Mémoires secrets de Bachaumont/1772/Janvier

Texte établi par M. J. Ravenel, Brissot-Thivars éditeurs & A. Sautelet et Compagnie (Tome III (1769-1772)p. 401-414).
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Janvier 1772


1772.


2 Janvier. — *Vers à madame la comtesse Du Barry,

Qui a sollicité elle-même une pension pour M. le duc de Choiseul.

Chacun doutait, en vous voyant si belle,
Si vous étiez ou femme ou déité ;
Mais c’est trop sûr ; votre rare bonté
N’est pas l’effort d’une simple mortelle.
Quoi qu’ait jadis écrit en certain lieu
Un Roi-Prophète, en sa sainte démence,
Quoi qu’un poète en ait dit, la vengeance
N’est que d’un homme, et le pardon d’un Dieu.

4. — Il s’est trouvé au Palais, à Rouen, un papier dans lequel on diffamait tout le Conseil Supérieur par l’épigramme suivante :

Ici quinze Ifs[1] de toute espèce
Siègent pour être nos bourreaux,
Qui devraient porter sur le dos
Fleurs de lis qu’ils ont sous la fesse.

5. — On sait que M. Diderot est honoré des bontés particulières de l’Impératrice de Russie, et qu’il est en

quelque sorte son agent littéraire à Paris. Il s’est mêlé, en cette qualité, du marché fait pour cette souveraine du cabinet de tableaux de M. le baron de Thiers, qu’elle a acheté en entier. Cela a donné lieu à quelques conférences entre M. Diderot et les héritiers du défunt, au nombre desquels est M. le maréchal de Broglio, par sa femme. Ce maréchal, fort honnête, a pour frère le comte de Broglio, parfois très-mauvais plaisant. Un jour que ce dernier se trouvait à une conférence du philosophe avec M. le maréchal, il voulut le tourner en ridicule sur l’habit noir qu’il portait, et lui demanda s’il était en deuil des Russes ? — « Si j’avais à porter le deuil d’une nation, monsieur le comte, lui répondit M. Diderot, je n’irais pas la chercher si loin. »

7. — M. Saurin, membre de l’Académie Française, a lu, il y a quelques mois, à une assemblée publique, une Épître sur les inconvéniens de la vieillesse[2], dont le principal, suivant lui, était de survivre à ses amis. Il vient de donner une suite à cette Épître, à l’occasion de la mort de M. Helvétius, son bienfaiteur. Voici cette pièce :

Aux mânes de mon ami.

Ô toiÔ toi, qui ne peux plus m’entendre,
Ô toi, qui, dans la tombe avant moi descendu,
Ô toiTrahis mon espoir le plus tendre :
Quand je disais, hélas ! que j’avais trop vécu,
Qu’à ce malheur affreux j’étais loin de m’attendre !
Oh ! comment t’exprimer tout ce que j’ai perdu !
C’est toi, qui me cherchant au sein de l’infortune,
Ô toiRelevas mon sort abattu,
Et sus me rendre chère une vie importune.

Ta vertu bienfaisante égalait tes talens :
Tendre ami des humains, sensible à leurs misères,
Tes écrits combattaient l’erreur et les tyrans
Ô toiEt ta main soulageait tes frères.
Ô toiL’équitable postérité
Ô toiT’applaudira d’avoir quitté
Le palais de Plutus pour le temple des sages,
Ô toiEt s’éclairant dans tes ouvrages
Les marquera du sceau de l’immortalité.
Faible soulagement de ma douleur profonde !
Ta gloire durera tant que vivra le monde.
Que fait la gloire à ceux que la tombe a reçus !
Que t’importent les pleurs dont le torrent m’inonde !
Ô douleur impuissante ! ô regrets superflus !
Je vis, hélas ! je vis, et mon ami n’est plus !


