Mélite/Acte 3/Scène 4

Mélite
(Édition Marty-Laveaux 1910)
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SCÈNE IV.


TIRCIS, CLORIS.



CLORIS.


Mon frère, en ma faveur retourne sur tes pas.
Dis-moi la vérité : tu ne me cherchois pas ?
Eh quoi ! tu fais semblant de ne me pas connoître ?
O Dieux ! en quel état te vois-je ici paroitre !
Tu pâlis tout à coup, et tes louches regards
S’élancent incertains presque de toutes parts !
Tu manques à la fois de couleur et d’haleine 220 !
Ton pied mal affermi ne te soutient qu’à peine !
Quel accident nouveau te trouble ainsi les sens 221 ?


TIRCIS.


Puisque tu veux savoir le mal que je ressens,
Avant que d’assouvir l’inexorable envie
De mon sort rigoureux qui demande ma vie,
Je vais l’assassiner d’un fatal entretien,
Et te dire en deux mots mon malheur et le tien.
En nos chastes amours de tous deux on se moque 222 :
Philandre… Ah ! la douleur m’étouffe et me suffoque.
Adieu, ma sœur, adieu ; je ne puis plus parler 223 :
Lis, et si tu le peux, tâche à te consoler 224.


CLORIS.


Ne m’échappe donc pas.


TIRCIS.


Ne m’échappe donc pas._Ma sœur, je te supplie…


CLORIS.


Quoi ! que je t’abandonne à ta mélancolie ?
Voyons auparavant ce qui te fait mourir 225,
Et nous aviserons à te laisser courir.


TIRCIS.


Hélas ! quelle injustice !


CLORIS, après avoir lu les lettres qu’il lui a données 226.


Hélas ! quelle injustice !_Est-ce là tout, fantasque ?
Quoi ! si la déloyale enfin lève le masque,
Oses-tu te fâcher d’être désabusé ?
Apprends qu’il le faut être en amour plus rusé ;
Apprends que les discours des filles bien sensées 227
Découvrent rarement le fond de leurs pensées,
Et que les yeux aidant à ce déguisement,
Notre sexe a le don de tromper finement.
Apprends aussi de moi que ta raison s’égare,
Que Mélite n’est pas une pièce si rare,
Qu’elle soit seule ici qui vaille la servir 228 ;
Assez d’autres objets y sauront te ravir 229.
Ne t’inquiète point pour une écervelée
Qui n’a d’ambition que d’être cajolée,
Et rend à plaindre ceux qui flattant ses beautés 230
Ont assez de malheur pour en être écoutés.
Damon lui plut jadis, Aristandre, et Géronte 231 ;
Éraste après deux ans n’y voit pas mieux son conte 232 ;
Elle t’a trouvé bon seulement pour huit jours ;
Philandre est aujourd’hui l’objet de ses amours,
Et peut-être déjà (tant elle aime le change 233 !)
Quelque autre nouveauté le supplante et nous venge.
Ce n’est qu’une coquette avec tous ses attraits 234 ;
Sa langue avec son cœur ne s’accorde jamais ;
Les infidélités font ses jeux ordinaires ;
Et ses plus doux appas sont tellement vulgaires,
Qu’en elle homme d’esprit n’admira jamais rien
Que le sujet pourquoi tu lui voulois du bien.


TIRCIS.


Penses-tu m’arrêter par ce torrent d’injures 235 ?
Que ce soient vérités, que ce soient impostures,
Tu redoubles mes maux, au lieu de les guérir.
Adieu : rien que la mort ne peut me secourir.


Scène III

Acte III, scène IV

Scène V


220. Var. Tu manques à la fois de poumon et d’haleine. (1633-60)

221. Var. Quel accident nouveau te brouille ainsi les sens ? (1633-57)

222. Var. En nos chastes amours de nous deux on se moque. (1633-60)

223. Var. Adieu, ma sœur, adieu : je ne peux plus parler. (1663)

224. Var. Lis, puis, si tu le peux, tâche à te consoler. (1633-57)

225. Var. Non, non, quand j’aurai su ce qui te fait mourir,
Si bon me semble alors, je te lairrai courir. (1633-57)

226. Var. Elle lit les lettres que Tirsis lui avoit donnés. (1633, en marge. — Elle lit les lettres qu’il lui a données. (1663, en marge.)

227. Var. Apprends que les discours des filles mieux sensées (1633-60)

228. Qui vaille la servir, qui vaille qu’on la serve.

229. Var. Tant d’autres te sauront en sa place ravir,
Avec trop plus d’attraits que cette écervelée. (1633-57)

230. Var. Par les premiers venus qui flattant ses beautés. (1633-57)

231. Var. Ainsi Damon lui plut, Aristandre, et Géronte ;
Éraste après deux ans n’en a pas meilleur conte. (1633-57)

232. Voyez ci-dessus, p. 150, la note relative à la première variante

233. Var. Et peut-être demain (tant elle aime le change !). (1633-57)

234. Var. Ce n’est qu’une coquette, une tête à l’évent.
Dont la langue et le cœur s’accordent peu souvent,
À qui les trahisons deviennent ordinaires,
Et dont tous les appas sont tellement vulgaires. (1633-57)

235. Var. Penses-tu, m’amusant avecque des sottises,
Par tes détractions rompre mes entreprises ?
Non, non, ces traits de langue épandus vainement
Ne m’arrêteroient pas encore un seul moment. (1633-57)