Lotus de la bonne loi/Notes/Chapitre 2

Lotus de la bonne loi
Version du soûtra du Lotus traduite directement à partir de l’original indien en sanscrit.
Traduction par Eugène Burnouf.
Librairie orientale et américaine (p. 342-360).
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Notes du chapitre II

CHAPITRE II.

f. 18 b.Qui était doué de mémoire et de sagesse.] Cette traduction n’est pas parfaitement exacte, en ce qu’elle attribue la mémoire et la sagesse à Bhagavat, comme des qualités constitutives et permanentes, ce qui est vrai et n’a pas besoin d’être rappelé, tandis qu’elle n’indique pas le rapport de ces qualités avec l’état spécial de méditation d’où sort Bhagavat. Il faudrait donc dire : « Ensuite Bhagavat, avec sa mémoire et sa sagesse, sortit de sa méditation. » Peut-être même devrait-on donner à smrĭti le sens d’esprit, intelligence, et même esprit présent, et à pradjñâ celui de connaissance ou conscience, de façon qu’on traduirait, « ayant l’esprit présent, ayant toute sa connaissance. » C’est très-probablement une expression pareille que Csoma rend ainsi dans un curieux fragment emprunté aux livres tibétains : with a clear knowledge, recollection and selfconsciousness[1]. Mais I. J. Schmidt va probablement trop loin quand il traduit pratimukhîm̃ smrĭtim upasthâpya par « das Gedenken (die Meditation) offen darlegend[2], » tandis que cette expression doit signifier rappelant à lui sa mémoire ou son intelligence. » Au reste ces deux idées qui, chez les Buddhistes du Sud, sont représentées par les deux mots satô sampadjânô, peuvent avoir également la signification spéciale que je viens de supposer. En voici quelques exemples empruntés à deux ouvrages d’une certaine célébrité. Au commencement du Thûpa vam̃sa on lit : Adjdja Bhagavâ yamakasâlânam antarê dakkhiṇêna passêna satô sampadjânô sîhasêyyam upagatô. « Aujourd’hui Bhagavat s’est placé sur la couche du lion (c’est-à-dire, s’est couché comme fait le lion) sur le côté droit, entre deux arbres Sâlas, conservant sa mémoire et sa connaissance[3]. » De même dans le Djina alam̃kâra on lit : Tatô Bhagavâ gandhakûṭim̃ pavisitvâ satchê âkam̃khati dakkhiṇêna passêna satô sampadjânô muhuttam̃ sîhasêyyam̃ kappêti. « Alors Bhagavat étant entré dans la salle des parfums, s’il en a le désir, se couche à la manière du lion, sur le côté droit, conservant sa mémoire et sa connaissance[4]. » Je dis sa connaissance, parce que c’est le terme qui va le mieux : ici ; mais le participe sampadjâna prendrait fort bien le sens de conscience dans cette expression du Pâṭimôkkha, sampadjânamusâvâdô, « l’énoncé d’un mensonge dont on a conscience[5]. »

Ils sont en possession de lois étonnantes et merveilleuses.] L’expression dont se sert le texte est âçtcharyâdbhutadharmasamanvâgatâḥ ; ce composé ne peut, si je ne me trompe, donner lieu qu’à ces deux interprétations, qui reviennent dans le fond à peu près au même : « les Tathâgatas sont doués de lois merveilleuses, » ce qui est une allusion à leur science supérieure, ou « les Tathâgatas sont doués de conditions (de caractères) qui les rendent un objet d’étonnement, qui en font des merveilles. » C’est, je crois, avec cette dernière acception que cette expression est employée par le Lalita vistara, lorsque Ânanda, frappé du récit que Çâkya vient de faire de la naissance du Bôdhisattva, s’écrie : Sarvasattvânâm Bhagavam̃stathâgata âçtcharyabhûtô ’bhût ; bôdhisattva êvâdbhutadharmasamanvâgataçtcha kaḥ punarvâda êvam̃ hyanuttarâm̃ samyaksam̃bôdhim abhisam̃buddhaḥ. « Le Tathâgata, ô Bhagavat, a été merveilleux pour tous les êtres, (ou parmi tous les êtres ;) comme simple Bôdhisattva il fut doué de conditions merveilleuses, à plus forte raison depuis qu’il est ainsi « arrivé à l’état suprême de Buddha parfaitement accompli[6]. » Ânanda veut exprimer à quel point le Tathâgata lui paraît merveilleux ; et pour le dire avec plus de force, il expose que quand cet être n’était encore que Bôdhisattva (Bôdhisattva êva), il était déjà doué de lois, de conditions, ou de caractères (car dharma a toutes ces significations) dignes d’étonnement. Je n’ai pas besoin d’insister pour montrer combien les Tibétains se sont éloignés du sens véritable, quand ils ont traduit kaḥ punar vâdaḥ par « que demander de plus ? » Ils ont également méconnu le sens de Bôdhisattva êva en traduisant, « le Bôdhisattva lui-même ; » c’est « Bôdhisattva même, n’étant que Bôdhisattva, » qu’il fallait dire. Il y a encore dans ce texte un mot particulier au sanscrit buddhique, et qui se représente dans les livres du Sud sous une forme populaire ; c’est le participe samanvâgata, qui signifie doué de. Il est aussi fréquemment employé en pâli sous la forme de samannâgata, par suite de l’assimilation du groupe nva en nna. On en trouvera un exemple dans un texte des Djâtakas pâlis, cité par Spiegel, où l’éditeur écrit à tort samantâgata[7] ; il est juste de dire que rien n’est aussi difficile à distinguer l’un de l’autre que le t et le n de l’écriture singhalaise, celle des manuscrits sur lesquels a travaillé Spiegel.

Le langage énigmatique des Tathâgatas.] Le texte se sert du terme sandhâbhâchyam, dont les manuscrits lisent encore la première partie sandhyâ. Le sens que j’ai adopté m’est fourni par la version tibétaine qui est ainsi conçue : ldem-por dgongs-te-bchad-pa-ni, et qui signifie, si je ne me trompe, « l’explication de la pensée exprimée énigmatiquement. » Je suis ici l’autorité du Dictionnaire de Csoma de Cörös, qui rend ldem-po par énigme, ironie, parabole. Cependant le Dictionnaire de Schröter entend ce même mot comme s’il signifiait juste, droit, direct, en anglais plain. Je n’ai pas le moyen d’expliquer cette divergence d’opinions, et je m’en tiens à l’interprétation donnée par Csoma, laquelle s’accorde mieux avec le sens général des passages où cette expression se trouve.

La vue d’une science absolue et irrésistible.] Ce passage renferme une énumération sommaire des attributs intellectuels, moraux et physiques, au moyen desquels un Buddha devient capable de remplir la partie la plus élevée de sa mission, qui est d’enseigner la loi aux hommes afin de les sauver. Cette énumération n’est que sommaire, et elle ne se présente pas ici avec ce caractère dogmatique propre aux listes d’attributs et de qualités qui abondent dans le Buddhisme, et où chaque catégorie porte avec elle l’indication du nombre des objets qu’elle embrasse, comme les six ou dix perfections, les dix forces, les quatre portions de la puissance magique, etc. Simplement énoncées, comme elles le sont ici, sans détails et sans exemples, ces catégories sont d’ordinaire difficiles à entendre ; on ne voit pas toujours aisément la nuance qui les distingue les unes des autres, et pour être parfaitement comprises, elles auraient besoin d’être accompagnées de gloses plus étendues que celles que peut fournir la comparaison des passages parallèles assez bornés qui sont en ce moment à ma disposition. Je crois cependant indispensable d’en reproduire ici les termes, tels qu’ils sont donnés par le texte, d’abord pour justifier celles de mes interprétations qui pourraient offrir quelque incertitude, puis pour corriger les autres, enfin, pour marquer d’avance celles de ces catégories qui devant reparaître ailleurs et dans des passages isolés, deviendront alors l’objet d’une note spéciale. Il est de plus indispensable d’indiquer le genre de service que rend ici la version tibétaine du Saddharma puṇḍarîka, laquelle nous fournit pour des mots souvent obscurs une interprétation ancienne et parfaitement authentique. On verra que l’utilité de cette version consiste principalement en ce qu’elle isole les termes qui doivent être distingués les uns des autres, et tranche ainsi nettement tous les doutes que fait naître leur situation indécise au milieu d’un vaste et interminable composé.