8. — *On a toujours dit que les Français se consolaient de tout par une chanson. On commençait à craindre que la nation n’eût perdu son caractère ; mais un plaisant[3] nous prouve que cette terreur est vaine, et que l’on sait encore rire à Paris. Voici un vaudeville qui court, et contre l’auteur duquel on dit que le ministère fait des recherches sévères :

Air : Ma raison allait faire naufrage.

ÔChantons dans un badin vandeville
ÔLe retour des vertus qu’on aura ;
L’honneur gothique à la cour, à la ville,
Le sentiment, qu’on trouve de vieux style,
Ô Cela reviendra.

ÔAu barreau reviendra le silence,
ÔLa franchise au barreau renaîtra ;
Des avocats l’impayable éloquence ;

Des procureurs l’équité, l’innocence,
Ô Cela reviendra.

ÔTout revient, la pudeur, le courage,
ÔLa gaîté, les mœurs, et cætera :
Je sais même une demoiselle sage
Qui disait, en perdant son pucelage,
ÔCela reviendra.

ÔFrançais, ne perdez pas l’espérance,
ÔTout va bien, tout encor mieux ira :
La liberté, le crédit, l’abondance,
La candeur, les Jésuites, l’innocence,
ÔCela reviendra.

9. — *M. de Belloy a fait aujourd’hui son discours de remerciement à l’Académie Française. C’était M. le maréchal duc de Richelieu qui, élu directeur par le sort, devait lui répondre ; mais ce seigneur sentant qu’après la conduite qu’il a tenue il serait peu agréable au public, a jugé à propos de se soustraire à ses regards et à sa critique. C’est M. l’abbé Batteux qui a répondu.

10. — *Il se répand ici, très-clandestinement, une espèce d’Ode au roi[4], dans le goût des Chancelières. L’ouvrage est plus sagement fait, mais dénué de l’enthousiasme du genre, et dont on apercevait quelques étincelles dans le fatras barbare des deux autres. C’est une exhortation au monarque d’ouvrir les yeux, et de se rappeler les temps heureux où il était l’amour et les délices de ses peuples, temps qu’il peut encore faire renaître.

12. — Un serrurier a fait pour chef-d’œuvre un dais tout en fer. Il a six branches, qui se recourbent, se réunissent à un centre commun et se terminent par une couronne. Elle est accompagnée d’un feuillage qui circule autour, et l’ouvrage est si délicatement travaillé, si exquis, si poli, qu’il brille comme l’argent le plus pur. C’est le fruit de dix ans de travail. On en avait parlé à Sa Majesté, qui a voulu le voir, qui en a été si enchantée qu’elle se proposait de l’acheter pour l’église de Choisy, où il avait même servi. Cependant cet artiste ayant été longtemps sans toucher d’argent, a fait ses réclamations : il demandait cinquante mille livres. On a trouvé ce dais trop cher, et on le lui a rendu. Comme il désespère de trouver personne qui veuille l’acheter, il le montre au public pour vingt-quatre sous. C’est une chose digne de l’attention des curieux, et plus parfaite encore que ce qu’on a vu de plus admirable en ce genre.

— *M. de La Rochefoucauld, archevêque de Rouen, n’ayant pas voulu officier à la messe du Saint-Esprit lors de l’installation du Conseil Supérieur, s’est retiré à Gaillon, où il a une maison de campagne, et a si bien harangué son Chapitre, sans lui insinuer positivement de ne point accepter de places dans le Conseil Supérieur, qu’aucun chanoine n’y est entré.

