Lotus de la bonne loi/Appendice 2

Lotus de la bonne loi
Version du soûtra du Lotus traduite directement à partir de l’original indien en sanscrit.
Traduction par Eugène Burnouf.
Librairie orientale et américaine (p. 443-498).
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Appendice II
No II.
SUR LA VALEUR DU MOT KLÊÇA.
(Ci-dessus, chap. i, f. 1, p. 228.)

J’ai traduit dans mon texte nichklêçaḥ par « sauvés de la corruption du mal ; » mais c’est là plutôt un commentaire qu’une traduction dû terme nichklêça, terme composé de nich « sans, » et klêça, qui a une très-grande étendue de signification dans le style buddhique, et qui exprime d’une manière générale toutes les imperfections qui naissent du vice ou du mal moral. C’est ce qu’on doit conclure de la manière dont Clough, dans son Dictionnaire singhalais, traduit ce mot de klêça, en pâli kilêsa : « La corruption de tous les sens et des facultés intellectuelles de l’homme par le péché. Suivant les doctrines buddhiques, klêça est la source de toutes les misères auxquelles est exposée l’existence à quelque degré que ce soit. Tant qu’existe le klêça en quelque mesure, soit dans l’homme, soit dans tout autre être sensible, il attache cet être à l’existence, laquelle est considérée comme une calamité. La destruction du klêça est donc le seul but de la vie religieuse pour les Buddhistes. De là vient que les lois, les préceptes, les rites et les cérémonies du Buddhisme, sans tenir aucun compte d’un Être suprême, ont pour unique objet l’entier anéantissement du klêça. Ce but une fois atteint, l’âme ou la faculté sentante dans l’homme ou dans tout autre ordre d’êtres plus élevé, se débarrasse de l’existence, a et obtient le Nirvāṇa ou l’annihilation[1]. »

Il est à tout instant question des klêças dans les livres buddhiques du Nord, mais je n’en ai encore rencontré nulle part une énumération vraiment dogmatique. Seulement quand Çâkyamuni attaqué par Mâra, s’apprête à lui résister, il nomme les troupes que le pécheur a réunies sous ses étendards ; et ces troupes sont autant de mauvais penchants qui sont rappelés de la manière suivante dans des vers peu poétiques sans doute, mais qui sont cependant des vers, circonstance qui peut avoir introduit quelque trouble dans la liste. La première troupe est celle des Kâmas, ou des désirs ; la seconde celle de l’Arati, ou du mécontentement ; la troisième celle de Kchutpipâsâ, ou de la faim et de la soif ; la quatrième celle de Trĭchṇâ, ou de la cupidité ; la cinquième celle de Styâna, ou de la paresse ; la sixième celle de Bhaya, ou de la crainte ; la septième celle de Vitchikitsâ, ou du doute ; la huitième celle de Krôdha, ou de la colère. Puis vient, pour terminer cette énumération, une stance où sont réunis en bloc d’autres mauvais penchants, comme l’ambition, la vanité, l’orgueil et la médisance[2]. Je ne prétends pas que ce soit là une liste méthodique des dix formes du klêça ; cette description cependant présente assez d’analogie avec celle des Buddhistes du Sud pour mériter d’en être rapprochée. Je trouve cette dernière dans le Dictionnaire barman de Judson, avec les noms pâlis qui désignent chacune des divisions du kilêsa, comme le nomment les Buddhistes de Ceylan. Ce sont Lôbha, la passion, le désir, la cupidité, autrement nommé Taṇhâ, pour le sanscrit trĭchṇâ, la soif du désir ; 2o Dôṣa, la haine, la méchanceté, la colère ; 3o Môha, l’erreur, l’ignorance, la folie ; 4o Mâna, l’orgueil ; 5o Diṭṭhi, pour drĭchṭi, l’hérésie, l’erreur en religion, autrement nommée mitchtchhâdiṭṭhi, la fausse vue, la fausse doctrine ; 6o Vitchikitchtchhâ, le doute, l’incertitude ; 7o Thina, le manque de respect, l’impudence ; 8o Uddhatchtcha, l’arrogance, la rudesse ; 9o Ahîrikâ, l’impudeur, l’absence de modestie ; 10o Anôttappa, la dureté de cœur, l’absence de repentir[3]. Tous ces termes peuvent facilement se rétablir en sanscrit, et sous leur forme primitive il est aisé de reconnaître le sens que leur assigne Judson. Le mot thina est le seul que je croie altéré ; je suppose qu’il faut le lire thina pour le sanscrit styâna, la paresse, du Lalita vistara cité tout à l’heure.

Les Buddhistes du Sud reviennent très-souvent sur dix espèces d’actions coupables qu’ils nomment dasâkusala, « les dix fautes ou actions mauvaises ; » ces dix fautes présentent tant d’analogie avec la liste des Kilêsas, qu’on peut les regarder pour la plupart comme les effets pratiques des dix mauvais penchants dont le terme collectif de Kilêsa exprime la réunion. On les connaît par un grand nombre d’auteurs, comme Fr. Buchanan, Clough, Upham, Klaproth, Burney ; mais avant d’alléguer ces témoignages, je crois utile d’en donner une liste authentique empruntée à un texte qui fait autorité, c’est celle que je trouve à la suite du Pâtimôkkha, tel que le reproduit l’exemplaire pâli-barman de la Bibliothèque nationale. Il y a, dit le texte du Pâṭimôkkha, dix règles, sikkhâpadâni, que doit étudier tout novice ; elles sont ainsi nommées sikkhâ, parce qu’il a l’obligation de les étudier pour savoir les observer. Ces règles sont 1o Pâṇâtipâtâ véramaṇî, « l’action de s’abstenir d’ôter la vie à un être vivant ; » 2o Adinnâdânâ vêramaṇî, « s’abstenir de prendre ce qui ne nous est pas donné, c’est-à-dire du vol ; » 3o Abrahmatchariyâvêramaṇî, s’abstenir de la violation du vœu de chasteté ; » 4o Musâvâdâ vêramaṇî, « s’abstenir du mensonge ; » 5o Surâmérêyyamadjdjapamâdaṭṭhânâ vêramaṇî, « s’abstenir de la source de l’inattention et de l’ivresse qui est l’usage des liqueurs enivrantes ; » 6o Vikâlabhôdjanâ vêramaṇî, « s’abstenir d’un repas pris hors de saison ; » 7o Natchtchagîtavâditavîsûkadassanâ vêramaṇî, « s’abstenir de la vue des danses, des chants, des instruments de musique, et des représentations théâtrales ; » 8o Mâlâgandhavilêpanadhâraṇamaṇḍanavibhûsanaṭṭhânâ vêramaṇî, « s’abstenir de porter comme ornement et comme parure des guirlandes, des parfums et des substances onctueuses ; » 9o Utchtchasayanâ mahâsayanâ vêramaṇî, « s’abstenir d’un lit élevé, d’un grand lit ; » 10o Djâtarûparadjatapaṭiggahanâ vêramaṇî, « s’abstenir de « recevoir de l’or ou de l’argent[4]. » Il est aisé de reconnaître parmi ces commandements un certain nombre de règles qui s’adressent spécialement aux novices, c’est-à-dire à ceux qui veulent devenir Religieux ; ce sont par exemple |a défense de prendre son repas hors de l’heure marquée, l’usage des parfums et d’un lit élevé, injonctions qui ne peuvent s’appliquer à des laïques, et être strictement obligatoires pour eux. Mais il ne faut pas oublier que dans les premiers temps du Buddhisme, le principal objet de l’enseignement était de faire des Religieux, et qu’alors les règles de la morale applicable à tous les hommes se confondaient avec les prescriptions spéciales de la discipline religieuse.

C’est encore aux novices que se rapportent dix autres fautes dont l’effet serait de leur faire perdre leur rang (nâsêtum̃, dit le texte), et dont l’énumération, d’après le passage du Pâṭimôkkha qui nous les donne, remonterait jusqu’à l’enseignement même de Çâkyamuni. Plusieurs de ces fautes, notamment les premières, sont les mêmes que celles que je viens de rapporter sous le titre de vêramaṇî, titre qui, selon l’Abhidhâna ppadîpikâ, exprime le sentiment d’aversion qu’on doit éprouver pour de tels péchés[5]. Je crois inutile de reproduire les énoncés pâlis de celles de ces fautes que nous connaissons déjà. Ce sont 1o le meurtre ; 2o le vol ; 3o la violation du vœu de chasteté ; 4o le mensonge ; 5o l’usage des boissons enivrantes ; 6o Buddhassa avaṇṇam̃ bhâsati, « celui qui dit du mal du Buddha ; » 7o Dhammassa avaṇṇam bhâsati, « celui qui dit du mal de la Loi ; » 8o Sam̃ghassa avaṇṇam Bhâsati, « celui qui dit du mal de l’Assemblée ; » 9o l’hérétique ; 10o Bhikkhuṇidûsaka, « celui qui viole une religieuse[6]. » Quoique placés après les dix vêramaṇîs, dans le texte du Pâtimôkkha, ces péchés n’en sont pas moins beaucoup plus graves que les précédents, puisqu’on les nomme Dasa nâsanag̃gâni, « les dix éléments de destruction, » ce qui en fait à peu près pour les Buddhistes ce que sont pour nous les péchés mortels.

Cette distinction des dix grands péchés et des péchés inférieurs se trouve parfaitement observée dans une note du colonel H. Burney, relative à une pièce émanée des rapports de l’empire barman avec celui de la Chine, à la fin du dernier siècle[7]. Sauf quelques différences dans les termes, et la substitution de l’adultère à la violation du vœu de chasteté, les dix grands péchés de la note de Burney sont exactement les dix nâsanag̃gâni du Pâṭimôkkha. Quant aux péchés inférieurs de cette même note, ils répètent une partie des vêramaṇîs, mais on y voit vers la fin des différences qui en rendent la reproduction nécessaire ici. Ces fautes inférieures sont : 1o manger après que le soleil a passé midi ; 2o écouter ou voir de la musique, des chants, des danses ; 3o se parer ou faire usage de parfums ; 4o s’asseoir à une place plus élevée ou plus honorable que celle qu’occupe son précepteur spirituel ; 5o avoir du plaisir à toucher de l’or ou de l’argent ; 6o empêcher par cupidité d’autres Religieux de recevoir des dons charitables ; 7o chercher à rendre d’autres Religieux mécontents de façon à les empêcher de rester dans le monastère ; 8o empêcher d’autres Religieux d’acquérir de la science et de la vertu ; 9o outrager et censurer d’autres Religieux ; 10o exciter des dissensions et des schismes parmi les Religieux.

Nous pouvons maintenant être plus brefs en ce qui touche les autres listes des dix commandements que rapportent Upham et Klaproth : elles ont cependant pour nous cet intérêt, qu’elles nous font connaître des commandements d’une portée plus générale que celle des listes du Pâṭimôkkka. Il est évident que dans ces nouvelles listes dont je n’ai pas du reste les originaux à ma disposition, il ne s’agit plus exclusivement des Religieux, mais bien de tous les hommes en général, en tant que soumis à la loi morale promulguée par le Buddha Çâkyamuni. Voici la liste des Singhalais, telle que la donne Upham : 1o ne pas tuer, 2o ne pas voler, 3o ne pas commettre d’adultère, 4o ne pas mentir, 5o ne pas calomnier, 6o ne pas employer de termes grossiers, 7o ne pas dire de ces paroles qui ne sont faites que pour nuire, 8o ne pas désirer le bien d’autrui, 9o ne pas être envieux, 10o ne pas errer sur la vraie foi, ni croire qu’elle est fausse[8]. Cette liste est, à bien peu de chose près, celle que Fr. Buchanan a reproduite d’après le P. Sangermano, qui la tenait des Barmans. Suivant cet auteur, la morale consiste à observer les cinq commandements et à s’abstenir des dix péchés. Ces péchés sont nommés par les Barmans Duzzaraik, ce qui est une transcription populaire du terme pâli dutchtcharita, en sanscrit daçtcharita, « mauvaise action. » Les trois premiers péchés sont les contraires des trois premiers commandements, 1o ne pas tuer, 2o ne pas voler, 3o ne pas commettre d’adultère. Viennent ensuite : 4o le mensonge ; 5o la discorde, 6o l’injure, 7o les vains discours. Une troisième et dernière classe de péchés est formée de trois autres fautes : 8o le désir de s’approprier le bien d’autrui, 9o l’envie, 10o l’hérésie[9]. Klaproth, dans une Vie de Buddha, dont le principal défaut est d’être trop courte, a donné d’après les Chinois une énumération des commandements moraux qui est tout à fait semblable à celle des Singhalais et des Barmans ; l’accord de ces trois listes, malgré quelques différences purement verbales, prouve suffisamment leur authenticité commune. Voici l’énumération de Klaproth : 1o ne pas tuer, 2o ne pas voler, 3o être chaste, 4o ne pas porter de faux témoignages, 5o ne pas mentir, 6o ne pas jurer, 7o éviter toute parole impure, 8o être désintéressé, 9o ne pas se venger, 10o ne pas être superstitieux[10].

Il est facile de reconnaître que la liste de Klaproth rentre presque complètement dans celle d’Upham ; il faut seulement tenir compte de quelques différences légères dans les interprétations, lesquelles viennent sans aucun doute de la différence des sources auxquelles ont puisé les divers auteurs dont j’allègue ici le témoignage. Au reste, quelque importante que soit la place occupée dans la morale buddhique par les considérations relatives aux kléça ou au mal moral, ce n’est pas la liste de ces divers kléças qui tient le premier rang dans leur théorie, dont les débuts sont à la fois si humains et si purs. Ce sont les pâpas ou dôchas, au nombre de cinq, véritables péchés qui s’attachent à la personne morale de leur auteur, décident de sa destinée future, et le suivent à travers les voies de la transmigration, jusqu’à ce que le châtiment qu’ils avaient attiré sur lui ait épuisé leur influence. J’en trouve une énumération propre aux Buddhistes du Sud, dans les prières prononcées aux funérailles chez les Barmans, prières qu’a reproduites le lieutenant Foley sur une planche du Journal de Prinsep[11]. Là le nom de chacun des cinq péchés les plus graves aux yeux des Buddhistes est suivi du terme vêramanî, comme pour les dix commandements du Paṭimôkkha. Voici cette énumération : 1o pâṇâtipâtâ vêramaṇî, l’aversion pour le meurtre de tout être vivant (le meurtre) ; 2o adinnâdânâ vêramaṇî, « l’aversion pour l’acte de prendre ce qui ne nous est pas donné (le vol) ; » 3o kâmêsumitchtchhâtchârâ vêramaṇî, « l’aversion pour la recherche illicite du plaisir (l’adultère) ; » 4o musâvâdâ vêramaṇî, « l’aversion pour un langage faux (le mensonge) ;« 5o surâmêrayamadjdjhapamâdaṭṭhânâ (lisez mêrêyyamadjdja), « l’aversion pour la source de l’inattention et de l’ivresse qui est l’usage des liqueurs enivrantes (l’ivresse). »

Cette énumération, qui dans le fragment auquel je l’emprunte, est résumée sous le titre de dosa vêramaṇî, et que je trouve également dans la note précitée du colonel H. Burney, jette un jour très-satisfaisant sur un passage d’une note d’Abel Rémusat touchant les actions ou règles de conduite qui procurent à l’homme l’avantage de renaître parmi les Dêvas[12]. Ces règles sont exactement celles que je viens de reproduire, et quand je pense au soin que les Buddhistes prennent de les répéter en toute occasion, je ne doute pas que ce ne soient ces règles mêmes qui sont désignées sous le nom collectif de çikchâpada, ou commandements ; telles sont en effet les règles fondamentales par lesquelles débute l’enseignement de la morale buddhique. L’interprétation que je propose ici du mot çikchâpada, me fournit le moyen de combler une lacune que j’ai laissée dans plusieurs passages de mon Introduction à l’histoire du Buddhisme indien, où je n’avais pu définir ce terme, et où je le rendais par « axiomes de l’enseignement[13]. » Aujourd’hui je puis m’appuyer sur l’autorité du Paṭimôkkha, qui nomme sikkhâpadârti, en pâli, les dix titres de la liste développée où se retrouvent les cinq titres composant la liste des cinq préceptes. On voit encore une confirmation indirecte de la valeur et de l’application de ce mot de « préceptes ou commandements » que je retrouve maintenant sous le terme de çikchâpada, dans une note développée d’Abél Rémusat sur sa traduction du Foe koue ki, où sont énumérés successivement, d’abord les cinq préceptes ou les vêramaṇîs fondamentaux, puis cinq autres préceptes que j’ai signalés comme plus spécialement applicables aux novices et aux Religieux, et qui répondent aux Sikkhâpadas de la première liste du Paṭimôkkha[14]. En rapprochant ces listes les unes des autres, il convient de tenir compte de quelques variantes d’expression et de quelques déplacements dans les termes, qui n’influent pas essentiellement sur le fonds du sujet.

Je terminerai cet exposé un peu minutieux par la traduction d’un Sutta pâli ou sont énumérés les principaux actes pour lesquels un Religieux doit avoir de la répugnance, et dont quelques-uns ont déjà été relevés dans cette note. C’est de cette idée de répugnance déjà indiquée plus haut, qu’a été formé le terme de vêramaṇi par lequel on dénomme collectivement les fautes dont doit s’abstenir le Religieux. On en trouve l’origine dans les paroles mêmes attribuées au Buddha, quand il dit que le véritable Buddhiste « a de l’aversion (virata) » pour telle ou telle faute. Ce sujet capital pour la morale comme pour la discipline des Religieux occupe, on le comprend sans peine, une place considérable dans ceux des Suttas de Ceylan qui paraissent le plus rapprochés de la prédication de Çâkyamuni. Il est répété plusieurs fois, et presqu’en des termes identiques, parmi les Suttas qui forment la collection assez considérable du Digha nikâya des Singhalais. Il paraît d’abord sous une forme assez abrégée dans le Brahma djâla sutta, et le Pôṭṭhapâda sutta, puis avec de plus grands développements dans le Samañña phala sutta et dans le Subha sutta.

J’ai choisi le Sâmañña phala, à cause du cadre au milieu duquel est exposée la doctrine des devoirs religieux : ce Sutta passe pour émaner de la prédication même de Çâkyamuni, et il a pour nous cet intérêt qu’il met en scène le roi Adjâtasattu, l’Adjâtaçatru des textes buddhiques du Nord, qui fut contemporain de Çâkya. Le Subha sutta ne diffère du Sâmañña phala que par le cadre ; le maître n’y est plus Çâkya lui-même, c’est Ânanda son cousin germain et son serviteur favori, qui parle au nom et après la mort du Buddha. J’avoue que sans la reproduction presque littérale de ce texte dans plusieurs endroits différents du même manuscrit, il ne m’eût pas été facile d’en donner une traduction suivie, tant les copistes ont transcrit négligemment l’original. Il y a notamment deux passages, l’un sur les jeux, l’autre sur les meubles, que je n’ai pu entendre dans tous leurs détails : j’en ai averti par de courtes notes. J’ai cru aussi que je ferais bien de disposer ma traduction du Sâmañña phala de façon qu’elle pût servir à la lecture du Subha sutta. À cet effet, j’ai intercalé dans mon texte de courtes phrases du Subha, quand elles complètent ou confirment le sens du Sâmañña, et je les ai marquées de deux étoiles ; quant aux parties plus développées et qui appartiennent en propre au Subha, telles que le début et quelques détails du dialogue, je les ai rejetées en note. Le lecteur aura donc ainsi une double exposition des devoirs imposés aux Religieux Buddhistes, l’une attribuée à Çâkya, l’autre à son disciple Ânanda[15].

SAMAÑÑA PHALA SUTTA.

« Voici ce qui a été entendu par moi un jour. Bhagavat se trouvait à Râdjagaha (Râdjagrĭha), dans le bois des manguiers de Djîvaka Kômârabhaṇḍa, avec une grande assemblée de Religieux, avec treize cent cinquante Religieux. En ce temps-là le roi du Magadha, Adjâtasattu, fils de Vêdêhî, à l’époque de l’Upôsatha, qui a lieu le quinzième jour (de la lune), pendant la nuit de la pleine lune du mois de Kômudî[16], qui est le qua- trième [de l’année], le roi, dis-je, étant monté sur sa belle terrasse, était assis environné de ses ministres. Alors ce roi prononça avec enthousiasme ces paroles d’admiration : Certes elle est agréable cette nuit qui nous enveloppe de ses ombres ; elle est belle ; elle est ravissante ; elle est douce ; elle est pleine de charme ! Pourquoi donc ne témoignerions-nous pas notre respect à un Samaṇa (Çramaṇa) ou à un Brâhmane, pour qu’en retour de ce respect il vienne porter le calme dans notre âme ? Cela dit, un certain ministre du roi parla ainsi au roi du Magadha, Adjâtasattu, fils de Vêdêhî: Il y a, ô roi, Pûraṇa Kassapa qui a une Assemblée, qui est à la tête d’une troupe, qui est le maître d’une troupe de disciples[17], qui est connu, illustre, qui est un précepteur religieux, estimé des gens de bien, sachant commander à la foule du peuple, entré depuis longtemps dans la vie d’ascète, parti pour son voyage, arrivé à un âge avancé. Que le roi témoigne son respect à Pûraṇa Kassapa ; en effet, si le roi agit ainsi avec Pûraṇa Kassapa, le calme descendra dans son âme. Cela dit, le roi du Magadha, Adjâtasattu, fils de Vêdêhî, garda le silence. Un autre ministre du roi parla ainsi au roi du Magadha, Adjâtasattu, fils de Vêdêhî : Il y a, ô roi, Makkhali Gôsâla qui a une assemblée, [etc. en répétant les mêmes titres.] Un autre dit : Il y a Adjita Kêsakambala qui a une assemblée, etc. Un autre dit : Il y a Pakudha Katchtchâyana qui a une assemblée, etc. Un autre dit : Il y a Sañdjaya, fils de Bêlaṭṭhi, etc. Un autre dit : Il y a Nigaṇṭha, fils de Nâta. Et chacun ajoutait : Que le roi témoigne son respecta à ce sage ; en effet, si le roi agit ainsi avec ce sage, le calme descendra dans son âme. Cela dit, le roi du Magadha, Adjâtasattu, fils de Vêdêhî, garda le silence.

« Or, en ce moment-là, se trouvait assis non loin du roi, Djîvaka Kômârabhaṇḍa qui gardait le silence. Alors Adjâtasattu, fils de Vêdêhî, lui parla en ces termes : Et toi, ami Djîvaka, pourquoi gardes-tu le silence ? — Roi vénérable, [reprit Djîvaka,] le respectable Bhagavat parfaitement et complètement Buddha, réside dans notre bois de manguiers, avec une grande troupe de Religieux, avec treize cent cinquante Religieux. Ce bienheureux Gôtama a rencontré au-devant de lui la voix fortunée de son renom, qui proclamait : Le voici ce bienheureux, respectable, parfaitement et complètement Buddha, doué de science et de conduite [f. 13 b], bien venu, connaissant le monde ; sans supérieur, domptant l’homme comme un jeune taureau, précepteur des Dêvas et des hommes, Buddha bienheureux. Que le roi témoigne son respect à Bhagavat ; en effet si le roi agit ainsi avec Bhagavat, le calme descendra dans son âme. — Eh bien donc, ami Djîvaka, fais préparer les éléphants et les litières[18]. — Oui, répondit Djîvaka Kômârabhaṇḍa, et ayant fait équiper cinq cents litières portées par des éléphants, et pour le roi le grand éléphant qui lui servait de monture, il revint en avertir le roi, en disant : Les éléphants et les litières sont prêts, ô roi ; le roi peut indiquer le moment de ce qu’il veut faire. Alors le roi Adjâtasattu, fils de Vêdéhî, ayant fait monter les eunuques et les femmes dans ces cinq cents litières portées par des éléphants, et étant monté lui-même sur le grand éléphant qui lui servait de monture, sortit de Râdjagaha, à la lueur des torches qu’on portait devant lui, et il se dirigea avec son grand cortége royal vers le bois des manguiers de Djîvaka Kômârabhaṇḍa.

« Il n’était plus très-éloigné du bois, quand il se sentit atteint d’une terreur divine, frappé de stupeur, et que ses poils se hérissèrent sur tout son corps. Alors Adjâtasattu, troublé, frissonnant, s’adressa ainsi à Djîvaka Kômârabhaṇḍa ; Est-ce que tu m’aurais trompé, ami Djîvaka ? Est-ce que tu m’aurais abusé ? Est-ce que tu me livrerais à mes ennemis ? Comment se fait-il qu’une aussi grande assemblée de Religieux, de treize cent cinquante Religieux, ne fasse pas entendre une seule voix, ne prononce pas une seule parole, pas un seul mot ? — Ne crains rien, grand roi ! Je ne te trompe pas, je ne t’abuse pas, je ne te livre pas à tes ennemis ; avance, grand roi, avance. Où vont les lumières qui sont dans l’espace qu’embrasse cette enceinte[19] ? Alors le roi Adjâtasattu, fils de Vêdêhî, s’êtant avancé sur sa monture tant que le terrain fut praticable pour un char et pour son éléphant, en descendit pour continuer à pied sa marche, et se dirigea vers la porte de l’enceinte ; et quand il y fut arrivé, il s’adressa ainsi à Djîvaka Kômârabanda : Ami Djîvaka, où est donc Bhagavat ? — Voilà, grand roi, Bhagavat ; appuyé sur la colonne du milieu, il est assis la face tournée vers l’Orient, et honoré par l’Assemblée des Religieux. Alors le roi Adjâtasattu, fils de Vêdêhî, se dirigea vers l’endroit où se trouvait Bhagavat, et quand il y fut arrivé, il se tint debout de côté ; puis, de l’endroit où il s’était arrêté, ayant promené ses regards sur l’Assemblée des Religieux, qui gardant un profond silence, ressemblait à un lac parfaitement calme, il prononça avec enthousiasme ces paroles d’admiration : Puisse mon fils Udâyi bhadda le prince royal être doué du calme dont est douée maintenant l’Assemblée des Religieux ! — Es-tu venu, grand roi, (dit Bhagavat,) attiré par un sentiment d’affection ? — Oui, seigneur, Udâyi bhadda le prince royal m’est cher : oui, puisse-t-il être doué du calme dont est douée maintenant l’Assemblée des Religieux ! Ensuite le roi Adjâtasattu, fils de Vêdêhî, ayant salué Bhagavat, ayant dirigé ses mains réunies en signe de respect du côté de l’Assemblée des Religieux, s’assit de côté, et une fois assis, il s’adressa en ces termes à Bhagavat : Pourrais-je, seigneur, interroger Bhagavat sur quelques points, si Bhagavat veut bien m’accorder le temps nécessaire pour répondre à mes questions ? — Adresse, grand roi, toutes les questions que tu voudras.