Ce que je traduis par « la vue d’une science absolue et irrésistible » est, dans le texte, asag̃gâpratihata djñânadarçana. Je ne crois pas qu’il puisse exister aucune incertitude sur la valeur générale de cet attribut ; il en est souvent parlé dans les textes du Nord, et je ne doute pas qu’on ne doive retrouver dans un recueil aussi étendu que l’Abhidharmakôça vyâkhyâ, des gloses expliquant comment la science du Buddha est détachée [asag̃ga], et irrésistible [apratihata]. Le Dharma pradîpikâ singhalais nous fournit déjà un éclaircissement de quelque valeur pour l’épithète de apratihata dans le texte pâli suivant : Atîtê Buddhassa bhagavatô appaṭihatam̃ ñânam̃ anâgatê appatihatam̃ ñânam̃ patchtchuppannê appaṭihatam̃ ñânam̃. « La science du Bienheureux Buddha ne rencontre pas d’obstacle dans le passé ; elle n’en rencontre pas dans l’avenir, elle n’en rencontre pas dans le présent[8]. » Un autre texte qui suit celui que je viens de citer, exprime ainsi l’immensité de cette science : « Aussi grand est l’objet à connaître, aussi grande est la science ; aussi grande est la science, aussi grand est l’objet à connaître. La science a pour limite l’objet à connaître ; l’objet à connaître a pour limite la science. Au delà de l’objet à connaître, il n’y a pas d’application de la science ; au delà de la science, il n’y a pas de voie pour l’objet à connaître ; ces deux conditions, la science et l’objet à connaître, se contiennent mutuellement dans les mêmes limites. » Et ce rapport de la science à l’objet à connaître est exprimé par cette comparaison : « De même que les deux parties formant une boîte fermée, vues ensemble, celle de dessous ne dépasse pas celle de dessus, pas plus que celle de dessus ne dépasse celle de dessous, mais que toutes deux se contiennent et se limitent mutuellement, ainsi pour le Buddha bienheureux, et l’objet à connaître et la science se contiennent mutuellement dans les mêmes limites[9]. »

Ces textes s’appliquent à la science d’un Buddha envisagée d’une manière générale. Si au contraire il faut la considérer d’une manière spéciale, on trouvera chez les Buddhistes du Nord deux catégories auxquelles le mot de science peut servir de titre. La première est celle des cinq sciences ou connaissances, qui forme la sixième section du Vocabulaire pentaglotte de la Bibliothèque nationale. Elle commence par âdarça djñânam, « la connaissance du miroir, » ou la connaissance qui est celle d’un miroir, que donne un miroir, et elle se termine par la connaissance dite dharma dhâtu djñânam, « la connaissance de l’élément de la loi, » pour dire de l’élément qui est la loi. La seconde catégorie est donnée par Hématchandra sur l’épithète de pañtchadjñâna, « celui qui a les cinq connaissances, » laquelle est un des titres d’un Buddha ; ces cinq connaissances sont celles des cinq skandkas ou agrégats, vidjñâna, l’intelligence ; vêdanâ, la perception ; sam̃djnâ la connaissance ; sam̃skâra, la conception ; rûpa, la forme[10]. Voici donc l’espèce d’incertitude qui subsiste encore sur la traduction que je propose pour le terme de l’original. Si l’on veut parler généralement de la science d’un Buddha, sans déterminer les modes et les degrés de cette science, on pourra dire, comme je l’ai fait, « la vue d’une science absolue et irrésistible. » Si au contraire on pense que le texte a entendu désigner les caractères de cette science, considérée dans les connaissances qu’elle embrasse, il faudra probablement traduire, « la vue absolue et irrésistible des [cinq] connaissances ; » mais ce dernier sens me paraît le moins probable.

Ce que je traduis par l’énergie est bala ; peut-être vaudrait-il mieux dire la force, ou encore la puissance, en réservant le mot d’énergie pour vîrya, terme qui fait partie d’une autre catégorie. Ainsi isolé, le mot bala n’a aucun caractère qui nous avertisse s’il doit être pris d’une manière générale, comme je l’ai fait, ou bien s’il résume en un seul mot, soit la catégorie des dix forces dont je donnerai ailleurs l’énumération[11], soit une autre catégorie de cinq forces que reproduit le Vocabulaire pentaglotte, et dont je parlerai plus bas. Nous nous trouvons donc ici dans la même incertitude qu’à l’égard du terme précédent. J’ai cru cependant devoir adopter le sens général, parce qu’on va rencontrer plus bas dans le texte le mot bala désignant, selon toute apparence, une catégorie spéciale, et placé auprès des sens, comme le donne ma traduction : c’est un point sur lequel je vais revenir tout à l’heure. Un autre fait me confirme dans cette idée, que bala est ici l’expression de la force ou de la puissance en général ; c’est que bala figure au nombre des dix pâramitâs ou des perfections les plus élevées que possède seul un Buddha, au moins d’après le Vocabulaire pentaglotte qui assigne à bala le neuvième rang. Il est juste de reconnaître que d’autres énumérations, celle du Lalita vistara en particulier, ont vîrya au lieu de bala[12] ; mais cela ne fait que confirmer davantage la signification générale que j’attribue à bala. Je puis toujours conclure de ces divers rapprochements que la force ou la puissance dont il est parlé ici est celle des Buddhas, puisque le passage tout entier de notre texte est consacré à dire qu’eux seuls connaissent toutes les lois, ou tous les êtres.

Vient ensuite l’intrépidité, ou mieux la confiance, dans le texte vâiçâradya. Ce sens que donne le sanscrit classique est confirmé par la version tibétaine mi hdjigs-pa, « l’absence de crainte. » Il semble que nous ayons ici une qualité envisagée d’une manière générale et en quelque façon absolue ; cependant nous verrons ailleurs, ch. xi, f. 140 a, le texte du Lotus citer quatre espèces de confiance ; de même je remarque, f. 19 b, st. 2, que là où j’ai traduit « quelle est leur intrépidité, » le texte porte au pluriel vâiçâradyâçtcha yâdrĭçâḥ. Enfin dans un passage du Mahâvastu que je citerai ailleurs[13], Buddha est dit « confiant des quatre confiances. »

Le terme suivant est plus difficile : c’est âvêṇika que j’avais traduit conjecturalement par homogénéité, me fondant sur l’autorité des Tibétains qui remplacent ordinairement ce terme par ma hdres, « non mêlé. » Je préfère aujourd’hui le sens d’indépendance que j’aurai plus bas l’occasion d’établir dans une note spéciale relative aux dix-huit lois dites âvêṇika[14].

J’ai longtemps hésité sur la manière dont je devais traduire le terme suivant qui se présente ainsi, indriyabala, et qui semble signifier « la force des sens. » La grande vraisemblance de cette interprétation militait en sa faveur ; mais elle avait contre elle la version tibétaine. En effet, cette version voit ici deux attributs, les sens et les forces, entendant sans doute par les sens, des organes exercés et sûrs d’atteindre à leur but, et par les forces, l’une des deux catégories dont je parlais tout à l’heure, à l’occasion du mot bala précédant vâiçâradya. C’est dans ce sens que j’ai traduit, en forçant un peu ma traduction, et disant « la perfection des sens, » au lieu de les sens seuls, ce qui n’eût pas été suffisamment clair.

Quant au mot bala, il ne peut être pris dans la même acception que le bala qui précède le terme de vâiçâradya : si le premier est général, celui-ci doit être spécial, voilà pourquoi j’ai mis « les forces ; » mais il ne m’est pas possible de dire de quelles forces il est ici particulièrement question. On en connaît en effet deux catégories, l’une composée de dix termes et sur laquelle je reviendrai plus bas, l’autre composée de cinq termes, et qui forme la section xxviiie du Vocabulaire pentaglotte. Voici les titres dont elle se compose : çraddhâ balam, la force de la foi ; vîrya balam, la force de la vigueur ; smrĭti balam, la force de la mémoire ; samâdhi balam, la force de la méditation ; pradjñâ balam, la force de la sagesse. C’est là, comme on le voit, une catégorie d’attributs intellectuels, destinés, selon toute apparence, à faciliter l’acquisition de la science parfaite : celui qui est maître de ces forces est certainement plus près de posséder cette science que celui qui ne les pratique pas. Je viens de dire qu’il n’était pas facile de déterminer la catégorie de forces dont il est parlé ici sous ce titre collectif de bala. Si cependant on était amené à reconnaître quelque trace de classification systématique dans le Vocabulaire pentaglotte, on pourrait tirer argument de la place qu’occupe dans ce recueil la section des cinq forces, précédant immédiatement celle des sept éléments constitutifs de l’état de Bôdhi, comme peut s’en convaincre tout lecteur qui prendra la peine de recourir à l’édition de ce recueil que possède la Bibliothèque nationale. J’en dirai autant, et avec plus de raison encore, de l’énumération du Lalita vistara, laquelle ne peut être arbitraire, et où les cinq forces en question précèdent immédiatement les principes de la science d’un Buddha[15]. Or c’est exactement dans une situation semblable qu’est placé le bala de notre Lotus, puisqu’il précède les éléments constitutifs de l’état de Bôdhi. De toute façon la remarque ne me paraît pas inutile, et quelles que soient les forces qui sont comprises sous le titre collectif de bala, c’est déjà un pas de fait pour la détermination de leur nature, que de savoir que les cinq forces intellectuelles du Lalita vistara et du Vocabulaire pentaglotte précèdent les attributs dont la réunion compose la plus haute perfection d’intelligence que conçoivent les Buddhistes, et à laquelle ils donnent le nom de Bôdhi.