Des farceurs ont joué le Conseil Supérieur et ont, en conséquence, été mis au cachot. La fermentation a été poussée au point qu’on a pendu en effigie M. de Crosne, intendant de la province et premier président du Conseil, et qu’on a fait courir un Arrêt imprimé, dans une forme très-légale, où il était condamné à être rasé par les trois Ordres réunis. Voici un nouveau placard épigrammatique, affiché à sa porte : nous le recueillons non comme une pièce de poésie merveilleuse, mais comme une pièce historique :

ChL’autre jour, Thiroux de Crosne
ChDe sa noblesse qu’il prône
ÔCherchait les titres précieux :
ÔUne enseigne assez mal dorée,
ÔDe deux bassins blancs décorée,
ÔVint aussitôt frapper ses yeux.
ÔDes services de ses grands pères,
ÔCe respectable monument
ÔLui fit voir en gros caractères :
« Céans, l’on fait le poil très-proprement. »

13. — Me Linguet se distingue au nouveau Parlement. Il paraît deux Mémoires imprimés de cet orateur, qui sont très-recherchés. Le premier est une Consultation pour M. le prince de Ligne, prince du Saint-Empire et d’Amblise, grand d’Espagne de la première classe, etc. contre l’abbaye royale de Corbie.

Le second, en faveur de madame la duchesse d’Olonne, contre le sieur Orourcke.

14. — *Depuis l’établissement des Conseils Supérieurs, d’habiles anagrammatistes cherchaient à retourner ce titre d’une façon ingénieuse et caractéristique. Enfin des divers essais de combinaison il est résulté les mots suivans : Vile corpus sine re.

15. — Madame Favart souffre beaucoup d’une maladie de femme, et plus encore d’une maladie d’actrice. Elle se trouve attaquée mortellement dans la partie qui a péché en elle. L’abbé de Voisenon, qui vit chez elle depuis plus de vingt ans, ne la quitte point et est dans les plus vives alarmes. Toute sa petite société n’est pas moins dans la douleur. Quant au public, il regrette peu une comédienne médiocre, qui avait long-temps usurpé une réputation sans qu’on sût trop pourquoi, et qui n’est plus que tolérée sur la scène, dont elle aurait dû, pour son honneur bien entendu, se retirer plus tôt.

17. — M. de Belle-Isle, secrétaire des commandemens et du cabinet de M. le duc d’Orléans, passe pour auteur d’un Mémoire de ce prince concernant ses domaines attaqués par M. le contrôleur général. Cet écrit, de quatre-vingts pages in-4o, qui fait grand bruit, est très-savant, très-profond, très-bien discuté ; mais on y fait tenir au premier prince du sang un ton de suppliant peu noble, surtout dans un moment où il doit réclamer la justice du roi et non implorer sa bonté.

19. — Tout est problème dans ce pays-ci, et les faits les mieux confirmés en apparence reçoivent ensuite des sens, des interprétations, des additions qui les dénaturent. Tel est le prétendu premier mariage de M. de Bombelles[5], contre lequel ses partisans réclament, et qui, par la tournure de longueur que prend l’affaire, devient extrêmement louche. On assure même aujourd’hui que mademoiselle Camp ne poursuivra pas un jugement qu’elle redoute. On produit une lettre de Me Linguet, son avocat, à M. de Bombelles, qui ne contribue pas peu à augmenter les doutes, tant elle est difficile à concilier avec le Mémoire qu’il a publié ensuite contre lui. On la donne pour authentique, elle est datée de Lucienne, le 4 juin 1771, ou cinq mois et huit jours avant la Consultation qu’il a signée pour la demoiselle Camp. On ne peut refuser, en journaliste impartial, d’en donner la copie.

« J’ai reçu avec la plus grande reconnaissance, et lu avec le plus vif intérêt le Mémoire que M. le vicomte de Bombelles a eu la bonté de m’envoyer. C’est quelque chose de bien singulier en effet que la hardiesse avec laquelle on ose le compromettre par des imputations de la nature de celles dont il se plaint. Peut-être est-ce son mariage même qui en est l’origine. Il est possible que quelques collatéraux du côté de madame son épouse aient conçu de l’inquiétude de cet événement, et qu’ils aient imaginé ce lâche et maladroit moyen pour se tranquilliser. Au reste, l’éclat même qu’ils auraient nécessité ne peut servir qu’à rendre leur honte publique, et à faire briller l’innocence du client, ainsi que les talens du défenseur.