« Comme on voit, seigneur, les divers états où s’exercent des industries distinctes, comme par exemple [f. 14 a] l’art de monter les éléphants, celui de monter à cheval, celui de conduire un char, l’état d’archer, celui de jardinier[20], celui des gens qui recueillent les fruits de l’Âmalaka (Phyllanthus emblica[21]), le métier de bûcheron, celui de chasseur, l’état de Râdjaputta, celui de soldat d’escalade[22], de Mahânâga[23] (de géant), de brave, de soldat couvert d’une cuirasse, celui de fils d’esclave[24], celui de portier, de barbier, de baigneur, de cuisinier, celui de faiseur de guirlandes, de blanchisseur, de domestique, de faiseur de paniers, de potier, celui de calculateur, de devin, comme on voit, dis-je, ces divers états et tant d’autres encore analogues à ceux-là donner dès ce monde-ci à ceux qui les exercent un résultat prévu, qui est de les nourrir, de les rendre heureux et de les satisfaire eux-mêmes, de rendre également heureux et de satisfaire leurs pères et mères, leurs enfants et leurs femmes, leurs amis et leurs conseillers, de leur donner le moyen de présenter aux Samaṇas et aux Brahmanes une offrande dont l’objet est au-dessus [de ce monde[25]], qui a pour objet le ciel, dont le résultat doit être le bonheur, dont le ciel est le but, ainsi, seigneur, est-il donc possible qu’on leur annonce, dès ce monde-ci, un tel résultat comme prévu et comme le fruit général de leur conduite ? — Nous avoues-tu, grand roi, [demanda Bhagavat,] que tu as adressé cette question à d’autres Samaṇas ou à d’autres Brahmanes ? — J’avoue, seigneur, que j’ai adressé cette question à d’autres Samaṇas et à d’autres Brahmanes. — Parle donc, grand roi, conformément à la réponse qu’ils t’ont donnée, si cela n’est pas pénible pour toi. — Il n’y a là, seigneur, rien de pénible pour moi ; Bhagavat est assis, Bhagavat, ou celui qui se montre sous sa figure. — Eh bien donc, grand roi, parle.

« Il arriva un jour, seigneur, que je me rendis à l’endroit où se trouvait Pûraṇa Kassapa et que quand j’y fus arrivé, après avoir échangé avec lui les compliments de la bienveillance et de la civilité, je m’assis de côté, et une fois assis, je m’adressai ainsi à Pûraṇa Kassapa[26] : Comme on voit, seigneur Kassapa, les divers états où s’exercent des industries distinctes, comme par exemple l’art de monter les éléphants, [etc. comme ci-dessus, jusqu’à] comme on voit, dis-je, ces divers états et tant d’autres encore analogues à ceux-là donner dès ce monde-ci à ceux qui les exercent un résultat prévu, qui est de les nourrir, de les rendre heureux et de les satisfaire eux-mêmes, de rendre également heureux et de satisfaire leurs pères et mères, leurs enfants et leurs femmes, leurs amis et leurs conseillers, de leur donner les moyens de présenter aux Samaṇas et aux Brâhmanes une offrande dont l’objet est au-dessus [de ce monde], qui a pour objet le ciel, dont le résultat doit être le bonheur, dont le ciel est le but, ainsi, seigneur Kassapa, est-il donc possible qu’on leur annonce dès ce monde-ci un tel résultat comme prévu et comme le fruit général de leur conduite ? Cela dit, seigneur, Pûraṇa Kassapa me parla ainsi : Pour celui qui agit, grand roi, comme pour celui qui fait agir, qui brise ou qui fait briser, qui cuit ou qui fait cuire, qui fait pleurer, qui tourmente, qui répand ou qui fait répandre, qui tue ou qui fait tuer, qui commet un vol, qui coupe par la moitié ou qui enlève un morceau, qui s’impose dans la maison [d’un autre][27], qui barre le chemin à quelqu’un, qui a commerce avec la femme d’un autre, qui dit des mensonges, pour l’agent de ces diverses actions il n’y a pas de péché qui soit fait par lui. L’homme qui se servant du Tchakra dont le cercle est une lame tranchante, ne ferait qu’un tas, qu’un rebut de chair de tous les êtres vivants qui sont sur cette terre, n’exécuterait pas une chose dont le péché serait la conséquence, une chose de laquelle lui accroîtrait le péché. Quand même il parcourrait la rive droite de la Gangâ tuant ou faisant tuer, coupant ou faisant couper, cuisant ou faisant cuire, ce ne serait pas une chose dont le péché serait la conséquence, une chose de laquelle lui accroîtrait le péché. Maintenant, quand même il parcourrait la rive septentrionale de la Gangâ, donnant des aumônes ou en faisant donner, célébrant des sacrifices, ce ne serait pas là une chose dont la vertu serait la conséquence, une chose de laquelle lui accroîtrait la vertu. Dans l’aumône, dans l’empire qu’on exerce sur soi-même, dans la retenue, dans la véracité[28], il n’y a pas de vertu, il n’y a pas accroissement de vertu. Voilà de quelle manière, seigneur, Pûrana Kassapa interrogé par moi sur le résultat général et prévu [des actions humaines], m’a donné une réponse vaine. De même que celui auquel on demanderait ce que c’est qu’une mangue, et qui répondrait, C’est le fruit de la citrouille, ou que celui auquel on demanderait ce que c’est que le fruit de la citrouille, et qui répondrait, C’est une mangue, ainsi, seigneur, Pûrana Kassapa interrogé par moi sur le résultat général et prévu [des actions humaines], m’a donné une réponse vaine. Alors, seigneur, cette réflexion me vint à l’esprit : Comment se pourrait-il qu’un prince comme moi songeât à dégrader un Samaṇa ou un Brâhmane [f. 14 b] habitant mes états[29] ? Je n’approuvai, seigneur, pas plus que je ne censurai le discours de Pûrana Kassapa. Ne l’approuvant ni ne le censurant, mais, non satisfait, ne prononçant aucune parole de mécontentement, réprimant même toute parole, ainsi que toute expression de colère, je me levai de mon siége et je partis.

« Il arriva un jour, seigneur, que je me rendis à l’endroit où se trouvait Makkhali Gôsâla[30], et que quand j’y fus arrivé, après avoir échangé avec lui les compliments de la bienveillance et de la civilité, je m’assis de côté, et une fois assis, je m’adressai ainsi à Makkhali Gôsâla. Comme on voit, seigneur Gôsâla, les divers états où s’exercent des industries distinctes, comme par exemple l’art de monter les éléphants, [etc. comme ci-dessus, jusqu’à] comme on voit, dis-je, ces divers états et tant d’autres analogues à ceux-là donner dès ce monde-ci à ceux qui les exercent un résultat prévu, qui est de les nourrir, de les rendre heureux et de les satisfaire eux-mêmes, de rendre également heureux et de satisfaire leurs pères et mères, leurs enfants et leurs femmes, leurs amis et leurs conseillers, de leur donner le moyen de présenter aux Samaṇas et aux Brahmanes une offrande dont l’objet est au-dessus [de ce monde], qui a pour objet le ciel, dont le résultat doit être le bonheur, dont le ciel est le but, ainsi, seigneur Gôsâla, est-il donc possible qu’on leur annonce dès ce monde-ci un tel résultat comme prévu et comme le fruit général de leur conduite ? Cela dit, seigneur, Makkhali Gôsâla me parla ainsi : Il n’y a pas, grand roi, de cause, il n’y a pas de raison à l’imperfection des êtres ; les êtres sont imparfaits sans cause ni raison. Il n’y a pas de cause, il n’y a pas de raison à la pureté des êtres ; les êtres sont purs sans cause ni raison. Il n’y a pas d’action de notre part, il n’y a pas d’action de la part des autres ; il n’y a pas d’action de l’homme[31]. Il n’y a ni force, ni énergie, ni grandeur humaine, ni triomphe humain ; tous les êtres, toutes les créatures vivantes, toutes les existences, toutes les vies, malgré elles, privées de force, d’énergie, destinées à une existence à laquelle elles vont inévitablement s’unir, éprouvent de la douleur ou du plaisir dans les six voies distinctes. Or il y a quatorze cent mille cent soixante-six matrices principales ; cent cinq agents ; cent cinq actes ; trois actions et demi-actions ; des situations dans le sein d’une mère autant qu’il y a de Kappas (Kalpas) d’accroissement et de moyens Kappas ; six genres de noblesse ; huit degrés pour l’homme ; quarante-neuf fois cent espèces de moyens d’existence ; quarante-neuf fois cent espèces de mendiants ; quarante-neuf fois cent espèces d’êtres habitant parmi les Nâgas ; vingt fois cent espèces d’êtres de la race des Indras ; trente fois cent enfers ; trente-six êtres dont l’élément est la passion ; sept embryons doués de conscience ; sept embryons privés de conscience ; sept embryons d’ascètes Nigaṇṭhis (Nirgranthin) ; sept de Dêvas, sept d’hommes, sept de Pisâtchas, sept d’Asuras ; sept cents êtres cruels ; sept cent sept chutes ; sept cent sept songes ; il y a enfin quatre-vingt-quatre fois cent mille Mahâkappas que les ignorants et les sages parcourent, à travers lesquels ils transmigrent pour mettre un jour un terme à leurs douleurs[32]. Il n’y a pas lieu dans ce cas de dire : Voici la moralité, voici les pratiques saintes, voici les austérités, voici la conduite religieuse, au moyen desquelles je conduirai à la maturité l’action non encore mûre, et anéantirai en la consumant l’action parvenue à sa maturité. En effet, il n’y a ici-bas ni mesure ni chose mesurée, ni plaisir, ni douleur, ni terme fixe, ni révolution du monde indéfinie ; il n’y a ni diminution, ni augmentation ; il n’y a ni supériorité, ni infériorité. De même qu’une corde roulée en peloton qui est usée, se brise au moment même où on la déroule, ainsi les ignorants et les sages, après avoir achevé leur course, après avoir transmigré, trouveront un jour le terme de leurs douleurs. Voilà de quelle manière, seigneur, Makkhali Gôsâla interrogé par moi sur le résultat général et prévu [des actions humaines], m’a expliqué l’accomplissement définitif de la transmigration. De même que celui auquel on demanderait ce que c’est qu’une mangue, et qui répondrait, C’est le fruit de la citrouille, ou que celui auquel on demanderait ce que c’est que le fruit de la citrouille, et qui répondrait, C’est une mangue, ainsi, seigneur, Makkhali Gôsâla interrogé par moi sur le résultat général et prévu [des actions humaines], m’a expliqué l’accomplissement définitif de la transmigration. Alors, seigneur, cette réflexion me vint à l’esprit, [etc. comme ci-dessus, jusqu’à] je me levai de mon siège et je partis.

« Il arriva un jour, seigneur, que je me rendis à l’endroit où se trouvait Adjita Kêsakambali, et que quand j’y fus arrivé, après avoir échangé avec lui les compliments de la bienveillance et de la civilité, je m’assis de côté, et une fois assis, je m’adressai ainsi à Adjita Kêsakambali[33] : Comme on voit, seigneur Adjita, les divers états où s’exercent des industries distinctes [f. 15 a], comme par exemple l’art de monter les éléphants, [etc. comme ci-dessus, jusqu’à] comme on voit, dis-je, ces divers états et tant d’autres analogues à ceux-là donner dès ce monde-ci à ceux qui les exercent un résultat prévu, qui est de les nourrir, de les rendre heureux et de les satisfaire eux-mêmes, de rendre également heureux et de satisfaire leurs pères et mères, leurs enfants et leurs femmes, leurs amis et leurs conseillers, de leur donner le moyen de présenter aux Samaṇas et aux Brahmanes une offrande dont l’objet est au-dessus [de ce monde], qui a pour objet le ciel, dont le résultat doit être le bonheur, dont le ciel est le but ; ainsi, seigneur Adjita, est-il donc possible qu’on leur annonce dès ce monde-ci un tel résultat comme prévu et comme le fruit général de leur conduite ? Cela dit, seigneur, Adjita Kêsakambali me parla ainsi : Il n’y a, grand roi, ni aumône, ni sacrifice, ni offrande jetée dans le feu ; il n’y a pas de résultat, de fruit des bonnes ou des mauvaises actions ; ce monde-ci n’existe pas, le monde futur n’existe pas davantage, il n’y a ni mère, ni père ; il n’y a pas d’êtres qui soient le produit d’une naissance surnaturelle ; il n’y a en ce monde ni Samaṇas ni Brahmanes arrivés parfaitement à leur but complet, qui après avoir reconnu d’eux-mêmes, après avoir vu face à face ce monde-ci et l’autre monde, les pénètrent entièrement. Quand l’homme, ce composé des quatre grands éléments, a fait son temps, la terre retourne, se rend dans la masse de la terre, l’eau retourne, se rend dans la masse de l’eau, le feu retourne, se rend dans la masse du feu, le vent retourne, se rend dans la masse du vent, les organes des sens remontent dans l’éther ; quatre hommes avec la bière, ce qui fait cinq, s’en vont, emportant le mort, aussi loin que l’ordonnent les stances sur le brûlement des cadavres ; les os deviennent d’un blanc sale ; les offrandes des vivants périssent dans les cendres de leur bûcher ; ce qu’il leur a été enjoint de donner, c’est-à-dire leur aumône, est pour eux une chose vaine, un mensonge, une déception. Ceux qui soutiennent l’opinion qu’il existe quelque chose, ignorants et sages, se décomposent, sont anéantis après la séparation du corps, ils n’existent plus après la mort. Voilà de quelle manière, seigneur, Adjita Kêsakambali interrogé par moi sur le résultat général et prévu [des actions humaines], m’a expliqué l’opinion de la dissolution. De même que celui auquel on demanderait ce que c’est qu’une mangue, et qui répondrait, C’est le fruit de la citrouille, ou que celui auquel on demanderait ce que c’est que le fruit de la citrouille, et qui répondrait, C’est une mangue ; ainsi, seigneur, Adjita Kêsakambali interrogé par moi sur le résultat générai et prévu [des actions humaines], m’a expliqué l’opinion de la dissolution. Alors, seigneur, cette réflexion me vint à l’esprit : [etc. comme-ci-dessus, jusqu’à] je me levai de mon siége et je partis.

« Il arriva un jour, seigneur, que je me rendis à l’endroit où se trouvait Pakudha Katchtchâyana[34], et que quand j’y fus arrivé, après avoir échangé avec lui les compliments de la bienveillance et de la civilité, je m’assis de côté, et une fois assis, je m’adressai ainsi à Pakudha Katchtchâyana. Comme on voit, seigneur Katchtchâyana, les divers états où s’exercent des industries distinctes, comme par exemple l’art de monter les éléphants, [etc. comme ci-dessus, jusqu’à] comme on voit, dis-je, ces divers états et tant d’autres analogues à ceux-là donner dès ce monde-ci à ceux qui les exercent un résultat prévu qui est de les nourrir, de les rendre heureux et de les satisfaire eux-mêmes, de rendre également heureux et de satisfaire leurs pères et mères, leurs enfants et leurs femmes, leurs amis et leurs conseillers, de leur donner le moyen de présenter aux Samaṇas et aux Brahmanes une offrande dont l’objet est au-dessus [de ce monde], qui a pour objet le ciel, dont le résultat doit être le bonheur, dont le ciel est le but ; ainsi, seigneur Katchtchâyana, est-il donc possible qu’on leur annonce, dès ce monde-ci, un tel résultat comme prévu et comme le fruit général de leur conduite ? Cela dit, seigneur, Pakudha Katchtchâyana me parla ainsi : Il y a sept corps d’êtres, grand roi, qui sont incréés, de l’espèce des choses incréées, qui ne sont pas fabriqués, pour lesquels il n’y a pas de fabrication, qui sont stériles, uniformes, immobiles comme des peintures[35], stables ; ils ne désirent pas, ils ne se transforment pas, ils ne se font pas mutuellement obstacle ; ils ne peuvent rien ni pour leur plaisir, ni pour leur douleur mutuelle. Quels sont ces sept corps ? Ce sont le corps de la terre, celui de l’eau, celui du feu, celui du vent, le plaisir, la douleur, la vie ; voilà les sept corps d’êtres qui sont incréés, de l’espèce des choses incréées, qui ne sont pas fabriqués, pour lesquels il n’y a pas de fabrication, qui sont stériles, uniformes, immobiles comme des peintures, stables, qui ne désirent pas, qui ne se transforment pas, qui ne se font pas mutuellement obstacle, qui ne peuvent rien ni pour leur plaisir ni pour leur douleur mutuelle. Il n’y a ici ni meurtrier, ni instigateur de meurtre, ni être écoutant, ni être parlant, ni être connaissant, ni être instruisant. Quand un homme, avec un glaive tranchant, abat une tête, il n’y a pas là un être qui en prive un autre de la vie ; c’est seulement dans l’intervalle de ces sept corps que le glaive rencontre un espace vide. Voilà de quelle manière, seigneur, Pakudha Katchtchâyana interrogé par moi sur le résultat général et prévu [des actions humaines] m’a expliqué la doctrine de l’un par l’autre. De même que celui auquel on demanderait ce que c’est qu’une mangue, et qui répondrait, C’est le fruit de la citrouille, ou que celui auquel on demanderait ce que c’est que le fruit de la citrouille, et qui répondrait, C’est une mangue ; ainsi, seigneur, Pakudha Katchtchâyana interrogé par moi sur le résultat général et prévu [des actions humaines], m’a expliqué la doctrine de l’un par l’autre. Alors, seigneur, cette réflexion me vint à l’esprit : [etc. comme ci-dessus, jusqu’à] je me levai de mon siége et je partis [f. 15 b].

« Il arriva un jour, seigneur, que je me rendis à l’endroit où se trouvait Nigaṇṭha Nâtaputta[36], et que quand j’y fus arrivé, après avoir échangé avec lui les compliments de la bienveillance et de la civilité, je m’assis de côté, et une fois assis, je m’adressai ainsi à Nigaṇṭha Nâtaputta. Comme on voit, seigneur Aggivêssâyana, les divers états où s’exercent des industries distinctes, comme par exemple l’art de monter les éléphants, [etc. comme ci-dessus, jusqu’à] comme on voit, dis-je, ces divers états et tant d’autres analogues à ceux-là donner dès ce monde-ci à ceux qui les exercent un résultat prévu qui est de les nourrir, de les rendre heureux et de les satisfaire eux-mêmes, de rendre également heureux et de satisfaire leurs pères et mères, leurs enfants et leurs femmes, leurs amis et leurs conseillers, de leur fournir de quoi présenter aux Samaṇas et aux Brâhmanes une offrande dont l’objet est au-dessus [de ce monde], qui a pour objet le ciel, dont le résultat doit être le bonheur, dont le ciel est le but ; ainsi, seigneur Aggivêssâyana, est-il donc possible qu’on leur annonce, dès ce monde-ci, un tel résultat comme prévu et comme le fruit général de leur conduite ? Cela dit, seigneur, Nigaṇṭha Nâtaputta me parla ainsi : En ce monde, grand roi, le mendiant Nigaṇṭha est retenu par le frein des quatre abstentions réunies. Et comment, grand roi, le mendiant Nigaṇṭha est-il retenu par le frein des quatre abstentions réunies ? En ce monde, grand roi, le mendiant Nigaṇṭha est entièrement retenu par le lien qui enchaîne ; il est enveloppé par tous les liens, enlacé par tous les liens, resserré par tous les liens ; voilà de quelle manière, grand roi, le mendiant Nigaṇṭha est retenu par le frein des quatre abstentions réunies. Et parce qu’il est ainsi retenu, grand roi, il est nommé Nigaṇṭha, c’est-à-dire libre de toute chaîne, pour qui toute chaîne est détruite, qui a secoué toutes les chaînes[37]. Voilà de quelle manière, seigneur, Nigaṇṭha Nâtaputta interrogé par moi sur le résultat général et prévu [des actions humaines], m’a répondu par le frein des quatre abstentions réunies. De même que celui auquel on demanderait ce que c’est qu’une mangue, et qui répondrait, C’est le fruit de la citrouille, ou que celui auquel on demanderait ce que c’est que le fruit de la citrouille, et qui répondrait, C’est une mangue ; ainsi, seigneur, Nigaṇṭha Nâtaputta interrogé par moi sur le résultat général et prévu [des actions humaines], m’a répondu par le frein des quatre abstentions réunies. Alors, seigneur, cette réflexion me vint à l’esprit : [etc. comme ci-dessus, jusqu’à] je me levai de mon siège et je partis.

« Il arriva un jour, seigneur, que je me rendis à l’endroit où se trouvait Sandjaya, fils de Bélaṭṭhi[38], et que quand j’y fus arrivé, après avoir échangé avec lui les compliments de la bienveillance et de la civilité, je m’assis de côté, et une fois assis, je m’adressai en ces termes à Sañdjaya, fils de Bêlaṭṭhi : Comme on voit, seigneur Sañdjaya, les divers états où s’exercent des industries distinctes, comme par exemple l’art de monter les éléphants, [etc. comme ci-dessus, jusqu’à] comme on voit, dis-je, ces divers états et tant d’autres analogues à ceux-là donner dès ce monde-ci à ceux qui les exercent un résultat prévu qui est de les nourrir, de les rendre heureux et de les satisfaire eux-mêmes, de rendre également heureux et de satisfaire leurs pères et mères, leurs enfants et leurs femmes, leurs amis et leurs conseillers, de leur fournir le moyen de présenter aux Samaṇas et aux Brâhmanes une offrande dont l’objet est au-dessus [de ce monde], qui a pour objet le ciel, dont le résultat doit être le bonheur, dont le ciel est le but ; ainsi, seigneur Sañdjaya, est-il donc possible qu’on leur annonce, dès ce monde-ci, un tel résultat comme prévu et comme le fruit général de leur conduite ? Cela dit, seigneur, Sañdjaya, fils de Bêlaṭṭhi, me parla ainsi : Si tu me demandais, L’autre monde existe-t-il, et si j’étais d’opinion que l’autre monde existe, je te répondrais ainsi, Oui, l’autre monde existe ; mais mon opinion est : non, il n’est pas ainsi ; mon opinion est encore : non, il n’est pas autrement ; elle est encore : il n’est pas n’étant pas ainsi ; elle est encore : il n’est pas vrai que cela ne soit pas n’étant pas ainsi. Donc l’autre monde existe ; l’autre monde n’existe pas ; l’autre monde existe et n’existe pas ; on ne peut pas dire que l’autre monde n’est pas existant, ni qu’il n’est pas non existant. Il y a des êtres qui sont le produit d’une naissance surnaturelle ; il n’y a pas d’êtres qui soient le produit d’une naissance surnaturelle ; il y a des êtres et il n’y a pas d’êtres produits d’une naissance surnaturelle ; on ne peut pas dire que des êtres de cette sorte ne sont pas existants, ni qu’ils ne sont pas non existants. Le fruit, le résultat des bonnes comme des mauvaises actions existe ; le fruit, le résultat des bonnes comme des mauvaises actions n’existe pas ; le fruit, le résultat des bonnes comme des mauvaises actions existe et n’existe pas ; on ne peut pas dire que le fruit, le résultat des bonnes comme des mauvaises actions n’est pas existant, ni qu’il n’est pas non existant. Le Tathâgata existe après la mort ; le Tathâgata n’existe pas après la mort ; le Tathâgata existe et n’existe pas après la mort ; le Tathâgata n’est pas plus existant qu’il n’est non existant après la mort. Si tu m’adressais une question sur chacune de ces thèses, et si j’étais d’opinion que le Tathâgata n’est pas plus existant qu’il n’est non existant après la mort, c’est dans ce sens que je te répondrais. C’est ainsi que mon opinion est : non, il n’est pas ainsi ? non, il n’est pas autrement ; il n’est pas n’étant pas ainsi ; il n’est pas vrai que cela ne soit pas n’étant pas ainsi. Voilà de quelle manière, seigneur [f. 16 a], Sañdjaya, fils de Bêlaṭṭhi, interrogé par moi sur le résultat général et prévu [des actions humaines], m’a répondu par une doctrine de perplexité. De même que celui auquel on demanderait ce que c’est qu’une mangue, et qui répondrait, C’est le fruit de la citrouille, ou que celui auquel on demanderait ce que c’est que le fruit de la citrouille, et qui répondrait, C’est une mangue, ainsi, seigneur, Sañdjaya, fils de Bêlaṭṭhi, interrogé par moi sur le résultat général et prévu [des actions humaines], m’a répondu par une doctrine de perplexité. Alors, seigneur, cette réflexion me vint à l’esprit : Celui-là est bien le plus ignorant, le plus insensé de tous les Samaṇas et de tous les Brâhmanes. Comment se fait-il qu’interrogé sur le résultat général et prévu [des actions humaines], il aille m’exposer une doctrine de perplexité ? Alors cette réflexion me vint encore à l’esprit : [etc. comme ci-dessus, jusqu’à] je me levai de mon siége et je partis.

« Et maintenant, seigneur, j’adresse la même question à Bhagavat. Comme on voit, seigneur, les divers états où s’exercent des industries distinctes, comme par exemple l’art de monter les éléphants, [etc. comme ci-dessus, jusqu’à] comme on voit, dis-je, ces divers états et tant d’autres analogues à ceux-là donner dès ce monde-ci à ceux qui les exercent un résultat prévu qui est de les nourrir, de les rendre heureux et de les satisfaire eux-mêmes, de rendre également heureux et de satisfaire leurs pères et mères, leurs enfants et leurs femmes, leurs amis et leurs conseillers, de leur fournir le moyen de présenter aux Samaṇas et aux Brâhmanes une offrande dont l’objet est au-dessus [de ce monde], qui a pour objet le ciel ; dont le résultat doit être le bonheur, dont le ciel est le but ; ainsi, seigneur, est-il donc possible qu’on leur annonce, dès ce monde-ci, un tel résultat comme prévu et comme le résultat de leur conduite ? — Cela est possible, grand roi, [répondit Bhagavat ;] c’est pourquoi, grand roi, je t’interrogerai à mon tour ; tu répondras à ma question comme il te plaira.

« Que penses-tu de ceci, grand roi ? Supposons que tu aies ici un homme, ton esclave, ton serviteur, qui se tienne debout devant toi, qui se prosterne derrière toi, qui réponde toujours. Que faut-il faire, qui agisse pour t’être agréable, qui ait un doux parler, dont les regards soient toujours fixés sur ton visage, et que cette réflexion lui vienne à l’esprit : C’est certainement une chose surprenante, c’est une chose merveilleuse que la voie des vertus, que la récompense des vertus. Voilà le roi du Magadha, Adjâtasattu, fils de Vêdêhî, qui est un homme, et moi qui suis un homme aussi. Ce roi du Magadha, Adjâtasattu, fils de Vêdêhî, est entouré, est en possession des cinq objets des désirs ; le Dêva (Indra), je crois, veille à sa défense ; et moi je suis son esclave, son serviteur, qui me tiens debout devant lui, qui me prosterne derrière lui, qui réponds toujours, Que faut-il faire, qui agis pour lui être agréable, qui ai un doux parler, dont les regards sont toujours fixés sur son visage. Ah ! puissé-je accomplir les actes de vertu qu’il a faits ! Pourquoi ayant rasé ma chevelure et ma barbe, ayant revêtu des habits de couleur jaune, ne sortirais-je pas de la maison pour entrer dans la vie religieuse ? Que cet homme, dans un autre temps, après avoir rasé sa chevelure et sa barbe, et revêtu des habits de couleur jaune, sorte de la maison pour entrer dans la vie religieuse. Qu’une fois devenu mendiant, il vive retenu en son corps, retenu en son langage, retenu en ses pensées, se conformant pour sa nourriture et ses vêtements à la volonté des autres, se plaisant dans la solitude. Que tes gens alors t’annoncent ceci : Apprends, ô Dêva (ô roi), que cet homme qui était ton esclave, ton serviteur, qui se tenait debout devant toi, qui se prosternait derrière toi, qui répondait toujours, Que faut-il faire, qui agissait pour t’être agréable, qui avait un doux parler, dont les regards étaient toujours fixés sur ton visage, que cet homme après avoir rasé sa chevelure et sa barbe, après avoir revêtu des habits de couleur jaune, est sorti de la maison pour entrer dans la vie religieuse, et qu’une fois devenu mendiant, il vit retenu en son corps, retenu en son langage, retenu en ses pensées, se conformant pour sa nourriture et ses vêtements à la volonté des autres, se plaisant dans la solitude. Est-ce que tu dirais alors : Qu’il vienne cet homme qui est à moi ; qu’il redevienne de nouveau mon esclave, mon serviteur, se tenant debout devant moi, se prosternant derrière moi, répondant toujours, Que faut-il faire, agissant pour m’être agréable, ayant un doux parler, tenant ses regards toujours fixés sur mon visage ? — Non certainement, seigneur [f. 16 b] ; bien au contraire, je le saluerais moi-même, je me lèverais à son approche, je l’inviterais à prendre un siége, je l’engagerais à recevoir des vêtements, une portion de nourriture, un lit et un siége, des médicaments pour les maladies et d’autres ustensiles nécessaires ; j’établirais pour lui une garde, une défense et une protection conforme à la loi. — Comment comprends-tu cela, grand roi ? Si les choses sont ainsi, existe-t-il un résultat général et prévu [des actions humaines], ou bien n’en existe-t-il pas ? — Certainement, seigneur, puisque les choses sont ainsi, il existe un résultat général et prévu [des actions humaines] — Voilà donc, grand roi, la première chose que je t’ai apprise, savoir qu’il existe dès ce monde même un résultat général et prévu [des actions humaines]. — Mais est-il donc possible, seigneur, de montrer qu’il existe dès ce monde même encore un autre résultat général et prévu [des actions humaines] ? — Cela est possible, grand roi. C’est pourquoi, grand roi, je vais t’adresser là-dessus une question ; tu y feras la réponse qu’il te plaira.