Je viens de définir presque complètement le terme qui succède à celui de bala, et qui est dans le texte, bôdhyag̃ga ; comme ce terme doit reparaître plus bas dans notre Lotus, il fera l’objet d’une note spéciale à l’Appendice[16].

Le terme que je traduis par contemplation, est dhyâna. J’ai écrit ce terme au pluriel, parce qu’il y a divers degrés de contemplation au nombre de quatre, qui mènent celui qui les traverse jusqu’au terme du Nirvâṇa, et parce qu’on trouve quelquefois les contemplations citées au pluriel dans notre Lotus même[17]. J’y reviendrai en détail dans un autre endroit de ces notes[18].

J’en dirai autant du terme qui suit, savoir, les affranchissements, dans le texte vimôkcha ; nous apprenons par un passage de notre Lotus même que l’on compte huit espèces d’affranchissements[19]. Je les examinerai lorsque nous serons arrivés à l’endroit où il en est parlé spécialement[20]. Quant à présent, il nous suffit, pour traduire vimôkcha par le pluriel, de suivre l’analogie à laquelle nous conduit la réunion des termes qui constituent la sixième des forces ou des puissances d’un Buddha, et qui, selon le Vocabulaire pentaglotte, est définie ainsi : sarva dhyâna vimôkcha samâdhi samâpatti sam̃djñânabalam, « la force de la connaissance de toutes les contemplations, affranchissements, méditations, acquisitions de l’indifférence. » Ces termes sont précédés du mot sarva qui se rapporte à eux tous ; ils sont rapprochés les uns des autres dans la définition de la sixième force, comme ils le sont dans le texte du Lotus de la bonne loi. De plus, à la stance 2 du chapitre qui nous occupe, on a au pluriel vimôkchâçtcha yé têchâm, « et quels sont leurs affranchissements, » comme aussi dans d’autres passages des parties versifiées de notre Lotus[21].

Ce que je traduis par les méditations est dans le texte samâdhi ; la raison que j’ai donnée pour mettre le terme précédent au pluriel s’appliquerait également à celui-ci, quand même on ignorerait quel nombre immense de méditations les Buddhistes se plaisent à attribuer à un Buddha. On les compte par millions et par myriades, et on les désigne par des noms souvent très-bizarres. Le Lotus de la bonne loi et le Lalita vistara fournissent des preuves suffisamment nombreuses de cet usage ; il y a même un livre intitulé Samâdhirâdja, « le roi des méditations, » qui est rempli des noms donnés aux méditations d’un Buddha. Mais ce qui est plus important à remarquer pour la connaissance de la doctrine philosophique, c’est le sens propre du mot samâdhi. Ce terme signifie « l’état de l’esprit qui se contient lui-même, » idée que ne rend qu’imparfaitement notre mot de méditation, où il reste encore trop de la notion d’une activité appliquée à quelque chose qui est distinct d’elle. C’est un point qui sera mis hors de doute quand nous examinerons les quatre degrés du dhyâna ou de la contemplation, dont le samâdhi, ou la possession de l’intelligence qui se renferme en elle-même, est un des éléments fondamentaux. Avec ces explications, notre mot méditation peut être employé sans trop d’inconvénient, surtout au pluriel. Il est bien clair que l’on ne peut méditer, si l’on n’a pas la possession pleine et entière de son intelligence.

Reste le dernier terme, « l’acquisition de l’indifférence, » qui a plus besoin encore d’une explication spéciale. Pour quiconque verrait réunis les deux mots samâdhi samâpatti, le premier sens qui se présenterait serait, si je ne me trompe, celui de « l’acquisition de la méditation. » C’est, à ce qu’il semble, au moins d’après Turnour et Clough, l’interprétation qu’ont adoptée les Buddhistes du Sud. Ainsi Turnour expliquant le mot samâpatti dans l’index de son Mahâwanso, en donne cette définition : « l’état de jouissance de l’abstraction dite samâdhi ou la sanctification[22] ; » d’où il résulte que samâpatti est subordonné à samâdhi, de cette manière, « l’acquisition de la méditation. » Clough en fait autant, quoiqu’il étende le mot d’acquisition à d’autres termes qu’à la méditation. Ainsi, quand il énumère les perfections d’un Religieux accompli, il les place dans cet ordre : djhâna, « la méditation profonde ; » vimôkha, « l’affranchissement de la passion ; » samâdhi, « la tranquillité « parfaite ; » samâpatti, « les résultats ou la jouissance des perfections supérieures[23]. »

L’accord de Turnour et de Clough sur la valeur du mot samâpatti, et sur la place qu’il doit occuper dans l’énumération qu’on donne des perfections intellectuelles du sage, prouve donc que les Buddhistes singhalais n’en font pas un terme à part, mais au contraire le subordonnent aux termes précédents. Toutefois nous ne pouvons rien affirmer définitivement sur ce point, tant que nous ne serons pas plus avancés dans la connaissance de ces livres ; car un passage de Buddhaghôsa traduit par Turnour lui-même donnerait à croire que le mot de samâpatti exprime à lui seul une qualité ou un mérite intellectuel dont, on fait honneur à un Buddha. Ainsi parlant de Çâkyamuni devenu Buddha, le passage en question ajoute : « il resta là assis pendant sept jours, réalisant d’innombrables samâpattis par cent mille et par dix millions[24]. » Si l’on peut compter les samâpattis, c’est que les samâpattis sont quelque chose d’individuel, qui existe par soi-même ; car il est bon de remarquer qu’ici il n’est plus question de samâdhi. Les Buddhistes tibétains s’en font cette idée, puisqu’ils traduisent samâpatti par sñoms-par hdjug-pa, « l’action d’arriver à l’indifférence ; » d’où il résulte que samâpatti est envisagé comme composé des mots sama, « égal, » et âpatti, « l’arrivée à, l’obtention. » Il m’a semblé que traduisant un des livres canoniques du Nord, je devais me mettre d’accord avec l’interprétation conservée chez les Tibétains, et c’est pourquoi j’ai rendu ce mot par « l’acquisition de l’indifférence ; » peut-être serait-il plus exact de dire ici, « les acquisitions de l’indifférence. » Du reste, la conciliation de ces deux opinions, celle des Tibétains et celle des Singhalais, si toutefois Clough et Turnour reproduisent exactement cette dernière, serait extrêmement facile. Nous verrons en effet plus tard, quand nous examinerons les dhyânas ou les degrés de la contemplation, que c’est après s’être rendu maître de son intelligence par la pratique de la samâdhi, que l’on arrive à reconnaître que toutes les choses sont égales entre elles, c’est-à-dire qu’on parvient à l’indifférence. L’acquisition de ce dernier état est donc en réalité subordonnée à celui de samâdhi, et c’est probablement la connexité qui existe entre ces deux états qui a porté Turnour et Clough à les rattacher comme ils l’ont fait l’un à l’autre.

C’est le Tathâgata, ô Çâriputtra, etc.] Cette phrase sera traduite plus exactement de la manière suivante : « C’est le Tathâgata seul, ô Çâriputtra, qui peut enseigner les lois du Tathâgata ; les lois que le Tathâgata connaît, toutes ces lois même, ô Çâriputtra, le Tathâgata seul les enseigne ; car seul le Tathâgata connaît toutes les lois. »

f. 19 b. St. 4. Dans la pure essence de l’état de Bôdhi.] J’ai pris ici, à tort, dans le sens abstrait, ce qui doit s’entendre dans un sens positif et matériel ; voici le texte : Phalam me bôdhimaṇḍasmim̃ drĭchtam yâdrĭçakam̃ hi tat. « Voici quel est le résultat que j’ai vu sur le trône « de la Bôdhi. » J’ai discuté ce point ailleurs[25] ; il est souvent question de ce trône dans le Lalita vistara[26]. J’ajoute seulement ici quelques textes qui ne laissent aucun doute sur la destination du Bôdhimaṇḍa. Dans le Mahâvastu, ouvrage curieux et pour le fond et pour la forme, je trouve le passage suivant : Têna khalu punaḥ samayéna sarvâvantô bôdhimaṇḍô ôsaktapaṭṭadâmakalâpo abhûchi. « Or, en ce temps, la totalité du Bôdhimaṇḍa fut couverte d’étoffes, de guirlandes et de files de clochettes[27]. » De même chez les Buddhistes du Sud, le Bôdhimaṇḍa est nommé un siège : bôdhimaṇḍam âruyha nisinnaṭṭhânam̃, « étant monté sur le Bôdhimaṇḍa, qui est le lieu où il s’asseoit[28]. »

St. 7. Les Bôdhisattvas sont remplis de confiance.] Il faut dire, « car les Bôdhisattvas sont fermes dans l’intelligence ; » en adoptant pour adhimukti le sens que j’ai exposé plus haut, f. 16 b.

