Mécanique analytique/Partie 1/Section 2

Gauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIp. 27-44).
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Première partie


SECTION DEUXIÈME.

FORMULE GÉNÉRALE DE LA STATIQUE POUR L’ÉQUILIBRE D’UN SYSTÈME QUELCONQUE DE FORCES, AVEC LA MANIÈRE DE FAIRE USAGE DE CETTE FORMULE.


1. La loi générale de l’équilibre dans les machines est que les forces ou puissances soient entre elles réciproquement comme les vitesses des points où elles sont appliquées, estimées suivant la direction de ces puissances :

C’est dans cette loi que consiste ce qu’on appelle communément le principe des vitesses virtuelles, principe reconnu depuis longtemps pour le principe fondamental de l’équilibre, ainsi que nous l’avons montré dans la Section précédente, et qu’on peut, par conséquent, regarder comme une espèce d’axiome de Mécanique.

Pour réduire ce principe en formule, supposons que des puissances dirigées suivant des lignes données, se fassent équilibre. Concevons que, des points où ces puissances sont appliquées, on mène des lignes droites égales à et placées dans les directions de ces puissances ; et désignons, en général, par les variations ou différences de ces lignes, en tant qu’elles peuvent résulter d’un changement quelconque infiniment petit dans la position des différents corps ou points du système.

Il est clair que ces différences exprimeront les espaces parcourus dans un même instant par les puissances suivant leurs propres directions, en supposant que ces puissances tendent à augmenter les lignes respectives Les différences seront ainsi proportionnelles aux vitesses virtuelles des puissances et pourront, pour plus de simplicité, être prises pour ces vitesses.

Cela posé, ne considérons d’abord que deux puissances et en équilibre. Par la loi de l’équilibre entre deux puissances, il faudra que les quantités et soient entre elles en raison inverse des différentielles mais il est aisé de concevoir qu’il ne saurait y avoir équilibre entre deux puissances, à moins qu’elles ne soient disposées de manière que, quand l’une d’elles se meut suivant sa propre direction, l’autre ne soit contrainte de se mouvoir dans un sens contraire à la sienne ; d’où il s’ensuit que les valeurs des différences et doivent être de signes contraires donc les valeurs des forces et étant supposées toutes deux positives, on aura, pour l’équilibre,

ou bien

c’est la formule générale de l’équilibre de deux puissances.

Considérons maintenant l’équilibre de trois puissances dont les vitesses virtuelles soient représentées, par les différentielles Faisons et supposons, ce qui est permis, que la partie [1] de la force soit telle, qu’on ait

elle fera alors équilibre à la force et il faudra, pour l’équilibre entier, que l’autre partie de la même force fasse seule équilibre à la troisième force ce qui donnera l’équation

laquelle étant jointe à l’équation précédente, on aura, à cause de

celle-ci :

S’il y a une quatrième puissance dont la vitesse virtuelle soit représentée par la différentielle on fera

et


ensuite

et


Alors la partie de la force fera seule équilibre à la force la partie de la force fera de même équilibre à l’autre partie de la même force , et, pour l’équilibre total des quatre forces , , il faudra que la partie restante de la force fasse équilibre à la dernière force , et que, par conséquent, on ait


Ces trois équations étant jointes ensemble donneront


Ainsi de suite, quel que soit le nombre des puissances en équilibre.


2. On a donc, en général, pour l’équilibre d’un nombre quelconque de puissances dirigées suivant les lignes et appliquées à un système quelconque de corps ou points disposés entre eux d’une manière quelconque, une équation de cette forme


C’est la formule générale de la Statique pour l’équilibre d’un système quelconque de puissances.

Nous nommerons chaque terme de cette formule, tel que le moment de la force en prenant le mot de moment dans le sens que Galilée lui a donné, c’est-à-dire pour le produit de la force par sa vitesse virtuelle ; de sorte que la formule générale de la Statique consistera dans l’égalité à zéro de la somme des moments de toutes les forces.