« J’ai l’honneur d’assurer M. le vicomte de Bombelles du respect avec lequel je suis son très-humble et très obéissant serviteur. »

M. le duc de Chaulnes, ci-devant duc de Pecquigny, est, comme on sait, un grand sectateur des arts et des sciences ; il vient d’en donner, à ceux qui en seraient le moins convaincus, une preuve qui ne permet pas d’en douter. Il dissertait avec un Anglais, et chacun soutint son opinion avec tant de chaleur, que la dispute dégénéré en une vraie rixe : on en est venu aux armes, et nos deux philosophes ont prétendu avoir au bout de leur épée le meilleur argument. Le seigneur français a succombé et a été blessé.


20. — Il paraît un troisième Supplément à la Gazette de France[6]. Celui-ci prend véritablement la tournure d’une feuille de nouvelles, quoique son principal but soit toujours de tirer au clair les diverses liquidations. Ce genre de faits est aujourd’hui le moindre objet qui y soit traité ; on a cherché à rendre ce Supplément piquant par un recueil d’anecdotes, bien scandaleuses, bien bonnes. L’auteur paraît vouloir succéder à celui de la Gazette ecclésiastique  ; il tâte le goût du public, et l’on ne doute pas qu’insensiblement il ne le remplace. Le Jansénisme ayant perdu son grand mérite, son intérêt véritable par l’extinction des Jésuites en France, s’est transformé dans le parti du patriotisme ; il faut lui rendre justice, il a toujours eu beaucoup d’attraits pour l’indépendance ; il a combattu le despotisme papal avec un courage invincible : le despotisme politique n’est pas un hydre moins terrible à redouter, et il dirige aujourd’hui vers cet ennemi toutes ses forces, désormais inutiles dans l’autre genre de combat.


— Les libraires associés à l’Encyclopédie, qui ne sont pas sans inquiétude sur la suite de leur procès contre M. Luneau de Boisjermain, cherchent à se mettre en règle le plus qu’ils peuvent et hors de prise vis-à-vis de ce redoutable adversaire. C’est à cette fin, sans doute, qu’ils ont accéléré la publication des deux derniers volumes de planches. Leur but, à ce qu’on prétend, est, en les délivrant aux souscripteurs, de retirer le certificat de souscription, et d’enlever ainsi le titre en vertu duquel on pourrait les contraindre au remboursement dont on a parlé, s’ils sont condamnés. De son côté, M. Luneau est occupé à répondre à leur Mémoire ligne par ligne, comme il a fait à la lettre de M. Diderot. Pour contrebalancer les batteries des libraires, il prie les souscripteurs de vouloir bien lui envoyer la copie figurée de leur quittance de souscription, de leur certificat, etc. ; il promet de leur remettre en échange, gratuitement, tous les Mémoires qu’il a publiés dans cette affaire, et tous ceux qu’il publiera.

21. — Mémoire pour le comte Orourcke, mestre-de-camp de cavalerie, ci-devant chambellan du feu roi de Pologne, duc de Lorraine et de Bar, contre madame la duchesse d’Olonne. Tel est l’intitulé de la réponse au Mémoire de Me Linguet en faveur de madame la duchesse d’Olonne. Ce Mémoire, de la composition du sieur Chabans[7], avocat obscur, n’a pas le sarcasme, la chaleur, de l’autre, mais il n’est pas mal méchant.

22. — On a remis hier à l’Opéra Castor et Pollux Jamais on n’a vu plus brillante assemblée ; elle était en outre si nombreuse, que la recette a monté à près de près de deux mille écus, sans compter les petites loges ; ce qui est sans exemple. La foule était telle, que la représentation s’en est ressentie, et les deux premiers actes n’ont point été absolument entendus. Les princes ont reçu le tribut d’applaudissemens qu’on leur prodigue constamment depuis qu’ils paraissent en public, et surtout depuis qu’on sait que cela mortifie la cour.