St. 8. Leur dernière existence corporelle.] Le texte dit littéralement, antima dêha dhâriṇo, « ayant leur dernier corps. » Il paraît que cette expression est sacramentelle chez les Buddhistes, car on la trouve également dans les livres pâlis ; ainsi je lis dans le Djina alam̃kâra : antimadêhadhârî bhavakkhayam pattô, « ayant son dernier corps, arrivé à la destruction de l’existence[29]. »

f. 21 b. St. 23. Tu parles de la pure essence de l’état de Bôdhi.] Il faut lire, « Tu célèbres là le trône de la Bôdhi, » comme plus haut, f. 19 b.

St. 25. Parvenus à la puissance et arrivés au Nirvâṇa.] Après les mots « parvenus à la puissance, » le texte ajoute anâçravâḥ ; tout le passage doit être rétabli comme il suit : « parvenus à la puissance, exempts de faute, et partis pour le Nirvâṇa. »

St. 27. Et le doute s’est emparé de leur esprit.] Maintenant que je ne pense plus que vyâkuruchva signifie toujours et sans distinction, « annonce les destinées futures, » je crois devoir traduire ainsi cette stance : « Réponds donc, ô grand solitaire, aux questions que s’adressent dans leur esprit tout ce qu’il y a ici de Çrâvakas du Sugata, etc. »

f. 23 a. St. 23 a. Cela sera pour eux un avantage, un profit, un bien, qui durera longtemps.] Le texte se sert ici d’une expression spéciale et qui revient chaque fois qu’il est question d’un avantage temporel : ṭêchân tad bhavichyati dîrgharâtram arthâya hitâya sukhâya. On en rencontre de fréquents exemples, tant dans le Saddharma puṇḍarîka que dans le Lalita vistara[30]. L’expression n’est pas moins familière aux Buddhistes du Sud, et on peut la voir dans le Mahâvamsa[31], et dans une des légendes en pâli publiées par Spiegel[32]. Je la remarque encore dans deux Suttas du Dîgha nikâya pâli des Singhalais, où elle est rédigée, sauf le dialecte, dans les mêmes termes que ceux du Lotus que je viens de citer : têsam̃ tam̃ bhavissati dîgharattam̃ hitâya sukhâya, littéralement, « à eux cela sera pour longtemps à profit, à bien[33]. » Les textes pâlis n’emploient, comme on voit ici, que deux termes ; ils omettent ordinairement le premier, arthâya. C’est aussi ce que je remarque dans la rédaction du Mâhâvastu qui est, selon moi, un livre ancien. Ainsi en parlant du Buddha Çâkyamuni, le texte de ce livre se sert de cette formule, sattvânâm̃hitasukham gavêchantô sam̃sarati, « cherchant « le profit, le bien des êtres, il transmigre dans le monde[34]. » J’ai signalé l’existence de cette formule dans les inscriptions religieuses de Piyadasi, ainsi qu’on peut le voir au no X de l’Appendice. Il faut encore remarquer l’expression dîrgharâtram, « pour une longue nuit, « employée avec le sens de « pour un long temps. » On la trouve également en pâli, soit sous la même forme, sauf le dialecte, dîgharattam̃, soit avec l’adjectif tchira, de cette manière au locatif, tchirarattâyam̃[35], « longtemps, » et en composition tchirarattapîlitô, « torturé pendant longtemps[36]. »

Qui sont également parvenus à.] Lisez, « qui sont également partis pour. »

f. 23 b. St. 23 b. Écoute donc, ô Çâriputtra, etc.] Ceci est encore une formule sacramentelle employée par Çâkya, lorsqu’il va répondre à une question qui lui a été adressée par un de ses auditeurs ; la voici d’après l’original : tênahi çâriputtra çrĭṇu sâdhutcha suchṭhutcha manasikuru bhâchichyé ’haniê. Elle reparaît à tout instant dans les livres du Nord où Çâkyamuni est représenté, instruisant ses disciples, et j’en cite à la note un exemple emprunté à l’Avadâna çataka[37]. On la remarque également dans les livres pâlis, où elle occupe la même place : je l’emprunte à deux Suttas où elle est ainsi conçue : tênahi brâhmaṇa sunâhi sâdhukañtcha manasikarôhi bhâsissâmi[38].

Cependant Bhagavat continuait à garder le silence.] Il faut dire plus exactement : « Et Bhagavat approuvait par son silence. « Voici le texte : Bhagavâmçtcha tûchṇibhâvênâdhivâsayati sma ; ce qu’il faut y remarquer, c’est l’emploi du radical vas précédé de la préposition adhi, dans l’acception d’approuver, donner son assentiment, acception qui ne s’éloigne pas beaucoup du sens d’aimer qu’a ce verbe dans le sanscrit classique. La personne à laquelle on témoigne cette approbation est placée dans la phrase au génitif, comme on le peut voir dans le passage suivant : Adhivâsayaty âyuçhmân çrôṇaḥ kôṭikarṇa âyuchmatô mahâkâtyâyanasya tûchṇîbhâvêna. « Le respectable Çrôṇa Kôṭikarṇa approuva par son silence le respectable Mahâkâtyâyana[39]. » Cette formule se retrouve également dans les livres pâlis du Sud, où on la rencontre à tout instant ainsi conçue : adhivâsêsi Bhagavâ tuṇhibhâvêna, « Bhagavat approuva par son silence[40]. » On en peut voir un exemple au commencement du Mahâvam̃sa[41]. J’avais déjà signalé cette expression dans l’Introduction à l’histoire du Buddhisme, mais sans l’appuyer comme ici des exemples nécessaires[42].

f. 24 a.Bien, ô Bhagavat, etc.] La réponse que les auditeurs font au Buddha, lorsque celui-ci leur a promis de leur exposer la loi, est également contenue dans une formule spéciale, qui revient toujours la même ; la voici dans les termes où la donne le Saddharma puṇḍarîka : Sâdhu Bhagavannity âyuçhmân çâriputtrô Bhagavatah pratyaçrôchît, Bhagavân êtad avôtchat. Je remarquerai seulement que j’ai peut-être donné un peu trop de valeur au verbe pratyaçrôchît, en le traduisant par « il se mit à écouter ; » il ne doit signifier que « il répondit. » Les textes pâlis emploient aussi cette formule exactement dans les mêmes circonstances ; en voici un exemple : Êvam bhôti khô sôṇadaṇḍô brâhmaṇô Bhagavatô patchtchassôsi, Bhagavâ êtad avôtcha. « Oui, seigneur, répondit en effet à Bhagavat Sôṇadaṇḍa le Brâhmane ; Bhagavat parla ainsi[43]. »

Ils sont rares, ô Çâriputtra, les temps et les lieux.] C’est une idée qui se représente très-fréquemment dans les livres buddhiques de toutes les écoles, que celle de la difficulté qu’on a de rencontrer un Buddha, et d’entendre la loi de sa bouche. J’ai déjà cité, à l’occasion d’un des termes qui désigne cet enseignement même, un passage pâli où Buddha exhorte ses auditeurs à profiter de sa présence pour se convertir à la loi qu’il est venu apporter aux hommes. « C’est une chose difficile à rencontrer, leur dit-il, que la naissance d’un Buddha dans le monde[44]. » Les Buddhistes du Sud ont exprimé cette opinion en quatre vers populaires qui résument toutes les choses relatives à la loi que l’on ne rencontre que rarement.

Buddhôtcha dullabhô lôkê saddhammasavanampitcha,
sam̃ghôtcha dullabhô lôkê sappurisâ atidullahbhâ ;
dullabhañtcha manussattam Buddhuppâdôtcha dullabhô,
dullabhâ khaṇasampatti saddhammô paramadullâbhô.