Pour faire usage de cette formule, la difficulté se réduira à déterminer, conformément à la nature du système donné, les valeurs des différentielles

On considérera donc le système dans deux positions différentes et infiniment voisines, et l’on cherchera les expressions les plus générales des différences dont il s’agit, en introduisant dans ces expressions autant de quantités indéterminées qu’il y aura d’éléments arbitraires dans la variation de position du système. On substituera ensuite ces expressions de dans l’équation proposée, et il faudra que cette équation ait lieu, indépendamment de toutes les indéterminées, afin que l’équilibre du système subsiste en général et dans tous les sens. On égalera donc séparément à zéro la somme des termes affectés de chacune des mêmes indéterminées, et l’on. aura, par ce moyen, autant d’équations particulières qu’il y aura de ces indéterminées or il n’est pas difficile de se convaincre que leur nombre doit toujours être égal à celui des quantités inconnues dans la position du système, ; donc on aura, par cette méthode, autant d’équations qu’il en faudra pour déterminer l’état d’équilibre du système.

C’est ainsi qu’en ont usé tous les auteurs qui ont appliqué jusqu’ici le principe des vitesses virtuelles à la solution des problèmes de Statique mais cette manière d’employer ce principe exige souvent des constructions et des considérations géométriques qui rendent les solutions aussi longues que si on les déduisait des principes ordinaires de la Statique c’est peut-être la raison qui a empêché qu’on n’ait fait de ce principe tout le cas et l’usage qu’il semble qu’on en aurait dû faire, vu sa simplicité et sa généralité.


3. L’objet de cet Ouvrage étant de réduire la Mécanique à des opérations purement analytiques, la formule que nous venons de trouver est très propre à le remplir. Il ne s’agit que d’exprimer analytiquement, et de la manière la plus générale, les valeurs des lignes prises dans les directions des forces et l’on aura, par la simple différentiation, les valeurs des vitesses virtuelles

Il faudra seulement faire attention que, dans le Calcul différentiel, lorsque plusieurs quantités varient ensemble, on suppose qu’elles augmentent toutes en même temps de leurs différentielles ; et, si par la nature de la question quelques-unes d’entre elles doivent diminuer, tandis que les autres augmentent, on donne alors le signe moins aux différentielles de celles qui doivent diminuer.

Les différentielles qui représentent les vitesses virtuelles des forces devront donc être prises positivement ou négativement, selon que ces forces tendront à augmenter ou à diminuer les lignes qui déterminent leur direction ; mais, comme la formule générale de l’équilibre ne change pas en changeant les signes de tous ses termes, il sera permis de regarder indifféremment comme positives les différentielles des lignes qui augmentent ou diminuent ensemble, et comme négatives les différentielles de celles qui varient en sens contraire. Ainsi, en regardant les forces comme positives, leurs moments seront positifs ou négatifs, selon que les vitesses virtuelles seront positives ou négatives, et lorsqu’on voudra faire agir les forces en sens contraire, il n’y aura qu’à donner le signe moins aux quantités qui représentent ces forces, ou à changer les signes de leurs moments.

Il résulte de là cette propriété générale de l’équilibre, qu’un système quelconque de forces en équilibre y demeure encore si chacune des forces vient à agir en sens contraire, pourvu que la constitution du système ne souffre aucun changement par un changement de direction de toutes les forces.


4. Quelles que soient les forces qui agissent sur un système donné de corps ou de points, on peut toujours les regarder comme tendantes vers des points placés dans les lignes de leur direction.

Nous nommerons ces points les centres des forces, et l’on pourraprendre pour les lignes les distances respectives de ces centres aux points du système auquel les forces sont appliquées. Dans ce cas, il est clair que ces forces tendront à diminuer les lignes il faudrait, par conséquent, donner le signe moins à leurs différentielles ; mais, en changeant tous les signes, la formule générale sera également


Or les centres des forces peuvent être hors du système, ou bien dans le système et en faire partie, ce qui distingue les forces en extérieures et intérieures.

Dans le premier cas, il est visible que les différences expriment les variations entières des lignes dues au changement de situation du système elles sont, par conséquent, les différentielles complètes des quantités en y regardant comme variables toutes les quantités relatives à la situation du système, et comme constantes celles qui se rapportent à la position des différents centres des forces.