« Comment comprends-tu ceci, grand roi ? Supposons que tu aies ici un homme, laboureur et maître de maison, chargé de faire rentrer tes revenus, d’augmenter la masse de tes biens. Que cette réflexion lui vienne à l’esprit : C’est certainement une chose surprenante, c’est une chose merveilleuse que la voie des vertus, que la récompense des vertus. Voilà le roi du Magadha, Adjâtasattu, fils de Vêdêhî, qui est un homme, et moi qui suis un homme aussi. Ce roi du Magadha, Adjâtasattu, fils de Vêdêhî, est entouré, est en possession des cinq objets des désirs ; le Dêva (Indra), je crois, veille à sa défense ; et moi je suis son laboureur et son maître de maison, chargé de faire rentrer ses revenus, d’augmenter la masse de ses biens. Ah ! puissé-je accomplir les actes de vertu qu’il a faits ! [etc. comme ci-dessus, jusqu’à] Que cet homme, dans un autre temps, après avoir abandonné une masse, soit petite, soit grande, de jouissances, un entourage, soit petit, soit grand, de parents, après avoir rasé sa chevelure et sa barbe, et revêtu des habits de couleur jaune, sorte de la maison pour entrer dans la vie religieuse. Qu’une fois devenu mendiant, il vive retenu en son corps, retenu en son langage, retenu en ses pensées, se conformant pour sa nourriture et ses vêtements à la volonté des autres, se plaisant dans la solitude. Que tes gens alors t’annoncent ceci : Apprends, ô Dêva (ô roi), que cet homme qui était ton laboureur et ton maître de maison, chargé de faire rentrer tes revenus, d’augmenter la masse de tes biens, que cet homme après avoir rasé sa chevelure et sa barbe, après avoir revêtu des habits de couleur jaune, est sorti de la maison pour entrer dans la vie religieuse, et qu’une fois devenu mendiant, il vit retenu en son corps, retenu en son langage, retenu en ses pensées, se conformant pour sa nourriture et ses vêtements à la volonté des autres, se plaisant dans la solitude. Est-ce que tu dirais alors : Qu’il vienne cet homme, qui est à moi ; qu’il redevienne mon laboureur, mon maître de maison, chargé de faire rentrer mes revenus, d’augmenter la masse de mes biens ? — Non certainement, seigneur ; bien au contraire, je le saluerais moi-même, je me lèverais à son approche, je l’inviterais à prendre un siége, je l’engagerais à recevoir des vêtements, une portion de nourriture, un lit et un siége, des médicaments pour les maladies et d’autres ustensiles nécessaires ; j’établirais pour lui une garde, une défense, une protection conforme à la loi. — Comment comprends-tu cela, grand roi ? Si les choses sont ainsi, existe-t-il un résultat général et prévu [des actions humaines] ? — Certainement, seigneur, puisque les choses sont ainsi, il existe un résultat général et prévu [des actions humaines]. — Voilà donc ! grand roi, la chose que je t’ai apprise, savoir qu’il existe dès ce monde même un second résultat général et prévu [des actions humaines]. — Mais est-il donc possible, seigneur, de montrer qu’il existe dès ce monde même encore un autre résultat général et prévu des actions humaines, un résultat plus éminent, plus précieux que ces résultats généraux et prévus dont il a été parlé tout à l’heure ? Cela est possible, grand roi. C’est pourquoi écoute, grand roi, et fixe bien dans ton esprit [ce que je dirai] ; je vais parler., — Oui, seigneur, répondit à Bhagavat le roi du Magadha, Adjâtasattu, fils de Vêdêhî [f. 17 a], Bhagavat parla ainsi.

« Ici, grand roi, le Tathâgata naît dans le monde, le Tathâgata vénérable, parfaitement et complètement Buddha, doué de science et de conduite, bien venu, connaissant le monde, sans supérieur, domptant l’homme comme un jeune taureau, précepteur des Dêvas et des hommes, Buddha bienheureux : Ayant reconnu par lui-même, ayant vu face à face[39] ce monde avec les Dêvas, les Mâras, les Brahmâs, ainsi que les créatures, y compris les Samaṇas et les Brâhmanes, les Dêvas et les hommes, il le pénètre complétement ; il enseigne la loi qui est fortunée au commencement, au milieu et à la fin ; il l’enseigne entière, complète, achevée, avec son sens et ses caractères ; il expose les règles de la conduite religieuse. Cette loi est entendue par le maître de maison, ou par le fils du maître de maison, ou par un homme inférieur né dans une famille quelconque[40]. L’un de ces hommes ayant entendu cette loi, éprouve des sentiments de foi pour le Tathâgata. Doué de ces sentiments de foi, il se répète plusieurs fois à lui-même : C’est un chemin plein d’obstacles[41] que le séjour de la maison ; au contraire, c’est la route royale, c’est l’espace même que l’état de Religieux. Ce n’est pas chose facile pour celui qui habite dans une maison que de pratiquer les devoirs de la vie religieuse d’une manière absolument parfaite, absolument accomplie, entièrement pure[42]. Pourquoi donc, après avoir rasé mes cheveux et ma barbe, et revêtu des habits de couleur jaune, ne sortirais-je pas de la maison pour entrer dans la vie religieuse ? Puis, dans un autre temps, cet homme ayant abandonné soit une petite, soit une grande masse de jouissances, ayant abandonné soit un petit, soit un grand entourage de parents, ayant rasé ses cheveux et sa barbe, et revêtu des habits de couleur jaune, sort de la maison pour entrer dans la vie religieuse. Une fois devenu Religieux, il passe sa vie retenu par les défenses que renferme le Pâṭimokkha. En possession du domaine des bonnes pratiques, voyant du danger dans la moindre des choses qu’on doit éviter, il s’instruit, après les avoir reçus, dans les préceptes de la morale, soutenant sa vie par des moyens parfaitement purs, plein de moralité, tenant fermée la porte de ses sens, doué de souvenir et de conscience, satisfait de tout ce qui se présente, * tel est le Religieux doué de moralité. *[43]

« Et comment, grand roi, le Religieux est-il doué de moralité ? Ici-bas, grand roi, le Religieux ayant renoncé à ôter la vie à rien de ce qui a vie, a de l’aversion pour toute idée de meurtre. Il dépose le bâton, il dépose le glaive, il est plein de modestie et de pitié ; il est compatissant et bon pour toute vie et toute créature[44]. Quand le Religieux ayant renoncé à ôter la vie à rien de ce qui a vie, a de l’aversion pour toute idée de meurtre, qu’il ne se sert ni du bâton ni du glaive, qu’il est doué de modestie et de pitié, qu’il est compatissant et bon pour toute vie et toute créature, * cela même lui est compté comme vertu.

« Ayant renoncé à prendre ce qu’on ne lui donne pas, il a de l’aversion pour toute idée de vol ; recevant à titre de don tout ce qu’on lui donne, désirant ce qu’on lui donne, il vit avec un cœur ainsi purifié. * Quand le Religieux a ce mérite, [le texte répète mot pour mot la phrase précédente,] * cela même lui est compté comme vertu.

« Ayant renoncé à l’incontinence, il est chaste ; il a de l’aversion pour la loi grossière de l’union des sexes ; cela même lui est compté comme vertu.

« Ayant renoncé au mensonge, il a de l’aversion pour toute parole menteuse ; il dit la vérité, il est tout à la vérité, il est sûr, digne de confiance, ennemi de la fausseté dans ses rapports avec les hommes ; cela même lui est compté comme vertu.

« Ayant renoncé à tout langage médisant, il a de l’aversion pour la médisance. Il ne va pas répéter ce qu’il a entendu ici pour brouiller ceux là, ou ce qu’il a entendu là-bas pour brouiller ceux-ci ; il réconcilie ceux qui sont divisés ; il ne sépare pas ceux qui sont unis ; il se plaît dans la conciliation, il l’aime, il est passionné pour elle, il tient un langage capable de la produire ; cela même lui est compté comme vertu.

« Ayant renoncé à tout langage grossier, il a de l’aversion pour un tel langage. Tout langage doux, agréable aux oreilles, affectueux, allant au cœur, poli[45] aimé de beaucoup de gens, gracieux pour beaucoup de gens, c’est ce langage qu’il emploie ; cela même lui est compté comme vertu.

« Ayant renoncé aux discours frivoles, il éprouve de l’aversion pour tout langage de ce genre. Parlant à propos, d’après ce qui est, d’une manière sensée, selon la loi, selon la discipline, il tient un langage plein de choses, un langage qui, selon l’occasion, se cache sous des figures, qui a une mesure convenable et qui a un objet. Cela même lui est compté comme vertu.

« Il a de l’aversion pour détruire quoi que ce soit de la collection des graines ou de celle des créatures ; il ne prend qu’un repas ; il s’abstient [de manger] la nuit ; il n’aime pas à manger hors de saison ; il n’aime pas à voir les danses, les chants, les concerts, les représentations dramatiques.

« Il a de l’aversion pour les actes qui consistent à se couvrir, à se parer et à s’orner de guirlandes, de parfums, de substances onctueuses. Il n’aime pas un lit élevé ni un grand lit. Il a de l’aversion pour recevoir de l’or ou de l’argent, du grain qui n’est pas encore mûr, [f. 17 b] de la viande crue, une femme ou une jeune fille, un esclave de l’un ou de l’autre sexe, un bouc, un bélier, un coq, un porc, un éléphant, un bœuf, un cheval, une jument. Il a de l’aversion pour recevoir un champ cultivé ou une propriété. Il n’aime pas à remplir les commissions inférieures dont on charge un messager. Il a de l’aversion pour le négoce. Il a de l’aversion pour frauder sur les poids et sur les mesures de capacité et de longueur. Il éprouve de l’aversion à pratiquer les voies tortueuses, la fraude, la ruse et les actions blâmables. Il n’aime pas à trancher, à frapper, à serrer dans des liens, à gratter, à couper, à faire des actes de violence[46].

« * Quand le Religieux, jeune Brâhmane, n’aime pas à trancher, à frapper, à serrer dans des liens, à gratter, à couper, à faire des actes de violence, cela même lui est compté comme vertu. *

« Comme on voit de respectables Samaṇas ou Brâhmanes, qui après avoir pris des aliments dignes de confiance, s’occupent à détruire quelque chose de ce qui appartient à la collection des germes ou à celle des êtres, par exemple un germe de racine, un germe de tige, un germe de rejeton, un germe de tête, un germe de graine, ce qui forme la cinquième espèce de germe ; lui au contraire il a de l’aversion pour détruire ainsi quelque chose de ce qui appartient à la collection des germes ou à celle des êtres ; cela même lui est compté comme vertu.

« Comme on voit de respectables Samaṇas ou Brâhmanes, qui après avoir pris des aliments dignes de confiance, s’appliquent à jouir de la présence des choses qui suivent, par exemple de la présence d’aliments, de celle de boissons, de vêtements, de chars, de lits, de parfums, * de viandes ; lui au contraire il a de l’aversion pour jouir de la présence de pareilles choses. Cela même lui est compté comme vertu.

« Comme on voit de respectables Samaṇas ou Brâhmanes, qui après avoir pris des aliments dignes de confiance, s’appliquent à aller voir de tels spectacles[47], par exemple des danses, des chants, des concerts, des représentations dramatiques, des récits, de la musique jouée avec les mains, des bardes, des poteaux et des jarres[48], des Tchaṇḍâlas qui font des tours d’adresse[49], des joueurs de bâton[50], des combats d’éléphants, de chevaux, de buffles, de taureaux, de boucs, de béliers, de perdrix[51] des combats au bâton ou à coups de poings, une armée qui sort de ses retranchements, une armée qui s’avance pour combattre, une réunion de troupes, une armée rangée en bataille, des bataillons réunis[52] ; lui au contraire il a de l’aversion pour aller voir de tels spectacles. Cela même lui est compté comme vertu.

« Comme on voit de respectables Samaṇas ou Brâhmanes, qui après avoir pris des aliments dignes de confiance, se livrent à la pratique d’un acte aussi fait pour troubler l’esprit que le jeu, comme par exemple l’aṭṭhapada (le jeu des huit parties), le dasapada (le jeu des dix parties), l’âkâsa, le parihârapatha, le santika, le balika[53], le ghaṭika (le jeu du pot), le salâkahattha (le jeu des baguettes dans la main), l’akkha (le jeu de dés), le pag̃gatchîra, le vag̃kaka (le jeu crochu), le môkkha (le jeu de la délivrance), le tchika[54], le tchig̃gulaka, le pattâḷhaka (le boisseau de feuilles), le rathaka (le jeu du char), le dhanuka (le jeu de l’arc), l’akkharika (le jeu des lettres), le manôsika (le jeu de penser), le yathâvadjdja (le jeu selon ce qu’on exclut) ; lui au contraire il a de l’aversion pour se livrer à la pratique d’un acte aussi fait pour troubler l’esprit que le jeu. Cela même lui est compté comme vertu.

« Comme on voit de respectables Samaṇas ou Brâhmanes, qui après avoir pris des aliments dignes de confiance, recherchent un lit élevé, un grand lit, par exemple une chaise longue, un bois de lit, une couverture de laine, une couverture de couleurs bariolées, une couverture de laine blanche, une couverture de laine à fleurs, une couverture de coton, un tapis de laine avec figures d’animaux[55], une couverture à poils des deux côtés, une couverture à poils d’un seul côté, une couverture de soie, un tapis de soie, un tapis de laine assez large pour seize danseuses, une housse d’éléphant, une housse de cheval, un tapis pour un char, une housse faite d’une peau d’antilope, une couverture et un tapis faits de la peau de la gazelle kâdalî, enfin un lit muni de tentures extérieures et d’un oreiller rouge des deux côtés[56] ; lui au contraire il a de l’aversion pour un lit élevé, pour un grand lit. Cela même lui est compté comme vertu.

« Comme on voit de respectables Samaṇas ou Brâhmanes, qui après avoir pris des aliments dignes de confiance, aiment à se livrer au soin de se parer et de s’orner de la manière suivante, par exemple en se parfumant, en se frottant de substances onctueuses, en se baignant, en se faisant masser[57], en se servant du miroir, de collyres, * de collyres pour chaque membre, * de guirlandes, d’onguents, de poudres odoriférantes pour la bouche, de liniments pour la bouche, de bandages pour les mains, en se liant les cheveux en forme de crête, en portant un bâton, un nymphæa, un poignard, un parasol, des chaussures bariolées, un turban, une pierre précieuse, un chasse-mouche, des vêtements blancs et ornés de longues franges ; lui au contraire il a de l’aversion pour se livrer au soin de se parer et de s’orner de cette manière [f. 18 a]. Cela même lui est compté comme vertu.

« Comme on voit de respectables Samaṇas ou Brâhmanes, qui après avoir pris des aliments dignes de confiance, se livrent à des entretiens grossiers, comme des conversations sur le roi, les voleurs, les grands ministres, l’armée, les dangers, les combats, les aliments, les boissons, les vêtements, les lits, les guirlandes, les odeurs, la parenté, les chars, les villages, les bourgs, les villes, les provinces, les femmes, les héros[58], les outils de labour, l’endroit où sont les jarres, les anciens trépassés, des sujets divers, les désastres arrivés dans le monde, les accidents de mer, les choses qui sont et celles qui ne sont pas ; lui au contraire il a de l’aversion pour se livrer à des entretiens grossiers de ce genre. Cela même lui est compté comme vertu.

« Comme on voit de respectables Samaṇas ou Brâhmanes, qui après avoir pris des aliments dignes de confiance, aiment à se livrer à des conversations malveillantes, qui disent par exemple : Toi, tu ne connais pas la Discipline de la loi ; moi je la connais ; comment pourras-tu connaître la Discipline de la loi ? tu suis de fausses pratiques ; moi je suis les véritables pratiques ; j’ai souffert, moi ; toi, tu n’as pas souffert ; tu as dit après ce qu’il fallait dire avant, et dit avant ce qu’il fallait dire après[59] ; tu n’as pas surmonté l’obstacle ; tu as reculé en arrière ; tu as produit un schisme ; tu es exclu ; ou bien, pour t’affranchir des opinions flottantes, débrouille-toi si tu peux ; lui au contraire il a de l’aversion pour des conversations malveillantes de ce genre. Cela même lui est compté comme vertu.

« Comme on voit de respectables Samaṇas ou Brâhmanes, qui après avoir pris des aliments dignes de confiance, aiment à remplir les commissions inférieures dont on charge un messager, par exemple les commissions que donnent des rois, des grands conseillers royaux, des Kchattriyas, des Brâhmanes, des maîtres de maison, des jeunes gens qui disent : Viens ici, va là-bas ; prends ceci ; porte ceci là-bas ; lui au contraire il n’aime pas à remplir les commissions inférieures dont on charge un messager. Cela même lui est compté comme vertu.

« Comme on voit de respectables Samaṇas ou Brâhmanes, qui après avoir pris des aliments dignes de confiance, font le métier de jongleurs, de devins, d’astrologues, d’enchanteurs, et qui n’ont d’émulation que pour le gain ; lui au contraire il a de l’aversion pour ce langage de tromperie. Cela même lui est compté comme vertu[60].

« Comme on voit de respectables Samaṇas ou Brâhmanes, qui après avoir pris des aliments dignes de confiance, se font des moyens d’existence [f. 51 a[61]] à l’aide d’une science grossière et par une vie de mensonge, par exemple par les signes des membres, par la naissance, les songes, les marques de ce qui est rongé par les rats[62], et aussi par le Hôma du feu, le Hôma de la cuillère, le Hôma de la paille, le Hôma du grain, le Hôma du riz vanné, le Hôma du beurre clarifié, le Hôma de l’huile de sésame, le Hôma de la bouche, le Hôma du sang, la connaissance des Ag̃gas, celle de l’architecture, celle des champs, celle du bonheur, celle des êtres (ou des Bhûtas), celle des serpents, des poisons, des scorpions, des rats, des faucons, des corbeaux, comme aussi par la considération des ailes, l’art de garantir des flèches, la connaissance des cercles des gazelles ; lui au contraire il a de l’aversion pour se faire de tels moyens d’existence à l’aide d’une science grossière et par une vie de mensonge. Cela même lui est compté comme vertu.

« Comme on voit de respectables Samaṇas ou Brâhmanes, qui après avoir pris des aliments dignes de confiance, se font des moyens d’existence à l’aide d’une science grossière et par une vie de mensonge, par exemple par la connaissance des signes des joyaux, des signes des bâtons, * des signes des étoffes, des signes des glaives, des signes des flèches (usu), des signes des arcs, des signes des armes, des signes des femmes, des hommes, des jeunes gens, des jeunes filles, des esclaves, des femmes esclaves, des signes des éléphants, des chevaux, des buffles, des taureaux [f. 18 b], des vaches, des chèvres, des boucs, des coqs, des perdrix, des ichneumons, des Karṇikâs[63], des tortues, des gazelles ; lui au contraire il a de l’aversion pour se faire des moyens de vivre à l’aide d’une science grossière et par une vie de mensonge. Cela même lui est compté comme vertu.

« Comme on voit de respectables Samaṇas ou Brâhmanes, qui après avoir pris des aliments dignes de confiance, se font des moyens d’existence à l’aide d’une science grossière et par une vie de mensonge, par exemple en disant : Il y aura une sortie de Râdjas ; il y aura une invasion de Râdjas ; il y aura attaque des Râdjas de l’intérieur ; il y aura fuite des Râdjas de l’extérieur ; il y aura attaque des Râdjas de l’extérieur ; il y aura fuite des Râdjas de l’intérieur ; il y aura victoire des Râdjas de l’intérieur ; il y aura défaite des Râdjas de l’extérieur ; il y aura victoire de celui-ci, défaite de celui-là ; lui au contraire il a de l’aversion pour se faire des moyens d’existence à l’aide d’une science grossière de ce genre et par une vie de mensonge. Cela même lui est compté comme vertu.

« Comme on voit de respectables Samaṇas ou Brâhmanes, qui après avoir pris des aliments dignes de confiance, se font des moyens d’existence à l’aide d’une science grossière et par une vie de mensonge, par exemple en disant : Il y aura éclipse de lune ; il y aura éclipse de soleil ; il y aura éclipse d’une constellation ; le soleil et la lune marcheront dans leur route ; le soleil et la lune s’écarteront de leur route ; les constellations suivront leur route ; les constellations s’écarteront de leur route ; il y aura chute d’un météore ; il y aura incendie des points de l’horizon ; il y aura tremblement de terre ; on entendra les timbales des Dêvas ; il y aura ascension, retraite, travail ou disparition des constellations devant le soleil ou la lune ; l’éclipse de lune, l’éclipse de soleil, l’éclipse des constellations auront tel et tel résultat ; si le soleil et la lune suivent leur route, s’ils s’écartent de leur route, si les constellations suivent leur route, si elles s’écartent de leur route, s’il tombe un météore, si les points de l’horizon sont enflammés, s’il y a un tremblement de terre, si l’on entend les timbales des Dêvas, s’il y a ascension, retraite, travail ou disparition des constellations devant le soleil et la lune, ces divers phénomènes auront tel et tel résultat ; lui au contraire il a de l’aversion pour se faire des moyens d’existence à l’aide d’une science grossière de ce genre et par une vie de mensonge. Cela même lui est compté comme vertu[64].

« Comme on voit de respectables Samaṇas ou Brâhmanes, qui après avoir pris des aliments dignes de confiance, se font des moyens d’existence à l’aide d’une science grossière et par une vie de mensonge, par exemple en disant : Il y aura grande abondance de pluie ; il y aura grande rareté de pluie ; il y aura bonne récolte ; il y aura disette ; il y aura prospérité ; il y aura calamité ; il y aura maladie ; il y aura santé ; ou par l’annonce de l’avenir à l’aide du calcul des diagrammes ; ou encore par la connaissance de la poésie et par la doctrine des Lôkâyatas ; lui au contraire il a de l’aversion pour se faire des moyens d’existence à l’aide d’une science grossière et par une vie de mensonge. Cela même lui est compté comme vertu.

« Comme on voit [f. 51 b] de respectables [f. 19 a] Samaṇas ou Brâhmanes, qui après avoir pris des aliments dignes de confiance, se font des moyens d’existence à l’aide d’une science grossière et par une vie de mensonge, par exemple en faisant des conjurations, en détournant des conjurations, en employant des charmes, en détruisant des charmes[65], en jetant des sorts, en détournant des sorts, en produisant le bonheur, en produisant le malheur, en causant la stérilité [chez les femmes], en rendant la langue muette, en frappant la joue, en murmurant des paroles sur les mains, en murmurant des mots à l’oreille, en interrogeant un miroir[66], en interrogeant les jeunes filles et les Dêvas, en rendant un culte au soleil, en servant les grands, en portant de la lumière devant quelqu’un, en faisant des invocations sur la tête d’un autre ; lui au contraire il a de l’aversion pour se faire des moyens d’existence à l’aide d’une science grossière de ce genre et par une vie de mensonge. Cela même lui est compté comme vertu.

« Comme on voit de respectables Samaṇas ou Brâhmanes, qui après avoir pris des aliments dignes de confiance, se font des moyens d’existence à l’aide d’une science grossière et par une vie de mensonge, par exemple en pratiquant les cérémonies propitiatoires, la consécration, la cérémonie qui assure le succès, le Bhûrikamma[67], l’acte du Vassa (Vachaṭ), du Vôssa (Vâuchaṭ), la cérémonie des substances, la préparation des substances[68], le rincement de la bouche, le bain, l’acte de traire la vache, de faire vomir, de purger, de purger par le haut, de purger par le bas, de purger la tête, d’oindre les oreilles d’huile, de baigner les yeux, de faire éternuer, d’appliquer du collyre aux yeux, d’appliquer les collyres particuliers [à chaque membre], d’employer le morceau de bois [à nettoyer les dents], de faire usage de la lancette, de soigner les enfants, d’employer des médicaments faits avec des racines, d’attacher des herbes médicinales [au corps d’un malade[69]] ; lui au contraire il a de l’aversion pour se faire des moyens d’existence à l’aide d’une science grossière de ce genre et par une vie de mensonge. Cela même lui est compté comme vertu.

« Le Religieux, grand roi, qui est ainsi doué de ces vertus, n’aperçoit de quelque côté que ce soit aucun sujet de crainte, comme serait la crainte venant des restrictions de la morale. Tout de même, grand roi, qu’un monarque de race Kchattriya, consacré par l’aspersion royale, qui a détruit ses adversaires, n’aperçoit de quelque côté que ce soit aucun sujet de crainte, comme serait le danger venant d’un adversaire, de la même manière, grand roi, le Religieux qui est ainsi doué de ces vertus, n’aperçoit de quelque côté que ce soit aucun sujet de crainte, comme serait la crainte venant des restrictions morales. Doué de cette masse sublime de vertus, il ressent un plaisir intérieur que rien ne peut altérer. C’est de cette manière, grand roi, qu’un Religieux est doué de vertu[70].

« Et comment, grand roi, le Religieux ferme-t-il la porte de ses sens ? Ici-bas, grand roi, le Religieux ayant vu la forme avec sa vue, n’en saisit pas le signe, n’en saisit pas le caractère. En effet, voici le sujet de ses réflexions : Si l’organe de la vue n’est pas retenu, s’il se disperse de côté et d’autre, de violents désirs, le désespoir, le péché et les conditions coupables se répandront à sa suite[71]. Alors il parvient à le contenir ; il le surveille ; il arrive à mettre un frein sur l’organe de la vue. De la même manière, ayant entendu le son avec l’ouïe, flairé l’odeur avec l’odorat, goûté la saveur avec le goût, perçu l’attribut tangible avec le corps (le toucher répandu dans tout le corps), connu la loi (ou l’individu) avec l’esprit, il n’en saisit pas le signe, il n’en saisit pas le caractère. Voici le sujet de ses réflexions : Si l’organe de l’esprit (manindriya) n’est pas retenu, s’il se disperse de côté et d’autre, de violents désirs, le désespoir, le péché et les conditions coupables se répandront à sa suite. Alors il parvient à le contenir ; il le surveille ; il arrive à mettre un frein sur l’organe de l’esprit. Celui qui est doué de ce sublime empire sur ses sens, ressent un plaisir intérieur que rien ne peut altérer. C’est de cette manière, grand roi, que le Religieux ferme la porte de ses sens.

