Les tendres épigrammes de Cydno la Lesbienne/15

(pseudonyme)
Traduction par Ibykos de Rhodes (pseudonyme).
Bibliothèque des curieux (p. 63-66).


XV

LA DÉFAITE DE CYDNO


Nous luttons, nues, la grande Euryméduse et moi, dans la prairie matinale.

La rosée mouille encore, sperme divin, les boutons d’or et les coquelicots. Sa fonction n’est-elle point d’attester, scintillante, l’amoureux mystère nocturne ?

Les sœurs, en déshabillé de gaze, ont fait le cercle autour du combat. Elles rient, sifflent, applaudissent et nous excitent par des propos aristophanesques.

La vaincue en sera quitte pour un chagrin d’amour-propre. L’enjeu n’est qu’une badinerie : la victorieuse chevauchera l’autre en séance solennelle, dans la salle des tableaux vivants, sous l’œil goguenard des négresses.

Je suis moins longue, du buste, et plus légère qu’Aphrodite Euryméduse. Et pourtant c’est moi qui l’ai provoquée, tout à l’heure, au bain, tandis que les masseuses nous raclaient la peau avec les strigiles d’aluminium.

Car je connais le point faible d’Euryméduse aux bras musculeux : comme elle a les jambes courtes, mon aiguillon arrive à la hauteur de sa rose, quand nous sommes debout l’une contre l’autre, mes yeux dressés vers les siens.

Or la pauvre Euryméduse est la plus rapide de nous toutes à cette course du plaisir où le bonheur consiste à être un peu lente : elle perd la tête, elle a le vertige, elle épanche son âme dès qu’on la touche, au point faible, avec un bout de languette ou un bijou sapphique.

Nous luttons, couronnées d’olivier sauvage, ointes d’une huile d’Ionie qui sent l’œillet pourpre.

Euryméduse avait beau se méfier du coup : un baiser de sa favorite Omphale au tetin gauche de la rêveuse Perséphone la distrait une seconde.

Vite, mon aiguillon pique la rose déjà émue, la pâmoison s’ensuit et, rassemblant toutes mes forces, j’enlève de terre la grande Euryméduse.

Hélas ! mes genoux plient sous le poids et je tombe à la renverse parmi les fleurs écrasées.

Euryméduse est sur moi, rieuse. Mes deux épaules ont touché.

C’était écrit. Cydno vaincue et violée va faire, dans la salle des tableaux vivants, la joie de nos braves servantes africaines.