Lettres parisiennes/Année 1837/11

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1837

LETTRE ONZIÈME.

Malveillance des Parisiens contre le printemps. — Le rossignol n’est qu’un gazouilleur périodique. — Les journalistes et les salons. — Un véritable poëte n’est pas responsable de ses inspirations.
24 mai 1837.

À Paris, les esprits sont généralement très-montés contre le printemps, on est fort mécontent de lui ; les plaintes ne tarissent pas ; nous lui conseillons cependant d’affronter courageusement la malveillance : chez nous c’est un moyen certain de la faire cesser. Le monde appartient aux esprits courageux ; après un éclat, si vous vous cachez, vous êtes perdu ; si au contraire, au fort du scandale, vous vous montrez, — si vous entrez bravement dans un salon au moment où l’on dit du mal de vous, soudain la fureur se calme, votre audace est une preuve d’innocence, votre présence répond à tout ; c’est pourquoi nous engageons le printemps à ne pas s’effrayer de la colère parisienne, sa présence détruira toutes nos préventions ; qu’on le voie, qu’on le sente, et ses torts seront oubliés ; qu’il vienne enfin, et on lui pardonnera de n’être pas venu ; à lui seul peut s’appliquer ce vieux proverbe : « Vaut mieux tard que jamais. » À lui seul !… Pour tout le reste, nous avons adopté celui d’Alphonse Karr, qui nous paraît beaucoup plus juste : « Vaut mieux jamais que tard. »

On nous écrit de la campagne que le rossignol chante déjà. Pauvre Philomèle ! quelle exactitude ! Qui a pu l’engager à venir ? Point de feuilles et pas de fleurs ! Chantre de poésie et d’amour, es-tu donc l’esclave d’une date ? As-tu donc consulté l’almanach de 1837 pour savoir si l’heure de la tendresse a sonné ? Millevoye avait-il tort de dire :

Le bocage était sans mystère,
Le rossignol était sans voix ?…

Ô rossignol inconvenant ! tu n’as donc plus besoin de mystère pour aimer ? Tu n’attends pas que l’ombre du feuillage vienne protéger ton bonheur ; tu n’attends pas que le parfum des fleurs vienne t’inspirer ; tu n’attends même pas que les mortels frileux puissent aller t’admirer… Tu aimes sans mystère et tu chantes sans gloire ! tu aimes à jour fixe, comme un nouveau marié ; tu chantes à l’heure précise, comme un improvisateur de bouts-rimés. Ce n’est pas le printemps, l’azur du ciel, la verdure des prés, la fraîcheur des eaux, le réveil des fleurs, qui te fait amant et poète ; c’est le calendrier. Tu as dit : Le 15 mai, à huit heures vingt-cinq minutes du soir, je choisirai une compagne et je chanterai mes amours ; le 15 mai, à huit heures vingt-cinq minutes du soir, tu as chanté tes amours. Malheureux ! c’est bien la peine d’être rossignol, pour être contraint à l’exactitude comme un journaliste ou un conducteur de diligence ! Avoir des ailes et n’être pas indépendant, et n’avoir pas le droit de rejoindre le soleil là où il s’oublie : ô rossignol, tu n’es plus fils du printemps ! Philomèle, vous avez beaucoup perdu cette année dans notre opinion !

Pendant que les hommes politiques se donnent entre eux de petites soirées parlementaires, les femmes vont au spectacle ; la salle de l’Opéra offre un aspect réjouissant. Les mantelets roses et blancs sont moins tristes à l’œil que ne l’étaient cet hiver les manteaux de velours noir ; puis le chapeau de paille, orné de fleurs, donne à toutes les femmes, jeunes et vieilles, un certain air de bergerettes qui n’est pas sans grâce ; il remplace avec avantage l’éternel turban de la maternité. Duprez a toujours la vogue ; la musique des Huguenots est si belle ! Duprez prononce si bien en chantant, qu’on s’aperçoit qu’il prononce mal. Ceci a l’air d’une absurdité, et pourtant rien de si facile à comprendre. Pourquoi Duprez dit-il dans Guillaume Tell : ô ma pâtrie ! je me sâcrifie ?… Cela est inutile ; un accent circonflexe n’ajoute rien au sentiment. Cette nouvelle clarté dans la prononciation, cette nouvelle habitude que nous devons à Duprez d’écouter les paroles joue parfois de cruels tours aux auteurs de libretti. Ainsi, par exemple, sans lui, nous n’aurions jamais remarqué ces mots, troisième acte des Huguenots : Quoi qu’il advienne et qu’il arrive ; nous aurons la discorde ou la guerre : On n’est plus en sûreté maintenant quand on écrit pour l’Opéra ; il faut prendre garde à ce qu’on dit. À présent, on risque d’être entendu.

