Les méthodes nouvelles de la mécanique céleste/Chap.26

CHAPITRE XXVI.

STABILITÉ À LA POISSON.


Diverses définitions de la stabilité.

290.Le mot stabilité a été entendu sons les sens les plus différents, et la différence de ces divers sens deviendra manifeste si l’on se rappelle l’histoire de la Science.

Lagrange a démontré qu’en négligeant les carrés des masses, les grands axes des orbites demeurent invariables. Il voulait dire par là qu’avec ce degré d’approximation les grands axes peuvent se développer en séries dont les termes sont de la forme

et étant des constantes.

Il en résulte que, si ces séries sont uniformément convergentes, les grands axes demeurent compris entre certaines limites ; le système des astres ne peut donc pas passer par toutes les situations compatibles avec les intégrales des forces vives et des aires, et de plus il repassera une infinité de fois aussi près que l’on voudra de sa situation initiale.

C’est la stabilité complète.

Poussant plus loin l’approximation, Poisson a annoncé ensuite que la stabilité subsiste quand on tient compte des carrés des masses et qu’on en néglige les cubes.

Mais cela n’avait pas le même sens.

Il voulait dire que les grands axes peuvent se développer en séries contenant non seulement des termes de la forme

mais des termes de la forme

La valeur du grand axe éprouve alors de continuelles oscillations, mais rien ne prouve que l’amplitude de ces oscillations ne croît pas indéfiniment avec le temps.

Nous pouvons affirmer que le système repassera toujours une infinité de fois aussi près qu’on voudra de sa situation initiale ; mais non qu’il ne s’en éloignera pas beaucoup.

Le mot de stabilité n’a donc pas le même sens pour Lagrange et pour Poisson.

Encore convient-il d’observer que les théorèmes de Lagrange et de Poisson comportent une importante exception : ils ne sont plus vrais si le rapport des moyens mouvements est commensurable.

Les deux géomètres n’en concluent pas moins à la stabilité parce qu’il est infiniment peu probable que ce rapport soit exactement commensurable.

Il y a donc lieu de définir exactement la stabilité.

Pour qu’il y ait stabilité complète dans le problème des trois corps, il faut trois conditions :

1o Qu’aucun des trois corps ne puisse s’éloigner indéfiniment ;

2o Que deux des corps ne puissent se choquer et que la distance de ces deux corps ne puisse descendre au-dessous d’une certaine limite ;

3o Que le système vienne repasser une infinité de fois aussi près que l’on veut de sa situation initiale.

Si la troisième condition est seule remplie, sans que l’on sache si les deux premières le sont, je dirai qu’il y a seulement stabilité à la Poisson.

Il y a un cas où, depuis longtemps, on a démontré que la première condition est remplie. Nous allons voir que la troisième l’est également. Quant à la deuxième, je ne puis rien dire.

Ce cas est celui du problème du no 9, où l’on suppose que les trois corps se meuvent dans un même plan, que la masse du troisième est nulle, que les deux premiers décrivent des circonférences concentriques autour de leur centre de gravité commun. C’est ce que j’appellerai, pour abréger, le problème restreint.

Mouvement d’un liquide.

291.Pour mieux faire comprendre le principe de la démonstration je vais d’abord prendre un exemple simple.

Considérons un liquide enfermé dans un vase de forme invariable et qu’il remplit complètement. Soient les coordonnées d’une molécule liquide, les composantes de sa vitesse, de telle façon que les équations du mouvement s’écrivent

(1)

Les composantes sont des fonctions que je suppose données de et

Je supposerai le mouvement permanent de telle façon que ne dépendent que de et

Comme le liquide est incompressible, on aura

En d’autres termes, le volume

est un invariant intégral.

Étudions la trajectoire d’une molécule quelconque : je dis que cette molécule repassera une infinité de fois aussi près que l’on voudra de sa position initiale. Plus exactement, soit un volume quelconque intérieur au vase et aussi petit que l’on voudra ; je dis qu’il y aura des molécules qui traverseront une infinité de fois ce volume.

Soit un volume quelconque intérieur au vase ; les molécules liquides qui remplissent ce volume à l’instant 0 rempliront à l’instant un certain volume à l’instant un certain volume à l’instant un certain volume

L’incompressibilité du liquide ou, ce qui revient au même, l’existence de l’invariant intégral nous montre que tous les volumes

sont égaux entre eux.

Soit le volume total du vase, si

on aura

Il est donc impossible que tous ces volumes soient tous extérieurs les uns aux autres ; il faut que deux au moins d’entre eux, et par exemple, aient une partie commune.

Je dis que, si et ont une partie commune, il en sera de même de et (en supposant par exemple ). Soit en effet un point commun à et à la molécule qui est au point à l’instant est à l’instant 0 en un point appartenant à puisque le point appartient à

De même la molécule qui est au point à l’instant est à l’instant au point puisque le mouvement est permanent ; elle est, d’autre part, à l’instant 0, en un point appartenant à puisque appartient à et nous devons en conclure en outre que appartient à

Donc et ont des points communs. C. Q. F. D.

On peut donc choisir le nombre de telle sorte que et aient une partie commune.

Soit cette partie commune, et formons avec comme nous avons formé avec Nous pourrons trouver un nombre tel que et aient une partie commune.

Soit cette partie commune.

Nous pourrons trouver un nombre tel que et aient une partie commune.

Et ainsi de suite.

