, il ne laissait pas d’écrire, et de juger les vers des autres avec autant de soin que de sévérité : et dans ses jugements il suit encore la méthode de Sénèque. On pouvait d’ailleurs, sans être béotien, se réclamer, en matière de critique littéraire, du philosophe latin. N’est-ce pas le maître de la critique française au XIXe siècle qui écrivait : « Les plus belles paroles qui aient été prononcées sur la question des anciens et des modernes, c’est peut-être encore ce grand et si ingénieux écrivain Sénèque qui les a dites, et on ne peut rien faire de mieux aujourd’hui que de les répéter…[90] ». Là-dessus Sainte-Beuve citait un très long passage du grand et si ingénieux écrivain. Malherbe, sans citer son modèle, ne s’en inspirait pas moins : et bien des appréciations littéraires du Traité des Bienfaits et des Épîtres, non seulement auraient pu s’appliquer aux écrivains français du début du XVIIe siècle, mais encore représentent le jugement de Malherbe sur tous les écrivains en général, et sur ses contemporains et prédécesseurs en particulier. « Virgile ne prend quelquefois pas tant garde à la vérité qu’à la bienséance, et semble qu’il veuille qu’on le lise plutôt pour plaisir que pour apprendre à labourer. J’en laisserai assez d’autres exemples pour vous en donner un qu’aujourd’hui j’ai été forcé de condamner :

Quand la tiède saison met les plantes en sève,
On sème le sainfoin, et le mil, et la fève.


Voulez-vous voir si tout ce qu’il dit est véritable et si tout cela se doit semer en même saison ? nous sommes à la fin du mois de juin ; et cependant aujourd’hui j’ai vu cueillir des fèves et semer du mil[91]. » Voilà des reproches auxquels Malherbe devait s’associer de tout cœur — on sait par Régnier, par Berthelot et d’autres qu’il trouvait à « reprendre » en Virgile, — et voilà surtout à quel point de vue il se placera pour juger Desportes, Régnier, Ronsard et les autres. Il cherchera s’ils prennent garde à la vérité, il voudra voir si ce qu’ils disent est véritable, et il sera impitoyable pour les inexactitudes, pour les « mauvaises imaginations » et « imaginations bestiales «  de Desportes, pour les vers vides de sens qui ne sont que « moellon » dans les poèmes de Ronsard, pour les fictions poétiques invraisemblables surtout, dont les poètes d’alors usent encore avec désinvolture. « Il avoit aversion contre les fictions poétiques, et en lisant une épître de Régnier à Henri le Grand où il feint que la France s’enleva en l’air pour parler à Jupiter, il demandoit à Régnier en quel temps cela étoit arrivé, et disoit qu’il avoit toujours demeuré en France depuis cinquante ans et qu’il ne s’étoit point aperçu qu’elle se fût enlevée hors de sa place[92]. » Ce mépris des fictions poétiques, Malherbe l’avait trouvé bien souvent dans Sénèque : l’épître qui rabaissait les « arrangeurs de mots et de syllabes » ne dédaignait pas moins « la mémoire des fables » que la mesure des paroles et des vers, et déjà le Traité des Bienfaits dénigrait ces « niaiseries[93] », ces « baies[94] », « toute cette manière de fables qui est du gibier des poëtes, qui n’ont d’autre but que de dire quelque chose de bonne grâce[95] ». « Je veux bien qu’il y en ait de si passionnés pour le parti des Grecs, que toutes ces imaginations leur semblent nécessaires ; mais je ne pense pas qu’il s’en trouve un qui cherche quelque substance aux noms qu’Hésiode leur a donnés[96]. » Le parti des Grecs on l’a déjà vu, avait un sens aussi précis au début du XVIIe siècle qu’au temps de Sénèque, et c’est contre lui que Malherbe portait ses coups. Quant aux fictions que lui-même employait, il en trouvait encore la théorie dans le même Traité : « Comme quelquefois un nomenclateur, si sa mémoire lui manque, a recours à l’impudence, et nomme comme il lui vient en la bouche ceux de qui il a oublié le nom ; aussi les poètes ne se pensent pas obligés à la vérité ; mais selon qu’ils sont contraints par la mesure du vers, ou flattés par la beauté de quelque parole, donnent à chacun le nom qui leur vient le plus à propos, et ne sont point blâmés d’avoir enrichi la matière de quelque chose de leur invention. L’un ne donne point la loi à l’autre[97] ». C’en était assez pour permettre à Malherbe d’accommoder librement les fictions reçues, en répondant aux critiques qu’« il n’apprêtoit pas les viandes pour les cuisiniers » : et cela ne l’empêchait pas de relever dans Desportes telle « fable nouvelle ». Pour combattre l’habitude des fictions, pour en combattre surtout le pédantisme, et pour dédaigner cette connaissance précise[98] et cette reproduction exacte de l’antiquité, dont la Pléiade faisait tant de cas, Malherbe n’avait qu’à se souvenir de Sénèque. De nos jours, quand M. Brunetière combat l’érudition, il trouve à citer Bossuet : Malherbe, sans citer Sénèque, n’avait qu’à répéter ce qu’il en avait retenu pour combattre non seulement le pédantisme, mais même le lyrisme et les poètes hellénisants, et pour demander à la poésie plus de raison, de bon sens, de naturel, de clarté et d’idées surtout. Comme il venait en un temps fort raisonneur, on écouta ses leçons ; et quand Boileau proclama le triomphe de celui qui