« Et de quelle manière, grand roi, le Religieux est-il doué de mémoire et de connaissance ? Ici-bas, grand roi, le Religieux garde sa connaissance, quand il s’avance vers quelqu’un, et quand on s’avance vers lui ; quand il regarde en avant et qu’il examine avec attention ; il la garde, quand il se ramasse sur lui-même et quand il s’allonge[72] ; quand il prend son manteau, son vase, son vêtement, quand il mange, quand il boit, quand il goûte, quand il se couche, quand il satisfait aux besoins naturels, quand il marche, quand il s’arrête, quand il s’assied, quand il dort, quand il se réveille, quand il parle, quand il garde le silence ; c’est de cette manière, grand roi, que le Religieux est doué de mémoire et de connaissance.

« Et comment, grand roi, le Religieux [f. 19 b] est-il satisfait ? Ici-bas, grand roi, le Religieux est satisfait du vêtement qui entoure son corps et de la portion de nourriture qui remplit son ventre. Le Religieux, en quelque endroit qu’il aille, y va ramassant toujours ; de la même manière, grand roi, que le faucon aux grandes ailes, quand il s’en va déchirant de côté et d’autre, le fait toujours en emportant ce qu’il a ramassé, de même, grand roi, le Religieux est satisfait du vêtement qui entoure son corps, et de la portion de nourriture qui remplit son ventre ; en quelque endroit qu’il aille, il y va ramassant toujours. C’est ainsi, grand roi, que le Religieux est satisfait.

« Le Religieux doué de cette masse sublime de vertus et de ce sublime empire sur ses sens, ainsi que de cette mémoire et de cette connaissance sublimes, et de cette sublime satisfaction, recherche un lit et un siége isolé, le désert, le tronc des arbres, le creux des rochers, les cavernes des montagnes, les cimetières, les clairières des bois, l’étendue du ciel, un tas de branchages. Revenu de la récolte des aumônes, il s’assied après le repas les jambes croisées, tenant son corps droit, rappelant devant lui sa mémoire. Alors ayant abandonné toute cupidité pour le monde, il reste avec son esprit libre de toute cupidité, il purifie son esprit de toute cupidité ; ayant renoncé au vice de méchanceté, il reste avec son esprit exempt du vice de méchanceté ; plein de miséricorde et de bonté pour toute créature et tout être, il purifie son esprit du vice de méchanceté. Ayant renoncé à la paresse et à l’indolence, il reste avec son esprit exempt de ces défauts. Ayant conscience de son regard, plein de mémoire, ayant toute sa connaissance, il purifie son esprit de l’indolence et de la paresse. Ayant renoncé à l’orgueil et aux mauvaises actions, il reste avec son esprit exempt de ces vices ; sentant au dedans de lui son esprit calme, il le purifie de l’orgueil et des mauvaises actions. Ayant renoncé au doute, il demeure affranchi de tous les doutes ; ne faisant plus de questions ni de demandes touchant les conditions vertueuses, il purifie son esprit de tout doute.

« De même, grand roi, qu’un homme qui après avoir contracté une dette, en consacrerait l’argent à des affaires de commerce, verrait réussir ses entreprises, éteindrait alors ses anciennes dettes, et trouverait qu’il lui reste après de quoi soutenir une femme ; puis qui se dirait alors : Après avoir autrefois contracté une dette, j’en ai consacré l’argent à des affaires de commerce ; ces entreprises m’ont réussi ; j’ai pu éteindre mes anciennes dettes, et voilà qu’il me reste encore après de quoi soutenir une femme ; un tel homme certainement retirerait de cette situation du contentement, il éprouverait de la satisfaction.

« De même, grand roi, qu’un homme affligé d’une maladie, souffrant, en proie à un mal violent, auquel la nourriture ne profiterait pas, qui n’aurait pas dans le corps la moindre force, et qui dans un autre temps serait délivré de cette grande maladie, verrait la nourriture lui profiter, et sentirait de la force dans son corps ; puis qui se dirait alors : Autrefois j’étais affligé de maladie, souffrant, en proie à un mal violent, la nourriture ne me profitait pas et je n’avais pas dans le corps la moindre force, et voilà qu’aujourd’hui je suis délivré de cette grande maladie, que la nourriture me profite, que je me sens de la force dans le corps ; un tel homme certainement retirerait de cette situation du contentement, il éprouverait de la satisfaction.

« De même, grand roi, qu’un homme qui serait enchaîné dans une prison, et qui dans un autre temps viendrait à être délivré de ses liens, serait sain et sauf, sans dommage, et ne manquerait d’aucun objet de jouissance ; puis qui se dirait alors : Autrefois j’étais enchaîné dans une prison, et voilà qu’aujourd’hui je suis délivré de ces liens, que je suis sain et sauf, sans dommage, et qu’il ne me manque aucun objet de jouissance ; un tel homme certainement retirerait de cette situation du contentement, il éprouverait de la satisfaction.

« De même, grand roi [f. 52 b], qu’un homme qui serait esclave, qui ne serait pas son maître, qui dépendrait d’un autre, qui ne pourrait aller où il voudrait, et qui dans un autre temps viendrait à être délivré de cet esclavage, qui serait son maître, qui ne dépendrait plus d’un autre, qui serait indépendant et qui pourrait aller où il voudrait ; puis qui se dirait alors : Autrefois j’étais esclave, je n’étais pas mon maître, je dépendais d’un autre, je ne pouvais aller où je voulais, et voilà qu’aujourd’hui je suis délivré de cet esclavage, je suis mon maître, je ne dépends plus de personne, je suis indépendant et je puis aller où je veux ; un tel homme certainement retirerait de cette situation du contentement, il éprouverait de la satisfaction.

« De même, grand roi, qu’un homme riche, opulent, qui serait tombé dans un chemin difficile, qui trouverait difficilement de quoi se nourrir et non sans danger, et qui dans un autre temps franchirait ce chemin difficile, sain et sauf, et arriverait à l’extrémité d’un village en sûreté, sans crainte ; puis qui se dirait alors : Moi qui autrefois [f. 20 a] étant riche, opulent, suis tombé dans un chemin difficile, où je trouvais difficilement de quoi me nourrir et non sans danger, voilà qu’aujourd’hui j’ai franchi ce chemin difficile, sain et sauf, et que je suis arrivé à l’extrémité d’un village en sûreté, à l’abri de la crainte ; un tel homme certainement retirerait de cette situation du contentement, il éprouverait de la satisfaction.

« De la même manière, grand roi, le Religieux reconnaît que les cinq obstacles qui sont comme une dette, comme la maladie, comme la prison, comme l’esclavage, comme le passage dans un chemin difficile, que ces cinq obstacles, dis-je, ne sont pas détruits en lui-même ; puis il s’aperçoit ensuite que les cinq obstacles sont détruits au dedans de lui, comme fait celui qui se sent exempt de dettes, de maladie, qui se sent délivré de la captivité, qui se sent indépendant, qui se sent sur un terrain sûr ; et quand il voit ces cinq obstacles détruits au dedans de lui, le contentement naît dans son cœur ; et après le contentement, la satisfaction ; une fois que son cœur éprouve de la satisfaction, la confiance descend dans son corps ; une fois son corps rempli de confiance, il ressent du plaisir ; une fois qu’il ressent du plaisir, son esprit médite (se renferme en lui-même[73]) ; s’étant détaché des objets du désir, s’étant détaché des conditions coupables, étant arrivé à la première contemplation qui est le plaisir de la satisfaction, né de la distinction et accompagné de raisonnement et de jugement, il s’y arrête. Il baigne, il inonde, il remplit, il comble son corps du plaisir de la satisfaction né de la distinction ; il n’y a pas dans tout son corps un point qui ne soit en contact avec ce plaisir. De même, grand roi, que si un habile baigneur, ou si l’aide habile d’un baigneur, après avoir versé dans un bassin de cuivre des poudres odorantes pour le bain, les rassemblait en boule en les humectant avec de l’eau, cette boule destinée au bain serait enduite d’une substance onctueuse, pénétrée de cette substance, imprégnée au dedans et au dehors et toute ruisselante de cette substance[74], de même, grand roi, le Religieux baigne, inondé, remplit, comble son corps du plaisir de la satisfaction né de la distinction, et il n’y a pas dans tout son corps un point qui ne soit en contact avec ce plaisir.

« * Lorsque le Religieux après s’être détaché des objets du désir, s’être détaché des conditions coupables, est arrivé à la première contemplation qui est le bonheur de la satisfaction né de la distinction et accompagné de raisonnement et de jugement, qu’il baigne [etc. comme ci-dessus, jusqu’à] son corps du plaisir de la satisfaction né de la distinction, cela même lui est compté comme méditation. * C’est là, grand roi, le résultat général et prévu qui est et plus éminent et plus précieux que les autres résultats généraux et prévus dont il a été parlé précédemment.

« Encore autre chose, grand roi. Le Religieux après avoir atteint par l’anéantissement du raisonnement et du jugement à la seconde contemplation qui est le plaisir de la satisfaction né de la méditation, affranchi du raisonnement et du jugement, et où domine l’unité de l’esprit qui est le calme intérieur, le Religieux, dis-je, s’arrête dans cette contemplation. Alors il baigne, inonde, remplit, comble son corps du plaisir de la satisfaction né de la méditation, et il n’y a pas dans tout son corps un point qui ne soit en contact avec ce plaisir. C’est, grand roi, comme un étang dont l’eau déborde, et dans lequel l’eau n’a entrée ni du côté de l’Est, ni du côté de l’Ouest, ni du côté du Nord, ni du côté du Sud ; si le Dêva (Indra) y faisait tomber de temps en temps de fortes averses, de manière que la pluie d’eau froide, en débordant hors de l’étang, le baignât de son eau, l’en inondât, l’en remplît, l’en comblât, alors il n’y aurait pas dans l’étang un point qui ne fût en contact avec cette eau froide. De la même manière, grand roi, le Religieux baigne, inonde, remplit, comble son corps du plaisir de la satisfaction né de la méditation, et il n’y a pas dans tout son corps un point qui ne soit en contact avec ce plaisir. Lorsque le Religieux baigne [etc. comme ci-dessus, jusqu’à] son corps du plaisir de la satisfaction né de la méditation, cela même lui est compté comme méditation. C’est là, grand roi, un résultat général et prévu qui est et plus éminent et plus précieux que les autres résultats généraux et prévus dont il a été parlé précédemment.

« Encore autre chose, grand roi [f. 53 a]. Le Religieux, par suite de la satisfaction et du détachement, reste indifférent, conservant sa mémoire et sa connaissance, et il éprouve du plaisir en son corps. Indifférent, plein de mémoire, s’arrêtant au sein du bonheur, ainsi que le définissent les Ariyas, après avoir atteint à la troisième contemplation, il s’y arrête. Alors il baigne, inonde, remplit, comble son corps d’un plaisir exempt de satisfaction, et il n’y a pas dans tout son corps un point [f. 20 b] qui ne soit en contact avec ce plaisir. De même, grand roi, que dans un étang plein de nymphæas bleus, de nymphæas rouges, de nymphæas blancs, les bleus, les rouges et les blancs nés dans l’eau, développés dans l’eau, sortis de l’eau, vivants dans l’eau où ils sont plongés, sont tous, depuis l’extrémité de la tige jusqu’à la racine, baignés, inondés, entourés, enveloppés par l’eau froide, et qu’il n’y a pas, dans tous ces nymphæas bleus, rouges et blancs, un point qui ne soit en contact avec cette eau froide ; de la même manière, grand roi, le Religieux baigne, inonde, remplit, comble son corps d’un plaisir exempt de satisfaction, et il n’y a pas dans tout son corps un point qui ne soit en contact avec ce plaisir. Lorsque le Religieux baigne [etc. comme ci-dessus, jusqu’à] son corps d’un plaisir exempt de satisfaction, cela même lui est compté comme méditation. C’est là, grand roi, un résultat général et prévu qui est et plus éminent et plus précieux que les autres résultats généraux et prévus dont il a été parlé précédemment.

« Encore autre chose, grand roi. Quand, par l’abandon du plaisir, par l’abandon de la douleur, les impressions antérieures de joie et de tristesse ont disparu, le Religieux après avoir atteint à la quatrième contemplation qui est la perfection de la mémoire et de l’indifférence dans l’absence de toute douleur et de tout plaisir, le Religieux, dis-je, s’y arrête. Alors ayant touché son corps même avec son esprit perfectionné, purifié d’une manière parfaite, il reste assis ; et il n’y a pas dans tout son corps un point qui ne soit en contact avec cet esprit perfectionné, purifié d’une manière parfaite. De même, grand roi, que si un homme s’étant enveloppé le corps et la tête d’un vêtement blanc venait à s’asseoir, il n’y aurait pas sur tout son corps un point qui ne fût en contact avec ce vêtement blanc ; de même, grand roi, le Religieux ayant touché son corps même avec son esprit perfectionné, purifié d’une manière parfaite, reste assis, et il n’y a pas dans tout son corps un point qui ne soit en contact avec cet esprit perfectionné, purifié d’une manière parfaite. C’est là, grand roi, un résultat général et prévu qui est et plus éminent et plus précieux que les autres résultats généraux et prévus dont il a été parlé précédemment. Et quand, par l’abandon du plaisir et par l’abandon de la douleur, les impressions antérieures de joie et de tristesse ayant disparu, le Religieux après avoir atteint à la quatrième contemplation, qui est la perfection de la mémoire et de l’indifférence dans l’absence de toute douleur et de tout plaisir, le Religieux, dis-je, s’y arrête, et quand ayant touché son corps même avec son esprit perfectionné, purifié d’une manière parfaite, il reste assis, et qu’il n’y a pas dans tout son corps un point qui ne soit en contact avec cet esprit ainsi perfectionné ; cela même lui est compté comme méditation[75].

« Le Religieux voyant son esprit ainsi recueilli, perfectionné, purifié, exempt de souillure, débarrassé de tout vice, devenu souple, propre à tout acte, stable, arrivé à l’impassibilité, le Religieux, dis-je, dirige son esprit, tourne son esprit vers la vue de la science. Or, voici comment il sait : Ce corps qui m’appartient a une forme ; il est composé des quatre grands éléments, produit de l’union de mon père et de ma mère, soutenu par des aliments tels que le riz et le gruau ; il est passager, sujet à être écorché, frotté, coupé, anéanti ; et cette intelligence (vidjñâna) qui m’appartient y est attachée, y est enchaînée. De même, grand roi, qu’un morceau de lapis-lazuli, beau, de belle espèce, à huit faces, bien travaillé, transparent, parfaitement pur, accompli sous tous les rapports, serait enveloppé d’un cordon soit bleu, soit jaune, soit rouge, soit blanc, soit jaune pâle ; si un homme jouissant de la vue, l’ayant mis dans sa main, venait à le considérer et disait : Voilà un morceau de lapis-lazuli, beau, de belle espèce, à huit faces, bien travaillé, transparent, parfaitement pur, accompli sous tous les rapports, et voici qui l’enveloppe un cordon soit bleu, soit jaune, soit rouge, soit blanc, soit jaune pâle [f. 53 b] ; de même, grand roi, le Religieux voyant son esprit ainsi recueilli, perfectionné, purifié, exempt de souillure, débarrassé de tout vice, devenu souple, propre à tout acte, stable, arrivé à l’impassibilité, le Religieux, dis-je, dirige son esprit, tourne son esprit vers la vue de la science, et voici comment il sait : Ce corps qui m’appartient a une forme, il est composé des quatre grands éléments, produit de l’union de mon père et de ma mère, soutenu par des aliments tels que le riz et le gruau, passager, sujet à être écorché, frotté, coupé, détruit. Et cette intelligence qui m’appartient y est attachée, y est enchaînée. * Lorsque le Religieux voyant son esprit ainsi recueilli, perfectionné, purifié, exempt de souillure, débarrassé de tout vice, [etc. comme ci-dessus, jusqu’à] et cette intelligence qui m’appartient y est attachée, y est enchaînée, cela même lui est compté comme sagesse. * C’est là, grand roi, un résultat général et prévu qui est et plus éminent et plus précieux que les autres résultats généraux et prévus dont il a été parlé précédemment.

« Le Religieux voyant son esprit ainsi recueilli, [f. 21 a. etc. comme ci-dessus, jusqu’à] arrivé à l’impassibilité, dirige son esprit, tourne son esprit vers l’action de créer [en quelque façon] sous ses yeux le Manas (l’organe de l’intelligence). Il se représente par la pensée un autre corps créé de ce corps [matériel], corps ayant une forme, consistant dans le Manas, ayant tous et chacun de ses membres, ayant des organes dirigés vers l’action. De même, grand roi, qu’un homme tirerait une flèche d’une tige de Muñdja (saccharum mundja), et ferait cette réflexion : Voici le Muñdja et voici la flèche ; autre est la tige de Muñdja, autre la flèche ; mais c’est de la tige seule du Muñdja que la flèche est sortie ; de même, grand roi, qu’un homme tirerait un glaive du fourreau, et ferait cette réflexion : Voici le glaive, voici le fourreau ; autre est le glaive, autre le fourreau ; mais c’est du fourreau seul que le glaive est sorti ; de même, grand roi, qu’un homme tirerait un serpent d’un panier, et ferait cette réflexion : Voici le serpent, et voici le panier ; autre est le serpent, autre le panier ; mais c’est du panier seul qu’a été tiré le serpent ; de la même manière, grand roi, le Religieux voyant son esprit ainsi recueilli, perfectionné, purifié, exempt de souillure, débarrassé de tout vice, devenu souple, propre à tout acte, stable, arrivé à l’impassibilité, le Religieux, dis-je, dirige son esprit, tourne son esprit vers l’action de créer [en quelque façon] sous ses yeux le Manas ; il se représente par la pensée un autre corps créé de ce corps [matériel], corps ayant une forme, consistant dans le Manas, ayant tous et chacun de ses membres, ayant des organes dirigés vers l’action. Cela même lui est compté comme sagesse. * C’est là, grand roi, un résultat général et prévu qui est et plus éminent et plus précieux que les autres résultats généraux et prévus dont il a été parlé précédemment.

« Le Religieux voyant son esprit ainsi recueilli, perfectionné, purifié, exempt de souillure, débarrassé de tout vice, [etc. jusqu’à] arrivé à l’impassibilité, le Religieux, dis-je, dirige son esprit, tourne son esprit vers la mise en action des facultés magiques. Il tente la pratique des facultés surnaturelles dont les effets sont divers ; quoique unique, il se multiplie sous plusieurs formes ; quoique s’étant multiplié, il devient unique ; il apparaît ; il disparaît ; il passe sans être arrêté au travers d’un mur, d’un rempart, d’une montagne, comme il ferait dans l’air ; il plonge et replonge dans la terre, comme il ferait dans l’eau ; il marche sur l’eau sans enfoncer, comme il ferait sur la terre ; il s’avance à travers les airs, les jambes ramenées sous son corps, comme ferait un faucon aux grandes ailes ; il atteint et touche de la main les deux astres du soleil et de la lune si puissants, si énergiques ; il atteint avec son corps même jusqu’au monde de Brahmâ.

« De même, grand roi, qu’un habile potier, ou que l’aide habile d’un potier, qui, une fois son argile préparée convenablement, saurait en faire tel ou tel vase qu’il voudrait ; ou encore de même qu’un habile ouvrier en ivoire, ou l’aide habile de cet ouvrier, une fois son ivoire préparé convenablement, saurait lui donner telle forme qu’il désirerait ; de même qu’un habile orfévre, ou que l’aide habile d’un orfévre, une fois son or préparé convenablement, saurait lui donner telle forme qu’il désirerait ; de la même manière, grand roi, le Religieux voyant son esprit ainsi recueilli, [etc. comme ci-dessus, jusqu’à] arrivé à l’impassibilité, dirige son esprit, tourne son esprit vers la mise en action des facultés magiques, [etc. comme ci-dessus, jusqu’à] il atteint avec son corps même [f. 21 b] jusqu’au monde de Brahmâ. * Cela même lui est compté comme sagesse. * C’est là, grand roi, un résultat général et prévu qui est et plus éminent et plus précieux que les autres résultats généraux et prévus dont il a été parlé précédemment.

« Le Religieux voyant son esprit ainsi recueilli, [etc. comme ci-dessus, jusqu’à] arrivé à l’impassibilité [f. 54 a], dirige son esprit, tourne son esprit vers l’élément de l’ouïe divine. Avec cet élément de l’ouïe divine parfaitement pure, qui surpasse l’ouïe humaine, il entend ces deux espèces de sons, les sons divins et les sons humains, ceux qui sont éloignés comme ceux qui sont rapprochés. De même, grand roi, qu’un homme qui serait en route entendrait le son du tambour, celui du tambourin d’argile, celui de la conque, du tambour de guerre, du Dêṇḍima[76], et ferait cette réflexion : Voici le son du tambour, voici celui du tambourin d’argile, voici celui de la conque, du tambour de guerre, du Dêṇḍima ; de la même manière, grand roi, le Religieux voyant son esprit ainsi recueilli, [etc. comme ci-dessus, jusqu’à] entend ces deux espèces de sons, les sons divins et les sons humains, ceux qui sont éloignés, comme ceux qui sont rapprochés.* Cela même lui est compté comme sagesse. * C’est là, grand roi, un résultat général et prévu qui est et plus éminent et plus précieux que les autres résultats généraux et prévus dont il a été parlé précédemment.

« Le Religieux voyant son esprit ainsi recueilli, [etc. comme ci-dessus, jusqu’à] arrivé à l’impassibilité, dirige son esprit, tourne son esprit vers la connaissance, de l’esprit des autres. Pénétrant avec son esprit l’esprit des autres êtres, des autres individus, il le connaît, qu’il soit passionné, et il se dit : Voilà un esprit passionné ; ou bien qu’il soit exempt de passion, et il se dit : Voilà un esprit exempt de passion ; qu’il soit entaché de péché ou exempt de péché, livré à l’erreur ou libre d’erreur, concentré ou dispersé, ayant un grand but ou n’ayant pas un grand but, inférieur ou supérieur [f. 22 a], recueilli ou non recueilli, affranchi, et il se dit : Voilà un esprit affranchi ; ou non affranchi, et il se dit : Voilà un esprit non affranchi. De même, grand roi, qu’une femme ou un homme encore enfant, encore jeune, dans l’âge où l’on aime à se parer, qui verrait son visage soit dans un miroir pur et brillant, soit dans un vase plein d’une eau transparente, et qui reconnaissant qu’il a ses boucles d’oreilles, se dirait : J’ai mes boucles d’oreilles ; ou qui voyant qu’il ne les a pas se dirait : Je n’ai pas mes boucles d’oreilles ; de la même manière, grand roi, le Religieux voyant son esprit ainsi recueilli, [etc. comme ci-dessus, jusqu’à] se dit : Voilà un esprit non affranchi. Cela même lui est compté comme sagesse. * C’est là, grand roi, un résultat général et prévu qui est et plus éminent et plus précieux que les autres résultats généraux et prévus dont il a été parlé précédemment.

« Le Religieux voyant son esprit ainsi recueilli, [etc. comme ci-dessus, jusqu’à] arrivé à l’impassibilité, dirige son esprit, tourne son esprit vers la connaissance distincte et le souvenir de ses anciennes demeures. Il se rappelle ses anciennes demeures qui ont été nombreuses ; par exemple une existence, deux existences, trois existences, cinq, dix, vingt, trente, quarante ; cinquante, cent, mille, cent mille existences, des existences en nombre égal à plusieurs périodes de destruction (sam̃vaṭṭa kappa), à plusieurs périodes de reproduction (vivaṭṭa kappa), à plusieurs périodes de destruction et de reproduction ; j’étais là, j’avais un tel nom, j’étais d’une telle famille, d’une telle caste, je prenais tels aliments, j’éprouvais tel plaisir et telle peine ; ma vie eut une telle durée ; sorti de ce monde par la mort, je naquis de nouveau en tel endroit ; je fus là, ayant tel nom, telle famille, telle caste, prenant tels aliments, éprouvant tel plaisir et telle peine, ayant une existence de telle durée ; sorti par la mort de cette situation, je naquis de nouveau en tel endroit : c’est ainsi qu’il se rappelle ses anciennes demeures qui ont été nombreuses, avec leurs caractères et leurs particularités. De même, grand roi, qu’un homme qui de son village irait dans un autre village, de ce dernier village dans un autre encore, puis qui du dernier village reviendrait dans le sien, et ferait cette réflexion : De mon village je suis allé dans cet autre village ; je m’y suis arrêté ainsi ; je m’y suis assis de cette manière ; j’y ai parlé ainsi ; j’y ai gardé le silence en telle occasion ; de ce village je suis allé dans cet autre ; là aussi je me suis arrêté ainsi ; je m’y suis assis de cette manière ; j’y ai parlé ainsi ; j’y ai gardé le silence en telle occasion ; maintenant je suis revenu de ce village dans le mien [f. 54 b] ; de la même manière, grand roi, le Religieux voyant son esprit ainsi recueilli, [etc. comme ci-dessus, jusqu’à] se rappelle ainsi ses anciennes demeures [f. 22 b] qui ont été nombreuses, avec leurs caractères et leurs particularités. * Cela même lui est compté, comme sagesse. C’est là, grand roi, un résultat général et prévu qui est et plus éminent et plus précieux que les autres résultats généraux et prévus dont il a été parlé précédemment.

« Le Religieux voyant son esprit ainsi recueilli, [etc. comme ci-dessus, jusqu’à] arrivé à l’impassibilité, dirige son esprit, tourne son esprit vers la connaissance de la mort et de la naissance des créatures. Avec sa vue divine, pure, surpassant la vue humaine, il voit les êtres mourants ou naissants, misérables ou éminents, beaux ou laids de couleur, marchants dans la bonne ou dans la mauvaise voie, suivant la destinée de leurs œuvres. Ces êtres-ci, se dit-il, pleins des fautes qu’ils commettent en action, en parole et en pensée, qui injurient les Ariyas (Âryas), qui suivent des doctrines de mensonge, qui agissent conformément à ces doctrines de mensonge, ces êtres, les voilà qui après la dissolution du corps, après la mort, sont nés dans les existences misérables, dans la mauvaise voie, dans un état de déchéance, dans l’enfer. Ces êtres-là, d’un autre côté, doués des bonnes œuvres qu’ils accomplissent en action, en parole, en pensée, qui n’injurient pas les Ariyas, qui suivent la bonne doctrine, qui agissent conformément à la bonne doctrine, ces êtres, les voilà qui après la dissolution du corps, après la mort, sont nés dans la bonne voie, dans le monde du ciel ; c’est ainsi qu’avec sa vue divine surpassant la vue humaine, il voit les êtres mourants, naissants, misérables ou éminents, beaux ou laids de couleur, marchants dans la bonne ou dans la mauvaise voie, suivant la destinée de leurs œuvres. De même, grand roi, que s’il se trouvait un palais élevé au milieu d’un carrefour[77], et que sur ce palais se tînt debout un homme doué de vue, et qu’il vît les gens entrants dans leurs maisons, ou en sortants, ou marchants sur la grande route et dans la rue, ou assis au milieu du carrefour, et qu’il fît cette réflexion : Voici des hommes qui entrent dans leur maison ; en voici qui en sortent ; en voici d’autres qui marchent sur la grande route et dans la rue, ceux-ci enfin sont assis au milieu du carrefour ; de la même manière, grand roi, le Religieux voyant son esprit ainsi recueilli, [etc. comme ci-dessus, jusqu’à] voit les êtres mourants, naissants, misérables ou éminents, beaux ou laids de couleur, marchants dans la bonne ou dans la mauvaise voie, suivant la destinée de leurs œuvres. * Cela même lui est compté comme sagesse. C’est là, grand roi, un résultat général et prévu qui est et plus éminent et plus précieux que les autres résultats généraux et prévus dont il a été parlé précédemment.

