Mécanique analytique/Notes du volume 1/Note 3

Gauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome XIp. 460-464).
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Note du tome I

NOTE III.

Sur l’équilibre d’une ligne élastique.


Les formules données par Lagrange (p. 162) supposent que la force d’élasticité s’exerce, en chaque point, dans le plan osculateur de la ligne en équilibre dont elle tend à rétablir le rayon de courbure primitif ; mais une pareille hypothèse est loin de représenter les phénomènes, et M. Binet a remarqué qu’à la force d’élasticité considérée par Lagrange il est essentiel d’en adjoindre une autre dont l’effet est de s’opposer aux variations de la seconde courbure. La complication des formules qui expriment cette seconde courbure nous empêche de conserver, en développant les conséquences de cette remarque, la notation et la marche suivie par Lagrange. Nous nous bornerons à former directement les équations de l’équilibre en imitant la méthode exposée par Poisson dans un Article de la Correspondance sur l’École Polytechnique (t. III, p. 355).

Considérons une ligne élastique en équilibre dont tous les points soient sollicités par des forces données. Si nous supposons que la partie comprise entre un point quelconque et l’extrémité devienne inflexible et fixe, et que l’autre partie devienne seulement inflexible en conservant la liberté de tourner autour du point l’équilibre ne sera pas détruit, et, par conséquent, la force d’élasticité développée en doit détruire le couple auquel équivalent, à cause de la fixité du point les forces agissant sur la portion de la courbe. Or nous admettrons que la force d’élasticité peut produire deux couples, l’un, auquel Lagrange a eu égard, agissant dans le plan osculateur et tendant à restituer à la courbure sa valeur primitive ; l’autre, ayant pour axe la tangente à la courbe élastique, et tendant à détruire la torsion, en restituant à la seconde courbure sa valeur primitive. Nommons ces deux couples et Nous allons prouver d’abord que est constant, quelles que soient les formes données et la forme primitive de la courbe.

Pour déterminer, en effet, les deux couples et il faut réduire les forces qui agissent sur la portion de la courbe à une force passant par le point et à un couple Ce couple doit être équivalent aux deux couples et ayant respectivement pour axes la tangente à la courbe proposée et une perpendiculaire à son plan osculateur. Si nous recommençons les mêmes décompositions, en substituant au point un point infiniment voisin la force et le couple varieront, d’une part, à cause du changement dans le point d’application de la force, et, en outre, par l’influence de forces nouvelles agissant sur l’arc Remarquons d’abord que ces dernières forces ne peuvent exercer aucune influence sur la valeur du couple car leur point d’application est à une distance infiniment petite du second ordre de la tangente au point qui est l’axe de ce couple. Il suffit donc d’avoir égard au changement de position du point fixe, et ce changement a évidemment pour effet d’adjoindre au couple un seconde couple produit par la force et par une force égale et contraire appliquée en Or la force a, comme celles qui sont appliquées à l’arc son point d’application situé à une distance infiniment petite du second ordre de la tangente en en sorte qu’elle ne modifie que d’une quantité de cet ordre le couple cherché, dont cette tangente est l’axe. D’après ces remarques, on peut calculer la valeur du couple de torsion qui correspond au point comme si le couple ne changeait ni de grandeur ni de direction ; il faut seulement le décomposer maintenant en deux autres, dont l’un soit perpendiculaire à la tangente en Pour calculer ce couple composant, qui représente le moment de torsion cherché, substituons au couple les deux couples et qui lui sont équivalents. Chacun de ces couples devra être multiplié par le cosinus de l’angle formé par son axe avec celui du couple qui n’est autre que la tangente de la courbe considérée au point Les axes des couples et forment un angle infiniment petit dont le cosinus est égal à l’unité, si nous négligeons, comme plus haut, les infiniment petits du second ordre ; quant à l’axe du couple l’angle qu’il forme avec la tangente en est droit, si l’on néglige encore les infiniment petits du second ordre, car le plan osculateur en est parallèle à la tangente en le cosinus de cet angle peut donc être considéré comme nul, et l’on a, en négligeant les infiniment petits du second ordre,

d’où l’on conclut que le moment de torsion est rigoureusement constant tout le long de la courbe élastique.

D’après cette remarque, on formera les équations d’équilibre en écrivant que les forces appliquées à une portion quelconque de la courbe, supposée rigide, sont détruites par la fixité du point et par deux couples et ayant respectivement pour axes la tangente à la courbe et l’axe du plan osculateur ; étant constant, et proportionnel à la différence entre la courbure actuelle en et la courbure primitive au même point.

Nous considérerons en particulier le cas où, la courbe étant primitivement droite, la seule force appliquée agit sur son extrémité l’extrémité étant fixe. En supposant que l’on fixe un point dont les coordonnées sont les moments des forces données par rapport à ce point auront leurs composantes de la forme

étant des constantes qui dépendent de la direction de la force et de la position de son point d’application. En égalant ces moments aux couples d’élasticité décomposés perpendiculairement aux trois mêmes axes, nous aurons les équations

qui ne diffèrent de celles de Lagrange (p. 168) que par la notation et par l’introduction des termes en

Après avoir obtenu ces équations, Lagrange ajoute : Leur intégration est peut-être impossible en général. Nous allons montrer qu’elle est, au contraire, toujours possible, et nous suivrons, pour cela, la marche indiquée par M. Binet[1] et simplifiée, peu de temps après, par Wantzell.

Si l’on prend pour axe des la direction même de la force donnée, les formules précédentes deviennent, comme on le voit facilement, de la forme

(1)

étant une constante.

La dernière équation montre que, si l’on néglige \theta, comme Lagrange l’a fait, la courbe sera nécessairement plane. En multipliant ces équations par et les ajoutant, il vient

(2) [2] ;

on trouve aussi, en ajoutant les deux premières, multipliées respectivement par et ,

(3)

ou, en vertu de la précédente, si l’on prend pour variable indépendante,

(4)

et, en intégrant,

(5)

Si l’on substitue à et des coordonnées polaires, en posant

les équations précédentes deviendront

d’où l’on déduira, en posant et se servant de la formule connue

Séparateur

on aura ensuite

de sorte que pourront, par des quadratures, s’exprimer en fonction de l’angle

(Note de M. J. Bertrand.)
Séparateur

  1. Voir les Comptes rendus de l’Académie des Sciences pour 1844, pages 1115 et 1197.
  2. On peut remarquer que si, dans cette formule (2), on pouvait supposer on en conclurait Il faut donc, pour qu’il y ait torsion, que la force ne soit pas directement appliquée au point de la courbe sur lequel s’exerce son action. (J. Bertrand.)