« Un Buddha est difficile à rencontrer dans le monde, ainsi que l’audition de la bonne loi ; l’assemblée est difficile à rencontrer dans le monde ; les gens de bien sont très-difficiles à rencontrer. La condition humaine aussi est difficile à obtenir ; difficile à rencontrer aussi est là naissance d’un Buddha ; l’acquisition du moment propice est difficile à obtenir ; la bonne loi est extrêmement difficile à rencontrer[45]. » Ces maximes ont dû naturellement commencer à se répandre postérieurement à la mort de Çâkyamuni, quand son absence se faisait sentir. Elles témoignent en même temps de la sincérité des Buddhistes qui affirment qu’il est le dernier Buddha humain qui ait paru en ce monde. Plus tard encore, et quand le Buddhisme admet dans son sein des éléments mythologiques, on rencontre dans des ouvrages que je crois modernes, de semblables exhortations à profiter des occasions qui se présentent d’entendre exposer la loi. Mais il n’est plus question alors de Çâkyamuni ; on y parle seulement de simples prédicateurs, car les prédicateurs instruits sont déjà devenus rares. Ainsi dans le Sûtra tout mythologique, intitulé Kâraṇḍa vyûha, Sûtra consacré à l’apothéose du saint si célèbre dans le Nord sous le nom d’Avalôkitêçvara, vers la fin de ce traité où sont relevés les mérites de la fameuse formule de six lettres ôm̃ mani padmê hum̃, l’auteur va jusqu’à introduire le dialogue suivant entre Çâkyamuni et un Bôdhisattva fabuleux, au nom inprononçable Sarva nivaraṇa vichkambhin : « Alors ce Bôdhisattva parla ainsi à Bhagavat : Où faut-il que j’aille, ô Bhagavat, pour obtenir cette grande formule magique de six lettres ? Bhagavat répondit : Il y a, ô fils de famille, dans la grande ville de Bénârès un prédicateur de la loi, qui garde dans sa mémoire, qui récite et qui a profondément gravé dans son esprit cette grande formule magique de six lettres. Le Bôdhisattva répondit : J’irai, ô Bhagavat, dans la grande ville de Bénârès pour voir et pour servir ce prédicateur de la loi. Bhagavat reprit : Bien, bien, fils de famille, fais comme cela ; ils ne sont pas faciles à rencontrer, ô fils de famille, les prédicateurs de la loi ; on doit les regarder comme semblables au Tathâgata ; on doit voir en eux, comme un Stûpa mobile, comme un monceau de vertus, comme le Gange de tous les étangs consacrés ; il faut les regarder comme celui qui ne dit pas de mensonges, comme celui qui dit la vérité ; il faut les regarder comme un monceau de pierres précieuses, comme le joyau qui donne tout ce qu’on désire, comme le roi de la loi, comme ce qui fait traverser le monde[46]. »

Quant à la figure elle-même qui sert de terme de comparaison pour exprimer la rareté d’un Buddha, « de même que la fleur du figuier Udumbara, » c’est une des plus fréquemment employées dans les livres buddhiques de toutes les écoles, et on la rencontre à chaque page de notre Lotus de la bonne loi. Elle est très-naturelle, car on sait qu’il faut l’œil exercé d’un botaniste pour reconnaître la fleur de la plupart des figuiers : le vulgaire ne voit de ces arbres que les fruits. Aussi Clough donne-t-il l’Udumbara comme un exemple des grands arbres rois des forêts, qui produisent des fruits sans donner de fleurs[47]. Ce figuier est, selon Wilson, le ficus glomerata. Le lecteur aura sans doute remarqué que parmi les choses rares énumérées dans les vers pâlis cités au commencement de cette note, on place la condition humaine. Cela vient de ce que cette condition, dans l’ordre des six existences dont il est si fréquemment question chez les Buddhistes, a sur toutes les autres l’avantage d’être celle qu’embrasse un Buddha avant d’entrer dans le Nirvâṇa. Cette croyance est une des plus anciennes du Buddhisme, et toutes les écoles s’accordent unanimement pour célébrer l’importance et le précieux caractère de la vie humaine. Le grand mongoliste I. J. Schmidt a exposé ce point de vue dans des remarques très-justes et fort bien exprimées ; rarement ce savant homme a rencontré une plus heureuse inspiration[48].

Elle n’est pas du domaine du raisonnement.] L’expression du texte que je traduis ainsi est atarkâvatchara, que la version tibétaine rend de la manière suivante, avec beaucoup de netteté : rtog-gehi spyod-yul ma yin-pa, « elle n’est pas un champ pour l’exercice du raisonnement. » Nous voyons dans ce composé un mot que je n’ai pas encore rencontré seul, mais qui fait partie du nom de quelques classes, de Dêvas, Kâmâvatchara, Rûpâvatchara, Dhyânâvatchara ; ce mot est avatchara, qui, selon qu’on en fera un substantif ou un adjectif, signifiera soit « lieu où l’on va, champ, province, district, » soit « qui va vers, se dirige vers, prend la direction de. » Les interprètes tibétains le prennent pour un adjectif signifiant « qui agit, » (spyod-pa), comme on peut le voir par la traduction qu’ils donnent des titres divins de Kâmâvatchara et Rûpâvatchara, « qui agit dans le désir, qui agit dans la forme[49]. » Ce sens certainement figuré, ne doit pas exclure le sens primitif de qui va vers ; en d’autres mots, avatchâra doit pouvoir reproduire les trois grandes significations principales de la racine tchar, « marcher, vivre, agir, » dont il dérive. Il semble qu’il se présente avec son sens physique dans le passage suivant du Lalita vistara, où il est dit que le Bôdhisattva étant descendu dans le sein de la femme qui devait être sa mère, se dirigea vers le côté droit et jamais vers le côté gauche : avakrântaḥ san dakchiṇâvatckarô ’bhûn na djâtu vâmâvatcharaḥ[50]. Cependant l’emploi de ce terme en tant que substantif ne serait pas même ici injustifiable, puisqu’il est permis de voir dans dakchiṇâvatchara un composé possessif signifiant « celui qui a sa place à droite. » Mais le sens physique et la valeur d’adjectif se montrent clairement dans le composé antarikchâvatcharâh, « ceux qui traversent le ciel, » composé que notre Lotus emploie plus bas pour désigner des divinités[51]. Et il est bon de remarquer que le manuscrit de la Société asiatique donne seulement antarîkchatcharâḥ, pendant que ceux de M. Hodgson ont la leçon que je viens de citer. Ce mot est également employé chez les Buddhistes du Sud, et je le remarque dans une des épithètes attribuées à Çâkyamuni par le Djina alam̃kâra ; cette épithète est yôgâvatcharakulaputta, « fils d’une famille dont le domaine est le Yôga, ou, qui marche dans le Yôga[52]. » Il paraît qu’il est passé de même dans le dialecte vulgaire des Singhalais, car Clough le rapporte dans son Dictionnaire, où il en sépare ainsi les éléments, Yôga-âvatchara, et le traduit : « celui qui abandonne les biens du corps pour livrer son esprit à une méditation religieuse et abstraite[53].

f. 24 b.Des Tathâgatas.] Lisez, « du Tathâgata. »

f. 25 a.Qui ont des inclinations variées.] Si l’on préfère pour le terme d’adkimukti le sens d’intelligence que j’ai essayé de justifier plus haut[54], il faudra traduire ici, « qui ont des facultés diverses. »

f. 26 a.Se trouvent, vivent, existent.] L’expression dont se sert le texte pour rendre cette idée paraît appartenir en partie au sanscrit des Buddhistes ; elle se compose des trois verbes tichṭhanti, dhriyantê, yâpayanti. C’est uniquement par analogie que je traduis le dernier verbe par existent ; car je ne vois que l’expression latine dacere vitam qui explique comment yâpayanti, « ils font aller, » peut signifier ils existent, ils durent.

f. 27 a.À l’époque où dégénère un Kalpa.] Le texte se sert des expressions kalpakachâye, sattvakachâye, etc. où le mot kachâya, « décoction servant à la teinture, » exprime, dans la langue des Buddhistes, l’atteinte et l’influence des causes de corruption qui font dégénérer un Kalpa ou un âge du monde. Ces expressions font allusion à la manière dont les Buddhistes se représentent les périodes de création, de conservation et de rénovation de l’univers, dont j’ai parlé plus haut[55]. C’est la période de dégénérescence que le texte du Lotus désigne par le terme de kalpakachâya. Cette expression reparaîtra plus bas, ch. iii, f. 39 a.

f. 27 b.Qui prendrait la résolution.] Les mots du texte sont arhattvam̃ pratidjânîyât, littéralement, « promettrait [à soi-même] l’état d’Arhat. » C’est le sens que donne la version tibétaine khas-htchhe-jing, « s’engageant à, faisant vœu de. »

