Les Ravageurs/XLII
XLII
ORTALIDE, DACUS, ANTHOMYE
Paul. — Qui ne connaît le ver des cerises ? Le fruit est de belle apparence, charnu, d’un noir pourpre, gonflé de suc. Au moment où vous allez le savourer, vous le sentez mollir du côté de la queue. Un soupçon vous vient. Vous ouvrez la cerise. Pouah ! Un ver immonde nage dans la pulpe corrompue. C’est fini ; les belles cerises ne vous tentent plus.
Et dire que nous ne pouvons rien encore contre cette abjecte vermine qui, tous les printemps, vient prélever la dîme de nos plus beaux cerisiers. Les mauvaises griottes, à chair aigre, volontiers nous sont laissées, le ver ne les aime pas ; mais les autres, à chair sucrée, sont sa part à lui. L’homme, si puissant dans les grandes choses, est d’une désolante impuissance dans les plus petites. Il va dans les mers glacées du pôle harponner l’énorme baleine, il poursuit le lion de l’Afrique et le tigre de l’Inde, il perce les montagnes pour s’ouvrir une voie souterraine, il tranche un isthme pour faire communiquer deux mers, il pèse le soleil, il change la face du monde… et il ne peut empêcher un asticot de lui manger les cerises.
Ce ver est la larve d’un diptère nommé l’ortalide du cerisier. Figurez-vous une mouche noire, dont les ailes diaphanes sont barrées en travers de quatre bandes obscures : voilà l’ortalide. L’insecte pond ses œufs sur les cerises encore vertes, un seul sur chaque fruit. Aussitôt éclos, le vermisseau s’ouvre un passage à travers la chair et s’installe près du noyau. L’orifice d’entrée est très petit et d’ailleurs se cicatrise bientôt, de sorte que le fruit habité par le ver paraît intact. La présence de la larve n’empêche pas la cerise de grossir et de mûrir, circonstance excellente pour le ver, qui se gorge ainsi de chair juteuse et sucrée. À la maturité, la larve est elle-même développée à point. Alors elle abandonne la cerise pour s’enfouir en terre, où elle se transforme en nymphe et attend le mois de mai suivant, époque de l’apparition de l’insecte parfait.
Louis. — On ne connaît pas de moyen, dites-vous, de préserver les cerises de ce ver dégoûtant.
Paul. — Pour ma part, je n’en connais pas. La mouche qui produit ce ver est très abondante, petite, pourvue d’ailes agiles qui la dérobent à nos moyens de destruction. Lui faire la chasse est impossible. Ses ennemis naturels, oiseaux, ichneumons et autres, peuvent seuls en diminuer le nombre.
Un moucheron, tout aussi difficile à combattre, ravage les olives de la Provence. On le nomme Dacus de l’olivier. Sa longueur est de 4 millimètres environ. Il est jaunâtre, avec trois lignes noires sur le corselet, des bandes noires transversales sur le ventre et une tache brune à l’extrémité des ailes. Il pond plusieurs œufs sur la même olive, deux, trois et davantage. Les larves se nourrissent de la chair du fruit, qu’elles sillonnent de galeries remplies de leurs immondices. Quand ces vers abondent, un seul moyen reste de sauver au moins une partie de la récolte : c’est de faire la cueillette des olives et d’en extraire l’huile le plus tôt possible. Les larves périssent écrasées sous la roue du moulin qui triture les fruits, et l’on sauve la pulpe huileuse qu’elles auraient mangée en vivant plus longtemps.
Par son nombre, sa petite taille, son vol facile, la mouche des olives échappe à nos moyens de destruction, tout comme la mouche des cerises. On lui connaît un ennemi : c’est une fourmi qui visite les olives où le dacus a fait sa ponte et détruit les œufs du moucheron.
Émile. — On dit les olives d’une âcreté insupportable quand elles sont vertes et encore sur l’arbre. Comment le petit ver peut-il les manger ?
Paul. — Chacun a ses goûts, mon enfant : le vermisseau du dacus trouve excellent ce que nous trouvons détestable. L’ail cru, quelle saveur brûlante n’a-t-il pas ? Pour le manger, il faudrait un palais doublé en fer-blanc. Eh bien, il y a un petit ver, encore d’un diptère, qui de sa fine bouche grignote l’ail avec satisfaction. Il est heureux au possible quand il est installé dans la pulpe acre, aux fortes senteurs. C’est pour lui régal délicieux. Il ne vivrait que de cela, mais il vit aussi, suivant les occasions, d’échalotes, de ciboules, de poireaux et surtout d’oignons. Le diptère d’où il provient se nomme l’anthomye des oignons. C’est une mouche d’un gris cendré, avec des raies noirâtres et les ailes irisées. Les larves vivent tantôt isolées, tantôt par petites familles, dans le même oignon. Les plantes attaquées se flétrissent et meurent. Leur bulbe répand une odeur infecte ; si l’on enlève les écailles extérieures, on voit les vers grouiller au milieu de la pourriture. Il est prudent d’arracher tous les pieds malades et de les brûler pour ne pas laisser le diptère se multiplier dans le jardin.
Une autre anthomye vit aux dépens des navets. Elle est un peu plus petite que la mouche ordinaire, de couleur grisâtre avec les yeux rouges. Ses larves sont ces petits vers de couleur blanche que l’on trouve parfois en grand nombre dans la chair des navets.