Les erreurs de l’Église en droit naturel et canonique sur le mariage et le divorce/14

XIV


Voilà donc qui est bien entendu. Ce sont les conjoints seuls qui produisent, qui sont les auteurs du sacrement. Eh bien ! puisqu’ils en sont les auteurs, les seuls ministres, que ce sont eux qui le produisent par eux-mêmes et sans que le prêtre y soit pour quoi que ce soit, qu’est-ce donc qui les empêche d’aller le produire là où ils veulent, devant l’officier civil comme devant le prêtre qui, lui, ne produit absolument rien ? Puisque les conjoints produisent seuls le sacrement et le produisent par eux-mêmes, ils en sont clairement les maîtres. Et puisque l’on admet que les conjoints sont les seuls ministres du sacrement comme de l’alliance ou contrat, de quel droit se plaint-on que ceux qui produisent par eux-mêmes le sacrement comme l’alliance aillent se les conférer où bon leur semble ?

La conception moderne du sacrement sans bénédiction du prêtre et sans cérémonie religieuse, nécessaires autrefois, détruit donc la prétention du P. Didon, que la cérémonie devant l’officier civil n’est qu’une formalité « sans conséquences réelles », et ne produisant que le concubinage. On comprendrait la prétention si la bénédiction du prêtre conférait le sacrement. Dans ce cas, on ne pourrait clairement se passer de lui. Mais du moment que sa bénédiction ne sert de rien, il est vraiment un peu audacieux de prétendre que le prêtre, qui ne fait absolument rien, soit nécessaire.

N’est-ce pas délicieux en vérité ? C’est le prêtre lui-même qui est tombé dans l’étonnante inadvertance de montrer comment et pourquoi on peut se passer de lui ! C’est lui qui a renoncé précisément au seul détail qui rendait son ancienne prétention plausible ! C’est lui qui vient nous dire qu’il est absolument étranger non seulement à la création de l’alliance ou contrat, mais encore à la production et à l’octroi du sacrement, mais que malgré cela il n’y aurait pas de mariage régulier sans lui !

Et après cette colossale naïveté, il se moque finement, comme il sait le faire, de la naïveté laïque !

Toutes les considérations et les distinctions que je viens de faire sont bien simples, bien rationnelles, bien évidentes. Comment donc ceux qui ne vivent que du distinguo ne les ont-ils pas vues ? Ah ! c’est que par suite de l’incorrection fondamentale de bon nombre de leurs décisions, leurs distinguos ne servent jamais qu’à combattre le sens commun et non à s’y conformer. Heureusement le sens commun finit toujours par se montrer autrement fort que l’infaillibilité par cela seul qu’il est le sens commun et que l’infaillibilité en est la contradiction absolue.

Il reste donc acquis, pour ceux au moins que la foi aveugle n’empêche pas de raisonner selon le simple bon sens des choses, que l’Église a commis un énorme impair en déclarant le mariage un sacrement :

1o Parce qu’il appartient exclusivement à l’ordre de nature et à aucun point de vue à l’ordre mystique, — preuve : il ne repose, même en théologie, que sur le libre consentement des parties ;

2o Parce qu’en principe et en application il est en opposition évidente avec tous les autres sacrements, — preuve : c’est le seul sacrement dont de simples laïcs soient les ministres, notion relativement récente dans l’Église et d’une singularité en droit canon qui fait rire ;

3o Enfin parce qu’il n’est pas un sacrement au sens propre du mot, puisqu’il ne rentre en aucune manière dans la définition convenue d’un sacrement, — preuve : il n’offre pas les trois conditions requises pour la constitution d’un sacrement.

Le cardinal Gousset ne voit pas comment les constituer ; le P. Didon non plus, puisqu’il dit : « Le sacrement de mariage n’est constitué que par le libre consentement des parties. » Or ce consentement ne participe d’aucune des trois choses requises pour constituer un sacrement. Il n’y a donc pas de sacrement ; donc, malgré Pie IX, pas de mariage religieux.

Donc, en dernière analyse, l’Église a usurpé une institution qui ne lui appartenait à aucun titre, et pour expliquer cette usurpation il lui a fallu s’enfoncer jusqu’aux oreilles dans cet abracadabrant paradoxe : 1o que le contrat se fond dans le sacrement : 2o qu’en fait de sacrement de mariage l’administrateur du sacrement et l’administré se confondent dans la même personne. Un israélite pourrait donc se baptiser lui-même dans cette donnée puisqu’on peut être administrateur et administré tout ensemble d’un sacrement.

Franchement le talent ecclésiastique ne s’est pas montré sous un jour particulièrement brillant ici.

Maintenant puisque le prêtre n’assiste à un mariage que comme témoin, qu’apporte-t-il donc de plus que l’officier civil ? Il n’apporte réellement que son costume puisque ni sa bénédiction ni sa messe ne constituent le sacrement que les contractants seuls produisent. Il n’est donc là, d’après les théologiens eux-mêmes, que comme la mouche du coche. Autrefois il y assistait sur le principe de son ordination. Aujourd’hui il n’y vient plus que sur le principe de son costume, principe inadmissible même en droit canon.