Sans avoir fait la demande nécessaire pour, etc.] Le texte dit, praṇidhânam aparigrĭhya, selon la version tibétaine, smon-lam yongs-su mi adzin-te, « n’ayant pas embrassé complétement la sollicitation, (la prière pour obtenir, etc.) » Le praṇidhâna ou encore praṇidhi est aussi familier aux Buddhistes du Sud qu’a ceux du Nord. Ainsi on le voit cité au commencement du Mahâvam̃sa dans la phrase bôdkâya paṇidhim akâ, qui signifie littéralement, « il adressa une prière pour devenir Buddha[56]. »

Je n’éprouve aucune intention, aucun désir de le posséder.] Il paraît que le traducteur tibétain a eu sous les yeux un texte où manquaient ces mots, car après avoir dit, « je suis « retranché du véhicule des Buddhas, » il ajoute, « qui parle ainsi : c’est là le complet affranchissement de mon corps, » dans le texte, ngahi lus hdi tham mya-ngan-las hdah-baho. Ces mots représentent l’expression spéciale du texte : mê samutchtchhrayasya paçtchimakam parinirvâṇam̃, « me voici arrivé au Nirvâṇa complet, dernier terme de mon existence. » J’ai traduit par existence le mot samutchichhraya, qui semble signifier élévation, ou peut-être accumulation ; le tibétain y voit simplement l’idée de corps. Il est à peu près certain que ce terme qui paraît propre au sanscrit buddhique[57], n’a pas d’autre signification chez les Buddhistes du Nord, car je trouve au chap. viii, f. 111 b de notre Lotus, les mots suvarṇavarṇâiḥ samutchichhrayâiḥ, « avec des corps de la couleur de l’or, » suivis dans les deux manuscrits de M. Hodgson du mot kâyâiḥ, qui est une véritable glose du terme précédent, car ce mot n’existe pas dans le manuscrit de la Société asiatique. C’est encore un de ces termes qui se retrouvent chez les Buddhistes du Sud où le pâli samussaya a, selon l’Abhidhâna, le double sens de multitude et de corps[58].

f. 28 a.St. 39. S’écria.] Ajoutez « avec joie, » pour rendre mudâ que j’avais omis. Il semble que la version tibétaine représente un texte où manquait la négation que donnent nos manuscrits du Saddharma puṇḍarîka. Voici la traduction du texte tibétain, si toutefois j’entends bien les quatre lignes dont il se compose : « Comme ils avaient fait les bonnes œuvres suffisantes pour entendre cette loi, le Chef du monde, après avoir reconnu l’absence d’imperfection de l’assemblée, s’écria. »
f. 28 b.St. 44. Des Adbhutas.] C’est-à-dire, des récits merveilleux, des histoires miraculeuses. Ce sont les Adbhuta dharma de la liste des écritures buddhiques données par M. Hodgson[59]. J’aurais probablement aussi bien fait de traduire ce terme, qui n’est pas, à proprement parler, un titre de livre ; mais puisque je le conservais, il fallait en faire autant pour celui de Gêya que j’ai traduit par « des vers faits pour être chantés[60]. »

St. 48. Cette loi formée de neuf parties.] Les neuf parties dont il est ici question, sont, d’après les Buddhistes de Ceylan, les neuf divisions dont se compose l’ensemble des écritures sacrées attribuées à Çâkya : voici l’énumération qu’en donne Clough, dans son Dictionnaire singhalâis : Sûtra, Gêya, Vêyyâkaraṇa, Gâthâ, Udâna, Itivuttaka, Djâtaka, Abbhutadhamma, Vêdalla (Vâipulya). Je me suis amplement expliqué sur la valeur et l’application de ces divers termes dans un passage spécial de mon Introduction[61].

f. 29 b.St. 58. Paré des [trente-deux] signes.] J’ai rejeté à l’Appendice une note sur les trente-deux signes de la beauté corporelle d’un Buddha, qui eût occupé ici une place trop considérable. Voyez Appendice, no VIII.

St. 63. Dans les six routes.] Voyez ci-dessus chapitre 1, f. 4 b, p. 309. Le manuscrit de la Société asiatique ne fournissait pas un sens clair pour la fin de cette stance qui y est lue ainsi : gatiñtcha vidhyênti punaḥ punas tâm̃, ce qui semblait signifier : « ils reviennent à plusieurs reprises dans cette voie. » Je me suis aidé de la version tibétaine, qui traduit ainsi : dur-khrod de-dag fyi fyir hphel-bar hyed, ce qui signifie, si je ne me trompe, « ils augmentent sans cesse les cimetières. » Depuis, le manuscrit de la Société asiatique de Londres et les deux manuscrits de M. Hodgson sont venus confirmer la version tibétaine en lisant, kaṭâm̃si vardhanti punaḥ punas tâm̃, texte qui est certainement encore fautif, mais d’où ressort le sens de « ils augmentent sans cesse les cimetières, » soit qu’on voie dans kaṭâm̃si le pluriel d’un neutre kaṭas, que je ne trouve cependant pas en sanscrit, soit que les manuscrits aient lu à tort si pour pi et kaṭâm̃ pour kaṭân.

St. 64. Soixante-deux [fausses] doctrines.] Il nous faudrait un commentaire pour déterminer ce que sont ces soixante-deux fausses doctrines ; mais ce qu’on doit dès à présent remarquer, c’est que ce nombre de soixante-deux est également admis par les Buddhistes du Sud : je trouve en effet les soixante-deux hérésies citées sous le titre de dvâchachtidrîchti dans le Dharma pradîpikâ singhalâis[62]. Il y a tout lieu de croire que ces soixante-deux fausses doctrines appartenaient pour la plus grande partie aux croyances brahmaniques ; mais, dans les commencements du Buddhisme, quelques-unes de ces hérésies pouvaient bien être partagées par plusieurs disciples de Çâkya. Quant à ces derniers, on sait que des schismes se sont développés de bonne heure parmi eux, et il est naturel que le nombre en ait augmenté avec le temps. Suivant les Buddhistes du Sud, le second concile aurait eu pour objet de rappeler à sa pureté première la discipline que divers Religieux avaient considérablement altérée[63]. En effet, pendant le premier siècle qui suivit la mort de Çâkyamuni, il ne s’était produit, suivant l’auteur du Mahâvam̃sa, qu’une seule hérésie. C’est postérieurement à cette époque que prirent naissance divers schismes dont le nombre, suivant le même auteur qui vivait au milieu du ve siècle de notre ère, s’éleva successivement à dix-huit, seulement dans le Djambudvîpa, c’est-à-dire dans l’Inde[64]. Ce nombre de dix-huit schismes est également celui que reconnaissent les Tibétains, dont le témoignage est postérieur à celui des Singhalais de deux ou trois siècles. Csoma nous a conservé les noms de ces dix-huit sectes, dont les adeptes faisaient remonter leur dissidence jusqu’aux principaux disciples de Çâkya[65] ; il paraît qu’elles s’étaient déjà développées antérieurement à l’époque de Kanichka, qui tombe un peu plus de quatre cents ans après la mort de Çâkya. Ce sera pour la critique, lorsqu’elle aura réuni plus de matériaux, un curieux sujet de recherches que la comparaison des deux listes qu’en donnent les Tibétains et les Singhalais. Actuellement ces listes sont assez dissemblables ; mais bien des différences disparaîtront certainement devant la synonymie des dénominations. Les Mahâsam̃ghîkâs sont connus de part et d’autre, de même que les Hêmavatâs et les Kassapiyâs qui sont les Hêmavatâs et les Kâçyapriyâs (pour Kâçyapîyâs) des Tibétains, Les Pûrvaçâilâs et les Avaraçâilâs des Tibétains se retrouvent également dans les Sêliyas orientaux et occidentaux des Singhalais ; ces trois dernières sectes sont, selon les Tibétains, des subdivisions des Mahâsam̃ghîkâs qui remontent à Kâçyapa. L’auteur du Mahâvam̃sa pâli nous apprend qu’elles sont postérieures au iie siècle après la mort de Çâkya. Une autre division des Mahâsam̃ghîkâs, les Pradjñaptivâdinas, se retrouve dans les Pannattivâdâs des Singhalais, et peut-être les Bahuçrutîyâs nous cachent les Bâhulikâs du Mahâvam̃sa. Les Vatsiputriyâs des Tibétains peuvent être aussi les Gôkulikâs des Singhalais. Les Dharmaguptâs des Tibétains sont les Dhammaguttikâs du Mahâvam̃sa : il est bon de remarquer ici le rapport de la liste tibétaine avec l’énumération singhalaise ; car pendant que les Tibétains placent les Dharmaguptâs immédiatement au-dessus des Bahuçrutîyâs, les Singhalais rapprochent également les Dhammaguttikâs des Bâhulikâs, quoiqu’ils les fassent postérieurs. Les Mûlasarvâstivâdâs, malgré l’altération et la diminution du mot, sont reconnaissables dans les Sabbhatthavâdinas des Singhalais ; et les Râdjagiriyâs des Singhalais peuvent bien n’être que les Abhayagirivâsinas des Tibétains. En résumé, sur les dix-neuf noms dont se compose la liste des Tibétains, nous retrouvons déjà, et sans aucun autre secours que les listes elles-mêmes, douze noms ou identiques, ou analogues. Je puis donc reproduire ici ces deux listes, en marquant par des étoiles les noms qui désignent de part et d’autre les mêmes schismes.