L’Ambassadrice remplit toujours la salle de l’Opéra-Comique ; madame Damoreau, fatiguée d’avoir chanté cinquante-neuf fois de suite le même opéra, a trouvé, pour varier ce supplice, un ingénieux moyen dont s’amusent beaucoup les amateurs de l’orchestre qui sont dans le secret de ce tour de force : elle change chaque fois les roulades et les traits de son grand air ; et chaque fois cette difficulté, tous les jours plus grande et tous les jours plus heureusement vaincue, a tout le charme d’un plaisir nouveau et tout l’intérêt d’une gageure. La variété dans la constance ! n’est-ce pas le plus beau de tous les problèmes à résoudre ? être toujours le même et paraître toujours nouveau, voilà le grand secret de plaire et de fixer l’amour. Cela explique le succès des êtres capricieux. Il serait éternel, si par malheur le caprice n’avait aussi sa monotonie. Hélas ! le jour où l’on s’est dit : C’est du caprice, le prestige est détruit, on s’attend à tout, rien ne peut plus surprendre. Le caprice lui-même est prévu, on y compte, et il ne vous manque jamais ; alors il n’agit plus sur vous, il s’est déconsidéré à vos propres yeux par la régularité de son inconstance, vous n’y faites pas attention, vous le traitez sans conséquence, vous le traitez comme on traite les choses et les gens sur lesquels on croit pouvoir compter.

La salle du Gymnase, samedi dernier, ressemblait beaucoup au théâtre de M. de Castellane. C’était à peu près le même public. Les belles dames étaient venues assister aux débuts de leur protégée, mademoiselle Davenay ; et, depuis ces débuts, les journaux ne cessent de poursuivre de leurs épigrammes les belles dames et leur protégée.

Nous ne savons vraiment pas d’où vient cette grande fureur des journalistes contre le monde, contre les salons, contre les succès de salons, les talents de salons, les plaisirs de salons, les aumônes de salons ; rien n’est plus vulgaire et plus humble que cet acharnement, rien n’est plus injuste aussi. Ces messieurs parlent des salons avec la haine de gens qu’on en aurait exclus. Cela n’est pas ; ils savent au contraire que lorsque les personnes dont ils dépendent leur permettent d’aller dans le monde, on les y accueille avec bonne grâce, avec empressement ; ce n’est donc pas au monde qu’ils devraient s’en prendre du peu de liberté qu’ils ont d’y venir. Mais il est à remarquer que les esprits dont la mission est de détruire les préjugés sont précisément ceux qui ont le plus de préjugés et qui les professent avec le plus d’aveuglement. Voilà vingt ans que l’on crie contre les salons, contre la stérilité des salons, contre la puérilité du monde, sans s’apercevoir que tous nos hommes d’État, tous nos hommes de génie, sont hommes de salons. Parce que Jean-Jacques a été laquais, on en a conclu que pour faire du style il fallait être né dans une condition vulgaire, ou, si l’on était bien né, réparer ce tort en vivant dans un monde commun ; l’on a oublié tous les faiseurs de beau langage que le monde élégant avait enfantés ; et maintenant encore, malgré l’expérience, on nous parle sans cesse de la misère intellectuelle des salons, de l’incapacité de l’homme du monde, de la futilité de ses idées, de la petitesse de ses sentiments ; et il nous faut écouter toutes ces phrases dans le monde, dans un salon, assis entre Lamartine et Victor Hugo, entre Berryer et Odilon Barrot, qui sont pour nous, dans le monde, dans un salon, des causeurs aussi spirituels et aussi gracieux qu’ils sont ailleurs, pour toute la France, d’éloquents poëtes et de sublimes orateurs. N’importe, le préjugé est reçu, il durera toujours ; on dira toujours que le monde ne produit rien, pas un homme de talent, pas une femme de génie, et l’on ne s’apercevra pas que Byron, le prince de Metternich et M. de Chateaubriand, madame de Staël et George Sand étaient des gens du monde ; oui, George Sand ! car, malgré sa haine contre les gens comme il faut, son style trahit à chaque page la plume de bonne compagnie ; il n’y a qu’une femme du monde qui puisse peindre le monde comme elle le peint. Demandez à M. de Ramières, il vous dira qu’il a vu Indiana il y a huit ans au bal chez l’ambassadeur d’Espagne, et qu’elle était une des plus jolies femmes du bal.

