Les erreurs de l’Église en droit naturel et canonique sur le mariage et le divorce/48

XLVIII


Sur aucune question la déraison ecclésiastique ne s’est plus manifestement démontrée que sur celle du divorce. On a crié bien haut parce que les non catholiques pourraient divorcer. Mais qu’est-ce que cela peut bien vous faire ? Vous voulez, vous, montrer l’exemple de l’immoralité au public et à vos propres enfants par la séparation de corps ? Eh bien on ne vous en empêche pas ! Vous aimez les situations fausses ? Eh bien on vous permet de continuer à faire de l’hypocrisie ! On vous conserve avec soin ce que vous pratiquez avec le plus de talent ! De quoi, diable ! vous plaignez-vous ? Il vous convient que vos séparés vivent dans l’adultère ? Eh bien ! on vous l’accorde ! Que vous faut-il donc pour vous taire ?

Vous êtes scandalisés d’un divorce même hors du catholicisme ! Eh bien ! veuillez donc, pour l’amour de Dieu ! songer un instant que ceux auxquels vous imposiez les plus criantes injustices — comme les protestants de France auxquels vous refusiez l’état civil — avaient bien plus de raison, eux, d’être scandalisés de vous voir donner un soufflet à Jésus sur la question du divorce pour cause d’adultère !

Dans tous les cas, ce qui reste vrai, c’est que 1o vous faites hypocritement des divorces, sous le mot commode de nullités, pour les princes et pour les fortes bourses ; 2o que vous en faites aussi pour les protestants et les Israélites qui se convertissent au catholicisme ! Vous faites ainsi des divorces irréguliers et immoraux. La loi n’en veut que de réguliers dont elle exclut l’immoralité, et vous n’avez pas assez d’injures pour elle !

Ou vous êtes incompétents, ignorants au-delà de toute expression de toutes les questions de droit, ou vous êtes des farceurs !

À l’égard des protestants et des Israélites, la conduite de l’Église est criante et appelle vraiment toutes les vengeances du ciel. Elle renouvelle ici les monstruosités de l’esclavage, et elle est bien autrement coupable devant Dieu que les propriétaires d’esclaves, qui d’abord n’ont jamais réclamé l’infaillibilité sur les mœurs, dont un grand nombre avouaient franchement les mauvais côtés du système et qui souvent, dans la pratique, se faisaient une loi de ne vendre que les nègres non mariés et jamais ceux qui l’étaient, à moins que l’on n’achetât ensemble le mari et la femme. Les côtés monstrueux de l’institution étaient ainsi tempérés très souvent par le sentiment moral chez les individus. Mais dans l’Église, chose profondément triste à dire, on ne retrouve pas, sur un détail du mariage, le sens moral que manifestaient beaucoup de propriétaires d’esclaves. Interprète infaillible, dit-elle, de la parole divine, elle applique à des protestants, à des Israélites, tous hommes libres, cette mesure abominable entre toutes de la séparation des familles, quand l’un des conjoints se fait catholique ! Où est son droit et devant Dieu, dans son système, et devant les hommes en simple justice, de refuser de reconnaître chez les protestants ou les Israélites un mariage régulier dont il sera issu plusieurs enfants ?

On répond à cela qu’il n’y a pas de sacrement en dehors de l’Église, ni de mariage valide hors de la présence d’un prêtre.

Eh bien ! cette réponse constitue une ignorance et une jésuiterie tout ensemble. Quoi ! l’Église elle-même affirme que ce sont les parties seules qui produisent le sacrement, nullement le prêtre, et on dit qu’il n’y a pas eu sacrement, parce qu’il n’y avait pas de prêtre ! Mais comprenez-vous donc vous-mêmes ! Comment ! Vous vous égosillez à dire que le contrat et le sacrement ne font qu’un ; que le sacrement c’est uniquement la libre volonté des parties ; que les contractants seuls sont les ministres du sacrement ; que ce sont « les parties elles-mêmes qui s’administrent à elles-mêmes le sacrement » ; et puis, tiens ! sans le prêtre, qui n’est pas ministre du sacrement, il n’y a pas eu sacrement ! Votre propre définition vous force d’admettre le sacrement comme l’alliance, même hors de chez vous, puisque le consentement seul des parties produit le sacrement. Vous ne pouvez sortir de là qu’en vous rejetant sur le distinguo que là où il n’y a pas eu baptême il ne peut y avoir sacrement. Admettons-le pour les Juifs. Mais pour les protestants, qui ont été baptisés, il y a donc sacrement sans le prêtre. Et pour le libre penseur, qui a été baptisé, même s’il ne croit plus, son consentement lui confère le sacrement, puisqu’il ne gît que dans ce consentement. Vous ne pouvez pas, par de simples décrets, modifier l’essence des choses. Dans votre étonnante incompétence vous arrangez si bien vos définitions qu’elles tournent cruellement contre vous-mêmes ! Donc votre système est faux puisqu’il viole sans cesse la plus simple logique des choses et des situations !

Prenons pour exemple deux protestants. Vous en êtes réduits à dire, pour ne pas exiger que ces deux protestants renouvellent leur mariage s’ils deviennent tous deux catholiques, qu’il faut supposer que les conjoints ont eu au moins implicitement la pensée de se marier selon les intentions de l’Église, supposition passablement hasardée. Eh bien !… mais… s’ils ont eu cette pensée, ils se sont donc administré le sacrement dans votre système. De quel droit alors brisez-vous ce mariage, si l’un d’eux seulement se fait catholique et veut se marier du vivant de l’autre ? En ne reconnaissant pas ce mariage comme valide vous vous mettez en pleine contradiction avec le principe que vous posez. Et le talent ecclésiastique n’a pas encore vu cela !

Quant aux Juifs, qui se marient certainement, puisque la Bible vient d’eux, sous la parole : Et vidit quod esset bonum, le consentement libre chez eux a-t-il un caractère différent du consentement libre chez les catholiques ? Pourquoi leur consentement ne signifierait-il rien puisque là seulement gît l’essence du mariage dans l’Église elle-même ? De quel droit l’Église refuse-t-elle d’admettre chez les Israélites se mariant selon la Bible le principe de la volonté, quand la volonté est chez elle-même la seule base du mariage ? Peut-on se mettre en plus parfaite contradiction avec soi-même et avec le plus simple bon sens ? Si le consentement libre forme chez les catholiques l’essence du mariage comment peut-il ne pas l’être chez tous les non catholiques ? Veuillez donc bien nous donner des définitions plus sensées dans votre propre système ou veuillez nous laisser tranquilles. Ce qui est vrai chez vous ne peut pas devenir faux chez les autres ! Vous paraissez en vérité comprendre le droit à la façon du sauvage disant à un missionnaire : « Quand je prends la femme d’un autre, c’est bien. Mais quand un autre me prend ma femme, c’est mal. »