Il résulte de là que fait partie de de de En général, fera partie de Quand le nombre croît indéfiniment, le volume devient donc de plus en plus petit.

D’après un théorème bien connu, il y aura au moins un point, peut-être plusieurs, peut-être une infinité qui appartiendront à la fois à à à et à quelque grand que soit

Cet ensemble de points que j’appelle sera en quelque sorte la limite vers laquelle tend le volume quand croît indéfiniment.

Il pourra se composer de points isolés ; mais il pourra en être autrement ; il pourra arriver, par exemple, que soit une région de l’espace de volume fini.

Une molécule qui sera à l’intérieur de et, par conséquent, de à l’époque zéro, sera à l’intérieur de à l’époque

Une molécule qui sera à l’intérieur de et, par conséquent, de à l’époque zéro, sera à l’intérieur de à l’époque et, par conséquent, à l’intérieur de à l’époque

Une molécule qui sera à l’intérieur de à l’époque zéro, sera à l’intérieur de à l’époque à l’intérieur de à l’époque et à l’intérieur de à l’époque

Comme font partie de cette molécule sera à quatre époques différentes (multiples de ) à l’intérieur de

De même, et plus généralement, une molécule qui se trouvera à l’intérieur de à l’époque zéro, se sera trouvée à époques différentes antérieures (qui seront égales à des multiples négatifs de ) à l’intérieur de

Et comme fait partie de quelque grand que soit il en résulte qu’une molécule, qui, à l’époque zéro, fait partie de traverse à une infinité d’époques différentes, toutes égales à un multiple négatif de

Il y a donc des molécules qui traversent le volume une infinité de fois, et cela quelque petit que soit ce volume. C. Q. F. D.

Les équations

deviennent

quand on change en elles conservent donc la même forme.

En conséquence, de même que nous venons de démontrer qu’il y a des molécules qui traversent une infinité de fois avant l’époque zéro, nous aurions pu démontrer qu’il y des molécules qui traversent une infinité de fois après l’époque zéro.

Le raisonnement qui précède nous fait connaître les époques où est traversé par une molécule qui, à l’époque zéro, fait partie de

Étant à l’intérieur de et, par conséquent, de et de à l’époque zéro, elle sera à l’intérieur de à l’époque

Étant à l’intérieur de et, par conséquent, de et de à l’époque zéro, elle sera à l’intérieur de et de à l’époque

et à l’intérieur de à l’époque

Elle sera donc à l’intérieur de aux deux époques et

Comme elle fait partie de et de à l’époque zéro, elle fera partie de à l’époque de à l’époque de à l’époque de sorte qu’elle traversera aux trois époques

À l’époque elle fait partie de et, par conséquent, de et de à l’époque

elle fera donc encore partie de

En résumé, cette molécule devra traverser aux diverses époques

le coefficient de étant ainsi une combinaison quelconque des nombres

Quelles sont maintenant, parmi toutes ces époques, celles où la molécule sera non seulement à l’intérieur de mais à l’intérieur de

Il est aisé de voir qu’il suffit de prendre les combinaisons où n’entre pas le nombre

Les époques où la molécule sera à l’intérieur de correspondront de même aux combinaisons où n’entrent ni le nombre ni le nombre

292.Reprenons les volumes

(1)

Je conviendrai de dire, pour abréger le langage, que chacun d’eux est le conséquent de celui qui est placé avant lui dans la suite (1) et l’antécédent de celui qui est placé après lui.

De même, seront le deuxième, le troisième conséquent de

Je puis prolonger la suite (1), au delà de en construisant les conséquents successifs de

Je puis également la prolonger vers la gauche et construire les antécédents successifs de

de telle sorte que les molécules qui sont dans à l’époque zéro, sont dans à l’époque et dans à l’époque

Cela posé, si je désigne toujours par le volume total du vase et par un entier quelconque ; si l’on a

il y aura des points qui feront partie à la fois de volumes de la série (1).

En effet, la somme des volumes de la série (1) est égale à si aucun point ne pouvait faire partie à la fois de plus de de ces volumes, cette somme devrait être plus petite que

Nous pourrons donc trouver dans la série (1) volumes

qui auront une partie commune.

J’en déduis que les volumes

ont une partie commune.

Soit, par exemple,

on pourra trouver trois volumes

qui auront une partie commune ; les indices satisfaisant aux conditions

On en déduit que les trois volumes

ont une partie commune, et qu’il en est de même des trois volumes

ou des trois volumes

293.Nous avons vu plus haut qu’il y a des molécules qui traversent une infinité de fois avant l’époque zéro, et d’autres qui traversent une infinité de fois après l’époque zéro. Je me propose d’établir qu’il y en a qui traversent une infinité de fois, tant avant qu’après l’époque zéro.

Soit un volume quelconque ; d’après le numéro précédent nous pouvons toujours trouver deux nombres et le premier négatif, le second positif et tels que les trois volumes

aient une partie commune. Soit cette partie commune.

Toute molécule qui sera dans à l’époque zéro, sera dans aux trois époques

De ces trois époques, la première est négative, la dernière positive.

Notre molécule traversera donc au moins une fois avant l’époque zéro et au moins une fois après cette époque.

Opérant ensuite sur comme sur nous trouverons deux nombres et le premier négatif, le second positif et tels que les trois volumes

aient une partie commune. Soit cette partie commune.

