Les périodes végétales de l’époque tertiaire/8

Les périodes végétales de l’époque tertiaire

LES PÉRIODES VÉGÉTALES
DE L’ÉPOQUE TERTIAIRE.

(Suite. — Voy. p. 83, 123 et 170.)
§IV. — Période miocène.

Avec la période miocène, nous touchons à la partie la mieux explorée de l’époque tertiaire, à celle dont les animaux, les plantes, les paysages, la configuration géographique peuvent être décrits de la façon la plus exacte et la plus précise. Les limites mêmes de la période sont cependant flottantes ; les commencements ont quelque chose d’incertain, la terminaison échappe. Nous connaissons en gros la suite des événements et leurs conséquences immédiates ; nous ignorons en grande partie les causes qui leur donnèrent lieu et la façon brusque ou lente, gouvernée par des phénomènes décisifs où accompagnée d’oscillations répétées, avec laquelle ils s’accomplirent. Au lieu de courir après les hypothèses, le mieux est de s’en tenir aux points les plus saillants et de tâcher de les bien définir.

Si l’on termine, comme je l’ai fait, la période oligocène avec le retrait de la mer tongrienne, cette mer qui, d’une part, s’avançait le long du Rhin jusqu’au fond de l’Alsace et, d’autre part, formait près de Paris un golfe, au fond duquel se déposèrent les grès de Fontainebleau, il faut convenir que le trait le plus accentué de la période suivante, celle que je vais considérer, consiste dans un retour de l’océan au sein de notre continent, retour offensif qui le submerge partiellement de nouveau. Les flots marins traversent alors l’Europe en écharpe, du sud-ouest au nord-est et à l’est ; ils la découpent de part en part dans cette direction, tandis que dans une direction opposée, la mer des faluns, contemporaine de la mer mollassique, occupe de grands espaces dans tout l’ouest de la France, et pénètre bien avant dans les terres, par les vallées de la Garonne, de la Charente et de la Loire. Mais il est facile de constater que cet envahissement ne succéda pas immédiatement au retrait de la mer tongrienne. Un intervalle très-appréciable, rempli par des formations intercalaires, sépare constamment les deux niveaux, et oblige de croire à l’existence d’une période de jonction plus ou moins prolongée, pendant la durée de laquelle la mer tongrienne s’était déjà retirée, tandis que celle de la mollasse ne s’était pas encore avancée.

Dans le bassin de Paris, c’est le calcaire de Beauce qui repose sur le grès de Fontainebleau, et qui par sa position très-nette, et le caractère tranché de ses fossiles constitue un horizon que l’on retrouve sur une foule de points, dans le centre et l’ouest de la France, dans l’Auvergne, l’Allier, le Cantal, le canton de Vaud, dans la vallée du Rhône, la Ligurie, etc. ; sur d’autres points, spécialement aux environs de Bordeaux (falun de Bazas ! ), dans les Basses-Alpes (Barrème) et sur les côtes de Provence (Carry), ce sont des dépôts complexes, soit marins, soit fluvio-marins ou saumâtres, dont le classement embarrasse les observateurs, qui marquent cependant les progrès et les étapes de la mer recommençant à s’étendre, mais que leur ambiguïté même range avec vraisemblance à la base des formations miocènes proprement dites.

