IV.
C’est nous autres, messieurs.
Il y avait une fois trois garçons qui voulurent aller à Paris pour apprendre à parler. Arrivés près de la ville l’un d’eux dit :
— Restez ici ; je vais aller écouter et vous raconterai ce que j’aurai ouï.
Il entendit les gens de Paris qui disaient :
— C’est nous autres, messieurs.
Et il revint en disant à ses camarades :
— J’ai appris à parler : c’est nous autres, messieurs.
Le second alla écouter à son tour, et voici ce qu’il entendit :
— C’est parce que nous le voulons.
Le troisième ouït dire :
— Sacrédié, c’est de tant mieux.
Alors ils s’en vinrent, pensant être assez instruits. Ils trouvèrent sur leur route un homme assassiné, et se mirent à dire des prières auprès de son cadavre. Des gendarmes survinrent qui leur dirent :
— Qui a tué cet homme ?
— C’est nous autres, messieurs, répondit le premier des compagnons.
— Et pourquoi ?
— C’est parce que nous le voulions, dit le second.
— Vous allez passer en justice, dirent les gendarmes.
— Sacrédié, c’est de tant mieux, s’écria le troisième des garçons qui était allé à Paris pour apprendre à parler.
M. J. Thuriault, à la page 222 de son livre intitulé : Étude sur le langage créole (Brest, Lefournier, 1874), a publié un conte en patois créole : Les habitants du Gros-Morne avant leur civilisation, plus long que celui-ci, mais dont la trame est exactement la même : il s’agit de nègres qui vont écouter des gens qui parlent le français, et qui apprennent chacun une phrase qui, appliquée maladroitement, les fait finalement aller en prison. Cf. aussi, n° XXXIV, des Contes populaires de la Haute-Bretagne.