Toute molécule qui sera dans à l’époque zéro sera dans aux trois époques

et, par conséquent, dans aux cinq époques

De ces époques les deux premières sont négatives, les deux dernières positives.

Toute molécule qui sera dans à l’époque 0, traversera au moins deux fois avant l’époque zéro, et au moins deux fois après cette époque.

Et ainsi de suite.

On formerait avec avec et l’on verrait que toute molécule qui sera dans à l’époque 0, traverse au moins fois avant l’époque zéro et au moins fois après cette époque.

Mais fait partie de de et ainsi de suite. Il y aura donc un ensemble de points (comprenant au moins un point) et qui fera partie à la fois de tous les volumes quel que soit

Toute molécule qui, à l’époque zéro, sera à l’intérieur de sera donc également à l’intérieur de

puisque fait partie de tous ces volumes.

Elle traversera donc une infinité de fois avant l’époque 0, et une infinité de fois après cette époque.

Il existe donc des molécules qui traversent une infinité de fois tant avant qu’après l’époque zéro. C. Q. F. D.

294. L’ensemble tel qu’il a été défini dans le no 291 (de même que l’ensemble considéré dans le numéro précédent), peut se composer d’un seul point (quoique, bien entendu, il y ait toujours une infinité de molécules qui traversent une infinité de fois).

Il peut se composer d’un nombre fini de points ou d’un nombre infini de points discrets.

On pourrait aussi supposer que cet ensemble possède un volume fini ; voyons quelles seraient les conséquences de cette hypothèse. Raisonnons sur l’ensemble défini dans le no 291.

Je considère la suite des nombres entiers

définis dans ce numéro et je dis que l’on a

En effet, est le premier des conséquents de qui a une partie commune avec

est le premier des conséquents de qui a une partie commune avec

Mais fait partie de et de Si donc a une partie commune avec c’est que est un des conséquents de qui a une partie commune avec Cela entraîne l’inégalité

On trouverait de même

Les nombres vont donc toujours en croissant, ou, du moins, ne décroissent jamais.

D’autre part, nous avons, d’après le no 291,

On a évidemment

et, si a un volume fini que j’appelle aussi il vient, quel que soit

puisque fait partie de

Les nombres sont donc tous plus petits que

Ils ne peuvent donc croître au delà de toute limite et nous pouvons conclure que, dans la suite des nombres à partir d’un certain rang, tous les termes sont égaux entre eux.

Supposons qu’à partir du e rang, tous ces termes soient égaux à

Alors et auront une partie commune qui sera et auront une partie commune qui sera et ainsi de suite.

Soit le e conséquent de

est l’ensemble des points qui font partie à la fois de ad inf. ; sera l’ensemble des points qui font partie à la fois de je pourrais dire aussi que est l’ensemble des points qui font partie à la fois de

(1)

puisque chacune des régions n’est qu’une portion de la précédente. De même est l’ensemble des points qui font partie à la fois de

(2)

Mais est une partie de est une partie de chaque terme de la série (2) est une partie du terme correspondant de la série (1). Donc est une partie de ou coïncide avec

Or, nous avons supposé que était une certaine région de l’espace ayant un volume fini. Le fluide étant incompressible, son e conséquent devra être aussi une certaine région de l’espace ayant le même volume. ne peut donc être une partie de Donc et coïncident.

Si donc on suppose que soit une certaine région de l’espace ayant un volume fini, il faut admettre que coïncide avec l’un de ses conséquents.

295. Voici quelques théorèmes qui sont presque évidents et que je me borne à énoncer. Soient

ceux des conséquents de qui ont une partie commune avec les nombres sont rangés par ordre de grandeur croissante ; on aura

Soient ensuite

conséquents de ayant une partie commune entre eux et avec Je choisis ces nombres de façon que soit aussi petit que possible ; on aura

Si nous reprenons les notations du no 291, et que nous désignions par le premier conséquent qui ait une partie commune avec par cette partie commune, par le premier conséquent de qui ait une partie commune avec je dis que, si n’est pas égal à on aura

et, en effet, aura une partie commune avec

Probabilités.

296.Nous avons vu au no 291 qu’il y a des molécules qui traversent une infinité de fois. D’autre part, en général, il y en a d’autres qui ne traversent qu’un nombre fini de fois. Je me propose de montrer que ces dernières doivent être regardées comme exceptionnelles ou, pour préciser davantage, que la probabilité pour qu’une molécule ne traverse qu’un nombre fini de fois est infiniment petite, si l’on admet que cette molécule est à l’intérieur de à l’origine du temps. Mais il faut d’abord que j’explique le sens que j’attache au mot probabilité. Soit une fonction quelconque positive des trois coordonnées je conviendrai de dire que la probabilité pour qu’à l’instant une molécule se trouve à l’intérieur d’un certain volume est proportionnelle à l’intégrale

étendue à ce volume. Elle est égale, par conséquent, à l’intégrale divisée par la même intégrale étendue au vase tout entier.

Nous pouvons choisir arbitrairement la fonction et la probabilité se trouve ainsi complètement définie ; comme la trajectoire d’une molécule ne dépend que de sa position initiale, la probabilité pour qu’une molécule se comporte de telle ou telle manière est une quantité entièrement définie dès qu’on a choisi la fonction

Cela posé, je prendrai d’abord tout simplement et je chercherai la probabilité pour qu’une molécule ne traverse pas plus de fois la région entre l’époque et l’époque zéro.