« Le Religieux voyant son esprit ainsi recueilli, [etc. comme ci-dessus, jusqu’à] arrivé à l’impassibilité, dirige son esprit, tourne son esprit vers la science [f. 55 a] de la destruction des souillures du vice ; il connaît telle qu’elle est la douleur, et il se dit : Voici la douleur ; ceci est la production de la douleur ; ceci est la cessation de la douleur [f. 20 a] ; ceci est le degré qui conduit à la destruction de la douleur[78] ; il connaît, telles qu’elles sont, les souillures du vice, et il se dit : Voici les souillures du vice ; ceci est la production des souillures du vice ; voici la cessation des souillures du vice ; voici la voie qui conduit à la cessation des souillures du vice. Quand il voit ainsi, quand il connaît ainsi, son esprit est délivré des souillures du désir, de celles de l’existence, de celles de l’ignorance. Une fois que son esprit est délivré, sa science est celle-ci : l’existence est épuisée [pour moi] ; les devoirs de la vie religieuse sont accomplis ; ce qui était à faire est fait ; il n’y a plus lieu à revenir ici-bas[79]. De même, grand roi, que s’il se trouvait dans une gorge de montagne un lac plein d’une eau transparente, pure et limpide, et qu’un homme doué de vue et debout sur ses bords y vit les vers et les coquilles, le sable et le gravier, les bandes de poissons qui s’y meuvent, ou qui y sont arrêtées, et qu’il fît cette réflexion : Voici un lac plein d’une eau transparente, pure et limpide ; voici les vers et les coquilles, le sable et le gravier, et les bandes de poissons qui s’y meuvent, ou qui y sont arrêtées ; de la même manière, grand roi, le Religieux voyant son esprit ainsi recueilli, [etc. comme ci-dessus, jusqu’à] il n’y a plus lieu à revenir ici-bas. * Lorsque le Religieux voyant son esprit ainsi recueilli, [etc. comme ci-dessus, jusqu’à] il n’y a plus lieu à revenir ici-bas, cela même lui est compté comme sagesse. * C’est là, grand roi, un résultat général et prévu qui est et plus éminent et plus précieux que les autres résultats généraux et prévus dont il a été parlé précédemment[80]. Il n’y a pas, grand roi, un autre résultat général et prévu qui soit et plus élevé et plus précieux que le résultat que tu viens d’entendre.

« Cela dit, le roi du Magadha, Adjâtasattu, fils de Vêdêhî, parla ainsi à Bhagavat : Éminent, seigneur, éminent, en effet ! De même, seigneur, que si l’on redressait un objet renversé sens dessus dessous ; si l’on découvrait une chose cachée, si l’on indiquait le chemin à un homme égaré, si l’on portait au milieu de l’obscurité une lampe à huile, et que les hommes qui ont des yeux vissent les formes, de même la loi m’a été expliquée par Bhagavat de plusieurs manières différentes. Aussi me réfugié-je auprès de Bhagavat, auprès de la Loi, auprès de l’Assemblée. Consens, ô Bhagavat, à me recevoir comme fidèle, aujourd’hui que je suis arrivé devant toi, que je suis venu chercher un asile auprès de toi. Un crime m’a fait transgresser la loi, seigneur, comme à un ignorant, comme à un insensé, comme à un criminel. J’ai pu, pour obtenir le pouvoir suprême, priver de la vie mon père, cet homme juste, ce roi juste. Que Bhagavat daigne recevoir de ma bouche l’aveu que je fais de ce crime, afin de m’imposer pour l’avenir le frein de la règle. — Il est donc vrai, grand roi ! un crime t’a fait transgresser la loi, comme à un ignorant, comme à un insensé, comme à un criminel, toi qui as pu, pour obtenir le pouvoir suprême, priver de la vie ton père, cet homme juste, ce roi juste. Et parce qu’ayant déclaré, grand roi, ta faute à cause de cette faute même, tu en fais l’expiation conformément à la loi, nous acceptons cet aveu de ta part ; car c’est là un progrès, grand roi, dans la discipline d’un Ariya ; l’Ariya ayant déclaré sa faute à cause de cette faute même, en fait l’expiation conformément à la loi ; il s’impose pour l’avenir le frein de la règle.

Cela dit, le roi du Magadhâ, Adjâtasattu, fils de Vêdêhî, parla ainsi à Bhagavat : Eh bien ! maintenant, seigneur, nous nous retirons : nous avons beaucoup d’affaires, beaucoup de devoirs à remplir. — Va donc, grand roi, aux affaires dont tu penses que le temps est venu pour toi. Alors le roi du Magadha ayant accueilli avec plaisir, avec satisfaction ce que Bhagavat avait dit, se leva de son siége, et après avoir salué Bhagavat [f. 23 b] et avoir tourné autour de lui en signe de respect, il se retira. Ensuite Bhagavat, quelques instants après que le roi du Magadha, Adjâtasattu, fils de Vêdêhî, se fut retiré, s’adressa ainsi aux Religieux : Il est blessé, ô Religieux, ce roi, il est atteint. Quelle rencontre, ô Religieux, que ce roi ait privé de la vie son père, cet homme juste, ce roi juste, et qu’il soit venu dans cet endroit même obtenir la vue claire et pure de la loi ! Voilà ce que dit Bhagavat ; les Religieux, satisfaits, accueillirent avec joie ce que Bhagavat avait dit. »


Avant de terminer, je dois faire quelques observations sur diverses particularités de ce Sutta. Ces observations porteront d’abord sur le cadre et sur le nom du roi et du fils du roi qui y figurent, puis sur la doctrine en général qui est exposée par Çâkyamuni. Le roi est Adjâtasattu, fils de Bimbisâra et de Vêdêhî : il est bon de remarquer qu’Adjâtasattu n’est désigné ici que par le nom de sa mère. Serait-ce à cause du parricide dont il s’était rendu coupable et qui est rappelé à la fin du Sutta, ou bien cette désignation spéciale viendrait-elle de ce que Bimbisâra ayant eu plus d’une femme, les fils issus de ces divers mariages ne pouvaient être mieux distingués que par le nom de leur mère ? C’est un point que je ne saurais décider, quoique la seconde supposition me paraisse plus vraisemblable. Du reste, l’usage de cette épithète « fils de Vêdêhî » est aussi familier aux Buddhistes du Nord qu’à ceux du Sud : notre Lotus, ainsi qu’on l’a vu au commencement, la joint également au nom du roi Adjâtaçatru[81]. Le manuscrit du Dîgha nikâya, auquel appartient le précédent Sutta, écrit toujours avec une finale brève le nom de Vêdêhi, pour Vâidêhi en sanscrit ; on n’aurait pas besoin, pour expliquer cet abrègement irrégulier de la voyelle, d’alléguer l’incorrection des manuscrits, puisqu’on sait qu’en sanscrit même une règle autorise l’abrègement d’un certain nombre de féminins en composition. J’ai déjà remarqué que les manuscrits sanscrits du Népal écrivent correctement Vâidêhî putta, « le fils de « la Vidéhenne, » c’est-à-dire de la femme née dans le pays de Vidêha ; cette femme était Çrîbhadrâ : nous y reviendrons tout à l’heure.

Le nom que notre Sutta donne au prince royal fils d’Adjâtasattu, mérite une certaine attention, parce qu’il nous fournit une autorité de plus en faveur de l’opinion des Buddhistes du Sud qui regardent Udâyi bhadda comme fils et successeur d’Adjâtasattu, roi du Magadha. Nous n’avions jusqu’ici que le Mahâvam̃sa, où ce prince est nommé Udâyi ḅhadda[82] et que la célèbre inscription barmane de Buddha gayâ, où il a le nom d’Udaya bhadda[83]. Il nous est maintenant possible de faire remonter le témoignage des chroniques singhalaises beaucoup plus haut que l’époque de Mahânâma qui a compilé son Mahâvam̃sa d’après ces chroniques mêmes, puisque les Suttas du Dîgha nikâya appartiennent sans aucun doute aux plus anciens matériaux qu’il ait eus à sa disposition. C’est donc un point désormais établi, que les Buddhistes du Sud donnent Udâyi bhadda pour fils et pour successeur d’Adjâtasattu. Le vœu que notre Sutta met dans la bouche du roi, au moment où il admire le calme profond qui règne au sein de l’Assemblée, donne à croire que le prince Udâyi bhadda n’était pas toujours maître de ses passions ; autrement son père ne lui aurait pas souhaité le calme (upasama) qu’il voit régner parmi les Religieux réunis autour du Buddha. Il est curieux de remarquer quels soupçons ces paroles du roi inspirent à Çâkyamuni : connaissant la violence d’Adjâtasattu, le Religieux lui demande s’il est venu avec des pensées de bienveillance ; à quoi Adjâtasattu répond que le prince royal n’a pas cessé de lui être cher. On sait qu’Udâyi bhadda, se conformant moins au langage de son père qu’à ses exemples, devint à son tour parricide comme lui.

Un autre point sur lequel je désire appeler l’attention du lecteur, c’est la détermination précise de l’accord qui paraît exister entre les Buddhistes de Ceylan et ceux du Népal, relativement au rang de ce prince dans la liste des successeurs d’Adjâtasattu et à la forme véritable de son nom. J’ai donné ailleurs une liste des successeurs de ce monarque d’après l’Açôka avadâna, et j’ai constaté que le manuscrit auquel je l’empruntais nous fournissait pour le nom de ce prince deux variantes que, par une singulière inattention, le copiste n’avait pas hésité à placer l’une auprès de l’autre pour désigner le même personnage : la première est Udjâyin, la seconde Udayi bhadra[84]. M’autorisant du témoignage du Mahâvam̃sa, j’ai condamné sans hésitation la première variante, pour m’en tenir à celle qui se rapproche le plus de l’orthographe pâlie, Udâyi bhadda. Mais aujourd’hui que les recherches que j’ai entreprises sur les livres des Buddhistes du Sud m’ont familiarisé davantage avec diverses particularités du dialecte dans lequel ces livres sont écrits, j’ai entrevu la possibilité de concilier les deux leçons Udjâyin et Udâyi bhadda, et d’établir, au moins par conjecture, l’unité de ces deux témoignages assez différents en apparence, celui des Buddhistes du Népal et celui des Buddhistes de Ceylan.

On remarquera d’abord que l’adjectif bhadda, en sanscrit bhadra, peut être laissé de côté sans inconvénient ; c’est une épithète qui est ici ajoutée au nom propre, et qui peut manquer sans que le nom en soit altéré : ainsi, dans les livres du Nord, on rencontre aussi souvent Râhula que Râhula bhadra. L’usage le plus répandu chez les Buddhistes, comme chez les Brâhmanes, est cependant de désigner les personnages qu’on respecte par deux noms, d’abord par celui qu’ils ont reçu au moment de leur naissance, ensuite par un nom patronymique où par une épithète. Un commentateur Buddhiste d’une grande autorité, celui de l’Abhidharma kôça, parlant de l’épithète de Bhagavat qu’on ajoute au titre de Buddha, pour désigner « le Buddha bienheureux, » s’exprime ainsi : « On emploie ce second titre de Bhagavat pour empêcher qu’on ne conçoive aucune idée irrespectueuse ; car, dans le monde, l’absence de respect se marque par l’emploi d’un nom propre non suivi d’un terme subordonné (anupapada), comme quand on dit simplement Dêvadattâ[85]. »

Maintenant, le nom qui nous reste après la suppression de Bhadra, a les orthographes suivantes, chez les Buddhistes du Sud, Udâyi et Udaya, chez les Buddhistes du Nord, Udayin et Udjâyin. De ces diverses orthographes, Udaya est, actuellement du moins, la plus rare ; je ne la trouve que dans l’inscription barmane de Buddha gayâ, et dans la copie que je possède du commentaire de Mahânâma sur le Mahâvam̃sa[86]. Elle donne cependant pour le nom du fils d’Adjâtasattu, les sens de « lever, splendeur, prospérité, » sens qui conviennent très-bien au fils d’un monarque aussi puissant qu’était le roi du Magadha. J’ajoute que la réunion des deux mots Udaya bhadra, soit qu’on les traduise par « heureux « par sa fortune, » soit qu’en les rapprochant en un composé possessif, on y voie le sens de « celui qui a le bonheur de la prospérité, » rappelle d’une manière bien frappante le nom de Çribhadrâ, grand’mère de ce prince, nom qui peut se traduire « fortunée par Çrî, » ou « celle qui a le bonheur de Çrî. » Le nom de la grand’mère et celui du petit-fils sont donc dans une relation apparente, et l’on comprend que le roi Adjâtaçatru ait désigné son fils d’après le nom de celle des femmes de Bimbisâra dont il était le fils lui-même, plutôt que d’après le nom de ce prince qu’il respectait assez peu, pour attenter plus tard à ses jours. J’ajoute que comme le nom d’Udaya bhadra se présente trois fois sur quatre avec la désinence i qui n’est que le reste du suffixe in, on pourrait lire Udayi pour Udayin, épithète à laquelle Wilson attribue justement la signification de florissant, prospère ; mais peut-être alors devrait-on supprimer Bhadra.

Nous pourrions nous arrêter ici et tenir pour authentique le nom d’Udaya bhadra ou d’Udayi bhadra, tout en remarquant que, dans des textes plus corrects que ceux du Népal, il faudrait donner séparément à Udayi et à bhadra leurs diverses désinences, ce qui formerait un nom propre moins régulier qu’Udaya bhadra ; mais il nous reste encore à examiner, d’abord l’orthographe constante des Singhalais, qui donnent un â long à ce mot Udâyi, et de plus l’orthographe de l’Açôka avadâna, qui lit Udjâyin. En admettant que ces deux dernières leçons doivent exprimer le même sens que celles à Udaya et Udayin, on est naturellement conduit à cette supposition, que l’Udjâyin du Nord est le prâkritisme d’un primitif Udyâyin, épithète qui serait sans doute moins commune que celle d’Udayin, mais qui peut être également authentique. J’ajoute que l’orthographe d’Udjâyin avec un seul dj au lieu de deux, si elle ne vient pas du fait des copistes, peut tenir à quelque particularité de dialecte, comme quand on voit, dans les inscriptions de Piyadasi, une double consonne céder la place à une consonne simple.

Que ferons-nous maintenant de la leçon Udâyi que nous voyons répétée fréquemment dans les textes pâlis ? — Une altération du prâkrit Udjâyin, analogue à celle qui a transformé en Pasênadi le Prasênadjit, roi du Kôçala, des Buddhistes du Nord ; car l’orthographe de Pasênadi est beaucoup plus commune dans les Suttas du Dîgha nikâya que celle de Pasênadji, si, même cette dernière y est jamais usitée. Et quant à la cause qui a substitué un d au dj étymologique, je n’hésite pas à la chercher dans l’influence de quelque prononciation populaire analogue à celle que le singhalais, notamment sous sa forme la plus nationale, celle de l’Élu, applique à la reproduction d’un grand nombre de mots sanscrits et pâlis. C’est ainsi qu’on trouve dapa pour le sanscrit djapa, « récitation à voix basse, » Dambadiva pour Djambudvîpa et d’autres encore. J’essayerai même d’établir plus bas que cette transformation du dj en d existait déjà dans l’Inde au temps des Buddhistes. Notons d’ailleurs que l’existence bien connue du mot Udaya a dû faciliter la transformation d’Udjâyi en Udâyi. Ainsi, en résumé, il est fort possible que nous n’ayons ici que deux orthographes d’un même nom propre, ayant toutes deux le même sens : Udayi, la forme la plus commune, et Udyâyin, forme supposée, mais qui donne naissance au prâkrit Udjâyi, duquel vient ensuite le singhalais Udâyi.

Arrivés à ce point, il nous faudrait examiner une question beaucoup plus intéressante, non-seulement pour le Buddhisme, mais aussi pour quelques textes brâhmaniques dont l’antiquité, d’ailleurs incontestable, n’est cependant pas encore fixée avec la précision nécessaire. C’est celle de savoir si l’Udâyi bhadda, fils d’Adjâtasattu, des Buddhistes singhalais, qui est dans le Nord Udyâyi bhadra, ne serait pas, sous un autre nom, le même personnage que Bhadra sêna qui, selon le Çatapatha Brâhmaṇa, est fils d’Adjâtaçatru[87]. Voici par quelle suite de suppositions je me figure qu’on pourrait arriver à ce rapprochement. Le Bhadra sêna, fils d’Adjâtaçatru, du Çatapatha, avec son nom signifiant « celui qui a une armée heureuse, » nous rappelle l’Udayâçva, petit-fils d’Adjâtaçatru, des listes brâhmaniques[88], dont le nom veut dire, « celui qui a les chevaux de la prospérité. » Que cet Udayâçva, petit-fils d’Adjâtaçatru, puisse être identifié avec Udâyi bhadda, fils du même roi, au moins quant au nom, c’est une supposition qui me paraît parfaitement justifiée par les variantes qu’a rassemblées Lassen pour le nom d’Udayâçva, qui est lu ailleurs Udibhi et Udâsin. Maintenant, si l’on rapproche les unes des autres ces trois séries de noms : 1o Bhadra sêna des anciens Brâhmaṇas, 2o Udâyi bhadda des Suttas pâlis, 3o Udibhi, Udâsin et Udayâçva des listes royales indiennes, on reconnaîtra qu’entre le no 1 et le no 2 il y a la communauté de l’épithète Bhadra ; qu’entre le no 1 et le no 3 il y a l’analogie de l’idée d’armée et de celle de chevaux ; qu’enfin entre le no 2 et le no 3 il y a communauté de nom, Udâyin et Udaya. Ainsi le fils d’Adjâtaçatru, selon les Brâhmaṇas, est caractérisé par la même épithète que le fils du même Adjâtasattu, selon les Suttas pâlis ; en même temps que le petit-fils d’Adjâtaçatru, selon les listes royales, rappelle par son épithète le fils du même roi, d’après les Brâhmaṇas, et par son nom ce même fils, d’après les Suttas. D’où l’on peut conclure que Bhadra sêna est comme le rendez-vous ou la moyenne d’Udâyi bhadda et d'Udayâçva.

Mais, il faut bien l’avouer, ces rapprochements de noms ne suffisent pas pour faire admettre définitivement l’identité de Bhadra sêna et d’Udâyi bhadda, identité qui ajouterait un si grand poids à l’opinion de Lassen touchant celle de l’Adjâtaçatru de deux Upanichads brâhmaniques avec l’Adjâtasattu contemporain de Çâkyamuni[89]. Si je ne pousse pas plus loin en ce moment cette recherche curieuse, ce n’est pas que je me rende aux arguments par lesquels M. Weber croit l’avoir terminée, quand il dit 1o que l’Adjâtaçatru des Brâhmaṇas est roi de Kâçi (plus tard Bénarès), tandis que l’Adjâtasattu des Suttas l’est de Râdjâgrĭha ; 2o qu’on ne voit pas de raison pour qu’il n’ait pas existé deux rois distincts du nom d’Adjâtaçatru[90]. À mes yeux l’objection géographique n’est pas très-forte, parce que dès le temps de Bimbisâra, père d’Adjâtaçatru, le royaume de Magadha avait pris dans l’Inde centrale une prépondérance considérable, à laquelle n’avait sans doute pu résister la population de Kâçi. Quant à la seconde objection, elle n’a guère plus de valeur que toute autre supposition du même ordre. Il vaut mieux renoncer à un argument de ce genre, et dire que les preuves de l’identité de l’Adjâtasattu des Suttas et de l’Adjâtaçatru des Brâhmaṇas ne sont ni assez nombreuses ni assez convaincantes pour la faire admettre définitivement. Mais c’est seulement sous cette réserve que je ne l’adopte pas dès aujourd’hui, et j’ai l’espérance qu’une lecture plus avancée des textes du Sud devra donner quelque lumière nouvelle sur ce sujet intéressant.

Je passe à un autre ordre de noms qui nous étaient déjà connus par les légendes du Nord : je veux parler des six ascètes dont les opinions philosophiques sont brièvement et quelquefois obscurément rappelées par le roi Adjâtasattu. De courtes notes ont signalé à mesure qu’ils se présentaient, la forme primitive de ces noms en sanscrit ; il en est un cependant sur lequel les Suttas du Sud nous donnent un détail de plus que ceux que nous trouvons dans le Sâmañña phala. C’est Nigaṇṭha Nâtaputta, « Nigaṇṭha, fils de Nâta, » et, selon les Buddhistes du Nord, « Nirgrantha, fils de Djñâti. » Le Sag̃gîti sutta, l’avant-dernier des trente-trois Suttas que renferme mon exemplaire du Dîgha nikâya, nous apprend qu’au temps où Çâkyamuni se trouvait à Pâvâ chez les Mallas, qui sont désignés dans le texte sous le nom de Pâvêyyâkâ Mallâ, « les Mallas de Pâvâ, » et appelés par le Buddha Vâsêṭṭhâ ou Vasichṭhides, Nigaṇṭha, fils de Nâta, venait de mourir, et que la discorde s’était introduite parmi ses disciples[91]. Rien, dans le Sâmañña phala, ne nous dit qu’il fût encore vivant, lorsque le roi Adjâtasattu fait part au Buddha de l’entretien philosophique qu’il avait eu avec lui ; mais rien ne nous apprend non plus qu’il fût mort à cette époque, et il y a quelque vraisemblance qu’il ne l’était pas, à moins qu’on ne regarde le préambule du Sâmañña phala comme tout à fait arbitraire et composé après coup et sans autre intention que de faire figurer les six philosophes adversaires de Gôtama Buddha dans une exposition où l’avantage devait rester à ce dernier. Si l’on suppose qu’il vivait au temps où nous reporte le Sâmañña phala, on en devra conclure que le Sag̃gîti sutta est postérieur, je ne dis pas pour la rédaction, mais pour le fond, au Sâmañña phala, puisqu’il se rapporte à un pèlerinage de Çâkya chez les Mallas, pèlerinage qui est contemporain de la mort de Nigaṇṭha, fils de Nâta. Je fais ces remarques pour montrer de quelle manière on pourrait tenter une classification des Suttas des Singhalais d’après les noms et les choses qu’ils rappellent incidemment. Quel que doive être le résultat d’une tentative de ce genre, elle sera toujours d’un grand intérêt pour l’histoire des Suttas du Sud ; car si les circonstances que relatent ces livres sont l’expression de la vérité, on le reconnaîtra bien à leur accord mutuel, comme aussi leur discordance nous fera clairement voir si elles ont été rassemblées au hasard et par suite d’un respect apparent plutôt que réel pour la tradition. Ainsi, en nous en tenant aux deux Suttas dont il vient d’être question, le Sag̃gîti serait postérieur au Sâmanna phala, ce qui le placerait dans l’une des dernières années de la vie de Çâkyamuni, c’est-à-dire de 551 à 543 avant notre ère, puisque nous savons par les Buddhistes du Sud, ou plus positivement par le témoignage du Mahâvamsa, que Çâkya mourut la huitième année du règne d’Adjâtasattu, et que le Sâmanna phala, où Adjâtasattu figure déjà comme roi, ne peut pas être antérieur à ces huit dernières années de la prédication et de la vie de Çâkya.

Un intérêt plus général encore s’attache à quelques-uns des noms qui figurent dans ce Sutta, comme aussi à d’autres noms propres qui paraissent dans plusieurs traités du même genre. Si le retour des mêmes personnages dans les livres du Nord et dans ceux du Sud, sert à établir l’origine commune de ces deux ordres de livres et en assure également l’authenticité, il sera permis de tirer des inductions analogues de la présence de quelques noms brâhmaniques dans les livres qui font autorité chez les Buddhistes. C’est là, sans doute, un genre d’argument qu’il ne faut pas trop presser ; cependant, si les livres relatifs à la prédication de Çâkyamuni, et qui, par les détails qu’ils renferment, remontent jusqu’à son temps, nous parlaient de rois, de Brâhmanes, de Religieux célèbres dans la tradition brâhmanique et cités par des ouvrages réputés anciens, il faudrait bien admettre que ces ouvrages brâhmaniques seraient, sinon absolument contemporains, du moins très-rapprochés du temps de la prédication de Çâkya. On voit, sans que j’y insiste davantage, ce qu’on pourra gagner par de tels rapprochements ; les Sûtras des Buddhistes devront, dans certains cas, servir à dater quelques portions des livres des Brâhmanes. Il est à peine besoin de dire que la valeur de ces rapprochements sera d’autant plus grande qu’ils seront plus nombreux, et surtout qu’ils formeront des groupes unis, dans l’une et dans l’autre classe de livres, par le même genre de lien.

Nous ne possédons pas encore un assez grand nombre de Sûtras, tant du Népal que de Ceylan, et ceux que nous connaissons n’ont pas encore été examinés sous ce point de vue avec assez d’attention pour qu’on puisse établir définitivement comme démontrés tous les rapprochements qu’il est déjà possible de signaler. Il y a cependant plusieurs années déjà que j’en ai fait pressentir quelques-uns, en relevant, dans les notes de mon Introduction à l’histoire du Buddhisme, ceux des noms propres brâhmaniques qui figuraient dans les traités ou fragments buddhiques dont je faisais usage. Cette recherche devient de jour en jour plus facile, maintenant que le zèle d’une génération de savants pleins d’ardeur s’attache à nous faire connaître les plus anciens monuments de la littérature brâhmanique par des éditions de textes, par des traductions, par des analyses et des extraits critiques. Donnons-en donc ici brièvement quelques exemples.

Parmi les ascètes brâhmaniques interrogés par le roi Adjâtasattu, nous en avons vu un nommé Nigaṇṭha Nâtaputta, qu’on désigne dans le cours du dialogue par le nom patronymique de Aggivêssâyana. Ce titre serait en sanscrit Agnivâiçyâyana, et signifierait « le « descendant d’Agnivâiçya. » J’avais déjà trouvé le nom de Agnivâiçyâyana appliqué au Brâhmane Dîrghanakha, dans une des légendes buddhiques du Divya avadâna[92]. Or ce patronymique de Agnivâiçyâyana est un nom de famille connu dans la littérature védique. Ainsi Roth a trouvé dans les Prâtiçâkhya sûtras un Agnivêçyâyana et un Agnivêçya, du nom duquel dérive le titre de famille qui nous occupe[93]. Depuis, Weber a constaté l’existence de ce même nom dans des textes qui se rattachent au Yadjurvéda[94]. Nous connaissons donc déjà, par les livres des Buddhistes, deux Brâhmanes issus de l’ancienne famille d’Agnivâiçya, qui sont donnés comme contemporains de Çâkyamuni. Sont-ce ces Brâhmanes, ou seulement l’un d’eux, que l’on retrouve dans les Brâhmaṇas du Yadjus et dans les Prâtiçâkhya sûtras ? c’est ce que je ne prétends en aucune manière affirmer : j’établis uniquement ce point, qu’au temps de Çâkya il existait un certain nombre de Brâhmanes qui se rattachaient à la race d’Agnivâiçya, et que des Brâhmanes de cette même famille sont cités également dans des livres appartenants à la littérature sacrée des Brâhmaṇas.