Dans le midi de la France, les couches lacustres que les géologues s’accordent à désigner comme l’équivalent d’eau douce des dépôts oligocènes marins sont partout surmontées par des lits également lacustres, nécessairement plus modernes, mais sur lesquels s’appuye la grande formation mollassique et qui datent par conséquent d’un âge antérieur à l’arrivée de la mer génératrice de cette formation. L’ordre successif que je viens d’exposer n’est contesté par aucun géologue, mais il ne saurait avoir aux yeux des statigraphes d’autre importance que celle du fait ; tandis que, pour celui qui cherche à tracer l’histoire de la végétation, ce fait se rattache à tout un ensemble de phénomènes qui influèrent visiblement sur la flore européenne, en accélérant le mouvement dont j’ai signalé le début et qui tend de plus en plus à devenir complet. Il est difficile d’admettre que l’invasion de la mer mollassique jusqu’au centre de l’Europe et dans des régions, comme la lisière septentrionale des Alpes, qu’elle avait délaissées depuis le dessèchement du flysch, n’ait pas été précédée ou favorisée dans sa marche par des mouvements du sol, des ruptures, des plissements et des affaissements de nature à modifier le relief, la direction des vallées et l’orographie européenne tout entière. Les Alpes commencèrent alors peut-être à accentuer leur saillie, et les vallées que parcourent la plupart de nos grands fleuves, la Loire, la Garonne, le Rhône, le Pô et le Danube, devinrent des golfes et des bras, s’affaissant pour servir de cuvette aux eaux salées ; mais, si d’aussi remarquables changements ne se conçoivent guère sans révolutions physiques, il faut bien avouer que la végétation d’alors n’en subit qu’à peine le contre-coup direct ; il n’est pas démontré effectivement qu’elle eu ait été atteinte, ni troublée immédiatement dans ses éléments constitutifs. Rien de plus calme, de plus une à ce dernier point de vue, et de moins susceptible de se prêter à des subdivisions tranchées, que la période qui court du retrait de la mer tongrienne à la fin de la mer mollassique proprement dite, et comme cette fin n’eut rien de brusque, comme ce fut à l’aide d’une série de retraits partiels et d’oscillations graduelles que la mer de mollasse disparut elle-même, nous verrons également la végétation qui couvrait ses rivages, non pas disparaître subitement, mais diminuer peu à peu de force, de variété et de beauté, perdre insensiblement les caractères et les éléments empruntés au tropique, qu’elle posséda longtemps, et ne revêtir qu’à la longue une autre physionomie, jusqu’au moment où elle donne à la fin naissance, à force d’appauvrissements et de changements partiels, à la végétation européenne actuelle.

Mais s’il est difficile de contester l’existence de mouvements du sol plus ou moins violents et étendus, coïncidant avec l’invasion mollassique, il est également difficile de ne pas considérer l’intervalle qui sépare l’oligocène du moment précis où s’effectua l’invasion, comme un temps de profonde tranquillité, essentiellement favorable à la végétation par la prédominance d’un climat doux et tiède, pendant lequel des lacs étendus, grâce à la configuration du sol, à sa pente peu rapide, à l’assiette des vallées construites de manière à retenir les eaux, s’établirent sur une foule de points. Souvent aussi ces lacs eurent leurs bords et une partie de leur périmètre envahis par une végétation puissante, sous l’empire de conditions propres à la production des lignites.

Je diviserai, d’après ces données, en deux sections la grande période miocène : la première ou sous-période aguitanienne a reçu son nom du falun de Bazas, près de Bordeaux, type qui représente le mieux cet horizon ; elle commence avec le retrait de la mer tongrienne, et se termine à l’invasion de la mer mollassique. La seconde ou sous-période mollassique correspond aux temps qui suivirent cette invasion, et coïncide avec la durée de celle-ci. Plus tard, la mer de mollasse, loin de se retirer brusquement, comme avait fait celle du tongrien, affecta, sans doute par l’effet du relief croissant des Alpes, une marche pour ainsi dire inverse ; elle s’éloigna par étapes successives du centre de l’Europe et persistant plus ou moins vers les extrémités de ce continent, elle fit place à une nouvelle mer, peuplée d’une faune différente, ayant des limites particulières, et donnant lieu à des dépôts distincts des précédents. C’est à ces lits plus récents, auxquels ou a appliqué le nom de couches-à-congéries ou de formation mio-pliocène que s’arrête la sous-période mollassique, pour céder le terrain à la période suivante ou pliocène, la dernière de celles entre lesquelles se divisent les temps tertiaires ; non pas qu’il y ait lieu de les distinguer à l’aide de divergences bien accentuées au point de vue de la végétation, mais par la raison qu’une délimitation étant nécessaire, il existe des motifs plausibles de l’établir comme je le propose, et que tout autre sectionnement aurait plus d’inconvénient que d’avantage, surtout en considérant lu flore, qui seule doit nous préoccuper ici.