Soit donc une région faisant partie de et définie par la propriété suivante. Toute molécule qui à l’origine du temps sera à l’intérieur de ne traversera pas plus de fois entre les époques et 0.

Si nous admettons que notre molécule est à l’intérieur de à l’époque zéro, la probabilité cherchée sera

(1)

Soient

les premiers conséquents de Il ne pourra pas y avoir de région commune à plus de des régions

sans quoi, toute molécule qui, à l’époque zéro, se trouverait dans cette région commune traverserait et, par conséquent, plus de fois entre les époques et 0.

On a donc

et, par conséquent,

Quelque petit que soit quelque grand que soit on pourra toujours prendre assez grand pour que le second membre de cette inégalité soit aussi petit que l’on veut. Donc, quand tend vers l’infini, tend vers zéro.

Donc, la probabilité pour qu’une molécule qui, à l’origine du temps, se trouve dans la région ne traverse pas cette région plus de fois entre les époques et 0, cette probabilité, dis-je, est infiniment petite.

De même, est infiniment petite la probabilité pour que cette molécule ne traverse pas cette région, plus de fois entre les époques 0 et

Faisons maintenant La probabilité pour que notre molécule ne traverse pas plus de fois, entre les époques et 0, sera plus petite que

Elle tend donc vers zéro quand croît indéfiniment.

La probabilité pour que notre molécule ne traverse pas une infinité de fois, entre les époques et 0, est donc infiniment petite.

Et, en effet, cette probabilité est la somme des probabilités pour que la molécule traverse une fois seulement, pour qu’elle traverse deux fois et deux fois seulement, pour qu’elle traverse trois fois et trois fois seulement, etc.

Or, la probabilité pour que la molécule traverse fois et fois seulement, entre les époques et 0, est évidemment plus petite que la probabilité pour qu’elle traverse fois ou moins de fois entre les époques et 0, plus petite par conséquent que

La probabilité totale est donc plus petite que

La série du second membre est uniformément convergente. Chacun des termes tend vers zéro quand tend vers l’infini. Donc la somme de la série tend vers zéro. Donc est infiniment petit.

De même, est infiniment petite la probabilité pour que notre molécule ne traverse pas une infinité de fois entre les époques o et

Les mêmes résultats subsistent quand, au lieu de prendre on fait tout autre choix pour la fonction

L’égalité (1) doit alors être remplacée par la suivante

et désignent l’intégrale étendue respectivement aux régions et

Je suppose que la fonction est continue ; par conséquent elle ne devient pas infinie ; et je puis lui assigner une limite supérieure on aura alors

et puisque

on en déduira

Quelque petit que soit quelque grand que soit on pourra toujours prendre assez grand pour que le second membre de cette inégalité soit aussi petit que l’on veut. Nous retombons donc sur les mêmes résultats qui sont ainsi indépendants du choix de la fonction

En résumé, les molécules qui ne traversent qu’un nombre fini de fois sont exceptionnelles au même titre que les nombres commensurables qui ne sont qu’une exception dans la série des nombres, pendant que les nombres incommensurables sont la règle.

Si donc Poisson a cru pouvoir répondre affirmativement à la question de la stabilité telle qu’il l’avait posée, bien qu’il eût exclu les cas où le rapport des moyens mouvements est commensurable, nous aurons de même le droit de regarder comme démontrée la stabilité telle que nous la définissons, bien que nous soyons forcés d’exclure les molécules exceptionnelles dont nous venons de parler.

J’ajouterai que l’existence des solutions asymptotiques prouve suffisamment que ces molécules exceptionnelles existent réellement.

Extension des résultats précédents.

297.Jusqu’ici nous nous sommes bornés à un cas très particulier, celui d’un liquide incompressible enfermé dans un vase, c’est-à-dire, pour parler le langage analytique, celui des équations

sont trois fonctions liées entre elles par la relation

et telles qu’en tous les points d’une surface fermée (celle du vase) on ait

étant les cosinus directeurs de la normale à cette surface fermée.

Mais tous les résultats précédents sont encore vrais dans des cas beaucoup plus étendus sans qu’il y ait rien à y changer, non plus qu’aux raisonnements qui y conduisent.

Soient variables satisfaisant aux équations différentielles

(1)

sont fonctions uniformes quelconques, satisfaisant à la condition

de telle façon que les équations (1) admettent l’invariant intégral

(2)

Je suppose de plus que est positif ; nous dirons alors que les équations (1) admettent un invariant intégral positif.

Je suppose encore que les équations (1) soient telles que si le point se trouve à l’origine du temps à l’intérieur d’un certain domaine (qui joue le même rôle que jouait tout à l’heure le vase où le liquide est enfermé) il restera indéfiniment à l’intérieur de ce domaine.

Je suppose enfin que l’intégrale

étendue à ce domaine est finie.

Dans ces conditions, si l’on considère un domaine contenu dans on pourra choisir d’une infinité de manières la position initiale du point de telle sorte que ce point traverse une infinité de fois ce domaine Si ce choix de la position initiale est fait au hasard à l’intérieur de la probabilité pour que le point ne traverse pas une infinité de fois le domaine sera infiniment petite.

En d’autres termes, si les circonstances initiales ne sont pas exceptionnelles, au sens que j’ai donné plus haut à ce mot, le point repassera une infinité de fois aussi près que l’on voudra de sa position initiale.