Trois personnages issus de l’ancienne race de Kata ou plutôt de Kâtya ont été signalés par Weber dans ses recherches sur le Çatapatha Brâhmaṇa du Yadjurvêda[95]. Il serait actuellement bien difficile de distinguer avec sûreté les uns des autres les divers personnages qui ont porté ce nom patronymique de « descendant de la race des Kâtyas, » et de rapporter à son véritable auteur telle ou telle partie du rôle religieux et littéraire qu’on attribue sans distinction à celui qu’on nomme Kâtyâyana. Cette question très-compliquée ne pourrait être traitée ici que d’une manière incidente, et je me contente, quant à présent, de renvoyer aux recherches de Lassen et de Weber[96]. Je constate seulement l’existence d’un Kâtyâyana surnommé Mahâ, « le grand, » parmi les premiers disciples de Çâkya, et d’un autre Kâtyâyana nommé Kakuda, qui figure parmi les six Brâhmanes, adversaires obstinés de Çâkyamuni. Que le premier de ces deux Kâtyâyanas ait été un des plus célèbres disciples du Buddha, c’est un point qui ne me paraît pas pouvoir faire de doute ; il est très-souvent cité en cette qualité au commencement des Sûtras du Nord, où figure une énumération des premiers auditeurs de Çâkya. Que le second soit un Brâhmane adversaire de Çâkya, c’est ce qui est également établi par le témoignage unanime des Sûtras du Nord et du Sud. Mais ce qu’il serait curieux de voir se confirmer, c’est la conjecture de Weber, qui comparant le Kabandhin Kâtyâyana de l’un des Upânichads de l’Atharvavêda au Kakuda Kâtyâyana des livres buddhiques, remarque que les noms de Kalandhin et de Kakuda sont des mots voisins par le sens l’un de l’autre[97]. De ce rapprochement sur l’analogie des noms, à l’identification des deux personnages, il n’y aurait certainement qu’un pas ; toutefois cette analogie ne me paraît pas encore assez forte pour autoriser suffisamment la conclusion qu’on en voudrait tirer.

Le nom de Kâuṇḍinya donne lieu à des remarques analogues. Nous connaissons par les livres du Népal deux Brâhmanes de ce nom, l’un qui est Adjnâta Kâuṇḍinya[98], et l’autre qu’on appelle Vyâkaraṇa Kâuṇḍinya[99]. Comme Adjnâta signifie « le savant, » il se pourrait bien que ce personnage eût été ainsi nommé à cause de ses connaissances en grammaire, et que les deux Kâuṇḍinyas des légendes buddhiques ne fussent au fond qu’un seul et même personnage. Maintenant, parmi les anciens grammairiens cités dans les Prâtiçâkhya-sûtras des Brâhmanes, Roth a trouvé un Kâuṇḍinya[100] qui a pour seul nom cet ethnique ou ce patronymique, selon que Kâuṇḍinya devra s’interpréter, soit par « celui qui est né à Kuṇḍina, » l’ancienne capitale du Vidarbha (le Bérar actuel), soit par « le descendant de la race de Kuṇḍina, » ou peut-être même « le descendant d’une Kuṇḍinî ou fille bâtarde[101]. » De toute manière le Kâuṇḍinya, dit le grammairien, des Buddhistes pourrait bien n’être qu’un seul et même personnage avec le Kâuṇḍinya des Prâtiçâkhyas brâhmaniques. Weber, qui a remarqué le rôle commun de ces deux Brâhmanes, n’en a pas, je l’avoue, conclu à leur identité, mais il a donné tous les moyens d’arriver à cette conclusion[102].

Weber a signalé encore l’existence d’un ou deux autres noms communs aux textes brâhmaniques et aux textes buddhiques, comme par exemple un Pûrṇa qui est surnommé Mâitrâyaṇî puttra chez les Buddhistes[103], tandis que, chez les Brâhmanes, Mâitrâyanî est un nom bien connu qui est devenu le titre d’un des Upanichads appartenants au Yadjus noir[104], et le nom des Vâtsîputtrîyas, qu’il rapprocha du Vâtsîputtra de la généalogie du Vrĭhadâranyaka[105]. On en trouvera certainement beaucoup d’autres, indépendamment des noms isolés comme celui de Pâuchkarasâdi[106], qu’on dit contemporain de Çâkya et que Roth a trouvé dans les Prâtiçâkhyas[107], et celui de Mâudgalyâyana, ou encore comme les noms généraux des familles brâhmaniques, telles que les Vâsichṭhides, les Gâutamides, les Bhâradjvâdides, les Kâçyapides, qui au temps de Çâkyamuni jouaient un rôle important dans le Nord et dans l’Est de l’Inde. Je rappelle ces noms, qui sont célèbres dans les plus anciennes traditions indiennes, pour indiquer par un seul trait au milieu de quels personnages les livres buddhiques nous montrent Çâkyamuni cherchant des disciples et répandant ses prédications. Or ces personnages sont exactement ceux qui paraissent le plus souvent dans les Brâhmaṇas des Vêdas et dans les Upanichads qui s’y rattachent, soit que ces derniers livres reproduisent des extraits des Brâhmaṇas, soit qu’ils en imitent la forme ou en développent les théories.

J’ai donc pu dire avec raison, il y a quelques années et quand les matériaux qui s’accumulent autour de nous étaient à peine connus, que Çâkyamuni a paru dans l’Inde à un moment des croyances brâhmaniques beaucoup plus rapproché de l’âge des Vêdas que de celui des Purâṇas[108]. Ce résultat, j’en ai la conviction, acquerra d’autant plus de solidité que les Sûtras des Buddhistes et les Brâhmaṇas des Brâhmanes seront mieux connus ; il deviendra même un critérium sûr pour déterminer d’une manière approximative la date de plusieurs traités buddhiques admis dans le Nord de l’Inde parmi les écritures authentiques, mais dont le fonds, comme le cadre, nous permettent de suspecter l’antiquité. Sur ces points intéressants de critique et d’histoire, ainsi que sur la nature des doctrines, les textes traduits ou extraits avec soin nous en apprendront plus que les conjectures et les combinaisons auxquelles on pourrait se livrer d’avance avec le petit nombre de faits qui sont actuellement entre nos mains. Et pour terminer ces remarques par une preuve de cette dernière assertion, je donnerai ici le commencement d’un des Suttas du Dîgha nikâya, où Çâkyamuni nous apparaît exactement placé dans la situation que j’indiquais tout à l’heure, c’est-à-dire dans un temps, selon toute vraisemblance, très-postérieur à l’âge de l’hymnologie védique, mais contemporain de l’époque de discussions philosophiques et de travail intellectuel qui a dû commencer pour l’Inde vers le viiie siècle au moins avant notre ère[109].

« Voici ce que j’ai entendu un jour[110] : Bhagavat parcourant le pays des Kôsalas, arriva avec une grande assemblée de Religieux, avec cinq cents Religieux, à l’endroit où se trouve le village de Brâhmanes du pays des Kôsalas, nommé Manasâkaṭa. Bhagavat s’ar- rêta au nord de ce village, sur le bord de la rivière Âtchiravatî, dans un bois de manguiers[111]. Or, en ce temps-là, il résidait à Manasâkaṭa un grand nombre de riches[112] Brâhmanes très-savants, comme par exemple le Brâhmane Tchag̃ki, le Brâhmane Târukkha, le Brâhmane Pôkkharasâdi, le Brâhmane Djânussôni, le Brâhmane Nôdêyya[113], et d’autres riches Brâhmanes très-savants. Il advint qu’une discussion s’éleva entre des Vâsêṭṭhas et des Bhâradvâdjas (des Vâsichṭhides et des Bhâradvâdjides) qui se promenaient dans le Vihâra de Djag̃ghâ[114], au sujet de ce qui est la voie et de ce qui ne l’est pas. Un jeune Brâhmane Vâsêṭṭha parla ainsi : C’est là seulement la droite voie, c’est là seulement la véritable route, la route de la délivrance qui conduit celui qui la pratique à s’unir avec Brahmâ[115] ; cette voie a été enseignée par le Brâhmane Pôkkharasâdi. Un jeune Brâhmane Bhâradvâdja parla ainsi ; C’est là seulement la droite voie, c’est là seulement la véritable route, la route de la délivrance qui conduit celui qui la pratique à s’unir avec Brahmâ ; cette voie a été enseignée par le Brâhmane Târukkha. Mais le Brâhmane Vâsêṭṭha ne put convaincre le Bhâradvâdja, et le Brâhmane Bhâradvâdja, à son tour, ne put convaincre le Vâsêṭṭha, Alors le Brâhmane Vâsêṭṭha dit au Bhâradvâdja : Fils de Bhâradvâdja, Gôtama le Samaṇa, fils des Çâkyas, qui est sorti de la maison des Çâkyas pour se faire mendiant, se trouve en ce moment à Manasâkaṭa, au nord de ce village, sur le bord de la rivière Atchiravatî, dans un bois de manguiers. Le Bienheureux Gôtama a été ainsi précédé par le renom fortuné de sa gloire : Le voilà ce Bienheureux, vénérable, parfaitement et complètement Buddha, doué de science et de conduite, bien venu, connaissant le monde, sans supérieur, domptant l’homme comme un jeune taureau, précepteur des Dêvas et des hommes, Buddha bienheureux. Allons donc, fils de Bhâradvâdja, à l’endroit où s’est rendu le Samaṇa Gôtama ; et quand nous y serons arrivés, nous l’interrogerons sur le sujet qui nous divise ; et selon qu’il nous répondra, nous tiendrons sa réponse pour la vérité. Qu’il soit ainsi, répondit le Brâhmane Bhâradvâdja au Brâhmane Vâsêṭṭha.

« Ensuite les deux jeunes gens se rendirent au lieu où se trouvait Bhagavat ; et quand ils y furent arrivés, après avoir échangé avec lui les paroles de la bienveillance et de la civilité, ils s’assirent de côté ; puis le jeune descendant de Vasiṭṭha parla ainsi de sa place à Bhagavat : Pendant que nous nous promenions, ô Gôtama, pendant que nous marchions dans le Vihâra de Djag̃ghâ, une discussion s’est élevée entre nous sur ce qui est ia voie, et sur ce qui ne l’est pas. Moi je disais : C’est là seulement la droite voie, c’est là seulement la véritable route, la route de la délivrance qui conduit celui qui la pratique à s’unir avec Brahmâ ; cette voie a été enseignée par le Brâhmane Pôkkharasâdi. Ce Brâhmane, descendant de Bharadvâdja, parlait ainsi : C’est là seulement la droite voie, c’est là seulement la véritable route, la route de la délivrance qui conduit celui qui la pratiqué à s’unir avec Brahmâ ; cette voie a été enseignée par le Brâhmane Târukkha. Alors, à Gôtama, il s’est élevé là-dessus une discussion, une dispute, une querelle. Il est donc vrai, [dit Bhagavat,] ô descendant de Vasiṭṭha, que tu parles ainsi : C’est là seulement la droite voie, c’est là seulement la véritable route, la route de la délivrance qui conduit celui qui la pratique à s’unir avec Brahmâ ; cette voie a été enseignée par le Brâhmane Pôkkharasâdi, et que le descendant de Bharadvâdja parle ainsi : C’est là seulement la droite voie, c’est là seulement la véritable route, la route de la délivrance qui conduit celui qui la pratique à s’unir avec Brahmâ ; cette voie a été enseignée par le Brâhmane Târukkha. Mais, ô descendant de Vasiṭṭha, sur quel point s’est élevée entre vous cette discussion, cette dispute, cette querelle ? — Sur la voie et sur ce qui n’est pas la voie, ô Gôtama. Est-ce qu’on ne nomme pas, ô Gôtama, les Brâhmanes d’après les voies diverses qu’ils suivent, comme les Brâhmanes Addhariyâ (Adhvaryu], les Brâhmanes Tittiriya (Tâittirîya), les Brâhmanes Tchhandôka (Tchhandôga), les Brâhmanes Tchhandava[116], les Brâhmanes Brahmatchâriya (Brahmatchârin) ? Ce sont là autant de routes de la délivrance qui conduisent celui qui les pratique à s’unir avec Brahmâ. C’est, ô Gôtama, comme s’il y avait, non loin d’un village ou d’un bourg, beaucoup de routes diverses, et que ces routes vinssent toutes aboutir à ce village ; de la même manière, ô Gôtama, est-ce qu’on ne nomme pas les Brâhmanes par les voies diverses qu’ils suivent, comme les Brâhmanes Addhariyâ, Tittiriya, Tchhandôka, Tchhandava, Brahmatchâriya ? ce sont là autant de routes de la délivrance qui conduisent celui qui les pratique à s’unir avec Brahmâ. — Tu dis qu’elles conduisent là, ô descendant de Vasiṭṭha ? — Oui, Gôtama, je dis qu’elles conduisent là même. — Tu le dis, descendant de Vasiṭṭha ? — Oui, Gôtama, je le dis. — Mais, ô descendant de Vasiṭṭha, est-il un seul Brâhmane parmi ceux qui possèdent la triple science (les trois Vêdas), qui ait vu Brahmâ face à face ? — Non certes, Gôtama. — Mais, ô descendant de Vasiṭṭha, est-il un seul maître de ces Brâhmanes possédant la triple science qui ait vu Brahmâ face à face ? — Non certes, Gôtama. — Mais, descendant de Vasiṭṭha, est-il un maître d’un seul maître de ces Brâhmanes possédant la triple science qui ait vu Brahmâ face à face ? — Non certes, Gôtama. — Mais, ô descendant de Vasiṭṭha, y a-t-il, dans un grand cycle formé de sept générations de maîtres[117], un seul maître de ces Brâhmanes possédant la triple science qui ait vu Brahmâ face à face ? — Non certes, Gôtama. — Eh bien ! descendant de Vasiṭṭha ; les anciens Isis (Rĭchis) des Brâhmanes qui possèdent la triple science, ces sages auteurs des Mantas (Mantras), chantres des Mantas, dont les Brâhmanes d’aujourd’hui, qui possèdent la triple science, répètent d’après eux les anciens vers lyriques produits sous forme de chants et composés par eux, chantant ce qui a été chanté, prononçant ce qui a été prononcé, parlant ce qui a été parlé, ces Rĭchis, dis-je, comme Aṭṭhaka (ou Aḍḍhaka), Vâmaka, Vâmadêva, Véssâmitta, Yamataggi, Ag̃girasa, Bharadvâdja, Vasiṭṭha, Kassapa, Bhagu[118], est-ce qu’ils ont parlé ainsi : Oui, nous savons, oui, nous voyons où est Brahmâ, en quel lieu est Brahmâ, en quel endroit est Brahmâ [f. 61 b] — Non certes, Gôtama. — Ainsi donc, ô descendant de Vasiṭṭha, il n’y a pas un seul Brâhmane parmi ceux qui possèdent la triple science, il n’y a pas un seul maître de ces Brâhmanes, il n’y a pas un maître d’un seul maître de ces Brâhmanes, il n’y a pas un seul maître dans un grand cycle de sept générations, qui ait vu Brahmâ face à face ; et les anciens Rĭchis, [etc. comme ci-dessus, jusqu’à] Rassapa, Bhagu, n’ont pas parlé ainsi : Oui, nous savons, oui, nous voyons où est Brahmâ, en quel lieu est Brahmâ, en quel endroit est Brahmâ. Mais, ô descendant de Vasiṭṭha, voici ce qu’ont dit ces Brâhmanes possédant la triple science : Celui que nous ne connaissons pas, que nous ne voyons pas, nous enseignons la voie pour s’unir à lui ; voici la droite voie, voici la route véritable, la route de la délivrance qui conduit celui qui la pratique à s’unir avec Brahmâ. Que penses-tu de cela, ô descendant de Vasiṭṭha ? Si, les choses étant ainsi, ces Brâhmanes qui possèdent la triple science disent : Nous enseignons la voie, [etc. comme ci-dessus, jusqu’à] qui conduit celui qui la pratique à s’unir avec Brahmâ[119], qu’en penses-tu ? Les choses étant ainsi, n’est-ce pas de la part de ces Brâhmanes qui possèdent la triple science un acte de jonglerie ? — Oui, Gôtama, les choses étant ainsi, le langage de ces Brâhmanes qui possèdent la triple science est un acte de jonglerie. — Ainsi, descendant de Vasiṭṭha, le langage de ces Brâhmanes qui possèdent la triple science ressemble uniquement aux bâtons des aveugles : le premier ne voit pas, celui du milieu ne voit pas, le dernier ne voit pas davantage. Leur langage n’est que ridicule, ce ne sont que des mots, c’est chose vide, c’est chose vaine. »

Et maintenant, si m’appuyant sur des textes de ce genre, j’ai raison de placer Çâkyamuni au milieu du mouvement intellectuel si puissant et si original qui a donné naissance, sinon à la composition première, du moins à la réunion d’une partie des Brâhmanas, s’étonnera-t-on que le Buddhisme, qui s’adressait à la partie la plus populaire de la nation indienne, ait profité de l’agitation des esprits pour mettre à la portée de la masse du peuple des questions dont tout nous engage à croire que les classes élevées des Brâhmanes et des Kchattriyas se réservaient le plus souvent l’examen ?

Après ces observations générales, qui m’ont été suggérées par le cadre du Sâmañña phala, je dois examiner sommairement la doctrine qui y est contenue. Cette doctrine est comprise sous trois chefs principaux : la vertu ou la morale (Sîla), la méditation (Samâdhi), et la sagesse (Paññâ). La morale comprend, en premier lieu, les préceptes relatifs aux actes dont il faut se détourner avec aversion, c’est-à-dire le meurtre, le vol, l’incontinence, le mensonge, la médisance, la grossièreté de langage, les discours frivoles, la destruction des végétaux ou des animaux, la vue des représentations dramatiques, le goût de la parure, celui d’un grand lit, l’amour de l’or et de l’argent, ainsi que de beaucoup d’autres choses qu’il ne convient pas à un Religieux de recevoir, la profession de messager, le négoce, la fraude, la ruse, et la violence qui se manifeste par de mauvais traitements. Chacun de ces articles est développé quelquefois amplement, souvent avec d’intéressants détails : la morale y paraît sous des formes simples et pratiques ; on ne remarque encore ici d’autre classification que celle qui est absolument nécessaire pour l’ordre de l’exposition. Cependant l’importance de cette partie de la doctrine paraît dans le titre que le Brahma djâla sûtta donne à ce passage, qui dans mon manuscrit est terminé par les mots Mûlasîlam, « moralité fondamentale ou fondement de la morale. » Si on le compare, en effet, avec les énumérations que j’ai données des règles du Sîla, d’après les diverses sources que j’ai indiquées plus haut, on y retrouvera, moins la forme dogmatique, tous les préceptes de ces énumérations mêmes.

Ces règles fondamentales de la moralité pour le Religieux Buddhiste sont suivies de dix autres paragraphes, qui dans le manuscrit du Brahma djâla sutta ont le titre de « moralité moyenne, » Madjdjhima sîlam̃. Ces paragraphes ont cela de commun avec les préceptes précédents, qu’ils sont également présentés sous une forme négative, et de plus, qu’ils répètent plusieurs des avertissements qui composent les derniers articles des règles fondamentales. Mais ils en diffèrent d’une manière sensible, et par le développement, et par les exemples qui les élucident. Ces dix paragraphes sont une véritable critique des habitudes et des mœurs des ascètes et des Brâhmanes contemporains des premiers temps du Buddhisme. Il s’y trouve des détails curieux, dont quelques-uns sont obscurs, soit par la faute du copiste, soit à cause de l’absence d’un dictionnaire. Çâkyamuni y condamne l’un après l’autre le goût de la destruction, celui du luxe, des représentations dramatiques, du jeu, des lits somptueux, de la parure, des entretiens vulgaires, du dénigrement, puis l’état de messager, et enfin celui de jongleur et d’astrologue.

Les préceptes de « la moralité moyenne » sont suivis de sept articles, auxquels le manuscrit du Brahma djâla donne le titre de « la grande moralité, » Mahâsîlam. Ces articles portent tous exclusivement sur les moyens de vivre que doit s’interdire un Religieux, et ils se composent de longues énumérations de professions et de pratiques faites pour donner du profit à ceux qui s’y livrent. Ces articles sont, pour la plupart, peu différents les uns des autres. Ainsi, dans le premier, figure la connaissance des signes, celle de certains animaux, et la pratique de plusieurs modes de sacrifices usités chez les Brâhmanes, Le second article continue le même sujet, sauf celui des sacrifices ; le troisième, le quatrième et le cinquième énumèrent les divers objets sur lesquels s’exerce l’art trompeur de la divination ; on voit que, pour dire le vrai, ces trois articles n’en devraient former qu’un seul. À la divination succède la sorcellerie ; puis viennent, dans le septième et dernier paragraphe, la pratique de diverses cérémonies religieuses essentiellement brâhmaniques et l’exercice de la médecine. Il y a dans ces énumérations faites avec assez peu de méthode quelques points obscurs ; mais ces points sont en petit nombre, et le but de l’ensemble n’en reste pas moins parfaitement intelligible. Il s’agit là des moyens de vivre que Çâkyamuni veut interdire à ses Religieux ; et le titre de « grande moralité » donné à cette section du Sîla, en indique, selon toute apparence, l’importance relative plutôt que la valeur absolue : nous ne devons pas oublier qu’il s’agit ici de Religieux, qui après avoir obéi aux prescriptions des deux sections précédentes, doivent mettre le sceau à leur vertu, en respectant avec le même soin les commandements de la troisième. C’est là, ainsi que le dit notre texte même, « la masse de la morale » dont ils doivent être doués ; c’est le Silakkhandha que Çâkyamuni s’est donné pour mission de célébrer devant la foule du peuple.

J’ai dit tout à l’heure que cette exposition du Sîla ou des devoirs moraux n’offrait d’autre trace de classification que celle qui était absolument nécessaire pour la connaissance du sujet. Cette observation n’est pas sans importance, en ce qu’elle signale le Samanna phala comme un des Suttas dans lesquels la théorie des devoirs moraux en est encore à ses premiers débuts. Elle acquiert une plus grande valeur de la comparaison qu’on peut faire de notre Sutta avec d’autres traités du même genre, que j’appellerais Suttas de classification. J’en trouve deux dans la collection du Dîgha nikâya, qui sont les deux derniers du recueil, et qui portent les titres de Sag̃gîti et de Dasuttara. Il semble qu’ils aient été placés à la fin du Dîgha nikâya pour lui servir comme de tablé de matières ; ils ne se composent guère, en effet, que de listes ou de catégories, dont plusieurs reviennent avec des développements plus ou moins considérables dans les Suttas très-inégalement développés de cette collection. Ainsi, et pour nous en tenir à notre Sâmañña phala, on trouve dans le Sag̃gîti sutta deux catégories, celle des Dosa akusala kamma pathâ, ou « les dix voies des actions vicieuses. » et celle des Dasa kusala kamma pathâ, ou « les dix voies des actions vertueuses. » La première catégorie se compose des termes suivants : le meurtre, le vol, l’adultère, le mensonge, la médisance, la grossièreté de langage, les vains discours, la cupidité, la méchanceté, l’hérésie. La seconde catégorie se compose des termes contraires aux précédents, c’est-à-dire de l’aversion pour le meurtre, pour le vol, et ainsi des autres ; ce sont là les dix Vêramaṇîs dont j’ai parlé plusieurs fois dans cette note[120]. Le lecteur reconnaîtra ici, non-seulement une des énumérations des actions coupables que j’ai eu occasion d’exposer d’après les auteurs qui avaient touché à ce sujet avant moi, mais un résumé et comme une table des matières de la première partie du Sîla, d’après le Sâmañña phala, partie à laquelle un manuscrit donne le titre de « fondements de la morale. » Ainsi, dans une exposition dogmatique de la morale buddhique, il faudrait faire précéder la première partie de notre Sâmañña phala de ce double titre : « Les Dix voies des actions vicieuses, et les Dix voies des actions vertueuses, » comme le fait le Sag̃gîti, sans nous apprendre autre chose, sur ces deux catégories, que le nom seul des termes dont elles se composent. Dans le même recueil, celui du Sag̃gîti, on distingue parmi les dix Kusala kamma pathâ, ou voies des actions vertueuses, quatre ariya vôhârâ, c’est-à-dire « quatre pratiques ou habitudes respectables, » qui sont l’aversion pour le mensonge, pour la médisance, pour un langage grossier, pour les vains discours. D’un autre côté on compte quatre pratiques ou habitudes non respectables, anariya vôhârâ, qui sont l’action de dire qu’on a vu ce qu’on n’a pas vu, celle de dire qu’on a entendu ce qu’on n’a pas entendu, qu’on a pensé à ce à quoi on n’a pas pensé, qu’on a compris ce que l’on n’a pas compris. À ces quatre pratiques condamnables on en oppose quatre nouvelles, qu’on nomme ariya vôhârâ, « les quatre pratiques respectables, » savoir, l’action de ne pas dire qu’on a vu ce qu’on n’a pas vu, qu’on a entendu ce qu’on n’a pas entendu, qu’on a pensé à ce à quoi on n’a pas pensé, qu’on a compris ce qu’on n’a pas compris. Ces deux énumérations opposées sont suivies de quatre nouvelles pratiques non respectables, savoir, l’action de dire qu’on n’a pas vu ce qu’on a vu, et ainsi des autres pratiques auxquelles répondent quatre autres habitudes respectables ou Ariya, qui consistent à dire qu’on a vu ce qu’on a vu, et ainsi de suite. Il est clair que ces énumérations sont des développements scolastiques de la double catégorie du mensonge et de la véracité.

De ces diverses comparaisons il faut conclure que ces énumérations si nombreuses d’attributs moraux et intellectuels qui constituent un des caractères du Buddhisme, se trouvent à des degrés de développement plus ou moins élevés dans les livres qui passent pour les plus rapprochés de la prédication de Çâkyamuni. Tantôt le fond emporte la forme, et les objets qui plus tard devront se classer sous des catégories distinctes, sont exposés un peu confusément ; c’est ce qui arrive pour l’indication des vertus morales qui forme l’un des trois éléments du Sâmañña phala. Tantôt la forme prend le dessus, et la classification paraissant en relief, laisse dans l’ombre le fond, sans doute parce que l’on sait qu’il est connu d’ailleurs ; c’est ce qui arrive pour les énumérations du Sag̃gîti, qui, à quelques exceptions près, ne nous donnent rien de plus que les termes mêmes dont elles se composent. Cela se comprend sans peine, surtout pour ce qui touche ce dernier Sutta, où l’orateur, Çâriputta, a le dessein formel d’énumérer sommairement en présence des Religieux la série des devoirs sur lesquels il n’est pas possible qu’il y ait parmi eux le moindre dissentiment. Mais quelque simple que ce fait paraisse, il avait besoin d’être signalé, parce qu’il explique, en partie du moins, l’origine de ces catalogues d’étendue diverse, dont on a un modèle dans le Vocabulaire pentaglotte des Chinois. Ce n’est pas assez dire que d’attribuer ces catalogues et au besoin d’imiter les recueils disposés par ordre de matières qui sont les bases les plus anciennes et les plus authentiques de la lexicographie indienne, et à la nécessité de réunir en un même corps d’ouvrage des listes de nature très-diverse, afin de pouvoir les retrouver aisément à un moment donné. Il est certain maintenant que les prédicateurs buddhistes avaient de bonne heure rassemblé de pareilles listes, qui se trouvaient naturellement extraites de l’enseignement plus développé et moins systématique du Maître. Pour des doctrines qui ne furent conservées pendant longtemps que par la tradition orale, de telles catégories étaient un précieux secours ; elles résumaient, en quelques mots faciles à retenir par le chiffre auquel on les rattachait, des développements dont l’étendue eût pu échapper à la mémoire des auditeurs ; et réciproquement pour nous, dans l’ignorance où nous sommes touchant la forme primitive des plus anciennes autorités écrites du Buddhisme, la présence de ces listes au milieu de traités reçus pour canoniques, doit nous porter à croire que ces traités se transmirent pendant longtemps d’un maître à l’autre par l’enseignement oral, avant d’être fixés définitivement par l’écriture.