Sous-période aquitanienne. — La mer tongrienne ou oligocène, dont le retrait inaugure cette sous-période, bien moins étendue que celle de la mollasse, avait été, pour ainsi dire en tout, le contrepicd de ce que devait être cette dernière. Venue du nord et de l’ouest, au lieu d’arriver par le sud et par l’est, elle avait projeté dans la direction de la vallée du Rhin, jusqu’au pied du Jura, son fiord principal. C’est par le nord aussi qu’elle dut opérer son retrait : restreinte dans ses limites, peu avancée dans les terres du sud de l’Europe, éloignée, à ce qu’il semble, de la vallée du Rhône proprement dite, les oscillations auxquelles elle dut sa naissance et son extension, et qui plus tard accompagnèrent sans douté son départ se firent très-peu sentir dans cette région où l’on voit les lacs de la période précédente continuer tranquillement leurs dépôts et demeurer circonscrits dans les mêmes limites qu’auparavant. Seulement la tendance de ces lacs à diminuer de profondeur, à se laisser envahir par une végétation de plantes aquatiques, et à recevoir leurs débris accumulés peut être aisément constatée ; de là sans doute la présence des lignites si fréquents et quelquefois si puissants sur l’horizon de l’aquitanien. Les principales localités d’où nous sont venues des plantes aquitaniennes, et qui comprennent aussi des lignites exploités, sont celles de Manosque en Provence, de Cadibona en Piémont, de Thorens eu Savoie, de la Paudèze et de Monod dans le canton de Vaud, de Bovey-Tracey dans le Devonshire, de Coumi en Grèce (Eubée) ; il faut joindre à cette énumération les lignites de la région de l’ambre ou région baltique, ceux des environs de Bonn, et enfin le dépôt de Radoboj en Croatie ; cette liste déjà longue pourrait être aisément grossie d’une foule de points secondaires. Le niveau sur lequel se placent toutes ces localités est sensiblement le même d’un bout de l’Europe à l’autre, sur une étendue en latitude de plus de 15 degrés, et dans tout cet espace la flore contemporaine présente une si notable proportion d’éléments communs qu’il en ressort invinciblement la notion d’une égalité, sinon absolue, du moins très-sensible dans les conditions de climat et de température qui présidaient alors à son développement.

Voici d’abord une indication des principaux types et des formes les plus caractéristiques de la flore aquitanienne ; je reviendrai ensuite sur leur distribution géographique, avant de passer à la description des localités les plus intéressantes, considérées séparément, de manière à offrir le tableau approximatif des paysages du temps.

Les fougères montrent par leur fréquence et l’ampleur relative de leurs frondes l’influence d’un sol et d’un climat humides, influence qui n’a cessé de s’accroître depuis la dernière période.

Une très-belle Osmonde, Osmunda lignitum (Gieb.), Ung., dominait alors dans les lieux inondés et sur le bord des lagunes. La figure 1 donne une idée de son aspect, tout en ne représentant qu’une faible portion de sa fronde. Longtemps désignée sous divers noms, elle n’a été rejointe que tout dernièrement au groupes des Osmondes. Elle s’écarte beaucoup du type indigène de notre O. regalis, qui fait l’ornement des ruisseaux ombreux et des sols sablonneux, baignés par des eaux claires et dormantes.

Fig. 1. — Fougères aquitaniennes.
1. Osmunda lignitum (Gieb.), Ung. — 2. Lastræa (Goniopteris) Styriaca, Ung. — 3. Lygodium Gaudini, Hr.
Fig. 2. — Principaux palmiers aquituuicus restaurés d’après leurs frondes.
1. Flabellaria Rùminiana, Hr. — 2. Sabal major, Ung. — 3. Phœnicites spectabilis, Ung.
Fig. 3. — Dattier aquitanien de la haute Italie ; restauration d’après M. Sismonda.
Phœuicites Palavicini, Sism
Fig. 4. — Glyptontrobus europæus, Hr. (Manosque.)


L’O. lignitum retrace la forme d’une espèce propre aux régions boisées de l’Asie sud-orientale, et que l’on rencontre à Ceylan, aux Philippines, à Java et dans la Chine méridionale. C’est l’O. presliana J. Sm. (Milde, Monogr. gen. osmundae, p. 118 ; Plenasium aureum Presl). L’espèce fossile et l’espèce actuelle se ressemblent tellement, qu’on serait tenté de les confondre. En tous cas, il s’agit bien réellement d’une osmonde ayant joué le même rôle, et reproduisant fidèlement l’aspect d’une plante confinée maintenant dans les parties les plus chaudes de l’Asie austro-orientale. On peut dire que l’on est amené à de semblables conclusions par la présence des Lygodium, fougères grimpantes de la zone subéqualoriale, qui continuent à se montrer dans l’aquitanien (fig. 1, n° 3) ; leurs tiges flexibles et délicates s’enroulent autour des arbustes et s’attachent aux troncs mousseux, sous l’ombre épaisse des grands arbres. Les deux espèces les plus septentrionales du groupe se rencontrent maintenant, l’une en Floride, l’autre au Japon.

Fig. 5. — Charmes et hêtres aquitaniens.
1-3. Carpinus Ungeri, Ett. (Manosque). — 5-7. Fagus pristina, Sap. (Manosque).