Il n’y a d’ailleurs rien à changer aux démonstrations qui précèdent. Nous retrouverons, par exemple, l’inégalité

et désigneront l’intégrale (2) étendue respectivement aux domaines et

Nous pourrons en déduire les mêmes conséquences ; en effet, l’intégrale (2) étant par hypothèse essentiellement positive jouira de la même propriété que le volume, à savoir qu’étendue à un domaine tout entier, elle sera plus grande qu’étendue seulement à une partie de ce domaine.

298.Comment verrons-nous maintenant s’il existe un domaine tel que le point reste toujours à l’intérieur de ce domaine s’il y est à l’origine des temps.

Supposons que les équations (1) admettent une intégrale

Considérons le domaine défini par les inégalités

et sont deux constantes quelconques, aussi rapprochées qu’on le voudra.

Il est clair que si ces inégalités sont satisfaites à l’origine des temps, elles le seront toujours. Le domaine satisfait donc bien aux conditions proposées.

Application au problème restreint.

299.Nous allons appliquer ces principes au problème restreint du no 9 ; une masse nulle, mouvement des deux autres masses circulaire, inclinaison nulle. Si nous rapportons la masse nulle dont nous étudions le mouvement à deux axes mobiles tournant autour du centre de gravité commun des deux autres masses, avec une vitesse angulaire constante égale à celle de ces deux autres masses ; si nous désignons par les coordonnées de la masse nulle par rapport aux deux axes mobiles, et par la fonction des forces, les équations du mouvement s’écriront

(1)

et l’on voit tout de suite qu’elles admettent un invariant intégral positif

(2)

D’autre part, elles admettent l’intégrale de Jacobi

(3)

étant une constante.

Comme est essentiellement positif, on doit avoir

(4)

Nous sommes donc conduits à construire les courbes

Le premier membre de la relation (4) est essentiellement positif, car nous avons

et sont les masses des deux corps principaux, et leurs distances à la masse nulle. Le premier membre de (4) devient infini pour pour ainsi qu’à l’infini ; il doit donc avoir au moins un minimum et deux points où ses deux dérivées premières s’annulent sans qu’il y ait ni maximum, ni minimum.

Plus généralement, s’il y a minima ou maxima relatifs il y aura points où les deux dérivés s’annulent sans qu’il y ait ni maximum ni minimum.

Mais il est évident que ces points où les deux dérivées s’annulent correspondent à ces solutions particulières du problème des trois corps que Laplace a étudiées dans le Chapitre VI du Livre X de sa Mécanique céleste.

Or on obtient deux de ces points, en construisant sur un triangle équilatéral, soit au-dessus, soit au-dessous de la droite que nous prenons pour axe des Le troisième sommet de ce triangle est une des solutions de la question.

Tous les autres points satisfaisant à la question sont sur l’axe des Or il est aisé de voir que le premier membre de (4), quand varie de à présente trois minima et trois seulement, le premier entre l’infini et la masse le second entre les deux masses et le troisième entre l’infini et la masse

En effet la dérivée ne s’annule (pour ) qu’une seule fois dans chacun de ces intervalles, puisqu’elle est la somme de trois termes qui sont tous croissants.

Les équations

qui expriment que le premier membre de (4) a ses deux dérivées nulles, n’ont donc que cinq solutions, à savoir les points et sommets des triangles équilatéraux, les points et situés sur l’axe des nous supposerons que ces points s’y rencontrent dans l’ordre suivant

Il reste à savoir quels sont ceux de ces points qui correspondent à un minimum, nous savons d’avance qu’il y en a deux.

Remarquons que si nous faisons varier d’une manière continue les deux masses et un quelconque des cinq points et correspondra toujours à un minimum ou n’y correspondra jamais. On ne pourrait, en effet, passer d’un cas à l’autre que si le hessien du premier membre de (4) s’annulait, c’est-à-dire si deux des points et se confondaient, ce qui n’arrivera jamais.

Il suffira donc d’examiner un cas particulier, par exemple celui où Dans ce cas, la symétrie suffit pour nous avertir que les deux solutions et doivent être de même nature, de même que les deux solutions et ce sont donc et seulement, ou bien et seulement qui correspondent à un minimum. Donc ne correspond pas à un minimum.

On reconnaîtrait que ne correspond pas à un minimum.

Les deux minima correspondent donc à et

Supposons maintenant beaucoup plus petit que ce qui est le cas de la nature.

Pour des valeurs suffisamment grandes de la courbe

se composera de trois branches fermées entourant entourant et entourant et Pour des valeurs plus petites, elle comprendra deux branches fermées, entourant et entourant

Pour des valeurs plus petites encore, nous aurions une seule branche fermée laissant et en dehors, et entourant et

Enfin pour des valeurs encore plus petites, nous aurons deux courbes fermées symétriques l’une de l’autre entourant respectivement et

Ce que nous allons dire s’applique seulement aux deux premiers cas ; nous laisserons donc de côté les deux derniers.