Je serai plus bref sur les deux dernières sections dont se compose le Sâmannâ phala sutta, savoir, la Samâdhi ou la méditation, et la Paññâ ou la sagesse. En effet ces deux sujets appartiennent à une partie différente de la doctrine de Çâkya, et j’aurai occasion de les examiner en détail dans deux autres notes de cet Appendice, dans celles qui portent sur les Dhyânas ou degrés de contemplation et sur les Vimôkkhas ou moyens d’affranchissement. Je remarquerai seulement ici que ces sujets plus relevés, sont généralement traités ainsi à la suite de la morale ; il est rare, au moins dans les Suttas des Singhalais, de les voir séparés de la pratique des vertus qui en forment comme le premier degré.

  1. Singhal. Diction. t. II, p. 154 et 155.
  2. Lalita vistara, f. 138 b de mon man. A ; Rgya tch’er rol pa, t. II, p. 252 ; Csoma, Notices on the life of Shakya, dans Asiat. Researches, t. XX, p. 302.
  3. Burman Diction. p. 60.
  4. Pâṭimôkkha, f. 61 b et suiv. du man. de la Bibl. nat. et p. 585 de ma copie.
  5. Abhidhâna ppadîpikâ, l. I, chap. II, sect. 5, st. 16 ; Clough, p. 19.
  6. Pâṭimôkkha, f. 62 b et suiv. et p. 593 de ma copie.
  7. H. Burney, Some Account of the war between Burmah and China, dans Journ. asiat. Soc. of Bengal, t. VI, 1re partie, p. 439.
  8. Upham, The Mahavansi, etc. t. III, p. 12.
  9. F. Buchanan, On the relig. and liter. of the Burmas, dans Asiat. Res. t. VI, p. 271, éd. in-8o.
  10. Vie de Buddha, dans Journ. asiat., t. IV, p. 77 ; Voyez encore Neumann, Catechism of the Shamans, p. 48 suiv. dans Translat. from the Chinese, 1831.
  11. Journ. of a Tour through the Island of Rambree, with a geological Sketch, etc. dans Journ. of the asiat. Soc. of Bengal, t. IV, p. 92, pl. V.
  12. Foe koue ki, p. 147.
  13. Voy. entre autres, t. I, p. 80.
  14. Foe koue ki, p. 104.
  15. Voici le début du Subha sutta. « Il a été ainsi entendu par moi un certain jour. Le respectable Ânanda se trouvait à Sâvatthi (Çrâvasti), à Djetavana, dans le jardin d’Anâthapindika, peu de temps après que le Bienheureux était entré dans le Nibbâna complet. Or, en ce temps-là, le jeune Brâhmane Subha, fils de Nôdêyya, séjournait à Sâvatthi pour une certaine affaire. Alors le jeune Brâhmane Subha, fils de Nôdêyya, appela un certain jeune homme et lui dit : Va, jeune homme, à l’endroit où se trouve le Samaṇa (Çramaṇa) Ânanda, et y étant arrivé, souhaite en mon nom au samaṇa Ânanda peu d’obstacles, peu de maladies, une position facile, de la force et des contacts agréables, de la manière suivante : Le jeune Brâhmane Subba, fils de Nôdêyya, souhaite au bienheureux Ânanda peu d’obstacles, peu de maladies, une position facile, de la force, des contacts agréables, et parle-lui ainsi : Consens, ô seigneur Ânanda, dans ta miséricorde, à te rendre dans la demeure du jeune Brâhmane Subha, fils de Nôdêyya. Il en sera ainsi, répondit le jeune homme à Subha, fils de Nôdêyya ; et s’étant rendu à l’endroit où se trouvait le respectable Ânanda, il échangea avec lui les paroles de l’affection et de la civilité, et s’assit de côté ; et une fois assis, il s’adressa en ces termes au respectable Ânanda : Le jeune Brahmane Subha, fils de Nôdêyya, souhaite au bienheureux Ânanda peu d’obstacles, peu de maladies, une position facile, de la force, des contacts agréables, et il parle ainsi. Consens, ô seigneur Ânanda, dans ta miséricorde, à te rendre dans la demeure du jeune Brahmane Subha, fils de Nôdêyya. Cela dit, le respectable Ânanda parla ainsi au jeune homme : Jeune homme, ce n’est pas le moment convenable, j’ai pris aujourd’hui quelques médicaments ; mais demain je me rendrai à ton invitation, au temps et au moment convenables. Alors le jeune homme s’étant levé de son siège, retourna au lieu où se trouvait Subha, fils de Nôdêyya, et y étant arrivé, il dit au jeune Brahmane : Nous avons parlé en ton nom au respectable Ânanda, [et il répéta sa commission dans les termes mêmes où elle lui avait été donnée, ainsi que la réponse qu’y avait faite Ânanda ;] voilà ce qui s’est passé, dit-il, et pour quelle raison le seigneur Ânanda a pris son temps pour ne venir près de toi que demain.

    « Ensuite le respectable Ânanda, quand fut terminée la nuit qui suivit cette journée, s’étant habillé dès le matin, ayant pris son vase et son manteau, accompagné du Religieux Tchêtaka qui lui servait de Samaṇa suivant, se rendit à l’endroit où demeurait le jeune Brâhmane Subha, fils de Nôdêyya ; et quand il y fut arrivé, il s’assit sur le siége qui lui avait été préparé. De son côté, Subha, fils de Nôdêyya, se dirigea vers l’endroit où s’était assis le respectable Ânanda, et y étant arrivé, il échangea avec Ânanda les paroles de la bienveillance et de la civilité et s’assit décote ; une fois assis, il lui parla en tes termes : Le seigneur Ânanda a été pendant bien longtemps le serviteur, l’assistant, le compagnon du bienheureux Gôtama ; Ânanda doit donc savoir quelles sont les lois dont le bienheureux Gôtama a fait l’éloge, qu’il a fait accepter à la foule du peuple, dans lesquelles il l’a introduite, il l’a établie ? Quelles sont donc, ô Ânanda ; les lois dont le bienheureux Gôtama a fait l’éloge, qu’il a fait accepter à la foule du peuple, dans lesquelles il l’a introduite, il l’a établie ? Il y a, jeune Brahmane, répondit Ânanda, trois masses (ou collections) dont le Bienheureux a fait l’éloge et qu’il a fait accepter à la foule du peuple, dans lesquelles il l’a introduite, il l’a établie. Quelles sont ces trois masses ? Ce sont la masse sublime des actions vertueuses, la masse sublime des méditations, la masse sublime de la sagesse ; ce sont là, jeune Brahmane, les trois masses dont le Bienheureux a fait l’éloge ; ce sont elles qu’il a fait accepter à la foule du peuple, dans lesquelles il l’a introduite, il l’a établie. Mais quelle est donc, ô Ânanda, la masse sublime des actions vertueuses dont le Bienheureux a fait l’éloge, qu’il a fait accepter à la foule du peuple, dans lesquelles il l’a introduite, il l’a établie ? Ici, jeune Brâhmane, le Tathâgata, etc. comme au texte, en suppléant « jeune Brâhmane » à « grand roi. » Je remarquerai, en terminant, que le Nôdêyya dont on dit au commencement de ce Sutta que Subha est le fils, rappelle l’ancien Nôdhas le Gotamide, l’un des chantres du Rĭgvêda. (Weber, Ind. Studien, t. I, p. 180.) L’absence du dh dans le patronymique Nôdêyya peut paraître une objection contre ce rapprochement ; cependant la substitution du d au dh est un fait assez commun dans les manuscrits pâlis ; d’ailleurs les copistes généralement modernes de ceux de ces livres que nous possédons à Paris, étaient trop éloignés des temps et des lieux où avaient eu cours ces noms propres brahmaniques pour être en mesure d’en reproduire exactement l’orthographe.