Dans l’espace intermédiaire, il faut descendre jusqu’à la latitude des îles du Cap Vert, de l’Abyssinie et de l’Inde anglaise pour rencontrer des Lygodium. Le Lygodium aquitanien le plus répandu, L. Gaudini, Hr., retrace plutôt l’aspect de l’espèce américaine actuelle. La même impression résulte encore de la considération du type des Lastrœa ou Goniopteris, si répandu à cette époque et dont le L. styriaca Ung. (fig. 1, n° 2), le plus connu de tous, peut servir à faire connaître l’aspect. Cette espèce annonce une fougère de grande taille, peut-être même arborescente, et qui pourrait bien avoir fait partie de la tribu des Cyathées. Les nombreux Aspidium qui se groupent autour des Goniopteris ont la même signification. — Je ne puis m’empêcher de signaler en dernier lieu un très-beau Chrysodium, genre d’acrostichées dont une espèce encore inédite, recueillie aux environs de Manosque, se rattache directement aux formes les plus nettement tropicales.


Fig. 6. — Aunes aquitnniens.
1-4. Alnus Sporadum, Ung, (Coumi, Eubée). — 5, Alnus phocæenis, Sap. (Manosque).


Les Chrysodium sont des fougères aquatiques qui peuvent, selon M. Fée, atteindre jusqu’à 5 mètres de hauteur, et qui vivent à moitié plongées dans l’eau, à la manière de Typha ou massettes.

Fig. 7. — Peuplier et érables aquitaniens.
1. Populus Euboica, Sap. (Coumi). — 2-3. Acer trilobatum, Al. Br. (Coumi}. — 4. Acer recognitum, Sap. (Manosque).

Les palmiers sont en grande partie ceux de la période précédente ; leur extension en Europe n’a pas encore diminué ; on peut dire pourtant que leur fréquence est déjà moindre ; ils commencent à s’éloigner du bord des eaux, de la ceinture immédiate des lacs et du fond des vallées intérieures, où d’autres arbres, d’un aspect moins méridional, à feuillage touffu, et même des essences à feuilles caduques s’introduisent et se multiplient. Les Palmiers européens de cette époque recherchent de préférence les stations chaudes et abritées ; ils ne sont précisément exclus d’aucun endroit ; seulement il est bien des points où ils deviennent rares, leur existence ne s’y trahissant que par quelques débris fort clairsemés. Cette longue exode des palmiers européens s’achèvera beaucoup plus tard ; elle débute à peine maintenant par leur cantonnement sur des points déterminés, qui répond à leur élimination partielle sur d’autres ; le climat conserve sa chaleur, mais il devient graduellement plus humide et plus tempéré.

Aux Sabals, déjà mentionnés, et dont le Sabal major Ung. est toujours le type, viennent se joindre des Flabellaria (Fl. Rüminiana Hr., Fl. latiloba Hr.) ; auprès d’eux les Phœnicites speclabilis Ung. et Palavicini E. Sism., ce dernier de Cadibona, représentent le type de nos dattiers. D’autres espèces rencontrées çà et là sur le même horizon paraissent avoir appartenu soit aux Chamœrops (Ch. Helvetica Hr.), soit au groupe des Géonomées (Ceonoma Steigeri Hr., Manicaria formosa Hr.), soit à celui des Calatnées ou Palmier-Rotang (Calamopsis Sp., Palacospathe dœmonorops Hr.).

Les croquis figurés ci-contre (fig. 2 et 5) reproduisent l’aspect et le port approximatif des principaux palmiers aquitaniens ; ils sont empruntés eu partie au bel ouvrage de M. Hecr sur la Suisse primitive (p. 380), en partie à la flore tertiaire de Piémont de Sismonda.

Les Conifères, d’un effet si puissant dans le paysage, sont toujours celles dont j’ai signalé l’introduction dans l’oligocène ; seulement, les Séquoia et, parmi eux, les S. Couttsiæ Hr., Tournalii Sap. et Langsdorfii Hr. tendent à prédominer. Il s’y joint le Glyptostrobus europæus Hr. (fig. 4) et le Taxodium distichum miocenicum : le premier de ces deux types, sous une apparence à peine changée, habite maintenant la Chine ; le second se retrouve dans les États-Unis et le Mexique. Quant aux Seguoia, on sait que les deux seules espèces de ce genre, que la nature actuelle ait conservées, sont confinées sur les pentes fraîches et exposées aux averses du Pacifique des montagnes californiennes. Le S. Sternbergii, que j’ai signalé comme caractérisant l’oligocène, devient par contre de plus en plus rare et disparaît finalement sans laisser de descendance, Les pins sont bien moins communs dans l’aquitanien que dans l’âge précédent ; il en est de même des Callitris et des Widdringtonia ; ils se montrent moins fréquemment et sont absents ou du moins exceptionnels dans certaines régions, comme la Suisse. Ces types, dépossédés peu à peu, finirent par quitter l’Europe ; c’est en Afrique seulement qu’on les observe de nos jours.

