Mélite/Acte 3/Scène 3

Mélite
(Édition Marty-Laveaux 1910)
◄   Scène II Acte III Scène IV   ►


SCÈNE III.


TIRCIS



Adieu._Tu fuis, perfide, et ta légèreté,
T’ayant fait criminel, te met en sûreté !
Reviens, reviens défendre une place usurpée :
Celle qui te chérit vaut bien un coup d’épée.
Fais voir que l’infidèle, en se donnant à toi,
A fait choix d’un amant qui valoit mieux que moi ;
Soutiens son jugement, et sauve ainsi de blâme
Celle qui pour la tienne a négligé ma flamme.
Crois-tu qu’on la mérite à force de courir ?
Peux-tu m’abandonner ses faveurs sans mourir 209 ?
Ô lettres, ô faveurs indignement placées,
À ma discrétion honteusement laissées !
Ô gages qu’il néglige ainsi que superflus !
Je ne sais qui de nous vous diffamez le plus 210 ;
Je ne sais qui des trois doit rougir davantage ;
Car vous nous apprenez qu’elle est une volage,
Son amant un parjure, et moi sans jugement,
De n’avoir rien prévu de leur déguisement.
Mais il le falloit bien, que cette âme infidèle,
Changeant d’affection, prît un traître comme elle,
Et que le digne amant qu’elle a su rechercher
À sa déloyauté n’eût rien à reprocher.
Cependant j’en croyois cette fausse apparence
Dont elle repaissoit ma frivole espérance ;
J’en croyois ses regards, qui tous remplis d’amour,
Étoient de la partie en un si lâche tour.
Ô ciel ! vit-on jamais tant de supercherie,
Que tout l’extérieur ne fût que tromperie ?
Non, non, il n’en est rien : une telle beauté
Ne fut jamais sujette à la déloyauté.
Foibles et seuls témoins du malheur qui me touche,
Vous êtes trop hardis de démentir sa bouche.
Mélite me chérit, elle me l’a juré :
Son oracle reçu, je m’en tiens assuré 211.
Que dites-vous là contre ? êtes-vous plus croyables ?
Caractères trompeurs, vous me contez des fables,
Vous voulez me trahir ; mais vos efforts sont vains 212 :
Sa parole a laissé son cœur entre mes mains.
À ce doux souvenir ma flamme se rallume ;
Je ne sais plus qui croire ou d’elle ou de sa plume :
L’un et l’autre en effet n’ont rien que de léger ;
Mais du plus ou du moins je n’en puis que juger.
Loin, loin, doutes flatteurs que mon feu me suggère 213 !
Je vois trop clairement qu’elle est la plus légère 214 ;
La foi que j’en reçus s’en est allée en l’air 215.
Et ces traits de sa plume osent encor parler 216,
Et laissent en mes mains une honteuse image,
Où son cœur peint au vif remplit le mien de rage.
Oui, j’enrage, je meurs, et tous mes sens troublés 217
D’un excès de douleur se trouvent accablés 218 ;
Un si cruel tourment me gêne et me déchire,
Que je ne puis plus vivre avec un tel martyre 219 :
Mais cachons-en la honte, et nous donnons du moins
Ce faux soulagement, en mourant sans témoins,
Que mon trépas secret empêche l’infidèle
D’avoir la vanité que je sois mort pour elle.


Scène II

Acte III, scène III

Scène IV


209. Var. [Peux-tu m’abandonner ses faveurs sans mourir ?]
Si de les plus garder ton peu d esprit se lasse,
Viens me dire du moins ce qu’il faut que j’en fasse.
Ne t’en veux-tu servir qu’à me désabuser ?
N’ont-elles point d’effet qui soit plus à priser ?
[Ô lettres, ô faveurs indignement placées.] (1633)

