Les erreurs de l’Église en droit naturel et canonique sur le mariage et le divorce/13

XIII


Je viens de dire que le point de vue sensé des questions était souvent celui qui déplaisait le plus à l’Église. On l’a bien vu dans la condamnation du professeur Nuyts, de l’Université de Turin où il enseignait le droit canon en 1857. Comme l’abbé Boyer en 1817, et après une longue étude de la question du mariage ; après comparaison minutieuse d’opinions et de précédents, il en était arrivé à la conclusion qu’il était absurde d’affirmer que des conjoints sans mission et sans caractère sacerdotal pussent s’administrer à eux-mêmes le sacrement de mariage. Il voulait, comme pour les autres sacrements, un ministre extérieur du sacrement ayant reçu pouvoir de le conférer. Il expliqua donc, d’accord avec de nombreux théologiens d’autrefois et même quelques théologiens d’aujourd’hui, que le sacrement était conféré par la bénédiction du prêtre, qui devenait ainsi ministre du sacrement, et que les contractants étaient seulement ministres de leur alliance par leur consentement. Dans ce point de vue, parfaitement rationnel et logique, le sacrement conféré par le prêtre devenait le complément nécessaire, dans le catholicisme, du contrat ou alliance. Le bon sens était là. On serait ainsi rentré dans la logique des choses. Le prêtre redevenait le ministre du sacrement, ce qui était clairement sa fonction propre en l’espèce. Malheureusement, adopter ce point de vue, le seul rationnel dans la question, c’eût été admettre qu’un simple professeur laïque avait raison contre l’Église et lui montrait : ou qu’elle ne comprenait rien à la question, ou qu’elle imposait aux fidèles une notion fausse même en droit canon. Le professeur eut beau représenter que l’Église des XIIe, XIIIe, XIVe et XVe siècles avait considéré la bénédiction du prêtre comme conférant le sacrement, avait conséquemment regardé le prêtre comme le ministre du sacrement, et qu’on n’aurait jamais alors admis l’étrange notion qu’un catholique pût s’administrer un sacrement à lui-même, il fut condamné d’emblée par Pie IX pour oser penser comme l’Église d’autrefois et non comme celle d’aujourd’hui. En fait Pie IX l’a condamné parce qu’il ne voulait admettre à aucun prix qu’un homme seul vit plus clair dans la question que l’Église, et en second lieu parce que Nuyts voulait établir la jurisprudence ecclésiastique sur le mariage sur une base rationnelle et non sur le simple sentiment plus probable des théologiens d’aujourd’hui, sentiment qui était non seulement le moins probable autrefois mais que l’on eût carrément qualifié d’hérésie.

En fait, vouloir régler pareilles questions par le probabilisme ecclésiastique quand la rigoureuse Ionique du droit civil basé sur le droit naturel montre la parfaite inanité, et souvent la mauvaise foi, du susdit probabilisme, c’est montrer une incompétence dans la saine appréciation des choses dans laquelle jamais légiste laïque ne fût tombé, et cela pour la simple raison que le légiste laïque n’a pas derrière lui un dogme qui le force de ne pas tenir compte de la nature propre des choses.

D’ailleurs où est donc le probabilisme dans la loi civile ?

Le professeur Nuyts était de plus en complet accord avec le Decretum de Gratien qui, en décidant que le sacrement de mariage a tant de force qu’aucun vœu antérieur ne peut l’affecter, et que même un ecclésiastique dans les ordres peut se marier, n’entendait certainement pas qu’un simple laïc pût être ministre de ce sacrement envers lui-même. Gratien et tout le clergé de son temps eussent regardé la prétention non seulement comme une colossale absurdité, mais même comme une hérésie évidente. Un laïc sans mission ministre d’un sacrement ! On me dira peut-être qu’un laïc peut baptiser un enfant en l’absence d’un prêtre et devient par là ministre du sacrement de baptême. Sans doute, mais en pareil cas on rebaptise invariablement sous condition. Et puis la question n’est pas là mais seulement ici : un laïc pourrait-il se baptiser lui-même ? Non. Donc personne ne peut se conférer à lui-même un sacrement quelconque, pas plus le mariage qu’un autre.

On aura peut-être encore recours au distinguo suivant. — Mais il ne se confère pas à lui-même, le sacrement, il le reçoit par le fait seul de son consentement. — Alors il n’en est donc pas le ministre. Mais vous dites qu’il l’est. Vous ne vous comprenez donc pas vous-même ou vous voulez tromper.

Y aurait-il donc dans le mariage une opération magique et secrète dont on ne pourrait rendre compte ? Alors où est le signe visible nécessaire à un sacrement ? On aurait ce signe visible nécessaire dans la bénédiction du prêtre et le prononcé des paroles sacramentelles. Eh bien ! on se le refuse aujourd’hui ! On l’avait autrefois et on y a renoncé. On est par suite conduit à affirmer une espèce d’opération mystiques dont les parties elles-mêmes n’ont pas conscience. Les prétendus ministres du sacrement de mariage ne peuvent se rendre philosophiquement ni canoniquement compte de ce qui leur arrive ! N’est-ce pas renversant ?

Eh non ! ces choses ne supportent pas l’examen. Mais ce qui est inconcevable ; c’est que tant d’hommes de haute intelligence soient aveuglés par leur foi au point de ne pas même soupçonner qu’ils ne soutiennent que des paradoxes. Et il y a mieux encore en fait de talent ecclésiastique.

Puisque l’on a tant d’horreur du mariage devant l’officier civil, il semble qu’on aurait au moins dû, si l’on avait eu tant soit peu le sens de compréhension des choses, placer le côté religieux de l’institution dans un acte différent de la cérémonie civile, c’est-à-dire continuer de placer le sacrement dans la bénédiction du prêtre qui a seul mission dans le système de conférer les sacrements. Alors on aurait en une base sérieuse d’argumentation contre la cérémonie civile privée qu’elle serait de l’assistance active et autorisée du prêtre. On comprendrait que dans ce cas l’Église pût taxer d’irrégularité une cérémonie dont l’administration visible du sacrement serait absente. Mais non ! On ne veut pas, — ou plutôt on ne veut plus, — que le sacrement réside dans la bénédiction du prêtre et dans les anciennes paroles sacramentelles, et on le fait résider dans le seul consentement des conjoints, qui deviennent ainsi ses ministres. C’est Liguori qui l’affirme, c’est le cardinal Gousset, c’est Perrone, c’est le P. Didon. Liguori dit : Communis est sententia ministros hujus sacramenti esse ipsos contrahentes. Perrone dit : (de Maltrimonio. p. 194. cité par le P. Didon) « Les contractants eux-mêmes, les contractants seuls, et non le prêtre, sont les ministres du sacrement. » Nous avons vu ce que dit le cardinal Gousset. Enfin le P. Didon ajoute : « Le ministre du sacrement, ou en d’autres termes, celui qui le produit, celui qui en est l’auteur, c’est celui-là même qui émet le libre consentement. Ce sont donc les conjoints. »