Les erreurs de l’Église en droit naturel et canonique sur le mariage et le divorce/47

XLVII


Sois une héroïne ! Voilà qui est bientôt dit par un moine de haute intelligence qui ne manque de rien. Mais il ne s’agit pas pour la pauvre femme de phrases éloquentes ni de conseils platoniques. Il ne s’agit nullement du bûcher de la fidélité conjugale pour une malheureuse laissée seule et sans ressources avec des enfants qu’elle doit nourrir. Mère, elle n’a pas le droit moral de se jeter dans la haute poésie du bûcher, pour faire plaisir à une Église qui se montre si cruellement injuste envers elle. Elle a des devoirs pressants à remplir, au lieu d’écouter des tirades sonores, de belles phrases académiques qui la laissent sans pain avec ses enfants.

Présenter au monde comme infaillibles des définitions qui conduisent à d’aussi monstrueuses conclusions et à pareils conseils c’est tout simplement montrer que l’on s’est considérablement faussé l’esprit, quelqu’éminent qu’il soit, dans des études trop exclusives ; c’est montrer que son intelligence s’est à la longue viciée sous la direction d’une foi qui empêche de voir le côté vrai des choses.

Les prétentions de l’Église ne tiennent donc pas debout contre les faits, contre certaines situations particulières, et par suite contre la simple logique du sens commun. Voyez, d’ailleurs, cette religion d’amour qui ne sait faire que de la monstrueuse injustice dans certaines situations données.

Et remarquons, de plus, que celui qui ne veut absolument pas du divorce, parce que son Église l’y oblige, ne veut pas non plus de la séparation de corps.

« Je regarde la séparation de corps non comme un remède, mais comme une calamité terrible… qu’on ne saurait trop écarter d’une tête humaine. » (Page 147).

Pourquoi ne voulez-vous pas même de la séparation ? Parce que vous savez — mais vous n’osiez pas l’admettre en chaire — que les séparés vivent presque toujours dans l’immoralité. Et plutôt que de renoncer à une idée fausse, c’est-à-dire par pur orgueil de caste, — car ne venez pas arguer de conscience quand vous savez encore mieux que nous par le confessionnal que vos insoutenables décisions en droit naturel ont pour conséquence presque fatale l’immoralité chez les deux séparés ; — plutôt, dis-je, que de renoncer à une idée fausse conduisant à de monstrueuses injustices, vous ne voulez pas admettre le divorce et vous repoussez personnellement même la séparation ! La séparation cause des maux terribles, le divorce atténue considérablement ces maux, et vous préférez le mode de rupture du lien qui cause les plus grands maux à celui qui les annule en grande partie ! Vous nagez dans le faux sans en avoir conscience !

Mais enfin, voyons ! Quand une situation cruelle surgit il faut une solution pratique et non de ronflantes sentences de rhéteur. Quelle solution proposez-vous après avoir déployé toute votre éloquence, magnifique aux yeux de vos aveuglés, vide aux yeux des gens sérieux ? Il ne faut admettre ni divorce ni séparation, c’est-à-dire ne rien guérir !

« Et s’il faut que toi, pauvre femme, tu sois martyre (pour soutenir nos erreurs et nos sophismes), eh bien ! prends-en ton parti et sois martyre ! »

Il est plus commode, en effet, de conseiller le martyre aux autres que de le subir soi-même. Mais d’abord est-elle vraiment obligée de rendre ses enfants martyrs avec elle ? Non seulement elle n’y est pas obligée, mais elle est obligée au contraire de leur épargner le martyre de la misère, si elle le peut, et par n’importe quel moyen honnête. C’est ici qu’est la vraie question que le R. P. déplace à dessein pour couvrir l’illogisme de son Église. Supposons même qu’elle soit seule. Où est son obligation, à elle innocente, de se faire martyre sur l’injonction d’une Église qui commet une monstrueuse injustice à son égard, et cela en se moquant de son fondateur ?