23. — La fécondité du philosophe de Ferney s’était ralentie, depuis quelque temps, et l’on ne parlait d’aucune production nouvelle de sa part. Il vient de réveiller l’attention du public par un petit pamphlet, assez piquant intitulé Tocsin des Rois. On sait avec quelle adresse M. de Voltaire choisit toujours l’à-propos, pour jeter plus d’intérêt dans ses ouvrages. Celui-ci a été composé à l’occasion de l’attentat commis sur la personne du roi de Pologne[8], attentat qui rend sa cause commune à tous les souverains. Cet événement amène assez naturellement un éloge de l’Impératrice des Russies, qui soutient avec tant de constance ce monarque toujours chancelant sur son trône. L’écrivain paie aussi un tribut de louange aux talens de l’Empereur et aux qualités vraiment héroïques qu’il déploie. Enfin, il termine par exhorter toutes les puissances de l’Europe à détrôner le Turc, despote monstrueux, si long-temps la terreur et le fléau de l’humanité.

24. — Une compagnie d’étrangers vient d’entreprendre dans cette capitale une espèce de manufacture de poulets pour l’hiver. Ils ont choisi un emplacement sur le nouveau boulevard ; ils comptent en faire éclore au moins cinquante mille par mois. Ils se proposent d’employer la méthode des Égyptiens, c’est-à-dire des fours, dont le degré de chaleur doit être d’environ trente-deux degrés du thermomètre de Réaumur. Des essais tentés il y a quelques années sur la même expérience, n’eurent aucun succès : les nouveaux entrepreneurs espèrent être plus heureux et surmonter les divers obstacles qui firent manquer le projet des autres[9].

25. — L’assemblée tumultueuse de la première représentation de Castor et Pollux a été funeste à plusieurs personnes : on en a compté quinze qui se sont trouvées très-mal dans le parterre et qu’il a fallu enlever. On prétend que deux ont été totalement étouffées, et que d’autres en seront long-temps incommodées. Malgré cette foule, plus de deux mille curieux avaient été refusés. On a pris des précautions pour prévenir des suites aussi cruelles, et à la seconde représentation on a mis deux sentinelles aux portes du parterre, qui empêchaient d’entrer, même avec des billets, lorsque la salle a paru pleine. Le spectacle s’est passé avec beaucoup plus de décence, et sans aucun accident. La recette a cependant monté à cinq mille six cents livres, sans compter les petites loges à l’année.

Extrait d’une lettre de Rouen du 20 janvier 1771.

« Les placards continuent : on a trouvé dernièrement à la porte du Conseil Supérieur l’inscription suivante :

Imperatore Ludovico vegetante,
ImPrincipes in exilio,
ImMagnates in opprobrio,
ImJustitia in oblivio,
Publicæ privatæque res in arcto,
ImLatrocinium in ærario,
Lenocinium in Laticlavio[10],
ImAnno vindictæ Domini M DCC LXXII.

26. — Il court une Fable politique manuscrite, ayant pour titre le Fermier et les Chiens[11]. L’histoire de la révolution actuelle s’y trouve dépeinte d’une façon énergique ; MM. de La Vrillière, de Choiseul, de Maupeou y sont caractérisés à ne pas être méconnus. Cette satire est fort recherchée par les traits de force qu’on y remarque et la hardiesse qui y règne.