Dans le premier cas, l’ensemble des points satisfaisant à l’inégalité (4) se décompose en trois ensembles partiels : celui des points intérieurs à celui des points intérieurs à celui des points extérieurs à

Dans le deuxième cas, l’ensemble des points satisfaisant à (4) se décompose en deux ensembles partiels : celui des points intérieurs à celui des points extérieurs à

Ce que nous allons dire ne s’applique ni dans le premier cas à l’ensemble des points extérieurs à ni dans le deuxième à celui des points extérieurs à

Cela s’appliquera au contraire, dans le premier cas, à celui des points intérieurs à ou à celui des points intérieurs à et, dans le deuxième cas, à celui des points intérieurs à

Considérons, pour fixer les idées, le premier cas et l’ensemble des points intérieurs à

Nous prendrons alors comme domaine le domaine défini par les inégalités

(5)

Nous supposerons très petit et que ait une valeur telle que nous soyons placés dans le premier cas ; enfin, pour achever de définir le domaine nous assujettirons le point à se trouver à l’intérieur de la courbe

Il est clair alors que, si le point se trouve dans le domaine à l’origine du temps, il y restera toujours.

Pour montrer que les résultats des paragraphes précédents sont applicables au cas qui nous occupe, il nous reste à faire voir que l’intégrale

(2)

étendue au domaine est finie.

Comment cette intégrale pourrait-elle devenir infinie ? La courbe étant fermée, et sont limités ; l’intégrale ne peut donc devenir infinie que si et sont infinis. Mais, à cause des inégalités (5), et ne peuvent devenir infinis que si

devient infini, ou, puisque et sont limités, si devient infini.

Or devient infini pour et pour Mais, comme le point est extérieur à nous n’avons qu’à examiner le cas de

Évaluons donc la portion de l’intégrale qui est voisine du point Si est très petit, est sensiblement égal à le terme est aussi sensiblement constant ; de sorte que, si nous posons

pourra être regardée comme une constante.

Si alors nous posons

les inégalités (5) deviendront

(5 bis)

et l’intégrale (2) deviendra

(2 bis)

Nous adjoindrons aux inégalités (5 bis) l’inégalité

étant très petit, puisque c’est la partie de l’intégrale voisine de qu’il s’agit d’évaluer et que l’autre partie est certainement finie.

Si nous intégrons d’abord par rapport à et à l’intégrale (2 bis) deviendra

(2 ter)

Intégrons d’abord par rapport à Il faut calculer l’intégrale

prise entre les limites

et

ce qui donne

L’intégrale (2 ter) se réduit donc à

elle est donc finie.

Les théorèmes démontrés plus haut s’appliquent donc au cas qui nous occupe. La masse nulle repassera une infinité de fois aussi près que l’on voudra de sa position initiale, si l’on n’est pas placé dans certaines conditions initiales exceptionnelles dont la probabilité est infiniment petite.

Si donc, dans le problème restreint, on suppose que les conditions initiales soient telles que le point doive rester à l’intérieur d’une courbe fermée ou la première des conditions de la stabilité telles qu’elles ont été définies au no 290 se trouve remplie.

Mais de plus la troisième l’est également : il y a donc stabilité à la Poisson.

300.Le résultat serait évidemment le même quelle que soit la loi d’attraction.

Si, en effet, le mouvement d’un point matériel est régi par les équations

ou dans le cas du mouvement relatif par les équations

de manière que l’intégrale des forces vives s’écrive

et si la fonction et la constante sont telles que les valeurs de et de restent limitées, il y aura stabilité à la Poisson.

Mais ce n’est pas tout, il en est encore de même dans un cas plus étendu.

Soient les coordonnées de points matériels.

Soit la fonction des forces dépendant de ces variables.

Soient les masses correspondantes, de telle façon que nous désignons indifféremment par ou par la masse du point matériel dont les coordonnées sont et

Les équations s’écriront

et l’intégrale des forces vives s’écrira

Si la fonction et la constante sont telles que, en vertu de cette égalité, les coordonnées soient limitées, il y aura stabilité à la Poisson.

En effet, ce qu’il s’agit de démontrer, c’est que l’invariant intégral

est fini quand l’intégration est étendue au domaine que j’ai appelé et qui est défini par les inégalités

(1)

Appelons l’intégrale

étendue au domaine défini par l’inégalité

La même intégrale étendue au domaine

sera évidemment

Étendue au domaine défini par les inégalités (1), elle sera

ou, puisque est très petit,

Notre invariant intégral est donc égal à

(2)

l’intégration devant être étendue à tous les points tels que soit positif.

D’après mon hypothèse, le domaine est limité.

Il sera alors aisé de reconnaître si l’intégrale (2) est finie ou infinie.

Elle sera toujours finie si car alors l’exposant de est nul.

Supposons maintenant que soit et que devienne infiniment grand d’ordre quand la distance des deux points et devient infiniment petite du premier ordre. Alors la quantité sous le signe dans l’intégrale (2) est de l’ordre

La variété

a dimensions ; l’intégrale est d’ordre la condition pour que l’intégrale soit finie s’écrit donc

d’où

C’est là la condition pour qu’il y ait stabilité à la Poisson.

Application au problème des trois corps.

301.Les considérations qui précèdent s’appliquent au cas où l’équation

(1)

entraîne comme conséquence que les ne peuvent varier qu’entre des limites finies.

Malheureusement, il n’en est pas ainsi dans le problème des trois corps. J’adopterai les notations du no 11 ; je désignerai par les coordonnées du second corps par rapport au premier ; par celles du troisième par rapport au centre de gravité des deux premiers ; par les distances des trois corps, par leurs masses, et enfin par

les quantités que j’ai appelées et au no 11.

