Littérature orale de la Haute-Bretagne/Première partie/II/III

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III.

Les Boutons d’or.

Il y avait une fois une bonne femme dont le mari était cantonnier. Un jour qu’il travaillait sur la grande route, il trouva une valise qui était pleine d’or. Il revint au logis, et dit à sa femme :

— C’est moi qui ai trouvé un joli sac de cuir avec de beaux boutons dedans ! J’aurai pour longtemps avec quoi boutonner mes culottes.

— Fais-moi-les voir, dit la femme.

Elle ouvrit la valise, et comme elle était moins simple que son homme, dès qu’elle eut vu ce qu’elle contenait :

— Va te coucher, dit-elle ; tu es malade.

— Mais non.

— Si, je le vois bien ; il n’y a qu’à regarder ta figure.

Quand son homme fut couché, elle l’endormit en lui faisant respirer des herbes fortes, mit deux œufs dans son lit, puis baratta du lait.

Le soir, le cantonnier voulut se lever ; maiselle borda soigneusement ses couvertures et le fit rester au lit, en disant toujours qu’il avait la mine malade.

Le lendemain matin, quand il s’éveilla, il dit :

— Je retourne à ma journée ; je suis bien guéri aujourd’hui.

En se levant, il trouva dans son lit les deux œufs que la fine commère y avait placés la veille.

— Ah ! s’écria-t-il, tu avais raison de dire que j’étais malade : j’ai pondu deux œufs, et les voilà.

Le cantonnier alla à la croisée et vit la cour de la maison toute blanche : sa femme y avait jeté le lait qu’elle avait baratté.

— Qu’y a-t-il de blanc devant la maison ?

— Ah ! répondit-elle, pendant que tu étais couché, il a plu du lait-ribot.

Le bonhomme reprit ses outils et retourna travailler sur la route. À peine y était-il arrivé, qu’un monsieur l’aborda et lui dit :

— N’avez-vous rien trouvé hier sur cette route, mon ami ?

— Si, monsieur ; j’ai trouvé un petit sac en cuir, rempli de boutons jaunes.

— Faites-le-moi voir, s’il vous plaît.

— Venez avec moi ; il est à la maison.

Quand il fut arrivé chez lui avec le monsieur, il dit à sa femme :

— Montre-moi le petit sac de cuir que je t’ai apporté hier.

— Tu ne m’as rien apporté.

— Si, je t’ai donné un petit sac en cuir.

— Un petit sac en cuir ? Quel jour donc ?

— Tu ne te rappelles plus ? C’est le jour où j’ai pondu deux œufs, et où il a tombé du lait-ribot.

— Vous voyez bien qu’il est fou, dit la bonne femme.

Le monsieur crut que le cantonnier avait adioté[1], et la bonne femme a eu la bourse.

(Conté en 1879 par Élisa Durand, de Saint-Cast.)


J’ai recueilli a Ercé une autre version de ce conte, où il est question d’un journalier qui trouve un trésor et qui le garde par l’adresse de sa femme ; celle-ci lui fait accroire qu’il a pondu un œuf et qu’il a plu de la saucisse.

Un des épisodes du très-curieux conte de Sachuli l’innocent, recueilli par Mademoiselle Maive Stokes (Indian Fairy Tales, Calcutta, 1879), montre la mère de Sachuli semant des confitures sèches autour de sa maison, afin que lorsqu’on interrogera son fils, qu’elle sait faible d’esprit, sur un vol qu’elle a commis, il réponde que c’était le jour où il a plu des confitures. La ruse réussit en effet. Mademoiselle Stokes, dans le commentaire de ce conte, cite un récit publié dans Pall Mall Budget (numéro du 12 juillet 1878, Wild life in southern Country), où la mère d’un garçon innocent, désirant discréditer par avance son témoignage, montel’escalier et fait pleuvoir du raisin sur son fils. Quand celui-ci est appelé à préciser le temps où s’est passé le fait qu’il raconte, il répond : « Quand il a plu du raisin » et, bien entendu, on ne le croit pas. — M. Campbell ajoute en note : « Ce conte d’un garçon stupide a son similaire dans un conte gaélique de ma collection, où le garçon fait remonter un événement vrai au jour où il a plu des crêpes ou quelque chose d’analogue. » Dans un des nombreux Jean le Diot inédits que je possède, sa mère jette aussi des crêpes par la fenêtre du grenier pour faire accroire à son fils qu’il pleut des crêpes. À la page 385, vol. II, des Contes des West Highlands, un garçon « à moitié nigaud » est trompé aussi par sa mère, et il date le vol qu’il a fait du jour où il y a eu « une ondée de soupe au lait. » (Indian Fairy Tales, p. 257.) On peut aussi rapprocher de ces diverses pluies factices et étranges la grêle, le tonnerre et les éclairs qui jouent un rôle analogue dans un conte des Mille et une Nuits intitulé : Histoire du Mari et du Perroquet.

  1. Perdu la tête.