27. — Il y a dans l’église de Notre-Dame à Paris, une statue colossale de Saint-Christophe. Les historiens ecclésiastiques sont partagés sur le personnage qu’elle représente ; les uns le regardent simplement comme allégorique, et d’autres comme ayant réellement existé d’une stature et d’une proportion extraordinaire. Quoi qu’il en soit, depuis qu’il est question de réparer cette cathédrale on a agité si l’on ne ferait pas sauter une figure aussi ridicule et peu digne de notre siècle éclairé ; mais M. l’archevêque, qui se nomme Christophe, a fort à cœur qu’on conserve son patron, et ses partisans dans le Chapitre ont voté avec chaleur pour qu’on ne touchât en rien à ce colosse ; en sorte qu’il subsistera, du moins jusqu’à la mort du prélat.

28. — Madame la comtesse Du Barry ayant eu occasion de connaître les talens précieux de M. Vernet, le fameux peintre de marine, qui a décoré le joli pavillon de Lucienne de morceaux assortis de sa façon, est allée chez cet artiste rendre hommage à ses talens. Elle y a trouvé deux tableaux finis et prêts à être emballés pour un seigneur étranger, auquel ils étaient destinés : elle les a considérés avec la plus grande attention, et en a été si enchantée qu’elle a voulu les avoir. En vain le sieur Vernet a déclaré ne pouvoir lui faire ce sacrifice, puisque ces ouvrages ne lui appartenaient plus ; elle n’a tenu aucun compte de ses supplications, et a fait enlever de force les deux chefs-d’œuvre ; mais en même temps, pour dédommager le peintre, elle lui a dressé sur un bout de papier une ordonnance de cinquante mille livres, payables par le sieur Beaujon, banquier de la cour, ce qui a un peu consolé M. Vernet, et rend la Minerve du jour très-recommandable aux artistes.

29. — On a vu par divers écrits, la fermentation qui régnait dans l’ordre des Bénédictins, et l’ardeur de plusieurs de ces moines pour dépouiller le froc et franchir les murs de leurs cloîtres. Il en a résulté une guerre de plume entre ces religieux petits-maîtres et les anciens, fort attachés à leur robe, à leur régime et à toutes les pratiques de leur règle. Le roi s’étant expliqué à l’occasion de sa religion surprise par les premiers, tout paraissait rentré dans l’ordre accoutumé, mais deux de ces religieux, pourvus d’abbayes et forcés, suivant la règle, à en manger les revenus avec leurs moines, ont pris le parti de se faire nommer par le pape à des abbayes in partibus. Au moyen de ce nouveau titre ils ont prétendu pouvoir se séculariser, du moins ne porter que le petit scapulaire et manger où bon leur semblerait les revenus de leur bénéfice. Le régime a mis en cause M. l’archevêque Paris, qui prétendant avoir la discipline de toute la hiérarchie ecclésiastique, ou régulière, de son ressort, a rendu une ordonnance, qui enjoint à ces abbés défroqués de se retirer chacun dans leur communauté respective, d’y reprendre leur habit, et d’y vivre dans l’observance de leur constitution.

Les abbés Bénédictins en ont appelé comme d’abus, et c’est aujourd’hui la matière d’un procès qui se plaide au nouveau tribunal et qui attire beaucoup de curieux au Palais. Le sieur Courtin, avocat assez versé dans les matières bénéficiales, a déjà parlé pour les religieux ; c’est le sieur Gerbier qui doit défendre M. l’archevêque de Paris.

  1. V. 23 juin 1765. — R.
  2. V. 14 mai 1771. — R.
  3. Collé. — R.
  4. On en trouve deux strophes dans les Anecdotes sur madame la comtesse Du Barri, p. 215. — R.
  5. V. 25 novembre et 13 décembre 1771 1. — R.
  6. V. 28 décembre 1771. — R.
  7. V. 1er mars 1772. — R.
  8. On trouve dans le Voyage en Pologne, etc., de William Coxe une relation exacte et détaillée de cet attentat, dont le récit est assez bizarrement enchassé dans le roman de Faublas. — R.
  9. Ces essais ont été renouvelés il y a peu d’années. — R.
  10. Laticlave, ornement des sénateurs Romains.
  11. V. 31 décembre 1772. — R.