En revanche, certains groupes, pauvres et clairsemés jusqu’alors, favorisés sans doute par la douceur et l’humidité croissantes du climat, par la multiplication des stations fraîches et l’extension des nappes lacustres, sortent maintenant de l’obscurité ; soit qu’ils arrivent des environs du pôle, soit qu’ils descendent des montagnes, ils viennent occuper, au sein de la végétation, une place dont l’importance est destinée à grandir, à raison même du progrès constant des circonstances auxquelles cette importance est due en premier lieu. Je nommerai surtout les aunes et les bouleaux, les charmes et les hêtres, les peupliers et les saules, les frênes et les érables, c’est-à-dire tout un ensemble de types à feuilles caduques, indices de l’influence d’une saison froide ou du moins fraîche relativement, et qui désormais tiendront un rang déterminé dans la flore, sans y prédominer cependant encore. Plusieurs de ces espèces ressemblent tellement à des formes actuellement vivantes, indigènes ou exotiques, qu’il est difficile de se refuser à admettre l’existence d’un lien de filiation rattachant celles-ci aux premières. Nous verrons bientôt les faits de ce genre se multiplier ; il suffit d’en signaler maintenant les premiers exemples.

Le Fagus pristina Sap., qui se montre à Manosque (fig. 5, nos 3 et 7), ne diffère pas ou presque pas du hêtre actuel d’Amérique, F. ferruginea Michx. Le Carpinus Ungeri Ett., de la même localité, dont les involucres fructifères (fig. 5, nos 1 et 3) n’ont été observés par moi que tout dernièrement, rappelle beaucoup aussi le charme de Virginie, C. Virginiana Michx.

L’Alnus sporadum Ung., de Coumi (Eubée) (fig.6), se confond presque avec l’A. subcordata C. A. Mey., de l’Asie Mineure, tout en manifestant de l’affinité avec l’A. orientalis Dne, de Syrie. La flore de Manosque, de son côté, comprend une forme d’Alnus, alliée de très-près à la précédente, A. phocœensis Sap. (fig. 6), mais qui se rapprocherait davantage de l’A. orientalis que l’aûne caucasien, A. subcordata. Ce sont là des oscillations qui marquent seulement l’existence des vicissitudes innombrables qu’ont subies jadis les espèces en traversant les âges, pour arriver enfin jusqu’à nous.

L’érable miocène par excellence, l’Acer trilobatum, qui commence alors à paraître, a des liens évidents, selon M. Heer, avec l’A. rubrum L. d’Amérique, dont il est cependant séparé par de faibles nuances différentielles, faciles à saisir. L’A. decipiens Hr., l’A. recognitum Sap., de Manosque (fig. 7), commencent au contraire une double série dont les termes enchaînés viennent aboutir à deux types d’érables encore aujourd’hui européens, celui de l’A. monspessulanum et celui de l’A. opulifolium. Il ne faudrait pas croire que la végétation européenne eût dès lors revêtu une physionomie analogue à celle quelle présente de nos jours, même dans les parties les plus australes du continent. En négligeant, si l’on veut, les détails et les exceptions, l’abondance seule des Laurinées, la fréquence et la variété des Myricées, des Diospyrées, des Andromeda du type des Leucothoe et d’une foule de Légumineuses arborescentes empêchait cette végétation de ressembler, même au premier abord, à celle dont nous avons le spectacle sous les yeux. Les chênes eux-mêmes, ces végétaux qui contribuent si fortement à la composition et à la beauté des forets de la zone tempérée actuelle, non-seulement ne semblent avoir encore occupé qu’une place relativement subordonnée, mais se trouvent représentés par des formes que l’œil exercé du botaniste est seul capable de saisir comme ayant appartenu à ce genre. La période aquitanienne marque cependant le moment où les chênes eux-mêmes commencent à prendre l’essor, à se diversifier et à laisser paraître les linéaments des traits morphologiques qui servent plus particulièrement à les distinguer de nos jours. En examinant le point de départ, nous verrons plus tard se prononcer les phases de cette évolution dont la marche, une fois inaugurée, ira toujours en s’accentuant et se compliquant. Cte G. de Saporta
Correspondant de l’Institut.

La suite prochainement. —