LISTE TIBÉTAINE.
ÉNUMÉRATION SINGHALAISE.
Râhula. — Âryasarvâstivâdâs. * Mûlasarvâstivâdâs. (Un schisme non désigné.)
* Kâçyapîyâs. * Mahâsam̃ghikâs.
* Mahîçâsakâs. * Gôkulikâs.
* Dharmaguptâs. * Êkabbyôhârikâs.
* Bahuçrutîyâs. * Pannattivâdâs.
* Tâmraçâṭîyas. * Bâhulikâs.
* Vibhadjyavâdinas. * Tchêtiyavâdâs.
Upâli. — Âryasammatiyâs. * Kâurnkullakâs. * Sabbatthavâdinas.
* Avantakâs. * Dhammaguttikâs.
* Vatsiputrîyâs. * Kassapîyâs.
Kâçyapa. — Mahâsam̃ghikâs. * Pûrvaçâilâs. * Sam̃kantikâs.
* Avaraçâilâs. * Suttavâdâs.
* Hêmavatâs. * Hêmavatâs.
* Lôkôttaravâdinas. * Râdjagiriyâs.
* Pradjñaptivâdinas. * Siddhatthikâs.
Kâtyâyana. — Âryasthavirâs. * Mahâvihâravâsina. * Pubbasêliyâs.
* Djêtavanîyâs. * Aparasêlikâs.
* Abhayagirivâsinas. * Vâdariyâs.

Pour ne rien omettre ici de ce qu’on connaît déjà sur ces anciennes sectes indiennes, je renverrai le lecteur à la note de Klaproth insérée au Foe koue ki, en rappelant seulement que les Tan mo khieou to sont les Dharmaguptâs, dont les Chinois semblent avoir transcrit le nom d’après la forme pâlie Dhammaguttikâs ; que les Sa pho to sont vraisemblablement les Sabhatthavâdinas ; que les Mi cha se sont les Mahîçâsakâs ; et les Pho tso fou lo, les Vatsiputriyâs[66] ; j’ai déjà essayé d’établir ces restitutions dans une note spéciale[67]. Il est également probable que de bonnes transcriptions permettraient de retrouver de même les noms des sectes qui, d’après les matériaux rassemblés par A. Rémusat, existaient anciennement dans le pays d’Udyâna. Ainsi les Fa mi, qu’il traduit par « silence de la loi, » doivent être les Dharmaguptâs ; les Houa ti, « conversion de la terre, » sont les Mahîçâsakâs ; les Kâçyapas sont les Kâçyapiyâs ; les Ta tchoung, ou « de la multitude, » sont peut-être les Mahâsamghikâs ; il ne reste d’inexpliqué que les Choue i thsi yeou que Rémusat n’a pas essayé de traduire[68], et où M. Julien voit, avec raison selon moi, les Sarvâstivâdâs[69]. Au reste, avec plus de livres que ceux que nous possédons, ou seulement avec une lecture plus approfondie de ceux qui sont déjà entre nos mains, on trouverait dans les transcriptions chinoises actuellement connues, matière à des rapprochements du plus grand intérêt. Ainsi la terre de Tchen tha lo po la pho, « la lumière de la lune, » que Hiuan thsang place au sud de Takchaçilâ, doit être en sanscrit Tchandraprabha[70]. Le maître nommé Kiu nou po la pho, « lumière de vertu, » serait Guṇaprâbha[71], nom qui peut n’être qu’un synonyme du Guṇamati de l’Abhidharma kôça vyâkhyâ[72]. De même Pi mo lo mi to lo est Vimalamitra, qui est peut-être le célèbre Yaçômitra[73]. Le recueil nommé Pi po cha nous rappelle la Vibhâchâ, et les Vâibhâchikâs si connus dans le Nord[74] ; et le maître auquel Hiuan thsang attribue cette doctrine, Che li lo to, paraît bien n’être que l’Ârya Çrîlâbha[75]. Enfin, Fa su pan tu qui avait un temple à Ayuto (Ayôdhyâ?), est en sanscrit Vasubandhu, nom qui n’est sans doute que le synonyme de celui du savant et illustre Vasumitra[76].

f. 30 b St. 78. Stûpas de diamant.] Le mot du texte est açma­garbha ; j’ai essayé d’en établir le sens dans une note spéciale sur les sept choses précieuses[77]. Ce que je traduis par pierres précieuses est encore un terme qui m’est inconnu : nos manuscrits l’écrivent karkêtana, ou kakkêtana. Je trouve dans Wilson karkêtara, espèce de gemme ou de pierre précieuse dont la nature n’est pas précisément définie. Il n’est pas certain que les interprètes tibétains fussent beaucoup plus avancés que nous, car le traducteur du Saddharma se contente de remplacer karkêtana par ke-ke-ru, qui paraît n’en être qu’une transcription altérée. Le ke-ke-ru est, selon Csoma de Cörös, une pierre précieuse de couleur blanche. Schmidt dans son Dictionnaire tibétain donne le nom de ker-ke-ta-na comme synonyme de ke-ke-ru ; mais il ne nous en apprend pas plus que Csoma sur la pierre en elle-même.

f. 31 b St. 91. Des cymbales de fer.] Le mot dont se sert le texte est ṛĭllariyô, que je ne trouve pas dans Wilson ; nous verrons plus bas rĭllaka que je traduis par musicien, de même par conjecture[78]. Il est possible qu’au lieu de rĭllariyô et de rĭllaka on doive lire djhallariyô et djhallaka, et que la leçon de nos manuscrits résulte de la confusion du et du djha, lettres qui, dans l’écriture Randjâ, comme dans celle du Népal, ne diffèrent l’une de l’autre que par l’addition ou le retranchement d’un simple trait. Si la leçon de djhallariyô venait à se confirmer, nous y trouverions le pluriel du mot sanscrit djhallari, qui, selon Wilson, désigne entre autres objets « une espèce de tambour. » M. Foucaux qui a consulté pour moi le grand vocabulaire tibétain-sanscrit de Saint-Pétersbourg, y a trouvé djallari avec le sens de cymbale de fer ; c’est une confirmation inattendue de la signification que j’avais assignée déjà au rĭllariyô ou djhallariyô de notre texte. En résumé nous avons trois mots entre lesquels la critique ne pourra choisir que quand elle aura réuni des matériaux plus nombreux, 1o  rĭllari, qu’on ne trouve pas ; 2o  djallari, du vocabulaire tibétain-sanscrit, signifiant « cymbale de fer ; » 3° djhallarî, du sanscrit classique, désignant « une espèce de tambour. »

f. 32 a St. 99. Pour avoir [seulement] entendu la loi de leur bouche.] Il faut lire, « sans avoir entendu la loi de leur bouche ; » c’est une négation que j’avais omise par inadvertance.

f. 33 a St. 112. Connaissant, etc.] L’erreur que je commettais en traduisant Bôdhimaṇḍê « dans la pure essence de l’état de Bôdhi, » a jeté du vague sur la totalité du distique, dont je suis actuellement en mesure de donner une interprétation plus exacte : « Pour moi, méditant en ce monde, immobile pendant trois fois sept jours entiers, sur le trône de la Bôdhi, je réfléchis à ce sujet, les regards fixés sur l’arbre qui est en cet endroit. » Pour ce qui regarde le Bôdhimaṇḍa, j’en ai parlé ci-dessus, même chapitre, st. 4, p. 349.

f. 34 a St. 123. J’exécuterai ce qu’ont ordonné les sages.] Il faut dire, « J’exposerai ce qu’ont enseigné les sages. »

St. 124. À cinq solitaires.] Les cinq solitaires dont il est parlé ici sont sans doute les premiers disciples qu’ait réunis Çâkya, après qu’il eut embrassé la vie religieuse. Ces personnages sont cités fréquemment au commencement des Sûtras développés, notamment dans notre Lotus même, fol. 1, ci-dessus, et dans le Lalita vistara[79]. Je me suis expliqué ailleurs sur le nom et la parenté de ces Religieux, dont le plus grand nombre appartenait à la famille royale des Çâkyas[80].