Dans le second cas, quelques-uns des corps du système seront eux-mêmes les centres des forces qui agissent sur d’autres corps du même système, et, à cause de l’égalité entre l’action et la réaction, ces derniers corps seront en même temps les centres des forces qui agissent sur les premiers.

Considérons donc deux corps[2] qui agissent l’un sur l’autre avec une force quelconque soit que cette force vienne de l’attraction ou de la répulsion de ces corps, ou d’un ressort placé entre eux, ou d’une autre manière quelconque. Soient la distance entre ces deux corps, et la variation de cette distance en tant qu’elle dépend du changement de situation de l’un des corps ; il est clair qu’on aura, relativement à ce corps, pour le moment virtuel de la force De même, si l’on désigne par la variation de la même distance , résultante du changement de situation de l’autre corps, on aura, relativement à ce second corps, le moment de la même force donc le moment total dû à cette force sera représenté par mais il est visible que est la différentielle complète de que nous désignerons par puisque la distance ne peut varier que par le déplacement des deux corps : donc le moment dont il s’agit sera exprimé simplement par On peut étendre ce raisonnement à tant de corps qu’on voudra.


5. Il suit de là que, pour avoir la somme des moments de toutes les forces d’un système donné, soit que ces forces soient extérieures ou intérieures, il n’y aura qu’à considérer en particulier chacune des forces qui agissent sur les différents corps ou points du système, et prendre la somme des produits de ces différentes forces multipliées chacune par la différentielle de la distance respective entre les deux termes de chaque force, c’est-à-dire entre le point sur lequel agit cette force et celui où elle tend, en regardant, dans ces différentielles, comme variables toutes les quantités qui dépendent de la situation du système, et comme constantes celles qui se rapportent aux points ou centres extérieurs, c’est-à-dire en considérant ces points comme fixes, tandis qu’on fait varier la situation du système.

Cette somme, étant égalée à zéro, donnera la formule générale de la Statique.


6. Pour donner à l’expression analytique de cette formule toute la généralité ainsi que la simplicité dont elle est susceptible, on rapportera la position de tous les corps ou points du système donné, ainsi que celle des centres, à des coordonnées rectangles et parallèles à trois axes fixes dans l’espace.

Nous nommerons, en général, les coordonnées des points auxquels les forces sont appliquées, et nous les distinguerons ensuite par un ou plusieurs traits, relativement aux différents points du système.

Nous désignerons de même par les coordonnées pour les centres des forces.

Il est visible que les distances entre les points d’application et les centres des forces seront exprimées, en général, par la formule

dans laquelle les quantités seront constantes ou du moins devront être regardées comme telles, pendant que varient, dans le cas où elles se rapportent à des points placés hors du système et où les forces sont extérieures ; mais, dans le cas où les forces sont intérieures et partent de quelques-uns des corps du système même, ces quantités deviendront et seront, par conséquents variables.

Ayant ainsi les expressions des quantités finies en fonctions connues des coordonnées des différents corps du système, il n’y aura plus qu’à différentier à l’ordinaire, en regardant ces coordonnées comme seules variables, pour avoir les valeurs cherchées des différences qui entrent dans la formule générale de l’équilibre.


7. Mais, quoiqu’on puisse toujours regarder les forces comme tendantes à des centres donnés, cependant, comme la considération de ces centres est étrangère à la question, dans laquelle on ne considère ordinairement comme données que la quantité et la direction de chaque force, voici des manières plus générales d’exprimer les différences