Nous aurons alors

L’égalité (1) entraîne l’inégalité

(2)

La fonction est essentiellement positive ; si donc la constante est positive, l’inégalité sera toujours satisfaite ; mais la question est de savoir si l’on peut donner à des valeurs négatives assez petites pour que l’inégalité ne puisse être satisfaite que pour des valeurs limitées des coordonnées Cela revient à demander si l’inégalité

(3)

jointe à celles qui sont imposées aux trois côtés d’un triangle

(4)

ne peut être satisfaite que pour des valeurs finies de Prenons et très grand ; prenons très petit ; les inégalités (4) seront vérifiées d’elles-mêmes.

Quant à l’inégalité (3), qui devient

elle peut, quel que soit être satisfaite par des valeurs aussi grandes que l’on veut de

Quelque petit que soit quelque grand que soit on peut toujours prendre assez petit pour que le premier membre soit positif.

L’existence des intégrales des aires ne modifie pas cette conclusion ; ces intégrales s’écrivent, en effet :

(5)

En vertu de ces équations, on a

(6)

est le moment d’inertie qu’aurait un système formé de deux points matériels dont les masses seraient et et les coordonnées par rapport à trois axes fixes le moment d’inertie, dis-je, que ce système aurait par rapport à la droite, qui servirait d’axe instantané de rotation à un solide, qui coïnciderait momentanément avec ce système et tournerait de façon que les constantes des aires soient les mêmes que pour le système.

L’inégalité (2) doit alors être remplacée par la suivante

(2 bis)

Mais cette inégalité, comme l’inégalité (2) elle-même, peut être satisfaite par des valeurs des aussi grandes que l’on veut ; car, pour des valeurs très grandes des le moment d’inertie est très grand et, le second membre étant très voisin de zéro, on retombe sur l’inégalité (2).

Nous devons donc conclure que les considérations du numéro précédent ne sont pas applicables.

Pour mieux nous en rendre compte, calculons l’invariant intégral

en l’étendant à un domaine défini par les inégalités suivantes

(7)

Les sont des quantités très petites ; les sont les premiers membres des égalités (5), et est la force vive réduite, c’est-à-dire le premier membre de (6).

Intégrons d’abord par rapport aux nous trouverons

et représentant les trois moments d’inertie principaux du système.

Je remarque en passant que, si l’on choisit les axes de coordonnées parallèles aux axes principaux d’inertie, on aura, d’après la définition de

On voit que l’intégrale, qui est étendue à tous les systèmes de valeurs tels que

est infinie, bien que le dénominateur devienne infini quand l’un des points ou s’éloigne indéfiniment. Et en effet le champ d’intégration est alors triplement infini et le dénominateur ne devient que doublement infini.

302.Mais si les considérations des numéros précédents ne sont plus applicables, on peut néanmoins tirer de l’existence de l’invariant intégral certaines conclusions qui ne sont pas sans intérêt.

Supposons donc que la distance de deux des corps devienne petite et que le troisième corps s’éloigne indéfiniment. Le troisième corps, à cause de sa grande distance, cessera de troubler le mouvement des deux premiers qui deviendra sensiblement elliptique.

Ce troisième corps décrira d’ailleurs sensiblement une hyperbole autour du centre de gravité des deux premiers.

Pour bien faire comprendre ma pensée, je vais d’abord prendre un exemple simple : je suppose un corps décrivant une hyperbole autour d’un point fixe. L’hyperbole se compose de deux branches ; l’une de ces branches est le prolongement analytique de l’autre, bien que pour le mécanicien la trajectoire ne se compose que d’une seule branche.

Nous pouvons alors nous demander si, dans le cas du problème des trois corps, la trajectoire admet un prolongement analytique et comment on peut le définir.

Les coordonnées du second corps par rapport au premier sont celles du troisième par rapport au centre de gravité des deux premiers sont de sorte que nous sommes ramené à envisager le mouvement de deux points fictifs dont les coordonnées par rapport à trois axes fixes sont pour le premier et pour le second.

Le premier de ces points décrira sensiblement une ellipse, le second sensiblement une hyperbole, et il ira en s’éloignant indéfiniment sur l’une des branches de cette hyperbole. Pour avoir le prolongement analytique cherché, construisons la seconde branche de cette hyperbole et associons-la à l’ellipse décrite par le premier point.

Considérons alors deux trajectoires particulières de notre système. Pour la première, les conditions initiales du mouvement seront telles que si est positif et très grand, le point se trouve très voisin de la première branche de l’hyperbole et le point très voisin de l’ellipse, de telle façon que la distance de ces deux points, soit, à l’hyperbole, soit à l’ellipse, tende vers zéro quand croît indéfiniment.

Prenons l’asymptote de l’hyperbole pour axe des et soit la vitesse du point qui décrit cette hyperbole pour une valeur de positive et très grande. Alors

tendra vers une limite finie et déterminée quand croîtra indéfiniment.

Soit de même le moyen mouvement sur l’ellipse et l’anomalie moyenne, la différence

tendra vers une limite finie et déterminée

Si nous nous donnons l’ellipse et l’hyperbole et par conséquent et si de plus nous nous donnons et les conditions initiales du mouvement correspondant à la première trajectoire seront entièrement déterminées.

Considérons maintenant la seconde trajectoire et supposons que les conditions initiales du mouvement soient telles que, pour négatif et très grand, le point soit très voisin de la seconde branche de l’hyperbole et le point très voisin de l’ellipse et que ces deux points se rapprochent indéfiniment de ces deux courbes quand tend vers

Les différences

tendent vers des limites finies et déterminées et quand tend vers l’infini.

