Lettres parisiennes/Année 1840/25

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1840

LETTRE VINGT-CINQUIÈME.

Ce qu’on appelle un beau temps politique. — La guerre et la paix.
31 octobre 1840.

Nous avons le cœur navré ! depuis quinze jours nous n’entendons parler que d’émeutes prochaines, que de coups montés, que d’associations en faveur du régicide, que de trahisons, de projets sanglants. Chacun nous accueille par les prédictions les plus sinistres ; nous en avions l’esprit bouleversé. Cependant, comme ces malheurs tragiques qui nous menacent ont des causes singulièrement ridicules, il faut essayer d’en rire en attendant qu’on en meure.

Ne trouvez-vous pas, dites-nous, que la civilisation est une belle chose, et que les nations régénérées ont de très-superbes avantages sur les nations caduques et routinières ?

Voyez un peu comme elles s’annoncent dignement. Que ce noble début présage un noble avenir !

Voyez la jeune Angleterre… représentée par un fou qui assassine une jeune femme grosse.

Voyez la jeune France… représentée par un frotteur qui assassine un vieillard entouré de sa famille.

Voyez la jeune Espagne qui… Ah ! celle-là n’est encore qu’une enfant ; mais convenez-en, la petite promet, et, si on l’encourage, elle ira plus loin que ses aînées !

Ô nations civilisées, vous avez raison de mépriser les nations barbares du Nord et du Midi, vous leur êtes très-supérieures… en barbarie.

C’est dans les plus vulgaires niaiseries de la conversation que se peignent, que se trahissent les mœurs, les idées journalières, les dangers habituels d’une époque. Parler de la pluie et du beau temps, c’est une banalité sans importance. Eh bien ! cette banalité, grâce aux agréments de l’époque, devient un sujet de conversation tout à fait piquant. Hier il pleuvait à verse, le ciel était noir, les rues étaient pleines de boue ; assis au coin du feu, nous gémissions. Quel affreux temps ! disions-nous. Arrive un de nos amis : il était trempé de pluie, son chapeau ruisselant d’eau était brillant comme du satin ; son paletot était en larmes, et tout le reste de sa parure était tigré de boue ; sa figure, ordinairement pâle, était du plus beau vert-pomme ; il grelottait et toussait horriblement. « Comment ! nous écrions-nous à sa vue, avec un pareil rhume vous sortez à pied aujourd’hui ? » Il nous répond en toussant « Je suis venu… en voiture. — Oh ! mais alors dans quelle espèce de voiture ? sur un camion ?… — Je suis venu en cabriolet… une roue s’est brisée au coin de votre rue… et j’ai fait un petit bout de chemin à pied ; mais c’est égal (il tousse), ce temps-là est bien bon… (il tousse encore) est bien bon pour nous, allez !… — Pour vous autres enrhumés ? je ne saisis pas. — Avec ce temps-là… » Ici une quinte affreuse l’empêche de continuer… Au bout de cinq minutes il reprend : « Avec ce temps-là il n’y a pas d’émeute qui tienne. — Ah ! je comprends ; la pluie et la boue, c’est ce qu’on appelle un beau temps politique. Réjouissons-nous donc et toussez gaiement ; mais avouez aussi que c’est un étrange gouvernement que celui qui attend son salut de la pluie, de la grêle, des vents, des nuages, des orages, et qui spécule sur les tempêtes pour avoir un jour de repos ! »

Les députés qui se rencontrent s’abordent tous par le même mot : « Que dit-on dans votre département ? »

Les uns répondent : « Ne m’en parlez pas ! dans notre département, ce sont tous des manufacturiers que la guerre ruinerait ; eh bien ! ils veulent tous la guerre, et ils chantent la Marseillaise pour imiter les Parisiens ; ils sont fous ! »

Les autres répondent : « Ne m’en parlez pas ! chez nous, ce sont tous des trembleurs, ils sont enragés pour la paix ; les récoltes ont été superbes cette année chez nous, et les cultivateurs se lamentent ; ils crient qu’on leur arrache leurs enfants… ils sont absurdes !

— Comment ! vous voulez, donc la guerre, vous ?

— Sans doute ; et mes commettants qui me demandent la paix ! c’est fort embarrassant.

— À qui le dites-vous ? je suis dans le même cas ; la guerre me semble une folie ; et mes commettants crient aux armes ! »

Ces sortes de dialogues, comme on le pense, jettent peu de lumière sur la situation actuelle.