Mécanique analytique/Notes du volume 1/Note 2

Gauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIp. 457-459).
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Note du tome I

NOTE II.

Sur la stabilité de l’équilibre ; par M. Lejeune-Dirichlet.


Si un système de points matériels est sollicité par des forces attractives ou répulsives qui ne dépendent que de la distance, et qui sont dirigées vers des centres fixes ou qui proviennent des actions mutuelles entre deux masses, l’action et la réaction étant égales ; si, en outre, les équations de condition qui lient les coordonnées des différents points ne contiennent pas le temps, l’équation des forces vives aura lieu. Cette équation est

Le signe s’étend à toutes les masses du système, chaque masse étant représentée par et sa vitesse par est une constante arbitraire. La fonction des coordonnées ne dépend que de la nature des forces et peut s’exprimer par un nombre déterminé de variables indépendantes de sorte que l’équation des forces vives s’écrira

La fonction est liée d’une manière intime aux positions d’équilibre du système ; car la condition qui exprime que, pour certaines valeurs déterminées de le système est dans une position d’équilibre, coïncide avec celle qui exprime que, pour ces mêmes valeurs, la différentielle totale de est nulle ; de sorte qu’en général, pour chaque position d’équilibre, la fonction sera un maximum ou un minimum. Si le maximum a lieu réellement, l’équilibre est stable, c’est-à-dire que, si l’on déplace infiniment peu les points du système de leurs positions d’équilibre, et qu’on donne à chacun une petite vitesse initiale, dans tout le cours du mouvement les déplacements des différents points du système, par rapport à la position d’équilibre, resteront toujours compris entre certaines limites déterminées et très petites.

Ce théorème est un des plus importants de la Mécanique. Il est la base de la théorie des petites oscillations, qui conduit à tant d’applications intéressantes relatives à la Physique. On doit donc s’étonner qu’on n’en ait donné jusqu’ici qu’une démonstration peu rigoureuse et insuffisante.

Supposons, comme il est permis de le faire sans nuire à la généralité, que la position d’équilibre du système, ou le maximum de la fonction corresponde aux valeurs La démonstration donnée par Lagrange (Mécanique analytique, Ire Partie, sect. III) se ramène à ceci : le développement de la fonction suivant les puissances de qui commence par les termes du second ordre, est réduit à ces termes ; puis, d’après la condition connue du maximum, que les termes du second ordre peuvent être considérés comme une somme de carrés négatifs, on déduit, pour des limites que ces quantités ne peuvent pas franchir. Ce genre de démonstration, employé encore dans d’autres questions de stabilité, et surtout dans l’Astronomie physique, manque de rigueur. En effet, on peut douter avec raison que des grandeurs pour lesquelles on trouve, avec l’hypothèse qu’elles seront toujours petites (car ce n’est que dans ce cas que l’on peut négliger les termes d’un ordre supérieur), de petites limites, resteront toujours renfermées réellement, au bout d’un temps quelconque, dans ces limites, et même, en général, dans des limites petites.

La démonstration que nous venons de citer a été reproduite, sans modification importante que je sache, par tous les auteurs qui se sont occupés de cette matière ; et tout ce que Poisson (Traité de Mécanique, t. II, p. 492) y a ajouté pour faire entrer en considération les termes d’un ordre supérieur repose sur cette hypothèse inadmissible, que chaque terme du second ordre surpasse la somme de tous les termes d’ordre supérieur.

Même en complétant les considérations de Lagrange, pour le cas auquel elles s’appliquent et où le maximum se reconnaît par les termes du second ordre, le théorème en question ne serait point prouvé dans toute son étendue. On sait que l’existence d’un maximum est compatible avec l’évanouissement des termes du second ordre ; il suffit, en général, que les premiers termes différents de zéro soient d’ordre pair, et que la somme de ces termes soit toujours négative. Les formules relatives à cette dernière condition n’ont pas encore été données, même dans le cas où il s’agit des termes du quatrième ordre. Il faudrait donc les rechercher d’abord. Cela introduirait nécessairement dans la démonstration du théorème de Mécanique dont nous parlons une grande complication. Heureusement, on peut démontrer le principe de la stabilité de l’équilibre indépendamment de ces formules, par une considération très simple qui se rattache d’une manière immédiate à l’idée du maximum.

Outre la supposition déjà faite, que la position d’équilibre réponde aux valeurs nous supposerons encore que ce qui est permis, à cause de la constante arbitraire. Déterminons la constante en ayant égard à l’état initial donné, pour lequel nous désignerons par les valeurs de On a ainsi

Puisque par hypothèse pour est nul et maximum, on pourra déterminer des grandeurs positives assez petites pour que soit toujours négatif pour tout système où les valeurs absolues des variables sont respectivement assujetties à ne pas dépasser les limites excepté, toutefois, le seul cas où sont nuls à la fois. Ce cas est exclu si nous ne considérons que des systèmes tels, qu’au moins une des variables soit égale en valeur absolue à sa limite Supposons que, de toutes les valeurs négatives de la fonction pour de tels systèmes, abstraction faite du signe, soit la plus petite alors on peut facilement montrer que, si l’on prend numériquement plus petits que et que l’on satisfasse en même temps à l’inégalité

chacune des variables restera pendant toute la durée du mouvement au-dessous des limites En effet, si le contraire avait lieu, comme les valeurs initiales remplissent la condition que nous venons d’énoncer, et à cause de la continuité des variables il faudrait d’abord qu’à un cerlain instant il y eût égalité entre une ou plusieurs valeurs numériques de et leurs limites respectives sans qu’aucune des autres valeurs eût dépassé sa limite. À cet instant, la valeur absolue de serait supérieure ou au moins égale à Par conséquent, le second membre de l’équation des forces vives serait négatif, à cause de l’inégalité écrite plus haut, et qui se rapporte à l’état initial ; ce qui n’est pas possible, étant toujours positif.

Il suit encore de là, évidemment, que les vitesses seront toujours comprises entre des limites, déterminées, puisque l’on a toujours

Il est évident aussi que les limites pour chaque vitesse, ainsi que celles de chaque variable peuvent être aussi petites que l’on voudra, puisque les quantités peuvent devenir aussi petites que l’on voudra.


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