Lettres parisiennes/Année 1837/10

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1837

LETTRE DIXIÈME.

Le danger de l’éloquence. — Le crime des idées.
11 mai 1837.

Les grands plaisirs de cette semaine ont été des plaisirs politiques. Ceux-là sont nouveaux, n’est-ce pas ? La séance de vendredi dernier à la chambre des députés était la plus belle fête parlementaire qu’on puisse imaginer. Cette lutte généreuse et pleine de noblesse, ce beau langage de grands penseurs, a prouvé toute la différence qu’il y a entre l’éloquence des idées et la facilité des paroles ; entre la haute et la petite tribune. Il est beau d’enflammer ainsi toute une assemblée, et de se faire des admirateurs de ses ennemis. Cependant cela ne prouverait-il pas aussi le danger de l’éloquence : deux hommes d’opinions si différentes produire dans le même moment, sur une même assemblée, le même effet ! La vérité est-elle donc un être si fantastique que deux esprits, deux regards également consciencieux puissent la voir si différente ! A-t-elle deux aspects, a-t-elle plusieurs noms, est-elle relative ou absolue ; ou bien y a-t-il deux vérités ? Nous le croirions assez, cela serait si commode, et cela expliquerait si naturellement les éternelles querelles de ce monde ; surtout les querelles de gens de bien, qui, selon nous, sont, de toutes les discussions, les plus immorales et les plus décourageantes. Aussi nous pensons comme ce bon provincial qui, après avoir entendu Odilon Barrot, disait, dans son enthousiasme : — C’est admirable ! Ce sont là toutes mes idées ; — et qui, après la réplique de M. Guizot, entraîné de même, enchanté, mais n’osant dire la même chose : « Ce sont là toutes mes idées, » s’écriait : — Eh ! ces deux hommes-là sont du même avis ! — Quel mot charmant ! lui seul peut vous donner une idée de l’éloquence de ces deux discours.

Mais les plus éloquentes phrases de la semaine ne valent pas ce seul mot amnistie ; voilà de quoi nourrir un long silence : le ministère peut rester muet après avoir prononcé ce mot-là. La justice la plus sévère ne saurait réclamer. Deux années de prison suffisent grandement à punir le crime des idées. Deux années ! c’est bien long ! et quelles années, mon Dieu ! les plus belles, les plus fleuries, les plus fécondes ; les condamnés politiques étaient presque tous des jeunes gens de vingt-deux à vingt-six ans ; et passer sa vingt-cinquième année en prison, n’est-ce pas un chagrin, un regret de tous les jours ? Cette année est si sacrée, si importante, si décisive, elle contient l’avenir ! Les soins de la famille, les soucis, les ardeurs de l’étude, voilà son passé, c’est la jeunesse dans toute sa force, dans toute sa grâce, dans toute sa poésie. Perdre cette année-là dans un cachot, c’est avoir été prisonnier dix ans ; c’est avoir manqué la plus belle fête de la vie ; c’est avoir subi une cruelle pénitence ! Oh ! nous ne dirons pas au gouvernement ce que lui disent quelques vieux Minos politiques, qu’il est trop indulgent ; nous lui dirons qu’il est généreux après avoir été sévère, et que sa clémence ressemble à celle des femmes, qui ne pardonnent jamais qu’après avoir puni.