Et d’abord, en supposant, ce qui est toujours permis, que la force tend à un centre fixe, on a


et de là, en différentiant sans que varient, si la force est extérieure,

Or il est facile de voir que sont les cosinus des

angles que la ligne fait avec les lignes Donc, en général, si l’on nomme les angles que la direction de la force fait avec les axes des ou avec des parallèles à ces axes, on aura

par conséquent

et ainsi des autres différences

Mais, si la même force étant intérieure, agit sur les deux points qui répondent aux coordonnées et pour les rapprocher ou éloigner l’un de l’autre, on aura alors, dans l’expression de

et, par conséquent,

On remarquera, par rapport aux angles premièrement, que

ce qui est évident par les formules précédentes ; en second lieu que, si l’on nomme l’angle que la projection de la ligne sur le plan des et fait avec l’axe des on aura

en supposant

donc, mettant pour leurs valeurs on aura aussi

donc

et, par conséquent,


8. Je considère ensuite que, puisque représente le petit espace que le corps ou point auquel est appliquée la force peut parcourir suivant la direction de cette force, si l’on fait ce point ne pourra plus se mouvoir que dans des directions perpendiculaires à celle de la même force. Donc sera l’équation différentielle d’une surface à laquelle la direction de la force sera perpendiculaire.

Cette surface sera une sphère si les quantités sont constantes ; mais elle pourra être une surface quelconque, en supposant ces quantités variables.

Supposons maintenant, en général, que la force agisse perpendiculairement à une surface représentée par l’équation


Pour faire coïncider cette équation avec l’équation


qui résulte de la supposition il n’y aura qu’à faire


ce qui donne


substituant ces valeurs dans l’expression de on aura


Ainsi, ayant l’équation différentielle de la surface à laquelle la force est perpendiculaire, on aura l’expression de sa vitesse virtuelle

On peut supposer

étant une fonction de car on sait qu’une équation différentielle du premier ordre à trois variables ne peut représenter une surface, à moins qu’elle ne soit intégrable ou ne le devienne par un multiplicateur. On aura ainsi, par l’algorithme des différences partielles,

et l’expression de deviendra

Donc le moment d’une force perpendiculaire à une surface donnée par l’équation sera

On déterminera de la même manière les valeurs des autres différences d’après les équations différentielles des surfaces auxquelles les directions des forces sont perpendiculaires.


9. Mais, sans considérer la surface à laquelle une force est perpendiculaire, comme on peut représenter une quantité quelconque par une ligne, on pourra regarder comme une fonction quelconque des coordonnées, et la force comme tendante à faire varier la valeur de Alors sera également le moment virtuel de la force et de même seront les moments des forces en les regardant comme tendantes à faire varier les valeurs des quantités supposées des fonctions quelconques des mêmes coordonnées. Cette manière d’envisager les moments donne à la formule générale de l’équilibre une étendue beaucoup plus grande et la rend susceptible d’un plus grand nombre d’applications[3].


10. Les valeurs des différences étant connues en fonction des différentielles des coordonnées des différents corps du système, il n’y aura qu’à les substituer dans la formule générale

et vérifier ensuite cette équation d’une manière indépendante des différentielles qu’elle renfermera.

Donc, si le système est entièrement libre, en sorte qu’il n’y ait aucune relation donnée entre les coordonnées des différents corps ni, par conséquent, entre leurs différentielles, il faudra satisfaire à l’équation précédente indépendamment de ces différentielles et, pour cet effet, égaler séparément à zéro la somme de tous les termes qui se trouveront multipliés par chacune d’elles ; ce qui donnera autant d’équations qu’il y aura de coordonnées variables et, par conséquent, autant qu’il en faudra pour déterminer toutes ces variables et connaître par leur moyen la position de tout le système dans l’état d’équilibre.

Mais, si la nature du système est telle que les corps soient assujettis dans leurs mouvements à des conditions particulières, il faudra commencer par exprimer ces conditions par des équations analytiques que nous nommerons équations de condition ; ce qui est toujours facile. Par exemple, si quelques-uns des corps étaient assujettis à se mouvoir sur des lignes ou des surfaces données, on aurait, entre les coordonnées de ces corps, les équations mêmes des lignes ou des surfaces données ; si deux corps étaient tellement joints ensemble qu’ils dussent toujours se trouver à une même distance l’un de l’autre, on aurait évidemment l’équation


et ainsi du reste.

