Lettres parisiennes/Année 1840/24

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1840

LETTRE VINGT-QUATRIÈME.

Toujours des procès. — Le procès de madame Lafarge.
Le procès du prince Louis.
27 septembre 1840.

Des procès, toujours des procès, voilà ce qui nous occupe ! La condamnation de madame Lafarge a produit ici un effet étourdissant. Le jour où la nouvelle en est arrivée, le directeur du Vaudeville avait eu la présence d’esprit de défendre que l’on vendît dans la salle les journaux du soir ; on a pu entendre et applaudir la pièce qu’on jouait ; mais au théâtre du Palais-Royal, où l’on n’avait pas eu ce soin, la rentrée de mademoiselle Déjazet a été singulièrement troublée par les exclamations et les conversations du public ; mademoiselle Déjazet, si aimée, si adorée, pour la première fois de sa vie a joué devant un parterre distrait ! Mais aussi comment lutter contre un semblable événement ? Nous venons de voir un arrivant de Tulle ; l’infortuné ! on ne lui laisse pas depuis son retour un seul moment de repos ; on l’accable de questions, on lui en fait tant à la fois qu’il est bien forcé d’être bref dans ses réponses. « Comment va madame Lafarge ? — Très-malade ! — Sérieusement ? — Sincèrement. — Est-elle jolie ? — De beaux yeux noirs expressifs. — Qui rappelle-t-elle ? — Mademoiselle Falcon, mais moins belle que mademoiselle Falcon, les traits moins réguliers. — Et ses portraits ? — Affreux, pas du tout ressemblants. — Emma Pouthier ? — Gentille, une voix charmante, la voix de mademoiselle Mars. — Et madame Lafarge la mère ? — Très-grasse, petits yeux, grosses joues, sourire gracieux. — Quel effet a produit le plaidoyer de Paillet ? — Admirable ! Oh ! vous n’en pouvez juger ; tous les sténographes pleuraient, ils en ont passé la moitié. — Y avait-il beaucoup de monde à Tulle ? — Oui. — Beaucoup d’Anglais ? — Pas un. — Est-il vrai qu’on ait acheté cinq cents flacons le jour de l’opération des chimistes ? — Cinq cents flacons !… on n’en a acheté que trois, il n’y avait que cela dans toute la ville ; d’ailleurs, la salle du tribunal ne contenait que deux cents personnes, cela ferait deux flacons et demi par personne ; c’est beaucoup. — Mais le jugement… mais le jury… mais le pourvoi ? — De grâce, permettez-moi d’aller dormir ; j’ai voyagé sans m’arrêter, nuit et jour ; je n’en puis plus. — Encore un mot : M. de Chauvron est-il… — Ah ! vous êtes sans pitié. Bonsoir. »

On recommence à parler beaucoup du prince Louis ; on nous contait hier un mot de lui qui peint toute sa situation. « Monsieur, disait-il au juge d’instruction qui venait de l’interroger, accordez-moi une grâce : laissez-moi voir Paris. » Malheureux proscrit ! il veut conquérir la France pour avoir au moins le droit de la visiter ; est-ce sa faute s’il n’a pas d’autre moyen de la connaître, et n’avions-nous pas raison de dire : « Ce n’est pas un trône qu’il demande, c’est une patrie ? » Mais cette France, qu’il ne pouvait connaître par elle-même, il croyait pouvoir la juger par ceux qui ont la prétention de la représenter et d’exprimer sa pensée ; il l’étudiait dans nos patriotiques journaux, et cette étude dangereuse a causé ses torts et ses malheurs. Et tous ces journaux qui l’ont trompé par leurs gémissements perfides s’enflamment aujourd’hui contre lui ; ils le proclament fou, parce qu’il les a crus sur parole ; ils nomment ses proclamations insensées, et ils ne s’aperçoivent pas qu’ils les ont eux-mêmes dictées et qu’elles sont faites avec leurs propres mots. Lisez-les, jugez-les, et dites, n’en sont-ils pas les véritables auteurs ? Rappelez-vous cette phrase : « Qu’ont-ils fait, ceux qui vous gouvernent, pour avoir des droits à votre amour ? Ils vous ont promis la paix, et ils ont amené la guerre civile et la guerre désastreuse d’Afrique ! ils vous ont promis la diminution des impôts, et tout l’or que vous possédez n’assouvirait pas leur avidité ! »

Ne reconnaissez-vous pas là une des plus belles phrases du Courrier français ?

« Ils vous ont promis une administration intègre, et ils ne règnent que par la corruption ! Ils vous ont promis la liberté, et ils ne protègent que privilèges et abus ; ils s’opposent à toute réforme… »

Ceci n’est-il pas du National pur ?

« Enfin, ils ont promis qu’ils défendraient avec conscience notre honneur, nos droits, nos intérêts, et ils ont partout vendu notre honneur, abandonné nos droits, trahi nos intérêts ! »

Ne lisait-on pas cela chaque matin dans le Siècle :

« Il est temps que tant d’iniquités aient leur terme ; il est temps d’aller leur demander ce qu’ils ont fait de cette France si grande, si généreuse, si unanime de 1830 !… »

N’est-ce pas là, enfin, un des meilleurs refrains du Constitutionnel ?

Eh quoi ! tous les journaux de France ont crié pendant deux ans à cet exilé : « La France périt dans l’esclavage ; elle est ruinée, méprisée, déshonorée, désespérée, trahie, vendue, perdue !… » Et maintenant ils osent le trouver coupable d’être venu à son secours !… Hélas ! ils ont raison, car en politique c’est un crime que d’écouter deux fois les imposteurs.