210. Var. Je ne sais qui des trois vous diffamez le plus,
De moi, de ce perfide, ou bien de sa maîtresse ;
Car vous nous apprenez qu’elle est une traîtresse,
Son amant un poltron, et moi sans jugement,
De n’avoir rien prévu de son déguisement.
Mais que par ses transports ma raison est surprise !
Pour ce manque de cœur qu’à tort je le méprise !
(Hélas ! à mes dépens je le puis bien savoir)
Quand on a vu Mélite on n’en peut plus avoir z.
Fuis donc, homme sans cœur, va dire à ta volage
Combien sur ton rival ta fuite a d’avantage,
Et que ton pied léger ne laisse à ma valeur
Que les vains mouvements d’une juste douleur.
Ce lâche naturel qu’elle fait reconnoître
Ne t’aimera pas moins étant poltron que traître.
Traître et poltron ! voilà les belles qualités
Qui retiennent les sens de Mélite enchantés.
Aussi le falloit-il que cette âme infidèle,
[Changeant d’affection, prît un traître comme elle,]
Et la jeune rusée a bien su rechercher aa
Un qui n’eût sur ce point rien à lui reprocher,
Cependant que, leurré d’une fausse apparence,
Je repaissois de vent ma frivole espérance.
Mais je le méritois, et ma facilité
Tentoit trop puissamment son infidélité ab.
Je croyois à ses yeux, à sa mine embrasée ac,
À ces petits larcins pris d’une force aisée.
Hélas ! et se peut-il que ces marques d’amour
Fussent de la partie en un si lâche tour ?
Auroit-on jamais vu tant de supercherie.
Que tout l’extérieur ne fût que piperie ?
[Non, non, il n’en est rien : une telle beauté.] (1633-57)

211. Var. Son oracle reçu, je m’en tins assuré. (1633)

212. Var. Vous voulez me trahir, vous voulez m’abuser :
J’ai sa parole en gage et de plus un baiser. (1633-57)

213. Var. C’est en vain que mon feu ces doutes me suggère. (1633-57)

214. Var. Je vois très-clairement qu’elle est la plus légère. (1648-57)

215. Var. Les serments que j’en ai s’en vont au vent jetés.
Et ces traits de sa plume ici me sont restés,
Qui dépeignant au vif son perfide courage,
Remplissent de bonheur Philandre, et moi de rage, (1633-57)

216. Var. Et ces traits de sa plume, osant encor parler,
Laissent entre mes mains une honteuse image. (1660)

217. Var. Oui, j’enrage, je crève, et tous mes sens troublés. (1633)

218. Var. D’un excès de douleur succombent accablés. (1633-60)

219. Var. [Que je ne puis plus vivre avec un tel martyre :]
Aussi ma prompte mort le va bientôt finir ;
Déjà mon cœur outré ne cherchant qu’à bannir
Cet amour qui l’a fait si lourdement méprendre,
Pour lui donner passage, est tout prêt de se fendre ad ;
Mon âme par dépit tâche d’abandonner
Un corps que sa raison sut si mal gouverner.
Mes yeux, jusqu’à présent couverts de mille nues,
S’en vont les distiller en larmes continues.
Larmes qui donneront pour juste châtiment
À leur aveugle erreur un autre aveuglement ;
Et mes pieds, qui savoient sans eux, sans leur conduite,
Comme insensiblement me porter chez Mélite,
Me porteront sans eux en quelque lieu désert,
En quelque lieu sauvage à peine découvert,
Où ma main, d’un poignard, achèvera le reste,
Où pour suivre l’arrêt de mon destin funeste,
Je répandrai mon sang, et j’aurai pour le moins
Ce foible et vain soulas en mourant sans témoins.
Que mon trépas secret fera que l’infidèle
Ne pourra se vanter que je sois mort pour elle. (1633-57)


z. Ces quatre vers : « Mais que par, etc., » ne sont que dans l’édition de 1633.

aa. Et cette humeur légère a bien su rechercher. (1644-57)

ab. Ces quatre vers : « Cependant que, leurré, etc., » ne sont que dans l’édition de 1633.

ac. Cependant je croyois à sa mine embrasée. (1644-57)

ad. Ces quatre vers : « Aussi ma prompte mort, etc., » ne sont que dans l’édition de 1633.