Demandez aussi à M. le comte Walsh, qui paraît avoir étudié à fond le caractère et le talent de l’auteur de Lélia. Il a écrit tout un volume intitulé George Sand. La chaleur de conviction et la grande bonne foi de ce livre nous ont séduit. Des regrets, des reproches si flatteurs, doivent donner de l’orgueil. M. Walsh, reprochant à l’éloquent ennemi de la société le fatal emploi qu’il fait de son génie, semble lui dire : Quel dommage que parlant ainsi tu dises cela ! Mais que ces reproches sont injustes, et que ces nobles conseils sont inutiles ! George Sand est-il donc coupable de ses inspirations ? Est-ce sa faute si son âme est désenchantée ? Un poëte n’est réellement poëte que parce qu’il chante ce qu’il éprouve ; et il n’est pas responsable de ses impressions. Il peut corriger son style, mais il ne peut pas changer sa pensée ; sa pensée… il ne la choisit pas, il la produit, c’est un fruit de son cœur, qu’il a tout au plus le droit de cultiver ; un grand poëte est l’expression de son époque ; maudissez l’époque qui le fait naître, si ses œuvres révoltent vos esprits, mais ne vous en prenez pas au poëte ; s’il est triste, s’il gémit, s’il blasphème, s’il attaque la société, c’est que l’heure est venue où la société a abusé de toutes choses ; c’est que l’heure est venue pour les intelligences supérieures de se décourager. L’Angleterre, qui nous devance toujours de quelques années, l’Angleterre a vu briller Byron, la France voit naître George Sand. Ne lui reprochez point de haïr la société ; reprochez à la société d’être arrivée au point d’inspirer avec raison cette haine, et d’avoir mérité le succès de ses ennemis. Ce n’est point Luther qui a fait la réforme : c’est l’abus de toutes les lois saintes qui a soulevé tout un siècle, et qui a donné à un homme la force d’une si terrible révolution… Un héros, c’est le besoin d’un siècle qui se fait homme, c’est la pensée universelle incarnée ; de même un grand poëte est un éclatant symptôme des souffrances d’une époque, c’est sa plainte qu’il exprime, c’est sa blessure qu’il signale ; pardonnez donc à George Sand si la pensée de notre siècle est le désenchantement. Ne lui reprochez point l’amertume de ses chants ; l’aigle que le chasseur vient de blesser n’est pas responsable de ses cris.

Les ouvriers lyonnais occupent encore les élégantes charitables de Paris ; le bazar de Lyon reçoit chaque jour les dons les plus gracieux : d’abord de charmants tableaux, puis des ouvrages en tapisserie d’un travail merveilleux, de jolis vases peints, des écrans, des mouchoirs brodés, des éventails, des boîtes, des nécessaires, des coupes, des albums, des flacons, des jardinières, enfin des superfluités de toute espèce.

C’est ainsi que la commission du bazar désigne les jolis riens qu’on lui envoie. Ainsi, mesdames, cherchez sur vos étagères s’il n’est pas quelque objet qui ne vous plaise plus ; car les plus belles choses n’ont de valeur que par le souvenir. Gardez cette petite tasse fêlée parce qu’elle vous vient d’un ami, et donnez cette coupe magnifique qui vous a été offerte par un ennuyeux. Le prix d’une chose, c’est l’idée qu’on y attache, à moins cependant qu’on ne soit forcé de la payer ; alors cela change, alors c’est le prix qui est l’idée. Vous qui travaillez comme des fées, brodez des fichus, faites des bourses, des tapis, des coussins, des dessous de lampe, des cordons de sonnette, et envoyez tous ces trésors au bazar de Lyon ; les élégants vous diront pendant quinze jours : Que c’est joli, ce que vous faites là ! les belles fleurs, le charmant dessin ! Vous serez adroites et coquettes. Puis, quand tout cela sera vendu, les ouvriers s’écrieront : Quel bonheur ! voilà du pain pour trois jours ! Vous serez bonnes et généreuses, et le plaisir sera double, et la vanité n’y perdra rien.

Dantan vient de faire la caricature de Duprez et celle de Franchomme. On reconnaît à la première vue Duprez et Franchomme, surtout on reconnaît Dantan.

Les innombrables admirateurs de mademoiselle Déjazet se réjouissent, Desbœufs vient de leur offrir son image. La statuette de mademoiselle Déjazet n’est point une caricature, au contraire.

La Mode prétend que le vicomte de Launay est un ex-capitaine de dragons. Nous n’avons que cela à lui répondre : C’est que la manière dont elle le dit prouve qu’elle ne le croit pas.