Toujours le point de vue faux donc ! Toujours la foi qui obscurcit la raison ! Le système est tellement faux qu’entre le sensé et l’insensé ses adeptes sont forcés de choisir l’insensé ! L’Église a faussé la conscience des catholiques sur la question du meurtre du dissident, sur celle de la liberté de conscience, sur celle du droit inhérent à l’être doué de raison, et elle leur fausse encore l’esprit sur les questions de mariage et de divorce. Et non seulement cela, mais elle se met en contradiction avec elle-même puisque plusieurs de ses causes de nullités n’étaient en fait que le divorce baptisé à sa façon. Et elle se met d’une autre manière encore en contradiction avec elle-même. Elle nous informe qu’un mariage est valide sans aucune cérémonie religieuse parce que le mariage gît exclusivement dans le consentement des parties. Puisqu’elle fait abstraction de ses cérémonies et qu’elle reconnaît de fait — tout en prétendant le contraire — que le contrat est de droit naturel et non ecclésiastique, sur quel principe peut-elle repousser le divorce ? Le prêtre n’étant plus ministre du sacrement, ce n’est donc plus Dieu, dans son propre système, qui unit les parties. Puisqu’elles s’unissent d’elles-mêmes et par elles-mêmes elles peuvent donc se désunir quand des raisons suffisantes surgissent. L’Église s’est donc ôté à elle-même, en déplaçant le sacrement, sa plus forte raison d’autrefois contre le divorce. Puisque Dieu n’est plus là par le prêtre ministre du sacrement les époux ne sont pas unis par lui. Ils peuvent donc séparer ce que Dieu n’a pas uni.

La contradiction de l’Église ne saute-t-elle pas aux yeux ?

Non ! On n’a vraiment pas le droit de prétendre à la direction morale du monde quand on se montre si incapable de raisonner juste tant sur les origines du système et ses conséquences que sur les plus simples règles de justice et de morale, et enfin quand on se met ainsi sans cesse en contradiction avec soi-même.

Prenons un autre point de vue de la question. Un jeune homme et une jeune fille se marient. Au bout de deux ou trois ans de ménage le jeune homme se laisse séduire, entraîner par une dondaine et s’en va avec elle en pays étranger. Trois ans, cinq ans se passent sans qu’on reçoive la moindre nouvelle de lui. La femme abandonnée par cette brute finit par tomber dans le besoin avec un ou deux enfants qu’il lui a laissés et qu’elle ne peut nourrir ni élever convenablement. Un mariage satisfaisant s’offre à elle, et que lui dit cette Église qui parle avec tant d’effusion de son amour pour ses enfants surtout ceux que le malheur frappe ?

« Meurs de faim s’il le faut mais mon dogme avant tout ! Si tu veux suivre l’enseignement de Jésus je te damne ! Je ne te dois aucune justice ! »

Eh bien il y a certainement ici une question de justice qui prime les considérations dogmatiques. Si le prêtre ne faussait pas son esprit dans les études théologiques ne verrait-il pas qu’il faut être juste envers cette femme abandonnée et restée dans le besoin ? La loi civile lui accorde sa protection en pareil cas et prononce le divorce. La loi ecclésiastique, elle, ne sait que dire à cette femme :

« Sois martyre et meurs de faim avec tes enfants !  »

Où est le catholique sensé et connaissant les principes du droit et de la justice sociale qui va soutenir, comme le fait le prêtre, que Dieu veut cela ? Eh bien non, même dans le système catholique le Dieu infiniment juste ne peut pas sanctionner pareille barbarie, Voilà un des nombreux cas où le prêtre le fait à son image, lui attribue les injustices dont lui, prêtre, se rend coupable. Voilà cinquante siècles que les prêtres de toutes les religions justifient leurs crimes en les disant ordonnés de Dieu. Et le sacerdoce catholique n’a pas fait mieux quoiqu’il soit en possession, dit-il, de la vérité certaine ! Lui plus que tous les autres a ordonné des massacres au nom de Dieu.

Dans le cas que je cite d’une femme abandonnée, ou d’un homme dont la femme s’est laissée enlever par un gredin, faut-il, oui ou non, réparer le malheur qui les frappe ? Le laïc dit oui, le prêtre dit non ! Où est le bon sens ? Où est la justice ? Où est la sympathie ? Où est la notion bien comprise du devoir même en religion puisque la conséquence fatale de la situation sera une vie immorale pour eux ? Le dogme peut-il vraiment se mettre au-dessus de la morale ? N’est-il pas clair, aux yeux des gens qui ont pu se redresser l’esprit une fois sortis des mains du prêtre, qu’un dogme qui conduit presque fatalement à la violation de la morale est un dogme faux, un dogme de l’invention du prêtre et non inspiré de Dieu ?

Soumettez ces questions au seul droit naturel, justice est finalement rendue à ceux qui souffrent. Abandonnez-les à la loi ecclésiastique, l’injustice inexorable surgit de suite. Des que le prêtre domine l’État celui-ci devient injuste. Voilà son influence civilisatrice.