Les conditions initiales correspondant à la seconde trajectoire sont entièrement définies quand on se donne l’ellipse, l’hyperbole, et

Si l’on a

les deux trajectoires pourront être regardées comme le prolongement analytique l’une de l’autre.

Considérons maintenant un système d’équations différentielles

(1)

où les fonctions qui dépendent seulement de satisfont à la relation

ces équations admettront l’invariant intégral

(2)

Supposons que nous sachions d’une façon quelconque que le point doive rester à l’intérieur d’un certain domaine analogue au domaine envisagé dans les numéros précédents, mais s’étendant indéfiniment de telle sorte que l’intégrale (2) étendue à ce domaine soit infinie. Les conclusions des nos 297 et 298 ne seront plus applicables.

Mais remplaçons les équations (1) par les suivantes

(1 bis)

est une fonction donnée quelconque de Le point dont le mouvement est défini par les équations (1 bis), décrira les mêmes trajectoires que celui dont le mouvement est défini par les équations (1). Les équations différentielles de ces trajectoires sont en effet, dans un cas comme dans l’autre.

Mais, si j’appelle le point dont le mouvement est défini par les équations (1) et celui dont le mouvement est défini par les équations (1 bis), nous voyons que ces deux points décrivent la même trajectoire, mais suivant des lois différentes.

Si j’appelle l’époque où passe en un point de sa trajectoire et l’époque où passe en ce même point, ces deux époques seront reliées par la relation

On a d’ailleurs

ce qui veut dire que les équations

(1 bis)

admettent l’invariant intégral

(2 bis)

Supposons que la fonction soit toujours positive et qu’elle tende vers zéro quand le point s’éloigne indéfiniment, et cela assez rapidement pour que l’intégrale (2 bis) étendue au domaine soit finie.

Les conclusions des nos 297 et suivants sont applicables aux équations (1 bis). Ces équations (1 bis) jouissent donc de la stabilité à la Poisson. Comme, d’ailleurs, elles définissent les mêmes trajectoires que les équations (1), on peut dire, dans un certain sens, que les trajectoires du point jouissent aussi de la stabilité à la Poisson.

Je précise ma pensée.

Nous avons

(3)

Comme est essentiellement positif, croîtra avec mais, comme peut s’annuler, il peut arriver que l’intégrale du second membre de (3) soit infinie.

Supposons, par exemple, que s’annule pour alors sera infini pour

 ou pour 

Considérons la trajectoire du point nous pouvons la diviser en deux parties, la première que parcourt depuis l’époque jusqu’à l’époque la seconde que parcourt depuis l’époque jusqu’à

Le point décrira la même trajectoire que mais il n’en décrira que la partie car il ne pourrait atteindre la partie qu’au bout d’un temps infini.

Pour le mécanicien, la trajectoire de ne se composerait donc que de pour l’analyste, elle se composerait non seulement de mais de qui en est le prolongement analytique.

Envisageons un point dont la position est définie comme il suit : le point occupera à l’instant la même position que le point à l’instant quant à il sera défini par l’égalité

Le mouvement du point se fera encore conformément aux équations (1), et ce point décrira de telle façon que les trajectoires des points et pourront être regardées comme le prolongement analytique l’une de l’autre.

Supposons maintenant que le point soit, à l’origine des temps, à l’intérieur d’un certain domaine Si les circonstances initiales du mouvement ne sont pas exceptionnelles, au sens donné à ce mot au no 296, la trajectoire du point et ses prolongements analytiques successifs viendront recouper une infinité de fois le domaine quelque petit qu’il soit. Mais il peut se faire que le point ne rentre jamais dans ce domaine, parce que ce domaine est recoupé, non par la trajectoire proprement dite du point mais par ses prolongements analytiques.

303.Cela s’applique au problème des trois corps.

Nous avons vu plus haut qu’on devait envisager l’intégrale

que nous avons d’ailleurs ramenée à l’intégrale sextuple

Mais nous avons vu que cette intégrale, étendue au domaine est infinie et c’est ce qui nous a empêché de conclure à la stabilité à la Poisson.

Écrivons les équations du mouvement sous la forme

les et les étant des fonctions des et des

Soit alors

et écrivons les équations nouvelles

Les équations nouvelles admettront comme invariant intégral

ou bien

Or cette intégrale est finie.

Si donc la situation initiale du système est telle que le point de l’espace à 12 dimensions dont les coordonnées sont

que ce point dis-je, soit à l’origine du temps à l’intérieur d’un certain domaine la trajectoire de ce point et ses prolongements analytiques, tels que nous les avons définis à la fin du no 302, recouperont une infinité de fois ce domaine à moins que la situation initiale du système ne soit exceptionnelle, au sens donné à ce mot au no 296.

304.Il semble d’abord que cette conséquence ne puisse intéresser que l’analyste et n’ait aucune signification physique. Mais cette manière de voir ne serait pas tout à fait justifiée.

On peut conclure, en effet, que si le système ne repasse pas une infinité de fois aussi près que l’on veut de sa position primitive, l’intégrale

sera finie.

Cette proposition est vraie, en laissant de côté certaines trajectoires exceptionnelles, dont la probabilité est nulle, au sens donné à ce mot au no 296.

Si cette intégrale est finie, on conclura que le temps pendant lequel le périmètre du triangle des trois corps reste inférieur à une quantité donnée est toujours fini.

Séparateur