D’un mot mis en sa place enseigna le pouvoir[99],


la traduction de Sénèque par Malherbe aura déjà une vingtaine d’éditions : « les règles du devoir » ont un peu été pour « la Muse » les règles du dissertateur latin, et à mesure qu’on « reconnaît les lois » du réformateur de la poésie, on continue à lire la traduction qu’il a donnée de Sénèque, et que Du Ryer a achevée avec un soin pieux, que Godeau et d’autres ont vantée infiniment.

Cette traduction a donc une double importance dans l’histoire de la littérature française. Admirée du XVIIe siècle, elle a été pour Sénèque un peu de ce qu’Amyot fut pour Plutarque ; puis elle constitue un monument de la prose oratoire, et il faut la placer à cet égard immédiatement après l’œuvre de Balzac : Malherbe, au reste, ne croyait-il pas qu’il aurait pu suffire aux deux tâches de réformateur de la prose et de la poésie, et n’a-t-il pas dit des écrits de Balzac que tout cela lui était déjà venu à l’esprit ? En outre, la façon dont Malherbe s’assimile Sénèque correspond à un développement important de la poésie française. Au moment où le classicisme en était encore à se chercher lui-même, à l’âge ingrat qu’il traversait au commencement du XVIIe siècle, il avait besoin de nouveaux maîtres et de nouvelles leçons. La prose fit sa rhétorique, on l’a bien dit, avec Balzac, qui ne fut vraiment qu’un professeur de rhétorique. Malherbe fut le maître de philosophie, et non seulement il confia à la prose la sagesse de Sénèque, mais surtout il travailla à inculquer cette sagesse à la poésie « lyrique », qui écouta d’une oreille docile : et alors on put le regarder comme un nouveau Ponocrate, « instituant son élève en nouvelle discipline, et essayant de lui faire oublier ce qu’il avait appris sous ses antiques précepteurs ». La poésie lyrique avait montré au XVIe siècle la pétulance et les curiosités de la période enfantine, elle avait eu le maniérisme des premières coquetteries : et maintenant Malherbe lui commandait de prendre un maintien grave, d’avoir des idées sérieuses, logiques et précises, et des paroles sobres et nettes. Comme le maître de philosophie, il lui apprenait à faire avec règle et méthode tout ce qu’elle avait fait jusque là « sans le savoir ».

  1. Montaigne, Essais, II, 10.
  2. Ibid., I, 24.
  3. Colletet, Discours sur l’éloquence, dit. Grente, Jean Bertaut, p. 341. — De même on lit dans les Jugements des savants ce Baillet (éd. revue par La Monnoye, Amsterdam 1725), à l’article : Malherbe (t. IV, p. 195) : « On peut dire aussi qu’on lui trouve l’esprit de Sénèque en divers endroits ; il l’avoit beaucoup étudié et traduit même en notre Langue, c’est ce qui lui avoit rendu ses sentimens plus familiers, et qui a contribué beaucoup sans doute à rendre sa Poësie si touchante, si animée et si consolante lorsqu’il parle de la mort ou des adversités de la vie ».
  4. Réédité dans De La Rue, Essais historiques sur les Bardes les Jongleurs et les Trouvères normands et anglo normands, t. III, fin.
  5. J’ai déjà présenté ces observations dans un article du Musée Belge (1903) sur l’influence de Sénèque le Philosophe ; M. Stemplinger, rendant compte de mon étude — avec une extrême bienveillance, du reste — dans la Zeitschrift für französische Sprache und Litteratur (1904), estime que je n’ai pas prouvé l’impossibilité d’attribuer le Bouquet à Malherbe : c’est qu’en effet cette impossibilité me paraît établie dans l’édition Lalanne, et est, depuis M. Lalanne, généralement admise. Comme on l’a observé, Malherbe n’aurait pu écrire en 1590 les vers du Bouquet :