Ayant trouvé les équations de condition, il faudra, par leur moyen, éliminer autant de différentielles qu’on pourra dans les expressions en sorte que les différentielles restantes soient absolument indépendantes les unes des autres et n’expriment plus que ce qu’il y a d’arbitraire dans le changement de situation du système. Alors, comme la formule générale de la Statique doit avoir lieu quel que puisse être ce changement, il faudra y égaler séparément à zéro la somme de tous les termes qui se trouveront affectés de chacune des différentielles indéterminées ; d’où il viendra autant d’équations particulières qu’il y aura de ces mêmes différentielles, et ces équations, étant jointes aux équations de condition données, renfermeront toutes les conditions nécessaires pour la détermination de l’état d’équilibre du système ; car il est aisé de concevoir que toutes ces équations ensemble seront toujours en même nombre que les différentes variables qui servent de coordonnées à tous les corps du système, et suffiront, par conséquent, toujours pour déterminer chacune de ces variables.


11. Au reste, si nous avons toujours déterminé les lieux des corps par des coordonnées rectangles, c’est que cette manière a l’avantage de la simplicité et de la facilité du calcul ; mais ce n’est pas qu’on ne puisse en employer d’autres dans l’usage de la méthode précédente, car il est clair que rien n’oblige dans cette méthode à se servir de coordonnées rectangles plutôt que d’autres lignes ou quantités relatives aux lieux des corps. Ainsi, au lieu des deux coordonnées on pourra employer, lorsque les circonstances paraîtront l’exiger, un rayon vecteur et un angle dont la tangente soit ce qui donnera

en laissant subsister la troisième coordonnée  ; ou bien on emploiera

un rayon vecteur avec deux angles et tels que

ce qui donnera

ou d’autres angles ou lignes quelconques. Remarquons encore que, comme il n’y a proprement que la considération des différences qui entre dans la méthode dont il s’agit, il est permis de placer l’origine des coordonnées où l’on voudra ce qui peut servir à simplifier l’expression de ces différences.

Ainsi, en substituant et au lieu de et on aura, en général,

mais, en faisant ce qui revient à placer l’origine de l’angle dans le rayon on aura plus simplement et Et ainsi des autres cas semblables.


12. En général, quel que soit le système de puissances dont on cherche l’équilibre et de quelque manière que les points où elles sont appliquées soient liés entre eux, on peut toujours réduire les variables qui déterminent la position de ces points dans l’espace à un petit nombre de variables indépendantes en éliminant, au moyen des équations de condition données par la nature du système, autant de variables qu’il y a de conditions, c’est-à-dire en exprimant toutes les variables, qui sont au nombre de trois pour chaque point, par un petit nombre d’entre elles ou par d’autres variables quelconques qui, n’étant plus assujetties à aucune condition, seront indépendantes et indéterminées. Il faudra alors que l’équilibre ait lieu par rapport à chacune de ces variables indépendantes[4], parce qu’elles donnent lieu à autant de changements différents dans la position du système.


13. En effet, si l’on dénote par ces variables indépendantes, en regardant les valeurs de comme fonctions de ces variables, on aura



et l’équation de l’équilibre deviendra


dans laquelle, les valeurs de devant demeurer indéterminées, il faudra que l’on ait séparément les équations

dont le nombre sera égal à celui des variables et qui serviront, par conséquent, à déterminer toutes ces variables.

Chacune de ces équations représente, comme l’on voit, un équilibre particulier dans lequel les vitesses virtuelles ont entre elles des rapports déterminés ; et c’est de la réunion de tous ces équilibres partiels que se forme l’équilibre général du système.

On peut même remarquer que c’est proprement à ces équilibres partiels et déterminés que s’applique, sans exception, le raisonnement de l’article I de cette Section ; et, comme dans le cas de deux puissances on peut toujours réduire leur équilibre à celui d’un levier droit dont les bras soient en raison des vitesses virtuelles, on peut, par ce moyen, faire dépendre le principe général des vitesses virtuelles du seul principe du levier.


14. Lorsque la quantité ne sera pas nulle par rapport à toutes les variables indépendantes, les forces ne se feront pas équilibre, et les corps sollicités par ces forces prendront mutuelle.

