Lettres d’un Provençal à son épouse/18
LETTRE ONZIÈME
Une connaissance, que je viens de faire, me
confirme, ma chère épouse, dans l’idée que tu as
sur les ressemblances. Mademoiselle E……r, ou
madame P……, car elle a deux noms, est une
jeunesse qui n’est ni bien ni mal, mais qui est
douée d’un grand fond d’esprit, ce qui lui donne
un air de bonté. Cette créature était chez un
nommé M……d, qui lui a fait un enfant. Ce monsieur
M……d était marié, mademoiselle E……r
voulut donner un père à son fruit, elle eut donc
la faiblesse apparente de se laisser séduire par un
jeune étourdi à qui elle eût l’adresse de faire
accroire qu’elle donnait son pucelage. Je ne sais
ce que le jeune homme en pensa, mais comme il
partit en voyage et qu’il laissa l’image de sa
figure à l’adroite donzelle, elle m’a dit l’avoir
tant regardé en foutant qu’elle a pondu un chef-d’œuvre
pareil au modèle et nullement ressemblant à
monsieur M……d, qui en est le véritable
auteur (il y a beaucoup de femmes qui voudraient
connaître ce procédé !) Voulant à mon tour lui
montrer comment se faisaient les enfants à la
ressemblance des mères, je déchargeai dans ma
main et lui en frottai la figure. Elle parût se
fâcher, mais je levai le pied et courus à l’Opéra.
Dans ma première, je t’annoncerai des choses
plus agréables. Il suffit que tu saches que toutes
les femmes de Paris sont les mêmes. Bandez et
ayez de l’argent, vous êtes leurs dieux pénates.