    Si mes parents sont morts…

    Au reste, les fausses attributions du brave abbé De la Rue sont légion.

  6. Racan (l. c., p. LXX). — Nous laissons naturellement de côté l’influence de Sénèque sur l’art dramatique ; l’étude de cette question a été entreprise par M. Karl Bœhm (Münchener Beiträge zur rom. u. eng. Philol., XXIX).
  7. Malherbe, éd. Lalanne, t. I, p. 467 sqq., et t. II en entier.
  8. Malh., II, 261.
  9. Racan (Malh., I, p. LXXXVI). Quand, en 1615, il reçoit le Sénèque que lui a envoyé son cousin de Boutonvilliers, il semble ne plus rien avoir à apprendre dans cet exemplaire : « Si j’eusse cru qu’il n’y eût que cela, je ne l’eusse pas demandé » (Malh., IV, 4.0). Travaillait-il en ce moment à sa traduction, ou était-il occupé à la revoir ? — Il a dû y mettre bien des années s’il n’allait pas plus vite que pour ses écrits originaux.
  10. Malh., I, 215, v. 146-150. Cf. aussi le vers de Varron d’Atax traduit par Malherbe (II, 467) : « Le repos de la nuit avait tout assoupi », et la page qui suit, et ces vers de Malherbe (I, 160) :

    Comme la nuit arrive, et que par le silence,
    Qui fait fies bruits du jour cesser la violence,
    L’esprit est relâché…

  11. Malh., II. p. 96 (De Benef., IV, 6).
  12. Malh., II, 722 (Géorgiques, I, 125-128).
  13. Malh., II, 671.
  14. id., II, 598. Tel vers aussi fait songer à Racan, le disciple de Malherbe :

    Au gré de mes destins mes jours sont achevés (II, 157).


    Tels autres ont une vigueur cornélienne :

    Vierge, cela n’est rien : tu ne m’as annoncé
    Ni travaux ni combats où je n’eusse pensé (II, 594).

  15. Vie de Malh. (Malh., I. p. LXXXVI).
  16. De Beneficiis, l. VII, c. 2.
  17. Malh., II, 217.
  18. id., II, 420.
  19. Par exemple II, 543. Cette image était familière aux poètes du temps, notamment à Régnier (Satire IV, v. 125, et Sat. XI).
  20. II, 420, 428 et passim.
  21. II, 390.
  22. Épître XXXIII, 1.
  23. Malh., I, 465. À cet égard, c’est sa traduction de Sénèque plus que celle de Tite-Live qui fait époque dans l’histoire de la traduction française (v. Egger, L’hellénisme, II, p. 126).
  24. Réimprimé dans le t. I de l’éd. Lalanne. Malh. aurait sans doute appliqué aux idées qu’il empruntait à Sénèque le mot qu’il traduit de l’Épître XII : « Quand les choses sont parfaitement bonnes, tout le monde a droit d’en prendre sa part » (Malh., t. II, p. 305), ou celui-ci : « Envoyez vos yeux où vous voudrez, vous rencontrerez toujours quelque trait qui vous semblera triable ».
  25. Hippolyte, III, 4.
  26. Médée, I, 4.
  27. Thébaïde, I, 1. Rien, d’ailleurs, n’est plus fréquent dans la poésie antique ; encore n’est-il pas sans intérêt de voir auquel des anciens les poètes français empruntent le plus souvent cette prosopopée.
  28. Malh., I, 78.
  29. Iphigénie, V, 4, La prosopopée de Clytemnestre contient la même idée que celle de Malherbe, et elle fait, comme celle-ci, rimer Atrée et contrée, et met festin à la fin d’un vers. — V. Iphigénie, éd. Lanson.
  30. Ainsi dit la traduction de Sénèque (Malh., II, 116). Si la même idée est aussi dans l’Évangile selon St  Mathieu (V, 4), la suite des vers de Malherbe se rattache plus exactement aux dissertations philosophiques, plus familières à Malherbe que les Évangiles.
  31. Malh., I, 78.
  32. Malh., II, 118, 119 et passim.
  33. id., II, 248.
  34. Ibid., et II, 4.
  35. Malh., II, 479.
  36. Cité par Brunot, l. l., p. 65.
  37. Malh., I, 24. C’est ce que Ronsard avait dit avec non moins de majesté dans son Discours des misères de ce temps (t. VII, p. 33) :