Supposons que d’autres forces représentées par et dirigées suivant les lignes agissant sur les corps du même système, leur impriment aussi les mêmes mouvements ; ces forces seront équivalentes aux premières et pourront, dans tous les cas, être substituées à leur place, puisque leur effet est supposé exactement le même. Or, si ces mêmes forces en conservant leurs valeurs, changeaient leurs directions et en prenaient de directement opposées, il est clair qu’elles imprimeraient aussi aux mêmes corps des mouvements égaux, mais directement contraires. Par conséquent, si, dans ce nouvel état, elles agissaient sur les corps du même système en même temps que les forces ces corps demeureraient en repos, les mouvements imprimés dans un sens étant détruits par des mouvements égaux et contraires. Il y aurait donc nécessairement équilibre entre toutes ces forces, ce qui donnerait l’équation (art. 2)

d’où l’on tire

C’est la condition nécessaire pour que les forces agissant suivant les lignes soient équivalentes aux forces agissant suivant les lignes et, comme deux systèmes de forces ne peuvent être entièrement équivalents[5] que d’une seule manière, puisque le mouvement d’un corps est toujours unique et déterminé, il s’ensuit que, si deux systèmes de forces sont tels que l’on ait, généralement et par rapport à toutes les variables indépendantes, l’équation

ces deux systèmes seront équivalents et pourront, dans tous les cas, être substitués l’un à l’autre.


15. Il résulte de là ce théorème important de Statique, que deux systèmes de forces sont équivalents et peuvent être substitués l’un à l’autre, dans un même système de corps liés entre eux d’une manière quelconque, lorsque les sommes des moments des forces sont toujours égales dans les deux systèmes ; et, réciproquement, lorsque la somme des moments des forces d’un système est toujours égale à la somme des moments des forces d’un autre système, ces deux systèmes de forces sont équivalents et peuvent être substitués l’un à l’autre dans le même système de corps.

Si l’on fait dépendre les lignes des lignes la formule

se transforme, comme dans l’article 13, en celle-ci,


dans laquelle

On a donc également

Ainsi le système des forces dirigées suivant les lignes est équivalent au système des forces agissant suivant les lignes et peut être changé en celui-ci, dans le même système de corps tirés par ces forces[6].

Séparateur

  1. Ce raisonnement n’est exact qu’autant que l’on considère un déplacement déterminé du système. Si l’on ne fait pas cette restriction, le rapport peut recevoir toutes les valeurs possibles, et l’équation ne peut être satisfaite pour aucune valeur déterminée de Il faudrait, par conséquent, pour compléter la démonstration de Lagrange, l’appliquer successivement à tous les déplacements possibles du système, en introduisant, à chaque fois, des liaisons nouvelles qui empêchent les autres déplacements de se produire. Lagrange, du reste, fait lui-même cette remarque (Sect. II, no 13).(J. Bertrand.)
  2. Le mot corps, ici comme plus haut, désigne un point matériel.(J. Bertrand.)
  3. En rapprochant cet article 9 des articles 6 et 18 (Sect. IV), on est conduit à l’entendre de la manière suivante : Lorsque des forces auront pour la somme de leurs moments virtuels un produit de la forme étant une fonction quelconque des coordonnées, on dira que le système des forces proposées équivaut à une force qui tend à faire varier la fonction C’est là une locution toute conventionnelle. Le mot force s’y trouve complètement détourné de sa signification habituelle. Cette locution, du reste, n’a pas été adoptée par les géomètres.
    (J. Bertrand.)
  4. C’est-à-dire, il faudra que les coefficients des variations de chacune de ces variables soient nuls séparément. (J. Bertrand.)      
  5. C’est-à-dire que deux systèmes qui sont équivalents, en ce sens qu’ils font équilibre à un même troisième, peuvent être, par cela même, considérés comme complètement équivalents.(J. Bertrand.)
  6. Il faut, pour qu’il en soit ainsi, que les lignes soient de telle nature, que leurs différentielles expriment les vitesses virtuelles des points d’application des forces c’est-à-dire que chacune d’elles soit la projection orthogonale du déplacement du point sur la direction de la force. Voir à ce sujet une Note de M. Poinsot, insérée dans le Journal de M. Liouville (1ère série, t. XI, p. 241) ; et que nous reproduisons à la fin du Volume.(J. Bertrand.)