St. 127. Arrivés à…] Lisez, « partis pour… »

f. 34 b St. 132. Pour toi aussi.] D’après-deux manuscrits de M. Hodg­son qui lisent ici tatrâpi au lieu de tavâpi, ce qui donne un sens préférable, il faudrait traduire : « là aussi, [m’écrié-je,] toute incertitude sera dissipée. »

f. 35 a St. 140. Au temps des cinq imperfections.] Le mot dont se sert le texte est kachâya, « souillure ; » et les souillures indiquées ici au nombre de cinq, sont probablement celles dont il a été parlé déjà, même chapitre, fol. 27 a, c’est-à-dire celles qui font dégénérer un Kalpa, les créatures, les doctrines, la vie, en un mot la corruption du mal. Si cependant on pouvait établir que kachâya est synonyme de klêça, les pañtchakachâya des Buddhistes du Nord seraient sinon identiques, du moins analogues avec les pañtchaklêça des Buddhistes du Sud, qui, d’après le Dictionnaire singhalais de Clough, forment l’énumération suivante : la passion, la colère, l’ignorance, l’arrogance et l’orgueil[81]. Voyez à l’Appendice, no II, une note spéciale sur la valeur du mot klêça.

St. 142. Qui sont parvenus.] Lisez, « qui sont partis pour. »


  1. Csoma, Origin of the Shâkya race, dans Journ. asiat. soc. of Bengal, t. II, p. 386.
  2. Vadjra tchtchhêdika, f. 3 a ; I. J. Schmidt, Ueber das Mahâyâna, dans Mém. de l’Acad. des sciences de S. Pétersbourg, t. IV, p. 186.
  3. Thûpa vam̃sa, f. 9 b.
  4. Djina alam̃kâra, f. 27 b.
  5. Pâṭimôkkha, pâli et barman, man. Bibl. nation. Introd. f. 4 a ; p. 20 de ma copie. Il est vrai qu’ici sampadjâna n’est pas accompagné de sata.
  6. Lalita vistara, chap. vii, fol. 50 b de mon man. A ; Rgya tch’er rol pa, t. II, p. 92.
  7. Anecdota pâlica, p. 36 et 72.
  8. Dharma pradîpikâ, fol. 14 b.
  9. Dharma pradîpikâ, f. 14 b et 15 a.
  10. Abhidhâna tchintâmaṇi, st. 233, p. 38 et 316, éd. Boehtlingk et Rieu.
  11. Appendice, no XI.
  12. Rgya tch’er rol pa, t. II, p. 45, note 3 ; Lalita vistara, f. 23 a du man. A.
  13. Note sur le chap. iii, f. 37 a.
  14. Appendice, no IX.
  15. Rgya tch’er rol pa, t. II, p. 43 ; Lalita vistara, f. 22 a et b du man. A.
  16. Ci-dessous, ch. iii, f. 47 b, et Appendice, no XII.
  17. ibid. ch. iii, f. 52, st. 87.
  18. Ci-dessous, ch. v, f. 72 b, st. 41, et Append., no XIII.
  19. Ibid. ch. vi, f. 82 b, st. 22.
  20. Ibid. ch. vi, fol. 82 b, et Appendice, no XV.
  21. Ibid. ch. iii, f. 52 b, st. 87.
  22. Turnour, Mahâwanso, index, p. 22 ; le mot sanctification n’est pas suffisamment philosophique.
  23. Clough, The ritual of the Buddhist priesthood, p. 19, dans Miscell. transl. from orient. lang. t. II, no 4.
  24. Turnour, Examin. of Pâli Buddhist. Annals, dans Journ. asial. Soc. of Bengal, t. VII, p. 814.
  25. Introduction à l’histoire du Buddhisme indien, t. I, p. 387. Voy. ci-dessous, même chap., st. 112.
  26. É. Foucaux, Rgya tch’er rol pa, tome II, les citations à la table, page xl, au mot Bôdhimaṇḍa.
  27. Mahâvastu, f. 205 b.
  28. Thûpa vam̃sa, f. 36 a, fin.
  29. Djina alam̃kâra, f. 11 a, fin.
  30. Lalita vistara, ch. vii, f. 63 a du man. A ; Rgya tch’er rol pa, t. II, p. 110.
  31. Mahâwanso, t. I, p. 6, l. 11.
  32. Anecdota pâlica, p. 21.
  33. Ambaṭṭha sutta, dans Dîgha nik. f. 28 b ; Mahâparinibbâna sutta, ibid. f. 95 a.
  34. Mâhâvastu avadâna, f. 2 b de mon man.
  35. Abhidhân. ppadîp. l.III, ch. iv, st.1.
  36. Djina alam̃kâra, f. 19 b.
  37. Avadâna çataka, f. 55 b.
  38. Sônadanda sutta, dans Dîgh. nik. f. 32 a ; Kûṭadanta sutta, ibid. f. 34 a.
  39. Çrôna kôṭikarṇa, dans Divya avad. f. 10 a.
  40. Sôṇadaṇḍa sutta, dans Dîgh. nik. f. 32 a ; Kûṭadanta sutta, ibid., fol. 87 b ; Lôhitchtcha sutta, ibid. f. 58 b ; Mahâparinibbâna sutta, f. 84 a, 85 a, 92 b.
  41. Turnour, Mahâwanso, t. I, p. 6, l. 9.
  42. Introd. à l’hist. du Buddhisme indien, t. I, p. 250, note 1.
  43. Sôṇadaṇḍa sutta, dans Dîgh. nik. f. 32 a ; Kûṭadanta sutta, ibid. f. 34 a.
  44. Ci-dessus, ch. i, f. 4 a, p. 305.
  45. Djina alam̃kâra, f. 10 b.
  46. Kâraṇḍa vyûha, f. 50 a et b.
  47. Abhidhân. ppadîp., l. III, ch. III, st. 125.
  48. Mém. de l’Acad., t. II, p. 36.
  49. Rgya tch’er rol pa, t. II, table alphab. aux mots Kâmâvatchara et Rûpâvatchara, p. xlviii et lviii.
  50. Lalita vistara, ch. vi, f. 34 a du man. A.
  51. Ci-dessous, ch. XIII, f. 155 a.
  52. Djina alam̃kâra, f. 12 b, init.
  53. Singhal. Diction. t. II, p. 577 ; littéralement ce mot signifie « l’homme qui marche dans le Yoga. »
  54. Ci-dessus, ch. i, f. 16 b,st. 80.
  55. Ibid. ch. i, f. 10 b, p. 324 et suiv.
  56. Mahâwanso, t. I, p. 1, l. 5.
  57. Voy. ci-dessous, ch. iii, f. 40 a, st. 28 ; ch. iv, f. 66 b, st. 45.
  58. Abhidh. ppadîp. l. III, c. III, st. 322.
  59. Hodgson, Notices of the languages, lit. and relig. of the Bauddhas, dans Asiat. Res. t. XVI, p. 426 ; Introd. à l’hist. du Buddh. t. I, p. 63.
  60. Introd. à l’hist. du Buddh. t. I, p. 52.
  61. Introd. à l’hist. du Buddh. t. I, p. 51 et suiv.
  62. Mahâwanso, t. 1, p. 15 et suiv.
  63. Dharma pradîpikâ, f. 11 b, init.
  64. Ibid. p. 20 et 21.
  65. Csoma, Notices on the life of Shakya, dans Asiat. Res. t. XX, p. 298.
  66. Foe koue ki, p. 325 et 326.
  67. Introd. à l’hist. du Buddh. t. I, p. 633 ; voyez encore p. 570.
  68. Foe koue ki, p. 53.
  69. St. Julien, Concord. sinico-sanscrite, etc. dans Journ. Asiat. IVe série, t. XIV, p. 389.
  70. Landresse, dans le Foe koue ki, p. 380.
  71. id. ibid. p. 383.
  72. Introd. à l’hist. du Buddh. t. I, p. 566.
  73. Landresse, dans le Foe koue ki, p. 383.
  74. id. ibid. p. 384 ; Introd. à l’hist. du Buddh. t. I, p. 566.
  75. Landresse, dans le Foe koue ki, p. 384 ; Introd. à l’hist. du Buddh. t. I, p. 567.
  76. Landresse, Foe koue ki, p. 384 ; Introduction à l’hist. du Buddhisme indien, t. I, p. 567 et 568.
  77. Ci-dessus, ch. i, f. 9 a. st. 45, p. 319.
  78. Ci-dessous, ch. xiii, f. 150 b, st. 11.
  79. Rgya tch’er rol pa, t. II, p. 2 et 235.
  80. Introd. à l’hist. du Buddh. t. I, p. 156, note 2 ; cf. Csoma, Analysis of the Dulva, dans Asiat. Res. t. XX, p. 51 et 76, et Notices of the life of Shakya, ibid. p. 293 et 437.
  81. Singhal. Diction. t. II, p. 347.