    Car le bien suit le mal comme l’onde suit l’onde,
    Et rien n’est assuré sans se changer au monde.

    Ces vers étaient entre […] dans les vers de Ronsard : au XVIe siècle, la poésie française avait le tort de ne penser qu’entre parenthèses.

  38. Malh., II, 362.
  39. II, 599.
  40. Larmes, éd. dans Gasté, La jeunesse de Malherbe, p. 38.
  41. Malh., I, 25. Ce n’est là, si l’on veut, qu’un lieu commun qu’il aurait pu, comme Racan, trouver dans Horace (À Torquatus, IV, VII ; Racan, Ode à M. de Termes ; Arnould, Racan, pp. 95, 96 et n. 1), ou chez un autre, ou dans sa propre réflexion ; mais le nombre seul des idées communes au philosophe et au poète rend vraisemblable l’influence de Sénèque sur son traducteur.
  42. Essai sur les règnes de Claude et de Néron, pour servir d’introduction à la traduction de Sénèque par Lagrange. (Diderot, éd. Assézat, t. III, p. 371).
  43. Malh., lettre parlant de Du Vair (III, 251).
  44. Racan, o. c., p. LXXVI. Malherbe écrit lui-même : « J’estime si peu le monde… » (IV, p. 45, lettre du 2 août 1618). Il parlait savamment de philosophie (v. Grente, p. 245).
  45. Rabelais, Gargantua, I, 1. Montaigne, Essais, I, 24, qui traduit un passage du Théétète de Platon. La même idée se retrouve à peu près dans La Bruyère, De quelques usages, 12.
  46. Racan, LXXVI.
  47. Malh., II, 420.
  48. V. Malh., I, 332-334, III, 6, 596-598 ; et Malherbe par le duc de Broglie, pp. 7-11.
  49. Racan, l. c., p. LXIX.
  50. Ibid., LXX.
  51. Ibid., LXXVII.
  52. On voit que cette question avait été posée longtemps avant l’Académie de Dijon, et que Sénèque y avait répondu avant Rousseau, qui s’est abondamment souvenu du philosophe latin : la « philosophie renouvelée d’Omar », que Volney reproche à Rousseau, est plutôt une philosophie renouvelée de Sénèque.
  53. Malh., II, 687. De même P. 686 : « Ce sont métiers mercenaires, qui préparent l’esprit s’il passe par-dessus, et le gâtent s’il y croupit ». Cette célèbre épître porte dans Malh. le no LXXXVIII, qu’elle a encore dans la traduction allemande de Lehmann (1816).
  54. Pantagruel, 5e  livre, chap. XXXVI (éd. Marty-Laveaux, t. III, p. 143).
  55. Œdipe, III, 5.
  56. Malh., II, 322.
  57. IV, 75.
  58. I, 43 (derniers vers). C’est ce qu’avait dit aussi Desportes dans une élégie dont l’auteur des Stances à Du Périer paraît s’être souvenu, comme on verra plus loin.
  59. Cf. Du Bellay, Contre les pétrarquistes, dans les Jeux rustiques (éd. Marty-Laveaux, p. 333-4). Pascal, Pensées (éd. Havet), VII, 25.
  60. Essais, I, 24 (Du pédantisme).
  61. Montesquieu, Lettres persanes, lettre XXXIII.
  62. Acte IV, scène xiii.
  63. Ch. Urbain, Nicolas Coeffeteau, p. 252.
  64. Malh., III, 450.
  65. G. Grente, Jean Bertaut, p. 171-172, et p. 211.
  66. Pour cette Consolation, Malherbe avait utilisé Sénèque, et aussi les « consolations » écrites à l’occasion du deuil de la princesse (v. Urbain, p. 251).
  67. Ad Marciam, VI ; la C. ad Marciam a été utilisée par Coeffeteau.
  68. Malh., I, 33-34.
  69. I, 269-271. Le président était remarié quand arriva la pièce de vers qui devait le consoler de son veuvage. Ce n’est pas à dire que Malherbe eût mis trois ans à la faire, comme on l’a prétendu, et comme on le répète encore.
  70. I, 276.
  71. De même à Caritée qui a perdu son mari il rappelle tous les jeunes maris qui sont morts à la guerre de Troie. Sur « Priam, François Ier et Malherbe », voyez la plaisanterie de Balzac dans son Entretien I.
  72. Malh., II, 360.
  73. Malh., I, 40.
  74. Malh., II, 494.
  75. Sénèque citait ici Virg., Énéide, III, 73 : Terræque urbesque recedunt.
  76. Malh., II, 536.
  77. I, 41.
  78. Malh., I, 271.
  79. I, 287. Cf. la même image en parlant de l’État (Malh., I, 70, v. 23, et p. 393 ; et Racan, l. c., p. LXXIV).
  80. Cette tournure, qui n’apparaît qu’une fois dans les vers de Malherbe, et une fois dans une de ses lettres (t. IV, p. 115), se trouve deux fois dans la traduction du Traité des Bienfaits (t. II, p. ). Malherbe a employé ailleurs : fertile en. Du Bellay disait encore : fertile de bons poètes (Def. et Illustr., chap. XI, éd. Person, p. 93).
  81. Malh., I, 801. Cf. aussi I, 21. v. 11 et 12.