  16. Le pâli Kômudi répond au sanscrit kâumudî, qui désigne à la fois la pleine lune du mois de Kârtika (octobre-novembre) et celle du mois Âçvina (septembre-octobre). Si Kômudi est ici le nom d’un mois, et si j’ai raison d’y rapporter l’épithète de quatrième, l’année dont le Kômudî est le quatrième mois aurait commencé en juin-juillet, c’est-à-dire avec la saison des pluies. Cette donnée est en désaccord avec celle que nous a déjà fournie l’Abhidharmakôça vyâkhyâ, suivant lequel la saison froide, Hêmânta, était, selon les Buddhistes de toutes les écoles, le commencement de l’année. (Introd. à l’hist. du Buddh. indien, t. I, p. 569.) Nous retrouvons donc ici, parmi les sectateurs de Çâkya, les mêmes variations que chez les Brâhmanes. Weber a remarqué, en effet, que chez ces derniers l’on commençait anciennement l’année par la saison froide, et que c’est seulement plus tard qu’on l’a commencée par l’automne et par la saison des pluies. (Weber, Indische Studien, t. I, p. 88.) Une observation que nous devons au même auteur, c’est que la saison des pluies est un des commencements de l’année admis par le Çatapatha brâhmâṇa : or ce recueil est aussi une des annexes du cercle littéraire des Védas, que A. Weber regarde comme les moins anciennes ; on trouvera même probablement plus tard que plusieurs des parties qui la composent sont contemporaines des premiers temps du Buddhisme. Quant à l’Upôsatha dont il est ici question, ce doit être la cérémonie que le Lalita vistara désigne par le nom altéré d’Upôchadhâ. (Lalita vistara, f. 10 a de mon man. A.) Ce nom désigne la confession générale des fautes qui avait lieu chez les Buddhistes à chaque quinzaine, les jours de la nouvelle et de la pleine lune.
  17. Voyez sur cette expression, ci-dessus, p. 437.
  18. Le texte se sert ici des deux mots hatthiyâna et hatthinika, qui doivent désigner l’espèce de siége à rebords nommé aujourd’hui, d’après les Arabes, Hauda, qu’on fixe sur le dos de l’éléphant, et dans lequel s’assoient les personnes de haut rang qui font usage de ce genre de monture. Le mot litière n’en donne qu’une idée imparfaite ; il faut l’entendre d’ailleurs de litières portées par des éléphants.
  19. Le ministre veut probablement dire que puisque le roi n’aperçoit aucun mouvement dans les lumières, c’est que les Religieux de l’Assemblée sont parfaitement calmes, et qu’il n’a en conséquence aucune trahison à craindre.
  20. Le texte a vêlaka ; mais, en singhalais, on n’est jamais sûr de ces trois lettres v, m et tch.
  21. Voici encore un mot dont je ne suis pas sûr ; le manuscrit, p. 14, lit [â]malakâpiṇḍâ, et p. 16, [â]malakâpiṇḍi ; je suppose que l’â initial est engagé dans la finale de vêlakâ qui précède ; mais, comme je le disais tout à l’heure, l’m, le v et le tch se confondent ici de manière à ne pouvoir être distingués. Comme l’âmalâka donne un fruit dont les Indiens se servent pour tanner le cuir et faire de l’encre, on peut conjecturer que âmalakâpiṇḍâ, ou peut-être mieux, âmalakâpiṇḍi, qui se divise en âmalaka et âpiṇḍi, signifie « ceux qui écrasent les fruits de l’âmalaka ; » âpiṇḍi serait ou une variété dialectique, ou seulement une faute pour âpîḍi.
  22. Je traduis ainsi conjecturalement pakkhandinô.
  23. Ces Mahânâgas ou « grands Nâgas » rappellent les Mahânagnas des légendes du Nord, et en particulier de la légende d’Açôka, où ils paraissent avec le rôle de guerriers qui accomplissent des exploits surnaturels. (Introd. à l’hist. du Buddh. indien, t. I, p. 363, note 1.) La véritable orthographe de ce nom doit être plutôt nagna (nu) que nâga (serpent boa). Il est possible qu’on ait désigné ainsi des hommes remarquables par leur taille et leur courage, qu’on enrôlait parmi les populations barbares du nord de l’Inde et des contrées limitrophes, et qui combattaient nus. Je n’irais cependant pas jusqu’à identifier ces Nâgas ou Nagnas avec les sauvages Nâgas de l’Assam, quoique ce pays ait pu fournir des soldats aux Râdjas de l’Inde ; mais le mot paraît être ici plutôt une épithète qu’un ethnique. M. J. Taylor a justement remarqué que Ptolémée connaissait les Nâgas, ainsi que le véritable sens de leur nom : Ναγγωλόγαι ὂ σημαίνει γυμνῶν κόσμος. (Ptolémée, Géogr. l. VII, c. 3, p. 177, éd. Mercator.) Ptolémée avait reçu ce nom avec l’orthographe qu’il a en singhalais, ou plus généralement dans quelques dialectes populaires de l’Inde. (J. Taylor, Periplus of the Erythr. Sea, dans Journ. asiat. Soc. of Bengal, t. XVI, p. 33.) Le mot de Nagna n’est pas inconnu chez les Brâhmanes, et leur ancienne littérature nous a conservé le nom d’un ancien roi du Gandhâra, Nagnadjit, qui pourrait bien signifier « le vainqueur des Nagnas ou hommes nus. » (Roth, Zur Litter. und Geschichte des Weda, p. 41 ; Weber, Ind. Studien, t. I, p. 218.)
  24. Ou de fils de pêcheur.
  25. Le texte dit uddhaggikam̃, littéralement, « dont l’extrémité, le but est en haut. »
  26. Ce Religieux est certainement celui qui est cité dans les livres du Népal sous le nom de Pûraṇa Kâçyapa. (Introd. à l’hist. du Buddh. t. I, p. 162.) Son titre de Kâçyapa, « le Kaçyapide, » prouve qu’il appartenait à la race de Kaçyapa. »
  27. Le texte a êkâgârikam karôtô, expression qui est encore obscure pour moi.
  28. Le texte se sert du substantif satchtchavadjdjêna, qui doit être un nom abstrait dérivé de satchtchavâdi, « véridique ».
  29. Voici le texte où paraît une expression qui est déjà connue par un des édits de Piyadasi : Katham̃hi nâma mâdisô samaṇam̃vâ brâhmaṇam̃vâ vidjitê svasantam̃ apasâdétabbâm̃ maññêyya. Le mot vidjitê est certainement le vidjitam̃hi de l’inscription de Girnar. (Journ. of the roy. asiat. Soc. t. XII, p. 165 et 166.)
  30. Cet ascète est Le même que celui qui est cité sous le nom de Maskarin fils de Gôpâli dans les livres du Népal. (Introd. à l’hist. du Buddh. indien, t. I, p. 162.) La première fois que ce nom paraît au commencement de notre Sutta, il est écrit Gôsâlyê, mais c’est une faute de copiste, pour Gôsâlô ; cette faute ne se représente d’ailleurs plus dans le Sutta.
  31. S’il fallait avoir une confiance entière dans la leçon du manuscrit unique que j’ai sous les yeux, nous trouverions ici une trace curieuse du dialecte Mâgadhî ; voici le texte même : Natthi attakârê ṇatthi parakâré ṇatthi purisakârê ṇatthi balam̃. En coupant les mots comme je viens de le faire, tous les sujets de cette phrase, sauf le dernier, sont des nominatifs en ê ; mais, d’un autre côté, on remarquera que la négation du verbe ṇatthi est écrite avec un cérébral, ce qui semble prouver que le copiste, ne comprenant rien à ce qu’il transcrivait, a cru devoir lire en un seul mot et comme un instrumental, kârêṇa, leçon qui ne donne aucun sens. Il est bien vrai qu’en Mâgadhî la négation na s’écrit ṇa, et qu’on peut la retrouver ici ; mais le copiste n’observant pas régulièrement cette orthographe et mettant partout ailleurs na, je doute que ṇa soit ici la négation.
  32. Tout ce morceau, depuis les mots « il y a quatorze cent mille cent soixante-six matrices principales, » est très-difficile, et je crois que le manuscrit est altéré en plus d’un endroit. On voit bien que cette énumération exprime le système propre à Makkhali Gôsâla touchant la transmigration ; mais plusieurs termes sont obscurs, et rien ne donne la raison des nombres choisis. Je vais indiquer les passages du texte que je n’ai pu traduire sans y apporter quelques changements. Le lecteur compétent voudra bien se rappeler que je n’ai qu’un manuscrit à ma disposition. Au commencement mon manuscrit porte : tchuddasa khôpanimâni niyônipamukhasatasahassâni ; je n’ai pu rien faire du ni qui suit imâni, et je n’en ai pas tenu compte. Au lieu de âdjîva, où je vois « moyen d’existence, état, » par opposition à la profession de mendiant qui suit, le texte lit adjîva, ce qui signifierait « absence de vie, êtres sans vie. » À partir des mots « sept embryons doués de conscience, » jusqu’à « sept cent sept songes, » il faut peut-être ajouter le mot cent, qui ne se trouverait, selon cette supposition, exprimé qu’après le dernier terme. Au lieu de satasarâ, dont je ne puis rien faire, je lis sattasurâ, à cause du contexte. C’est conjecturalement que je traduis satta paṭuvâsatâni par « sept cents êtres cruels. »
  33. Cet ascète est celui qui est nommé dans les livres du Népal Adjita Kêçakambala. (Introd. à l’hist. du. Buddh. t. I, p. 162.) L’orthographe de notre Sutta ne diffère de celle du sanscrit que par l’addition du suffixe in, « celui qui a une couverture faite de [ses ?] cheveux. »
  34. Le nom de ce Religieux est écrit dans les livres du Népal Kâkuda Kâtyâyana [Introd. à l’hist. du Buddh. ind. t. I, p. 162), et je crois que ces derniers nous donnent l’orthographe véritable, d’abord parce que Kakuda a en sanscrit un sens, ce que je ne vois pas pour Pakudha, ensuite parce que c’est l’orthographe de Kakuada qu’ont transcrite les Chinois.
  35. C’est conjecturalement que je traduis ainsi le composé ésikaṭṭhâyi, où je prends êsika pour le dérivé de îsikâ, en sanscrit ichikâ, « brosse de peintre. »
  36. Cet ascète est celui qui est nommé dans les livres du Népal Nirgrantha fils de Djñâti. (Introd. à l’hist. du Buddh. indien t. I, p. 162.) J’ignore pourquoi le pâli supprime l’i de Djnâti ; serait-ce que le primitif véritable serait Djñâtrĭ, et que le Djñâti du Nord en serait un prâkritisme correspondant à celui du Sud nâtaj comme djêta correspond à djêtri ? Le surnom qu’on lui donne, Aggivêssâyana, prouve qu’il descendait de la famille d’Agnivâiçya, dont les Buddhistes du Nord connaissent aussi un membre. (Introd. à l’hist. du Buddh. indien, t. I, p. 457, note 1.)
  37. La contradiction qui existe entre le nom du Nigaṇṭha, en sanscrit Nirgrantha, « qui est affranchi de toute chaîne, » et la définition qu’en donne le philosophe, s’explique par un jeu de mots qui roule sur le sens de grantha. On nomme en effet le Religieux Nigaṇṭha, parce qu’il n’a plus aucun attachement pour quoi que ce soit au monde ; aucun lien ne le retient donc plus. Mais quand la définition dit qu’il est enlacé dans tous les liens, cela, signifie qu’il obéit si complètement aux règles d’une rigoureuse abstention, qu’il semble que tous ses mouvements soient enchaînés dans des liens qui le retiennent captif. Au reste, les mots qui terminent la définition du Nigaṇṭha sont obscurs, et il est probable que le manuscrit est altéré en cet endroit. Voici le texte même que j’ai traduit par conjecture : Ayam̃ vutchtchati mahâra (l. mahârâdja) nigaṇṭha gaṇṭhô (l. gata­tantô) khayatantô tchathitantô tchâtu. On sait que dans l’écriture singhalaise le t et l’n sont si peu distincts, qu’on n’est jamais sûr de lire exactement un mot où figurent ces lettres : ici on peut lire également nattô et nantô, tattô et tantô. J’ai adopté la dernière lecture à cause de l’ensemble du discours. J’ai omis tchâtu, dont je n’ai su rien faire ; serait-ce le commencement de tchâtuyâmasam̃varasam̃vutô ?
  38. Cet ascète est celui dont le nom est écrit dans les livres du Népal Sandjayin fils de Vâiratti. (Introd. à l’hist. du Buddh. ind. t. I, p. 162.) La première fois que ce nom paraît dans notre Sutta, il est écrit Bêlaṭṭhu, ce qui est une faute que le copiste corrige lui-même plus tard. D’après son nom, ce Sañdjaya ou Sañdjayin était fils d’une femme du pays de Virâṭa : dans Bêlaṭṭhi pour Vâiraṭṭi le est doublé, probablement afin de compenser l’abrègement de la voyelle du primitif Virâṭa.
  39. L’expression dont se sert le texte est sayam̃ abhiññâ satchtchhikatvâ, laquelle répond à l’expression également consacrée dans les livres du Népal, svayam abhidjñâya sâkchâtkrĭtvâ. Dans dix passages où elle se rencontre, abhiññâ y est écrit de cette manière, au lieu d’abhiññâya, qui serait seul régulier. La constance de cette suppression de la syllabe finale ya prouve que cette licence est autorisée, au moins pour les participes adverbiaux en ya ; et, dans le fait, Clough la signale au commencement de sa Grammaire pâlie, en l’attribuant au besoin de faciliter la prononciation : l’exemple qu’il cite est paṭisam̃khâ pour paṭisam̃khâya, « ayant réfléchi. » (Clough, Pâli Gramm. p. 16.)
  40. Le texte dit, am̃ñatarasmim̃vâ kulê patchtchhâdjâtô ; je traduis le dernier mot dans le sens du singhalais patchhayâ, « homme de basse caste. »
  41. Je lis sam̃bâdhô, au lieu de sabbâdhô que donne le texte.
  42. Le texte du Subha sutta donne sam̃khalikhitam̃, ce qui rappelle le nom des deux législateurs brâhmaniques Sam̃kha et Likhita. (Stenzler, Indische Studien, t. I, p. 240.) Mais telle ne doit pas être la véritable leçon ; car outre que ces deux législateurs ne paraissent avoir rien à faire ici, si on les avait cités comme ayant quelque rapport avec la conduite religieuse, brahmatchariyam, leur nom serait employé en manière d’adjectif, avec une forme quelconque de dérivation. D’ailleurs ce même morceau, à la place où il se présente dans le Sâmañña phala sutta, p. 17 a de mon manuscrit, donne cette autre leçon, sam̃khalitam̃ au lieu de sam̃kkalikhitam̃. Je suppose que sam̃khalita vient du sanscrit kchal, « laver. »
  43. Les phrases renfermées entre deux étoiles appartiennent au Subha sutta, ainsi que je l’ai dit en commençant, ci-dessus, p. 448.
  44. À partir de cette phrase jusqu’au paragraphe sur les rois Kchattriyas (p. 471), le texte de ce Sutta ne fait guère que reproduire celui du Brahma djâla sutta. (Dîgha nikâya, f. 1 b fin, jusqu’à f. 4 a.)
  45. Le texte se sert du mot pôri, que je prends pour un dérivé de pura, et qui doit signifier « qui appartient aux villes, langage des villes. »
  46. Dans le Brahma djâla sutta, cette partie du texte a le titre de « Fin des règles fondamentales de moralité, » Mûlasîlam̃ niṭṭhitam̃.
  47. Je traduis ainsi visûkadassanam̃, d’après le sens qu’a en singhalais vîsûka, « représentation dramatique » (Clough, Singhal. Diction., t. II, p. 665, et ci-dessus, p. 444) ; mais je dois avertir que l’interprète barman du Pâṭimôkkha entend tout autrement ce terme et le traduit ainsi : « la vue de ce qui est comme les épines de la sainte loi, savoir, la danse, etc. » (Pâṭimôkha, f. 62 a du man. de la Biblioth. nat. et p. 588 de ma copie.) C’est là du moins la seule manière dont je puisse comprendre cette glose où le terme ngróng (épine, selon Judson), a peut-être un autre sens. La valeur de « représentation dramatique » sort assez bien de celle du radical sûtch, « indiquer, exprimer ; » vîsûka revient à dire « ce par quoi on exprime, on manifeste des sentiments. »
  48. Ici encore le texte est obscur pour moi ; kumbhathûnam̃ donne littéralement le sens que j’ai adopté ; mais ce sens ne nous apprend rien sur la nature de la représentation dont il s’agit ; faut-il traduire, « des poteaux surmontés de jarres, » peut-être pour servir de but, ou prendre kumbha dans le sens du singhalais kamha, « mât, » et dire, « des poteaux dressés comme des mâts ? »
  49. Ce sens est fort douteux, parce qu’au lieu de lire comme le Sâmaññaphala le fait, sôbhana karakam, qui semble se rapporter au mot suivant tchaṇḍâlam̃, le Brahma djâla lit en cet endroit sôbhanagarakam̃. Ce dernier composé rappelle le mot de nagarasôbhini, « la belle de la ville, » ou « la courtisane, » comme on sait qu’il en existait dans les grandes villes de l’Inde et notamment à Vâiçâlî, du temps de Çâkya. Le sôbhanagaraka du Brahma djâla, malgré le déplacement des termes sôbha et nagaraka dont il se compose, se prête peut-être à la même explication. D’après cette supposition, il faudrait traduire : « les beautés de la ville, les Tchaṇḍâlas. »
  50. Je ne suis pas certain de la véritable signification de ce terme vam̃çadhôvanam̃ ; en tirant dhôvana de dhû, on traduira : « l’action d’agiter un bambou c’est-à-dire « le jeu du bambou, » ou plus clairement « le jeu du bâton. » Mais si dhôvanam (qui serait mieux alors dhâvanam) signifiait « l’action de courir, » on traduirait, soit « la course avec un bambou, » soit « la course sur un bambou, » et ce dernier jeu pourrait n’être qu’un synonyme du métier de danseur de corde. Chez les commentateurs brâhmaniques, vam̃çanartin est expliqué par vam̃çêna nartanaçîla, « celui qui sait danser avec un bambou. » (Weber, Ind. Studien, t. I, p. 157.) Au reste, ce terme est écrit assez diversement dans mon manuscrit, où on lit tantôt vam̃sam̃dhôvanam̃, et tantôt vâsandhôvanam̃. On ne peut guère songer au sens de « laveur de vêtements, » sens auquel ferait penser la leçon de vâsan, et celle de dhôvana, pris dans l’acception qu’il a en singhalais. Peut-être que vamsam̃dhôvanam̃, réuni en un composé imparfait, signifie l’action de laver un bambou et fait allusion à quelque cérémonie, comme serait celle de dresser un bambou et de l’arroser d’eau en vue d’un certain résultat.
  51. Le manuscrit lit en un endroit vaddhaka, et dans l’autre vaṭṭaku ; j’en fais le sanscrit vartaka.
  52. Le texte a ici nibbuddham̃ uyyôdhikam̃ balaggam̃ sênâvyûham̃ anîkadassanam̃ ; ce passage présente quelque ambiguïté, parce qu’on ne sait pas si tous ces mots sont indépendants les uns des autres, ou s’il faut les grouper autour de certains substantifs auxquels ils se rapporteraient, comme balaggam̃, « le front des troupes, » ou sênâyûham̃, « l’armée en bataille « Heureusement que le Pâṭimôkkha, et surtout le commentaire barman qui l’accompagne dans le manuscrit de la Bibliothèque nationale, vient ici à notre secours. Voici comment ces termes y sont successivement interprétés. D’abord, ils sont tous détachés les uns des autres et subordonnés seulement à l’idée de voir, de regarder ; car il s’agit de spectacles dont le Religieux doit s’interdire la vue. Le premier nibbuddham̃ est lu uyyutam̃ par le Pâṭimôkkha, leçon qui paraît au premier abord très-éloignée de celle de notre Sutta, mais que je crois être plus correcte par les raisons suivantes. Mon manuscrit du Dîgha nikâya a en effet, en un endroit, niyyuddham̃, mot où reparaît le y nécessaire ; je remarque ensuite que les copistes singhalais confondent souvent ddha avec tta ; cela a lieu surtout pour le nom de la perdrix vattaka (en sanscrit vartaka), qu’ils écrivent constamment vaddhaka. Cette remarque nous donne niyyuttam̃, pour le sanscrit niryuktam̃, ce qui revient, sauf le préfixe, à uyyuttam̃ du Pâṭimôkkha, pour le sanscrit udyuktam̃. Le premier de ces participes signifierait bien lancé dehors, comme le second veut dire alerte, actif. Le commentaire barman du Pâṭimôkkha, faisant rapporter le dernier adjectif à sênam, qui manque dans notre Sutta, traduit uyyuttam par « une armée sortie de la forteresse » (mroiv mha thvak so tchatch sañ). L’explication des termes suivants ajoute, comme on va le voir, à la vraisemblance de cette interprétation. La glose barmane traduit uyyôdhikam̃, « le lieu où une armée s’est avancée pour combattre, le champ de bataille » (tak rhve tak rhve tchatch thoìv râ arap). Le mot suivant balaggam̃, qui semblerait devoir signifier « le bout, le front de l’armée, » est traduit par la même glose : « le lieu de réunion des troupes » (bail tchu râ arap). Il n’y a pas de doute sur sênâvyûham̃, qui signifie bien « une armée en bataille, » selon la glose, « le lieu où l’armée est rangée en bataille » (tchatch tchhang râ arap). Enfin anîkadassanam̃ signifie « la vue des bataillons, » selon la glose « la vue des groupes d’éléphants, etc. » (tchhang apòṇg tcha sañ koi chu khrang.)
  53. Le manuscrit du Subha a, en un endroit, sannibalika.
  54. Ou môkkhatchika, et ailleurs mêkkhatchika.
  55. Ce terme est, dans le texte, vikatikam̃, accusatif de vikatikâ, qui, selon Clough (Abhidh. ppadip. l. II, chap.  III, sect. 3, st. 31, p. 40), signifie a woollen carpet worked with the figures of lions, tigers, etc. C’est par conjecture que je traduis par couverture de coton, le mot tûlikatikam̃, écrit ailleurs tûlikam̃.
  56. Le manuscrit a, dans un autre endroit ubhatôlôhitam̃ kûṭapadhânam̃.
  57. Cette traduction est toute conjecturale ; le manuscrit a dans un endroit sambâganam̃ et dans un autre sabbâhanam̃, où je vois le sanscrit sam̃vâhana.
  58. Le manuscrit donne en un endroit sûra katham̃ et dans un autre sûkara katham̃, « les porcs. »
  59. Le texte, dans deux endroits, dit à tort, avatchanîyam̃, « ce qu’il ne fallait pas dire. »
  60. Dans le Brâhma djâla, cette partie du texte se termine ainsi : « Fin de la moralité moyenne, » Madjdjhimaçîlam̃ niṭṭhitam̃.
  61. Ce chiffre et ceux qui le suivront à partir de f. 51 a, indiquent la page du Subha sutta dans mon manuscrit du Dîgha nikâya.
  62. L’expression du texte est mûsikâtchtchhinna, « coupé par les rats. »
  63. Ce mot doit désigner un animal à longues oreilles, mais je ne sais lequel.
  64. Cette énumération de prodiges, ainsi que celles qui précèdent et qui suivent, rappellent les énoncés analogues de l’Adbhuta brâhmaṇa, du Sâmavêda, que vient de nous faire connaître Weber, (Indische Studien, t. I, p. 39 et suiv.) On comparera avec intérêt l’exposé du Brâhmaṇa à celui de notre Sutta ; non que les termes en soient identiquement les mêmes, mais parce que ces termes portent de part et d’autre sur les mêmes phénomènes, les tremblements de terre, les météores, les prodiges, etc. Il importe d’ailleurs de signaler les points par lesquels la rédaction des anciens traités buddhiques, si différente à bien des égards de celle des livres brahmaniques antérieurs à notre ère, s’en rapproche cependant et annonce une méthode et des procédés analogues.
  65. Les mots du texte sont âvâhaṇam̃ vivâhanam̃ sam̃vadanam̃ vivadanam̃ ; comme tout ce morceau a trait aux pratiques des sorciers, je me suis appuyé sur le sens de sam̃vadana et de âvâhaṇa pour traduire comme je l’ai fait. Il est évident que ces quatre termes sont opposés deux à deux l’un à l’autre. Si sam̃vadana exprime l’action de soumettre quelqu’un à l’aide d’incantations, vivadana doit exprimer l’action d’éloigner l’effet de pareilles pratiques. La version que je donne de âvâhana et de vivâhaṇa est plus conjecturale. On pourrait y voir « l’action d’inviter les parties pour un mariage, et celle de le conclure ; » mais âvâhana, en sanscrit, désigne déjà, d’après Wilson, une certaine position des mains et des pouces qui a sans doute rapport à la magie ; j’ai traduit âvâhana dans le sens de « l’action d’amener sur, » sens que ce mot peut avoir étymologiquement.
  66. Le texte a en un endroit âdâsadjappanam̃, « l’action de s’entretenir avec un miroir, » et dans un autre âdâsapañham̃ ; c’est d’après cette dernière leçon que j’ai traduit.
  67. Le terme de Bhûrikamma n’est peut-être qu’une allusion à la fameuse formule brâhmanique bhûr bhuvaḥ svar ; les termes qui viennent ensuite et de l’interprétation desquels je suis plus sûr, le donneraient à penser.
  68. Le texte du Subho sutta lit paṭikirânam̃, ce qui signifie probablement « l’action de répandre en distribuant, ou l’aspersion.»
  69. Dans la partie du Dîgha nikâya qui renferme le Brahma djâla, ce morceau est terminé par les mots Mahâsîlam̃ niṭṭhitam̃, « Fin de la grande moralité. »
  70. Après cet exposé, le Subha sutta continue ainsi : « C’est là, jeune Brâhmane, la masse sublime des vertus dont Bhagâvat a fait l’éloge, qu’il a fait accepter à la foule du peuple, dans laquelle il l’a introduite, dans laquelle il l’a établie. — Y a-t-il pour moi ici quelque chose de plus à faire ? C’est une chose surprenante, ô Ânanda [reprit le jeune Brâhmane], c’est une chose merveilleuse, c’est un puissant moyen de succès que cette sublime masse de vertus qui est achevée et non inachevée. Je n’aperçois pas, ô Ânanda, hors d’ici, dans les autres Samaṇas ou Brâhmanes, une masse sublime de vertus aussi achevée ; et si les autres Samaṇas ou Brâhmanes pouvaient voir hors d’ici en eux-mêmes une masse de vertus, aussi achevée, ils n’en seraient cependant satisfaits en aucune manière. C’est assez de cette exposition ; par cette exposition se trouve atteint pour nous le résultat général. — Il n’y a donc pour nous rien de plus à faire ici ? — Cependant, respectable Ânanda, tu t’es exprimé ainsi : Y a-t-il pour moi ici quelque chose de plus à faire ? Quelle est donc, ô Ananda, la masse sublime de méditations dont le bienheureux Gôtama a fait l’éloge, qu’il a fait accepter à la foule du peuple, dans laquelle il l’a introduite, il l’a établie ? »
  71. Le texte se sert, pour exprimer cette idée, du verbe anvâssavêyyum̃, « ils s’écouleraient à la suite ; » je note ici en passant, parce que j’y reviendrai plus tard, le rapport de ce verbe avec le terme d'âçrava, en pâli âsava, « péché, faute, » qui en dérive. (Voy. ci-dessus, p. 288, et plus bas, Appendice, no XIV.)
  72. Le texte se sert des mots sammiñdjitê et pasâritê que j’ai examinés plus haut, f. 4 a, p. 305 et 306.
  73. Dans un autre fragment du Dîgha nikâya, où la plus grande partie de ce Sutta est répétée, le monosyllabe annonce une abréviation, c’est-à-dire que le passage qui suit dans le Sâmañña est supprimé ; mais la reprise n’est plus la même, et elle se fait par un morceau sur la charité. (Dîgh. nik. f. 66 a.)
  74. Le mot que je traduis par ruisselante est paggharaṇi qui doit signifier aspergé, couvert, du radical ghrĭ ; ce sens se trouve confirmé par une glose empruntée à un commentaire pâli, composé pour un ouvrage dont je n’ai pu encore découvrir le titre : l’adjectif lôhitakam̃, « couvert de sang, » y est expliqué par lôhitapaggharaṇakam̃, « aspergé de sang. » (Purâṇa ṭikâ sag̃gaha, f. 5 a de mon manuscrit.)
  75. Le Subha sutta ajoute le passage suivant : « C’est là, jeune Brâhmane, la masse sublime de méditations dont le Bienheureux a fait l’éloge, qu’il a fait accepter à la foule du peuple, dans laquelle il l’a introduite, dans laquelle il l’a établie. Y a-t-il pour moi ici quelque chose de plus à faire ? C’est une chose surprenante, ô Ânanda, [reprit le jeune Brahmane,] c’est une chose merveilleuse, ô Ânanda, c’est un puissant moyen de succès que cette sublime masse de méditations, qui est achevée et non inachevée. Je n’aperçois pas, ô Ânanda, hors d’ici, dans les autres Samaṇas ou Brâhmanes, une masse sublime de méditations aussi achevée ; et si les autres Samaṇas ou Brâhmanes pouvaient voir, hors d’ici en eux-mêmes, une masse aussi achevée de méditations, ils n’en seraient cependant satisfaits en aucune manière. C’est assez de cette exposition ; par cette exposition se trouve atteint pour nous le résultat général. — Il n’y a donc pour nous rien de plus à faire ici ? — Cependant, respectable Ânanda, tu t’es exprimé ainsi : Y a-t-il pour moi ici quelque chose de plus à faire ? Quelle est donc, ô Ânanda, la masse sublime de sagesse dont le bienheureux Gôtama a fait l’éloge, qu’il a fait accepter à la foule du peuple, dans laquelle il l’a introduite, dans laquelle il l’a établie ? » On a vu qu’un pareil résumé revenait à la fin de chacun des articles du Subha.
  76. Le Dêṇḍima est-il un autre nom du sanscrit dundubhi, « espèce de grande timbale, ou de tam-tam, » comme le mutig̃ga, « tambourin, » est le classique mrĭdañga ? On sait qu’en singhlais dêṇḍima serait le nom verbal de la racine qui signifie parler ; mais ce sens n’a rien à faire ici.
  77. Le texte écrit avec un gh, sim̃ghâṭaka, le mot que Wilson donne avec un ga, çrig̃gâṭaka.
  78. Le texte se sert d’une expression consacrée qui revient toujours chaque fois qu’il s’agit de cette notion, ayam̃ dukkha nirôdha gâminî paṭipadâ ; le terme de paṭipadâ est le sanscrit pratipat ; nous savons par Turnour qu’il est compris sous un autre terme plus général, celui de mârga, « la voie, » lequel désigne le chemin qui mène à la science supérieure. On voit qu’on peut traduire patipadâ par « les degrés » que l’on franchit quand on marche dans cette voie. D’un autre côté, patipadâ signifie également « place, situation, « dignité, » quand on envisage l’homme comme arrivé ou arrêté à un point qui est plus élevé qu’un autre point précédemment franchi.
  79. L’expression dont se sert le texte est nâparam̃ itthattâya, littéralement, « il n’y a plus autre chose pour l’état d’être ici, » ou « pour l’état d’être ainsi. » Le substantif abstrait itthatta, de ittha, « ici ou ainsi, » est très-fréquemment employé dans les textes pâlis pour désigner la condition de l’homme en ce monde. En parlant d’un Religieux qui, comme Çâkyamuni, après avoir gagné le ciel pour prix de ses vertus antérieures, revient en ce monde, un texte du Dîgha nikâya s’exprime ainsi : Sô tatô tchutô itthattam âgatô samânô imam̃ mahâpurisalakkhaṇam̃ paṭilabhati. « Descendu de ce monde et étant arrivé ici-bas, il revêt ce signe extérieur d’un grand homme. » (Lakkhaṇa sutta, dans Dîgh. nik. f. 167 a.) Ce passage ne laisse aucun doute sur le véritable sens du mot itthattam, « l’état d’être ici ; » on y remarquera en outre le participe samânô ; c’est un exemple de plus, à ajouter à ceux que j’ai déjà cités plus haut (p. 409), pour prouver l’emploi d’un participe moyen du radical as en pâli.
  80. Après la phrase placée entre deux étoiles, le Subha sutta ajoute le morceau suivant par lequel il se termine dans mon manuscrit. C’est là, jeune Brâhmane, la masse sublime de sagesse dont le Bienheureux [f. 55 b] a fait l’éloge, qu’il a fait accepter à la foule du peuple, dans laquelle il l’a introduite, dans laquelle il l’a établie. Y a-t-il pour moi ici quelque chose de plus à faire ? C’est une chose surprenante, ô Ânanda [reprit le jeune Brâhmane] ; c’est une chose merveilleuse, ô Ânanda, c’est un puissant moyen de succès, que cette sublime masse de sagesse qui est achevée et non inachevée. Je n'aperçois pas, ô Ânanda, hors d’ici, dans les autres Samaṇas ou Brâhmanes, une masse sublime de sagesse aussi achevée. — Il n’y a donc pour nous rien de plus à faire ici ? — Cela est éminent, ô Ânanda. De même, ô Ânanda, que si l’on redressait un objet renversé sens dessus dessous, si l’on découvrait une chose cachée, si l’on indiquait le chemin à un homme égaré, [etc. comme au texte, jusqu’à] je suis venu chercher un asile auprès de toi. »
  81. Ci-dessus, f. 4 a, et p. 304.
  82. Turnour, Mahâwanso, t. I, chap. iv, p. 15.
  83. H. Burney, Translat. of an Inscript. in the Burm. language, dans Asiat. Res. t. XX, p. 170 ; Burmese chronolog. table, dans Crawfurd, Journ. of an Embassy to Ava, Append. p. 31 ; Lassen, Ind. Alterth. t. II, p. 63.
  84. Introd. à l’hist. du Buddh. indien, t. I, p. 358
  85. Abhidharma kôça vyâkhyâ, f. 2 b de mon manuscrit.
  86. Mahâvam̃sa ṭikâ, f. 54 b.
  87. Weber, Indische Studien, t. I, p. 213.
  88. Lassen, Ind. Alterth., t. I, Anh. p. xxxiii, Prinsep, Useful Tab. 2e part.  p. 99.
  89. Lassen, Ind. Alterth. t. I, p. 710, 742, et t. II, p. 77 et 510.
  90. Weber, Ind. Stud. t. I, p. 213.
  91. Sag̃gîti sutta, dans Dîgh. nik. 177 b. Il importe de remarquer que la ville de Pâvâ dont il est question quand on parle de la tribu des Mallas, était située dans le pays dont Kusinârâ passe pour la capitale ; Pâvâ n’était éloignée de cette dernière ville que de trois gavutâni, environ douze milles anglais. (Turnour, Examin. of pâli Buddh. Annals, dans Journ. As. Soc. of Bengal, t. VI, p. 513, et t. VII, p. 1005.) Le pâli gavuta répond au sanscrit gavyûti.
  92. Introd. à l’hist. Du Buddh. ind., t. I, p. 457.
  93. Zur Litt. and Geschichte des Weda, p. 65.
  94. Indische Studien, t. I, p. 484.
  95. Weber, Ibid. p. 227 et 328, p. 440 et 441, et p. 484.
  96. Indische Alterthumskunde, t. II, p. 482 et suiv. Weber, Ind. Stud. t. I, p. 228, note. Je répugne cependant à croire que l’auteur du Sarvânukrama du Rĭgvêda (Mueller, Rĭgveda sanhitâ, préf. p. xxv), soit le grand disciple de Çâkya.
  97. Indische Studien, t. I, p. 441 et 484.
  98. Introd. à l’hist. du Buddh. Indien t. I, p. 156, note 2 ; le Lotus de la bonne loi, ci-dessus, p. 292.
  99. Introd. à l’hist. du Buddh. Indien t. I, p. 530.
  100. Zur Litter. und Geschichte des Weda, p. 66.
  101. Voy. Kuṇḍinî, dans le Gaṇa Garga, Pâṇini, t. II, p. xcii, éd. Boehtlingk.
  102. Weber, Ind. Stud. t. I, p. 71, et surtout p. 441, note 1.
  103. Introd. à l’hist. du Buddh. Indien t. I, p. 479.
  104. Weber, Ind. Stud. t. I, p. 373 et 375.
  105. Vrĭhadâraṇyaham, éd. Poley, p. 98 ; Weber, Ind. Stud. t. I, p. 484.
  106. Introd. à l’hist. du Buddh. Indien t. I, p. 208. En pâli, ce nom s’écrit Pôkkharasâdi ou sâti ; c’est un dérivé patronymique de Puchkarasâd, « qui se repose sur l’eau ou sur l’étang, » probablement pour dire lotus. Il paraîtrait que les interprètes tibétains des livres sanscrits buddhiques ont eu sous les yeux une autre orthographe de ce nom propre, à en juger d’après la traduction qu’ils en ont donnée. J’ai en effet lieu de croire que le Brâhmane nommé par eux Padma sñing-po doit être le même que Pâuchkarasâdi, (Csoma, Analysis of the Dulva, dans Asiat. Res. t. XX, p. 63 et 91.) Il semble, en effet, qu’ils ont employé padma comme synonyme de pâuchkara, qui pris à part peut désigner le lotus, en tant que produit d’un étang. D’un autre côté, comme sñing-po signifie « qui possède le cœur ou l’essence, » cette expression doit répondre non plus à sâdi, mais à sârin. Il est donc très-probable que, dans l’opinion des interprètes tibétains, le nom sanscrit de ce Brâhmane était Pâuchkârasârin. Je pense de même que le nom du village brâhmanique du pays des KôçalasPâuchkarasâdi passe pour avoir résidé, village que Csoma, d’après les Tibétains, désigne ainsi, Hdod-pa-hthun-pa (Analysis of the Dulva, etc. p. 91), doit être le lieu dit Itchtchhânam̃ kâlam̃ du Sutta pâli, intitulé Ambaṭṭha sutta, du Dîgha nikâya. Ce nom de lieu doit signifier « l’endroit où l’on ramasse tous les désirs, tout ce qu’on désire. »
  107. Zur Litt. und Geschichte des Weda, p. 66.
  108. Ce point de vue est aussi celui de M. R. Roth, qui a porté dans ces délicates questions de critique un savoir très-solide et la clarté d’un esprit parfaitement droit. J’ose présenter sa dissertation sur les Vêdas et sa préface au Nirukta comme des modèles en ce genre de recherches, dans un moment surtout où quelques esprits vigoureux, mais trop peu réglés peut-être, semblent se livrer avec une sorte d’intempérance à l’enivrement produit par l’abondance des matériaux précieux que leur zèle amène chaque jour, je dirais volontiers à la lumière, s’ils consentaient à se rendre un peu plus faciles à lire.
  109. Roth, Jâska’s Nirakta, introd. p. LIII.
  110. Têvidjdja sutta, dans Dîgh. nik. f. 60 b et suiv.
  111. Je ne trouve sur les certes modernes de la partie septentrionale de l’Inde, où nous devons chercher l’ancien pays des Kôçalas, aucune des dénominations géographiques qui figurent au début de cette légende. Cela ne doit pas surprendre pour un simple village comme Manasâkaṭa, qui serait sans doute en sanscrit Manasâkrĭta, « fait par un simple acte de volonté. » Mais on aimerait à découvrir la rivière Atchiravatî parmi les nombreux cours d’eau qui arrosent les provinces actuelles de Baraitch, Gorakpour et Aoude. Je serais tenté de supposer que la Raptî actuelle (nom qui est donné d’ailleurs à deux rivières qui sont déjà réunies à Gorakpour et qui se jettent dans la Dêvah), a pu se nommer anciennement Atchiravatî. Dans cette hypothèse, le mot de Raptî serait la fin altérée de Atchi-ravatî : peut-être même a-t-on dit Irâvatî au lieu à Atchiravatî, mot un peu développé pour subsister longtemps dans la prononciation populaire, et de Irâvatî on aura fait aisément Raptî. Ce qui confirmerait cette conjecture et la changerait presque en certitude, c’est que sur la carte du district de Gorak pour qui est annexée à la topographie de l’Inde orientale publiée par Montgomery Martin, d’après les papiers manuscrits du docteur Francis Buchanan, la Raptî porte aussi le nom de Airâvatî, ce qui est à peu de chose près le nom même dont je supposais tout à l’heure l’existence. (History, Topography, etc. of Eastern India, t. II, carte, p. 291 et 306.) Je ne dois pas cependant omettre de remarquer que des orientalistes d’une autorité imposante, comme Klaproth, Wilson et Cunningham, ont reporté l’Atchiravatî un peu plus à l’est, en l’identifiant avec la Gandakî moderne. Cette détermination repose à peu près entièrement sur la position que ces auteurs assignent à la ville célèbre de Kuçinârâ. Selon le voyageur chinois Hiuan thsang, autant qu’on le connaît par l’analyse de Klaproth (Foe koue ki, p. 287), la ville de Kiu chi na kie lo était située non loin du bord oriental de la rivière A chi lo fa ti, dont Hiuan thsang donne cette autre orthographe, A li lo pho ti, tout en la critiquant à ce qu’il paraît ; en effet, la vraie leçon se trouverait probablement dans la combinaison des deux orthographes, A chi lo fa ti, ce qui reviendrait exactement à celle de notre Sutta pâli, Atchiravatî, et non Adjirapati, comme l’écrit Csoma, d’après les Tibétains. (Analysis of the Dulva, dans Asiat. Res. t. XX, p. 59.) Il paraît que cette rivière s’était appelée antérieurement Chi lai na fa ti, mot dans lequel Klaproth retrouve le sanscrit Svarṇavatî, « qui charrie de l’or ; » cette conjecture lui donne l’explication du nom de Hi lian, en sanscrit Hiraṇya, « or, » par lequel on désignait la rivière auprès de laquelle était située la ville de Ku si na kie, selon le témoignage de Fa hian. (Foe koue ki, p. 235 et 236.) Or Klaproth pense que la rivière nommée par Hiuan thsang A chi to fa ti est la Gandakî, sans distinguer toutefois entre la grande et la petite rivière de ce nom. Le capitaine Cunningham, faisant usage de renseignements pris sur les lieux, se décide positivement pour la Tchûta Gandakî, « la petite Gandakî ; » et plaçant la ville de Kiu si na kie lo au lieu nommé Kusîa, dont les ruines ont été décrites par M. Liston (Journ. asiat. Soc. of Bengal, t. V, p. 477), il suppose que la forêt de Çâlas, indiquée par Hiuan thsang sur la rive occidentale de l’a chi to fa ti, se retrouve sur la carte de Rennell, dans la grande forêt de Çâlas, qui s’étend entre la Raptî et la petite Gandakî, à l’occident de cette dernière. (Journ. asiat. Soc. of Bengal, t. XVII, 1re partie, p. 30.) Je dois dire que l’argument tiré des curieuses ruines de Kusîa avait déjà été employé par M. Wilson. (Journ. roy. asiat. Soc. t. V, p. 126.) L’enchaînement de ces données conduit donc à ce résultat, que Kusîa est l’ancienne ville de Kuçi-nârâ, et que la rivière A chi to fa ti, ou notre Atchiravatî, est la petite Gandakî. Tout en reconnaissant la force de cette conclusion, je remarquerai que la Raptî et la petite Gandakî sont assez voisines l’une de l’autre pour avoir pu anciennement ou porter le même nom ou échanger leurs noms entre elles, surtout dans un pays extrêmement arrosé, et où nous savons que les rivières changent souvent plusieurs fois de dénominations dans diverses parties de leur cours, indépendamment de ce qu’elles tendent fréquemment à se confondre les unes avec les autres par des ébranchements que le docteur Fr. Hamilton a ingénieusement comparés à des espèces d’anastomoses. (Histor. Topogr. etc. t. II, p. 321.) Au reste, j’aurai occasion de revenir sur ce sujet en examinant le dernier voyage que fit Çâkya de Râdjagrĭha à Kuçinârâ.
  112. Le mot que je traduis par riche est mahâsâla, qui est d’un fréquent usage dans les textes buddhi- ques de toutes les écoles, et qu’on retrouve assez fréquemment aussi dans les Brâhmaṇas des Vêdas. J’y reviendrai au no XXI de l’Appendice.
  113. Le nom de Nôdêyya est un patronymique qui rappelle celui de l’ancien Rĭchi Nôdhas, auquel est attribuée la composition de plusieurs hymnes du Rĭgvêda, lesquels forment une section entière dans le premier Maṇḍala de ce Vêda. (Mueller, Rigveda sanhitâ, t. I, p. 525 sqq. Wilson, Rigveda sanhitâ, t. I, p. 334.)
  114. L’expression dont se sert le texte est djag̃ghâ vihâram anutchag̃khamantânam̃ ; j’ai traduit littéralement comme s’il existait un Djag̃ghâ vihâra. Mais outre que l’existence d’un vihâra pour des ascètes brâhmaniques a quelque chose d’inattendu, il se pourrait bien que la phrase du texte signifiât simplement « faisant une promenade sur leurs jambes. » Le mot anutchag̃kaman, qui signifie « se promenant de long en large, » rend ce sens très-probable.
  115. Je dois avertir que le mot Brahmâ étant, dans le texte, en composition, on ne peut reconnaître si l’auteur veut parler du Brahmâ masculin ou du Brahma neutre. Plus bas, le mot étant employé au nominatif, c’est Brahmâ que lit le texte. On aurait probablement tort de demander au rédacteur de ce Sutta, quel qu’il ait été, une précision rigoureuse sur ce point, qui a cependant son importance pour l’histoire de la religion brâhmanique. La précision a pu même exister dans les premiers temps du Buddhisme ; mais il est facile de comprendre qu’on s’en soit peu à peu relâché, et qu’elle ait déjà disparu quand les Suttas ont été rédigés par écrit.
  116. Peut-être est-ce une altération de Tâṇḍava.
  117. Je ne suis pas sûr d’avoir traduit exactement l’expression du texte yâvasattamâ âtcharyamahâyugâ. Il est certain qu’on ne peut pas penser ici au Mahâyuga ou au grand Yuga des Purânistes, car je n’ai jamais rencontré dans les anciens Suttas la mention de cette période ou des divisions dont elle se compose ; mais yuga (dans le mahâyuga du texte) peut signifier couple : ce sens, toutefois, ne paraît pas convenir ici aussi bien que celui d’âge, cycle.
  118. Sur ces noms, voy. Roth, Zur Litt. und Gesch. des Weda, p. 13. Ici Bhagu est pour le sanscrit Bhrĭgu. Quant à celui qui ouvre cette liste, et qui est écrit tantôt Aṭṭhaka, tantôt Aḍḍhaka, je ne connais pas de nom Brâhmanique qui y réponde ; mais il rappelle la division du Rĭgvêda en achṭakas ou huitains. Le rédacteur ou le copiste de notre Sutta aurait-il confondu une division de livre avec un nom d’auteur ? D’un autre côté, l’écriture singhalaise est si confuse et si imparfaite que l’on pourrait également lire andaka ; nom qui signifierait peut-être « né d’un œuf » et serait synonyme de Hiraṇyagarbha, ou de Pradjâpati, auquel on attribue quelques hymnes du Rĭgvêda dont on ignore les véritables auteurs. (Colebrooke, On the Vedas, dans Misc. Ess. t. I, p. 33.)
  119. J’ai tiré le sens le plus vraisemblable du texte qui est ici confus, et où il y a probablement à la fois lacune et répétition.
  120. Sag̃gîti sutta, dans Dîgha nikâya, f. 190 b ; ci-dessus, p. 444 et suiv.