    Montchrestien disait de même de la vie humaine :

    C’est une nef poussée
    De l’orage du monde et des flots du destin.

    (David, Tragédie, acte IV, chœur, éd. elzév., p. 226.)

    C’est donc probablement à Sénèque qu’il faudrait reporter le mérite que M. Paul Bourget fait aux Pères de l’Église, d’avoir comparé la vie à une traversée.

  82. Malh., I, 69, 261, IV, 101-105.
  83. id., I, 2, 23, 100, 163, 179, 183, 302, 303, 392.
  84. Malh., II, 544.
  85. I, 356.
  86. I, 288.
  87. Malh., II, 527. De même, l’âme est « comme délivrée de prison » dans la traduction des Questions naturelles (Malh., I, 471). Cf. aussi Malh., II, 355, et 551.
  88. Racan, l. c., p. LXXVI.
  89. Malh., II, 687.
  90. Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t. 13, p. 138.
  91. Trad. Malh., II, 671-672. C’est au point de vue de la vérité, ou de la vraisemblance, que se placeront tous les contempteurs de Virgile, jusqu’à Napoléon Ier (Correspondance, t. XXXI)
  92. Racan, l. c., p. LXXI.
  93. Malh., II, p. 8.
  94. Malh., II, 10 et note (De Benef., I, 4) : baye = tromperie qu’on fait à quelqu’un pour se divertir (Dict. de l’Acad., 1694).
  95. Ibid., p. 10.
  96. Ibid., p. 8.
  97. Malh., II, p. 9 (De Benef., I, 3).
  98. Baïf (éd. Becq de Fouquière, p. 293) recommande déjà à Desportes « plus de sens et moins de savoir », et du temps de La Fontaine on demande encore à l’écrivain

    Qu’il cache son savoir et montre son esprit.

    (La Font., éd. Régnier, IX, 373)

    Malherbe préfère, comme Montaigne, une tête bien faite à une tête bien remplie ; l’expression « tête bien faite » se trouve dans la traduction de Sénèque (Malh., II, 361).

  99. C’est à peu près, comme on voit, le mot de Malherbe à Racan, c’est-à-dire celui de Sénèque sur la poésie en général. « Mettre un mot en sa place » est si bien la leçon donnée par Malherbe au XVIIe siècle, qu’on la retournera contre Malherbe lui-même en lui reprochant avec un pédantesque souci de symétrie, de n’avoir pas mis un complément à « verre » comme à « onde » dans :

    N’espérons plus, mon âme…

    La Fontaine reproche aussi à Ronsard d’« arranger mal ses mots » (éd. Régnier, IX, 373).